Les Merveilles de la science/Photographie - Supplément

Furne, Jouvet et Cie (Tome 2 des Supplémentsp. 1-80).
SUPPLÉMENT
à la
PHOTOGRAPHIE

Depuis la publication de notre Notice sur la Photographie, dans les Merveilles de la science[1], une véritable révolution s’est opérée dans la pratique de cet art. Un procédé nouveau, le procédé au gélatino-bromure d’argent, est venu détrôner la plupart des anciens modes opératoires. Les plaques au gélatino-bromure d’argent, que l’on trouve toutes préparées dans le commerce, et qui s’influencent à sec, ont remplacé les plaques que le photographe devait péniblement préparer avec le collodion humide ou l’albumine. Et ce procédé réunit tant de conditions surprenantes — une promptitude de pose inouïe et une simplicité d’exécution extraordinaire, — qu’aujourd’hui, on ne voit guère chez les photographes de profession, comme entre les mains des amateurs, que la plaque sèche gélatino-bromurée, ou le papier négatif au gélatino-bromure. Cet engouement, disons-le, va même trop loin ; car l’ancien procédé des négatifs au collodion humide est bien préférable au gélatino-bromure, quand on veut obtenir des œuvres irréprochables, sous le rapport de la finesse et de la précision.

Quoi qu’il en soit, le procédé au gélatino-bromure, où le temps de pose est réduit à quelques secondes, et le développement de l’image à quelques minutes, a eu pour résultat de donner à la photographie un élan sans pareil. Aujourd’hui, tout le monde peut devenir photographe. Non seulement le voyageur, mais toute personne, peut se donner la distraction charmante de cet art ; et les dames elles-mêmes s’y adonnent, sans crainte de tacher leurs doigts, ou d’afficher des prétentions savantes. Tandis qu’il fallait autrefois des semaines pour copier une vue, un monument, pour achever un portrait et en tirer des épreuves positives, aujourd’hui ces opérations se font, pour ainsi dire, à la vapeur, en d’autres termes, d’une manière instantanée, pour la pose, et extrêmement rapide pour le développement et le fixage. Plus de ces interminables préparatifs, qui décourageaient d’avance les plus patients praticiens ; plus de perte de temps, dans le travail de l’atelier. Tout est rapide, au plus haut degré, et c’est ce qui a déterminé la vulgarisation de la photographie, devenue un instrument usuel pour l’artiste, et un délassement sans pareil pour l’oisif et l’amateur.

Cette méthode remplace aujourd’hui le dessin, dans une foule de cas. Les ingénieurs, les architectes, s’en servent pour le lever des plans topographiques, pour les projets de construction, les modèles de charpente et d’échafaudage, etc. Quand on construit une pile de pont, un navire, un appareil mécanique, une maison ou un édifice, il est plus commode de prendre, chaque semaine, la photographie de la situation actuelle du travail, que de dresser d’interminables états. Aucune infidélité n’est à craindre avec le dessin pris par l’instrument optique et chimique.

Dans les travaux de l’art militaire, les officiers du génie prennent, par la photographie, les levers de plans des fortifications et des constructions diverses, des ponts, des batteries, des pièces d’artillerie, etc. Ils peuvent en avoir plusieurs exemplaires, et les distribuer dans les ateliers, quand cela est nécessaire, le tout presque sans frais.

Aucun dessin de paysage ne se fait plus à la chambre claire, qui nécessitait tant d’adresse et d’application. La plus mauvaise photographie est préférable au plus habile croquis relevé à la chambre claire, instrument dont l’usage est même ignoré de la nouvelle génération d’artistes. On est trop heureux de pouvoir, par une opération de quelques minutes, conserver le souvenir des sites, des motifs de paysage ou de végétation, etc., pour s’inquiéter d’une autre méthode.

Les industries de l’ameublement, c’est-à-dire les ébénistes, les tapissiers, qui faisaient exécuter autrefois des gravures très coûteuses, pour faire connaître à leurs clients les modèles de meubles, tapis, décorations, étoffes, etc., réalisent une économie considérable en faisant photographier leurs ouvrages. Il n’est pas jusqu’aux modistes et couturières qui n’aient recours à ce moyen, pour faire connaître leurs costumes.

