Les Merveilleux Voyages de Marco Polo dans l’Asie du XIIIe siècle/Partie II/Chapitre 29

CHAPITRE XXIX

La légende du Roi d’or


Après dix journées de marche vers l’Ouest, en traversant un pays garni de vignobles au milieu desquels s’élèvent quantité de villes et de bourgs, on atteint la cité de Taianfu[1], capitale du royaume de ce nom. Neuf journées plus loin se trouve la célèbre forteresse du Catay. Elle fut construite par un roi qu’on appelait le roi d’Or. Elle renferme un vaste et beau palais où se trouvent les portraits de tous les anciens rois du pays.

Or je vous raconterai une légende qui se répète parmi les habitants. Jadis la guerre éclata entre le roi d’Or et le Prêtre Jean. Celui-ci était très dépité de ne pouvoir aller attaquer son ennemi dans la forteresse du Catay. Un jour, dix-sept jeunes gens de sa cour vinrent le trouver et lui proposèrent de lui amener le Roi d’Or vivant. Il accepta avec joie leur offre.

Ils partirent donc, accompagnés d’écuyers et se rendirent près du roi d’Or. Ils lui dirent qu’ils étaient venus de régions lointaines pour lui offrir leurs services. Sans défiance, le roi les accueillit, et bientôt il fut très content d’eux et les chérissait fort.

Ils restèrent ainsi deux ans près de lui, en hommes étrangers à toute pensée de trahison. Un jour, le roi partit pour une partie de plaisir. Il les emmena avec un petit nombre de serviteurs, car ils avaient toute sa confiance. Quand leur troupe eut traversé une rivière qui coulait à un mille de la forteresse, ils se dirent que le moment était venu d’exécuter leur projet. Mettant l’épée à la main, ils sommèrent le roi de les suivre ; sinon, ils le tueraient. Le roi, tout étonné et saisi de peur, leur dit :

« Que faites-vous ? où voulez-vous m’emmener ?

— Que vous le vouliez ou non, vous viendrez avec nous jusqu’auprès de notre maître, le Prêtre Jean. »

En entendant ces mots, le roi entra dans une grande affliction :

— « Pour Dieu, supplia-t-il, ayez pitié de moi. Vous savez que dans mon palais je vous ai chéris et comblés d’honneurs, et voilà que vous voulez me livrer à mon ennemi. Si vous le faites, vous commettrez une action mauvaise, déloyale et honteuse ».

Ils lui répondirent qu’il fallait qu’il en fût ainsi et ils le conduisirent au Prêtre Jean.

Quand celui-ci le vit, il fut tout joyeux.

« Sois le mal venu ! » s’écria-t-il.

Le roi d’Or ne répondit rien. Alors le Prêtre Jean commanda qu’on le prît et qu’on le mît à garder les troupeaux. Il voulait ainsi l’humilier et lui montrer son néant.

Le roi d’Or passa deux ans à garder les troupeaux. Au bout de ce temps, le Prêtre Jean le fit venir devant lui, le combla de marques d’honneur et le revêtit de riches vêtements.

« Sire roi, lui dit-il, as-tu maintenant compris que tu n’es pas capable de me tenir tête ?

— Oui, beau Sire, je le reconnais, répondit le roi d’Or.

Alors le Prêtre Jean :

« C’est assez : désormais je te ferai honorer et servir. »

Il lui donna des chevaux, un équipage, une escorte et le renvoya chez lui. Depuis, le roi d’Or le tint pour son seigneur.

  1. Thaï-yuan-fou.