Les Merveilleux Voyages de Marco Polo dans l’Asie du XIIIe siècle/Partie II/Chapitre 38

CHAPITRE XXXVIII

Les chiens de Cuguy qui chassent le lion


Tous les pays dont nous parlerons dorénavant sont soumis au grand Khan et acceptent sa monnaie de papier. Dans la province de Cangigu[1] les habitants se font tracer sur la peau, à l’aide d’aiguilles, des figures de lion, de dragon et d’oiseau. Une fois tracées, ces images ne s’effacent plus. Les indigènes s’en recouvrent les mains, les bras, le cou et le corps entier. Ces dessins leur semblent une preuve de noblesse. Celui qui en a le plus passe pour le plus beau.

Dans la province de Cuguy[2], les habitants ont des vêtements faits avec l’écorce des arbres. Le pays est si plein de lions que les hommes n’y peuvent dormir la nuit hors de chez eux. Et même quand on passe en bateau, la nuit, sur le fleuve, il faut prendre garde de se tenir loin des bords, sans quoi les lions gagnent le bateau à la nage et dévorent ceux qu’ils peuvent saisir. Ces animaux sont si nombreux, si puissants et si féroces que, n’était une aide précieuse, personne ne pourrait voyager dans cette contrée.

Mais on y trouve des chiens de haute taille, si courageux qu’à deux ils ne craignent pas d’attaquer le lion. Les voyageurs en emmènent toujours un couple. Quand les chiens rencontrent un lion, ils lui courent sus très hardiment. Ils se tiennent sur ses flancs, aboyant, le mordant à la queue, à la cuisse, partout où ils peuvent l’attraper. Le lion fait mine de ne pas prendre garde à leurs attaques, puis brusquement il se retourne contre eux et il les tuerait s’il pouvait les saisir, mais ils savent fort bien esquiver son atteinte. Il s’enfuit, enfin, poursuivi par leurs aboiements et cherchant un bois pour s’adosser à un arbre afin que ses ennemis ne puissent l’attaquer par derrière. Quand les hommes le voient ainsi s’enfuir, ils prennent leurs arcs dont ils savent très bien tirer et le tuent à coup de flèches.

Cianglu[3] est une très grande ville située au midi dans la province de Catay. On y trouve une sorte de terre très salée. Les habitants en font de grands tas, sur lesquels ils jettent de l’eau. Ils recueillent ensuite cette eau, en emplissent de grandes chaudières en fer, la font bouillir, puis, quand elle est refroidie, en tirent du sel fin, très beau et très blanc. Ils le vendent avec grand bénéfice dans les contrées voisines.

  1. Le Laos.
  2. Kouei-Tchéou.
  3. Tchang-lou.