Enfin, le touriste et le voyageur résistent bien difficilement aujourd’hui au désir de fixer, par une opération commode et rapide, le souvenir de ce qu’ils ont vu.

La photographie est donc entrée maintenant dans le domaine public ; elle est devenue comme une nécessité du temps. La profession de photographe a ainsi perdu de son privilège : elle peut être exercée par tout le monde, sauf, hâtons-nous de le dire, l’habileté spéciale que quelques opérateurs doivent à la pratique assidue de leur art, et au sentiment artistique qui leur appartient, et justifie leurs succès.

Dans le Supplément que l’on va lire, et qui a pour but de faire connaître les progrès de tout genre réalisés par l’invention de Daguerre et de Niepce, depuis 1870, environ, jusqu’au moment présent, nous nous attacherons à décrire, avec exactitude, tous les procédés aujourd’hui en usage dans les ateliers, pour l’exécution de l’art multiple qui nous occupe.

Nous commencerons par la description du procédé au gélatino-bromure d’argent, qui a été la cause déterminante de la diffusion générale de la photographie dans les masses. Et comme ce procédé a conduit à créer un matériel particulier, tant pour l’obtention de l’épreuve négative, que pour le tirage des positifs, nous aurons à décrire les procédés nouveaux de tirage des épreuves positives, c’est-à-dire le tirage au charbon, au sel de fer et au sel de platine.

Les applications de la photographie, déjà si nombreuses, se sont singulièrement accrues dans ces dernières années. L’exposé de ces nouvelles applications nous permettra d’initier nos lecteurs à bien des faits originaux, et encore peu connus de la généralité du public.

Voici, d’après les considérations qui précèdent, quelle sera la distribution des matières de ce Supplément :

1o Description du procédé au gélatino-bromure d’argent, en ce qui concerne la préparation de l’épreuve négative obtenue sur glace (pose, développement et fixage) ;

2o Description du procédé au gélatino-bromure d’argent, en ce qui concerne la préparation de l’épreuve négative obtenue sur du papier recouvert de gélatino-bromure, et donnant, au lieu de glace, une pellicule souple de gélatine (pose, développement et fixage) ;

3o Description des procédés pour le tirage des épreuves positives, qui n’ont pas été exposés dans notre Notice des Merveilles de la science, c’est-à-dire tirage des épreuves positives au charbon, au sel de platine et au sel de fer.

Passant aux applications nouvelles de la photographie, nous étudierons successivement

1o Les applications de la photographie aux sciences naturelles. Ici se placent la photographie instantanée et ses étonnants résultats, la manière de procéder pour obtenir l’image des corps en mouvement, ainsi que les appareils à employer dans ce but ;

2o Les applications de la photographie aux sciences physiques et naturelles (microphotographies, enregistreurs photographiques, etc.) ;

3o L’application de la photographie à l’astronomie, c’est-à-dire la manière d’obtenir l’image photographique des corps célestes (étoiles, planètes, comètes, satellites et soleil), branche nouvelle de la science et de l’art, qui a fini par amener le commencement d’exécution, par une commission internationale, d’une Carte du ciel par la photographie ;

4o Les applications récentes de la photographie à l’art de la gravure, c’est-à-dire les moyens de remplacer la main de l’artiste, ou le burin du graveur, par la chambre noire ou l’objectif, art multiple et nouveau, qui comprend le gillotage, la photogravure directe, la photolithographie, la photoglyptie, et la gravure photographique en creux ;

5o Certaines applications nouvelles de la photographie, telles que la photographie en ballon et la photographie instantanée en voyage.


CHAPITRE PREMIER

le procédé au gélatino-bromure d’argent pour l’obtention des négatifs. — les plaques de verre gélatino-bromurées. — l’exposition dans la chambre noire. — les obturateurs instantanés.

