Les Merveilleux Voyages de Marco Polo dans l’Asie du XIIIe siècle/Partie I/Chapitre 9

CHAPITRE IX

L’influence de Marco Polo


Avant même que la science moderne eût porté témoignage en sa faveur, Marco Polo obtint en quelque mesure le crédit et l’influence auxquels il avait droit. Tandis que la plupart de ses lecteurs contemporains ne cherchaient dans ses récits que l’attrait du pittoresque et de la nouveauté, certains en démêlèrent l’importance scientifique. Dès le xive siècle, des cartes parurent qui représentaient, d’après la relation de Marco Polo, les contrées de l’Asie à l’orient du golfe de Persique ou au nord de l’Himalaya, et les côtes orientales d’Afrique. Pour la première fois, on dessina la Tartarie, le Japon, les îles de la Sonde et l’extrémité de l’Afrique. Des buts nouveaux furent proposés aux navigateurs. Tandis que certains s’efforçaient de doubler la pointe méridionale de l’Afrique, d’autres regardaient vers l’Asie. Marco Polo, qui la leur montrait prolongée considérablement vers l’Est, leur inspira l’idée d’y atteindre en faisant le tour du monde. Cherchant vers les riches contrées de l’Inde une voie plus facile et moins dangereuse que la voie terrestre, ils rêvèrent d’y aborder en cinglant directement vers l’Ouest. Ainsi les deux grandes découvertes du xve siècle, celle du Cap de Bonne Espérance et celle du Nouveau-Monde, proviennent directement de Marco Polo.

Christophe Colomb, dans la relation de son premier voyage, déclare que son intention était de pénétrer dans les Indes et de trouver le Grand Khan dont les prédécesseurs avaient demandé à Rome des apôtres pour leur enseigner la religion. Visiblement, le souvenir de Marco Polo le domine. Cuba lui paraît être le Cipango (Japon) dont le voyageur vénitien a raconté l’invasion malheureuse par les armées de Khoubilaï. Colomb croit que le roi de cette île est en guerre avec le grand Khan et déclare qu’il fera tous ses efforts pour arriver jusqu’à ce prince.

Marco Polo avait donc donné l’impulsion aux grandes découvertes géographiques de la fin du xve siècle. Peut-être aussi a-t-il contribué à l’invention de l’imprimerie. On sait que cet art existait en Chine depuis des siècles. Marco Polo l’a évidemment connu. Pourtant il n’en fait pas mention. Sans doute, craignait-il de se heurter à l’incrédulité de ses contemporains. N’oublions pas sa dernière parole : « Je n’ai pas écrit la moitié de ce que j’ai vu ».

Il aurait néanmoins rapporté de Chine des bois d’imprimerie et un Italien, Panfilio Castaldi, les ayant vus, aurait, vers la fin du xive siècle, employé l’imprimerie xylographique. Une tradition veut que Gutenberg, qui prit femme dans la famille vénitienne des Contarini (la coïncidence est remarquable) ait vu, à son tour, ces bois et, développant l’idée, ait abouti à sa découverte. La chose n’est sans doute pas prouvée, mais elle ne manque pas de vraisemblance.

Tandis que, grâce à son livre, l’influence de Marco Polo grandissait en Occident, son souvenir subsistait dans les contrées qu’il avait visitées. Les annalistes chinois mentionnent, nous l’avons vu, certains actes de son administration. Son buste fut placé dans le musée de Canton où l’on peut, aujourd’hui encore, le voir. Vénitien de naissance, Mongol d’adoption, Marco Polo fut le trait d’union entre deux mondes qui s’ignoraient. C’est là pour lui un titre de gloire qui ne s’effacera pas.