Les Merveilleux Voyages de Marco Polo dans l’Asie du XIIIe siècle/Partie II/Chapitre 53

CHAPITRE LIII

Coutumes et superstitions


À Maabar, les indigènes ont pour tout vêtement un lambeau d’étoffe. Le roi n’est pas plus vêtu que ses sujets ; mais il porte un collier de rubis, de saphirs, d’émeraudes et d’autres pierres précieuses. Sur sa poitrine pend un chapelet de cent quatre grosses perles attachées à un mince fil de soie. Chaque jour, en effet, il doit réciter cent quatre prières à ses dieux. Il a, en outre, aux bras, aux jambes et aux pieds des bracelets d’or enrichis de perles et de pierres précieuses. Il porte ainsi sur sa personne la valeur d’une ville entière et ce n’est pas étonnant, puisqu’il tire toutes ces richesses de son royaume.

Quand le roi meurt, on fait brûler son corps. Ses fidèles se jettent dans le bûcher, où ils sont consumés avec lui. Ils disent qu’ayant été ses compagnons ici-bas, ils doivent le suivre dans l’autre monde. Aucun des enfants du roi défunt ne touche au trésor qu’il laisse. « Notre père, disent-ils, a amassé un trésor ; il nous faut, nous aussi, en amasser un. » Aussi existe-t-il dans le royaume beaucoup de trésors.

Dans cette contrée, quand un criminel est condamné à mort, il déclare souvent qu’il veut se tuer en l’honneur d’une divinité. Le juge y consent. Alors les parents et les amis du condamné le placent sur un char, lui mettent en main douze poignards et le promènent par la ville en criant : « Ce héros veut se sacrifier en l’honneur de tel dieu. » Arrivé au lieu du supplice, l’homme saisit un poignard et s’en traverse le bras : « Je me tue, s’écrie-t-il, pour l’amour de tel dieu. » Il prend ensuite un second poignard et se transperce l’autre bras, puis un troisième, qu’il s’enfonce dans la poitrine. Il fait tant qu’il expire. Alors les parents prennent le corps et le brûlent en grande cérémonie avec des démonstrations de joie.

Beaucoup de femmes, si leur mari vient à mourir, se précipitent dans son bûcher. Et leur conduite est louée par tout le monde.

De nombreux habitants adorent le bœuf ; ils disent que c’est un excellent animal et pour rien au monde ne voudraient ni en tuer un ni manger de sa chair. Il y a une espèce d’hommes que l’on appelle Govy ; ils refusent, eux aussi, de tuer un bœuf, mais si un de ces animaux périt, ils en consomment la chair.

Le roi, ses courtisans et tous ses sujets, grands et petits, ne s’assoient que sur la terre nue. Il est très honorable, expliquent-ils, de s’asseoir sur la terre, puisque nous en sommes tous sortis et que nous devons tous y retourner. Ainsi ne saurait-on trop la respecter et nul n’a le droit d’en faire mépris.

Les indigènes vont au combat sans lance ni bouclier. Ce sont de très mauvais soldats. Ils ne tuent ni bête, ni oiseau, ni aucun être vivant ; les animaux dont ils consomment la chair, ils les font tuer par les Musulmans. Ils procèdent à des ablutions complètes deux fois par jour. Ils s’abstiennent de vin.

Dans leur pays, la chaleur est prodigieuse. Il ne tombe de pluie que pendant trois mois, juin, juillet et août. Sans ces pluies qui rafraîchissent l’air et humectent la terre, la sécheresse serait si grande que personne ne pourrait vivre.