La rapidité d’impression photogénique du mélange de gélatine et de bromure d’argent a été connue pendant bien des années, sans que l’on eût réussi à en tirer un parti sérieux. Dès l’année 1850, Poitevin, qui obtenait de si beaux résultats de la gélatine employée en photographie, sous toutes sortes de formes, signalait la grande rapidité que procurait le mélange du bromure d’argent et de gélatine pour la production des épreuves sur verre. Mais, à cette époque, le collodion, sec ou humide, était exclusivement en faveur, et le gélatino-bromure d’argent ne parut pas devoir l’emporter sur le collodion. On continua donc d’opérer avec cette substance, mélangée de bromure d’argent.

À partir de l’année 1871, jusqu’en 1878, les opérateurs reconnurent les avantages du bromure d’argent émulsionné dans de la gélatine, et de nombreuses formules furent publiées par Maddox en 1871, — par King, en 1873, — par Burgen, pendant la même année, — par Bennett, en 1874, — par Wratten et Wainwright, en 1877, — sans toutefois que ces recettes donnassent le moyen d’opérer plus vite qu’avec le collodion mélangé au bromure d’argent.

Une observation fondamentale, faite en 1878, par le photographe anglais, Bennett, vint perfectionner singulièrement le nouveau procédé, et lui donner une extension universelle.

Bennett reconnut que si, après avoir préparé l’émulsion du bromure d’argent dans la gélatine, on fait bouillir ce mélange, — bien entendu, à l’abri de la lumière — pendant une demi-heure, et que l’on coule ensuite l’émulsion sur les glaces, on communique à ce mélange une propriété photogénique d’une prodigieuse sensibilité, à ce point que quelques secondes suffisent pour obtenir l’image, et qu’il ne faut pas même dépasser ce temps de pose, si l’on veut obtenir une bonne épreuve.

Les glaces préparées au gélatino-bromure d’argent conservent pendant des années entières leur propriété photogénique. C’est ce qui permet d’en faire une provision, et de les tenir en réserve, jusqu’au moment de s’en servir, sans crainte de les trouver altérées.

Cette stabilité de la surface sensible a permis à l’industrie de s’emparer de la fabrication des glaces au gélatino-bromure. Aujourd’hui, aucun photographe ne prépare lui-même ses glaces gélatino-bromurées. Il les trouve toutes prêtes dans le commerce, et l’on compte en France (à Paris, Lyon, etc.) de nombreuses fabriques de ces plaques, qui livrent leurs produits dans de petites boîtes convenablement conditionnées, et avec la marque de leur maison.

Il ne serait pas très intéressant pour le lecteur de donner la description de la manière dont les fabricants de glaces gélatino-bromurées s’y prennent pour préparer l’émulsion de bromure d’argent dans la gélatine, pour étaler cette émulsion sur la glace, la sécher et l’empaqueter dans les boîtes. Contentons-nous de dire que, dans ces fabriques, l’étendage de l’émulsion sur les glaces se fait mécaniquement. Les glaces sont posées sur des rubans mobiles, comme ceux des machines servant au tirage des journaux. Ces rubans se déroulent devant un réservoir, d’où s’écoule l’émulsion, et les glaces entraînées sur ces rubans reçoivent, l’une après l’autre, la couche de gélatino-bromure d’argent. Une fois recouvertes de la couche sensible, on les sèche à l’abri de la lumière, dans un courant d’air, et enfin, on les empaquète dans une boîte à rainures telle que la représente la figure ci-dessous.

Fig. 1. — Boîte à glaces à rainures.

Le photographe qui veut faire une provision de ces glaces commence par les retirer de la boîte à rainures des fabricants ; puis il les place l’une contre l’autre, face à face, en les séparant par une bande de papier épais, posée aux quatre coins, de manière qu’elles ne se touchent pas l’une l’autre. Il en fait alors des paquets d’une demi-douzaine, qu’il enveloppe de papier épais. Deux de ces paquets, formant une douzaine de glaces, sont enfermés dans une boîte de bois revêtue de carton, que l’on entoure elle-même d’une enveloppe de papier noir.

Ainsi préparées et enveloppées, les glaces se conservent pendant un temps illimité, si on les place dans une armoire, à l’abri de l’humidité.

Notons, en passant, que l’on peut, avec les glaces gélatino-bromurées, rendre avec une entière fidélité les tons de la nature. Tout le monde sait qu’en photographie le vert, le rouge et le jaune impressionnent faussement les surfaces sensibles : ces couleurs viennent en noir dans les épreuves positives. Au contraire, le bleu et le violet se traduisent en blanc. De là, sur les tableaux reproduits par la photographie, une traduction peu fidèle des couleurs du modèle, et d’autant moins fidèle que les couleurs sont plus vives. Une robe jaune, par exemple, donne un ton bien plus vif sur l’épreuve photographique ; au contraire, une robe bleue, ou violette, paraît bien plus lumineuse sur l’épreuve que dans la nature. Dans l’uniforme du soldat français, le rouge paraît beaucoup moins vif que le bleu, ce qui est l’opposé des tons naturels.

Or, on a reconnu que certaines matières colorantes ajoutées au gélatino-bromure d’argent rendent exactement les couleurs jaune, rouge et verte. Telles sont l’orsine, l’éosine, la résorcine, la cyanine, l’érythésine, l’azuline. On peut donc, en faisant usage de ces substances, être assuré de reproduire très exactement tous les tons d’un tableau. Il faut savoir seulement que les glaces ainsi préparées, sauf celles à l’azuline, ne se conservent que quelques jours.

Nous devons ajouter que, traitées de cette manière, les glaces exigent un temps de pose plus long que d’ordinaire.

On appelle isochromatiques les glaces qui ont reçu la préparation spéciale que nous venons de décrire.

Pour reproduire des tableaux, il est indispensable de faire usage de glaces isochromatiques, et si l’on n’en a pas sous la main, il faut savoir les préparer. La formule suivante a été donnée par MM. Mallmann et Scolick.

On laisse tremper la glace dans une solution aqueuse d’ammoniaque à 1 p. 100, pendant deux minutes, puis on la plonge pendant une minute environ dans :

Eau 
175 c. c.
Ammoniaque 
4 c. c.
Solution d’érythrosine, à 1 p. 100 
25 c. c.

Égoutter, laisser sécher et exposer. La meilleure lumière pour la reproduction des tableaux est celle du pétrole.

Après cette digression sur l’avantage particulier que donnent les glaces gélatino-bromurées, de reproduire avec fidélité les tons de la nature, quand on leur ajoute les agents ci-dessus nommés (éosine, résorcine, etc.,) nous arrivons à l’objet de ce chapitre, qui est la description de la série d’opérations à exécuter pour obtenir une épreuve négative sur la glace recouverte de gélatino-bromure d’argent.

Il faut commencer par placer la glace dans le châssis négatif.

Fig. 2. — Châssis négatif, à volet.

On appelle châssis négatif la planchette qui doit être substituée à la glace dépolie de la chambre noire, pour remplacer la surface sensible, c’est-à-dire la glace gélatino-bromurée, sur laquelle doit se faire l’impression lumineuse. Pour cela, le côté intérieur du châssis, celui qui est destiné à s’ouvrir, pour exposer la glace à la lumière, est fermé, soit par un volet, qu’on rabat pendant la pose, soit par un rideau qui, en se déroulant, va se loger derrière le châssis. On voit dans la figure ci-dessus le châssis à volet, c’est-à-dire le modèle principal de châssis en usage dans les ateliers.

Le châssis doit s’adapter assez exactement au devant de la chambre, pour ne laisser pénétrer aucune lumière à l’intérieur de cet espace. On vérifie si cette condition est remplie, et si aucun rayon de lumière diffuse ne pénètre à l’intérieur, en fermant l’objectif, s’enveloppant la tête du voile noir, et regardant si l’intérieur de la chambre est complètement obscur. On découvre facilement, de cette manière, s’il existe un orifice qui laisse passer le jour. On ne doit placer le châssis dans sa coulisse, pour remplacer la glace dépolie de la chambre obscure, que quand on s’est bien assuré de l’absence de tout filet lumineux.

Quant à la chambre obscure elle-même, nous l’avons décrite, avec les détails suffisants, dans notre Notice des Merveilles de la science. Ses dispositions n’ont pas sensiblement varié depuis cette époque ; seulement, l’emploi général du gélatino-bromure d’argent et la nécessité de fournir aux amateurs et aux voyageurs des chambres obscures de petit volume, ou de forme spéciale, ont amené à construire des appareils présentant quelques dispositions nouvelles, que nous allons faire connaître.

Fig. 3. — Chambre noire d’atelier à deux corps de soufflet carrés rentrant ; deux châssis à rideau ; deux planchettes d’objectif, pouvant se placer à l’intérieur de la chambre pour les instruments à court foyer ; crémaillère de rappel, pour la mise au point.

Les types divers de chambres noires que l’on construit aujourd’hui sont : la chambre noire d’atelier, ou chambre universelle, et la chambre noire des voyageurs.

La chambre noire d’atelier, ou chambre universelle, se prête aux reproductions de toute sorte, au portrait, comme au paysage, grâce aux nombreux accessoires qui l’accompagnent.

Fig. 4. — Pied carré de la chambre obscure d’atelier.

La figure 3 représente la chambre noire d’atelier et la figure 4 le pied de cette même chambre. Ce pied est carré, et grâce au chariot mobile qu’il porte, on peut donner à la chambre noire toutes les positions et inclinaisons que l’on désire.

La chambre noire d’atelier est, généralement, de grande dimension, car elle peut atteindre un mètre de hauteur et sa longueur deux mètres, quand le soufflet est complètement tiré. L’objectif peut se placer sur un tube, qui s’avance à l’extérieur ou à l’intérieur de la chambre, pour augmenter ou diminuer sa longueur. Portée sur son pied, elle est installée à poste fixe, et c’est le modèle que l’on déplace, au lieu de la chambre.

Fig. 5. — Chambre noire de voyage, à deux corps de soufflet carrés de mêmes dimensions, chariot à rallonge, deux châssis à rideau ; deux planchettes pour objectif, pouvant se placer également sur le cadre du milieu du soufflet pour les courts foyers ; crémaillère à double pignon, pour la mise au point.
Fig. 6. — Pied de la chambre noire de voyage.

La chambre noire de voyage (fig. 5) diffère peu, par sa structure, de la chambre d’atelier ; mais elle est de plus petite dimension et portée sur un chevalet léger et mobile (fig. 6). C’est la chambre noire des touristes, qui la font construire avec un certain luxe.

On voit sur les figures 7 et 8 un modèle de chambre noire universelle, ou chambre d’atelier, très répandu chez les photographes, et qui leur sert à toute sorte d’usages. Dans certains ateliers, cet énorme support peut rouler sur des rails.

Fig. 7. — Grande chambre noire d’atelier, avec son pied carré.
Fig. 8. — Soufflet toile, mouvements horizontal et vertical de la planchette d’objectif, glace dépolie à charnières, châssis doubles.

Ce grand appareil sert dans les ateliers des graveurs et des administrations publiques, pour copier les cartes, réduire les dessins, les plans, etc.

Reprenons la suite de notre opération. Nous avons placé les châssis à l’intérieur de la chambre noire, pour remplacer la glace dépolie, et nous avons ouvert le châssis, qu’il soit à volet ou à rideau, de façon que la surface sensible soit prête à être impressionnée par l’agent lumineux. Il s’agit maintenant de découvrir l’objectif, pour faire arriver la lumière sur la couche gélatino-bromurée que porte la glace fixée dans le châssis.

Autrefois, c’est-à-dire avant la découverte du gélatino-bromure d’argent, le photographe se contentait d’enlever à la main le couvercle, ou opercule, en métal, qui fermait l’objectif, et de le replacer, après le temps de pose voulu. Cette façon simple d’opérer n’est plus possible aujourd’hui que la pose est réduite à une ou deux secondes, et quelquefois à bien moins. Il faut se servir d’obturateurs mécaniques, qui découvrent et referment l’objectif d’une manière instantanée.

La création des obturateurs mécaniques présentait beaucoup de difficultés, car il fallait que le mécanisme pût produire, en une fraction de seconde, ce que la main faisait autrefois pour les poses prolongées. Le problème a été résolu de bien des façons, et il existe aujourd’hui plus de cent systèmes différents d’obturateurs mécaniques. Nous allons décrire et représenter les modèles les plus répandus, en commençant par le plus simple de tous, l’obturateur dit à guillotine et à poire de caoutchouc.

Cet appareil, que nous représentons dans les figures 9, 10 et 11, est formé d’une plaque métallique présentant une ouverture, rectangulaire ou carrée, qui vient tomber verticalement au devant de l’objectif de la chambre noire, quand on presse, à la main, une poire de caoutchouc, ajoutée à un long tube de même matière. L’air comprimé venant de la poire de caoutchouc déplace un petit levier, qui fait tomber la guillotine, et la lumière ne peut impressionner la glace gélatino-bromurée que pendant le temps très court, où le trou de la plaque métallique la laisse arriver à l’objectif.

Fig. 9. — Obturateur Mendoza. Fig. 10. — Obturateur à guillotine simple. Fig. 11. — Obturateur à guillotine double.
Fig. 12. — Obturateur Londe et Dessoudeix disposé sur la chambre noire. Fig. 13. — Obturateur stéréoscopique à objectif double de Londe et Dessoudeix.

La figure 12 représente l’obturateur de MM. Londe et Dessoudeix disposé sur la chambre noire, derrière l’objectif. Il se place sur la planchette de l’objectif, avec quatre vis. L’objectif est fixé, au moyen d’une planchette mobile, sur l’obturateur lui-même.

La figure suivante montre un obturateur pour les vues stéréoscopiques, à écartement variable. Cet appareil se compose de deux petits obturateurs indépendants, qui fonctionnent dans le même sens, de bas en haut, afin de permettre la meilleure utilisation des rayons pour les premiers plans.

Ils glissent dans deux coulisses, ce qui permet un écartement variable, suivant qu’on le juge nécessaire.

Deux petits soufflets interceptent tout passage à la lumière.

Pour le stéréoscope, les deux appareils sont déclanchés en même temps, au moyen d’une poire unique et d’un tube à embranchement.

Veut-on s’en servir successivement, ce qui dans certains cas peut être précieux, on obtient ce résultat au moyen de deux poires : chaque appareil fonctionne alors comme s’il était seul.

Dans les figures 14 et 15 on voit l’obturateur Guerry à simple volet. La figure 16 donne le même appareil avec un volet double.

Fig. 14. — Obturateur Guerry à volet simple placé en avant de l’objectif.
Fig. 15. — Obturateur Guerry à volet simple placé à l’intérieur de la chambre.
Fig. 16. — Obturateur Guerry à volet double.

On voit dans la figure 17 l’obturateur rapide de MM. Thury et Amey, pour les poses instantanées.

Fig. 17. — Obturateur rapide Thury et Amey.

Cet instrument, placé entre les lentilles de l’objectif, au centre optique du système, se compose de deux lames métalliques percées chacune d’une ouverture circulaire et marchant simultanément en sens inverse. Ainsi l’ouverture et la fermeture de l’objectif se font par le centre, en sorte que l’on profite de toute la lumière possible pendant le plus court espace de temps, condition essentielle pour de bonnes épreuves instantanées.

Parfaitement équilibré, il ne donne aucune trépidation, et peut fonctionner dans toutes les positions. Son déclanchement est pneumatique.

Fig. 18. — Obturateur Boca.

L’obturateur Boca donne le moyen de mesurer exactement et automatiquement le temps de pose, depuis 1/50 de seconde jusqu’à 5 secondes, par fractions de 1/50 de seconde.

L’obturation se produit entre l’objectif et la chambre noire.

Le mouvement des volets se faisant de haut en bas pour l’ouverture, et de bas en haut pour la fermeture, les premiers plans sont découverts les premiers et marqués les derniers ; leur pose est donc relativement plus longue.

Le déclanchement de l’obturateur est instantané. Il s’obtient sans produire d’ébranlement et sans réclamer aucune attention de la part de l’opérateur.


CHAPITRE II

développement de l’image. — fixage. — lavage de l’épreuve négative. — procédé à l’oxalate de fer et à l’acide pyrogallique. — le procédé à l’hydroquinone.

Après l’exposition à la lumière à travers l’obturateur, il faut retirer de la chambre obscure le châssis contenant la glace impressionnée, et le porter dans le cabinet noir, pour opérer le développement de l’image.

Personne n’ignore, en effet, que la surface photogénique de la glace, bien qu’ayant reçu l’impression de la lumière, ne présente aucune modification extérieure visible. Cependant, l’impression chimique existe : l’image est formée sur le gélatino-bromure ; il s’agit de la faire apparaître, de la développer, selon le terme technique.

En quoi consiste la modification qu’a subie la couche de bromure d’argent, sous l’influence de la lumière ? C’est une question bien controversée. Dans l’impossibilité de reconnaître la nature de la réaction chimique que la lumière a provoquée sur le bromure d’argent, mélangé de gélatine ou d’autres substances organiques, telles que le collodion, l’albumine, ou la gélatine, on a coutume de dire que la lumière a modifié physiquement, moléculairement, le bromure d’argent, sans y occasionner de transformation chimique. Il est peu de questions sur lesquelles on ait autant discuté. S’il nous est permis d’émettre une opinion, après tant de travaux d’expérimentateurs du premier ordre, nous dirons que nous admettons que la lumière, en frappant le chlorure d’argent mélangé de collodion ou de gélatine, réduit le sel d’argent à l’état d’oxyde. Lorsque, ensuite, le réactif, par exemple le protoxyde de fer, qui doit faire apparaître, développer l’image, est mis en présence de l’oxyde d’argent impressionné par la lumière, l’oxyde d’argent est ramené à l’état métallique. C’est donc la couleur noire de l’argent métallique très divisé qui produit la coloration noire du dessin dans les parties frappées par la lumière.

Quoi qu’il en soit de la cause du développement des images, parlons de la pratique de l’opération.

Il existe deux méthodes pour développer l’image. La première consiste à employer un sel de protoxyde de fer, comme agent réducteur. Le protoxyde de fer s’empare de l’oxygène de l’oxyde d’argent, qui constitue l’image, et le ramène à l’état d’argent métallique, lequel forme les traits noirs du dessin. Le développement au sel de fer convient surtout pour les portraits, les groupes et les vues instantanées. Il donne à l’image une grande douceur de ton et une grande profondeur dans les ombres, surtout avec les glaces à grande épaisseur de gélatino-bromure.

La seconde méthode consiste à faire usage comme agent réducteur de l’acide pyrogallique, qui réduit l’oxyde d’argent.

Pour faire connaître exactement la méthode par les sels de fer, nous emprunterons cette description à un auteur d’une grande autorité dans cette question, à M. Audra, qui a traité ce sujet avec précision et clarté, dans sa brochure intitulée le Gélatino-bromure d’argent.

« On a préparé d’avance, dit M. Audra, les dissolutions suivantes :

« 1o Oxalate neutre de potasse 90 grammes dans l’eau distillée 300 grammes.

« 2o Sulfate de protoxyde de fer pur bien vert, et non peroxydé, 30 grammes, dissous dans 100 grammes d’eau distillée. L’eau distillée est indispensable, sous peine d’introduire ensuite dans le développateur des traces de chaux qui se précipiteraient à l’état d’oxalate insoluble sur le cliché. Il est également utile d’y ajouter environ 1 gramme d’acide tartrique pour chaque 200 grammes de solution, soit 1/2 pour 100. Cette addition a pour but de conserver pendant longtemps le sel de fer à l’état de protoxyde, pourvu qu’il demeure exposé à la lumière du jour ; sans cette précaution, la solution se peroxyde rapidement et perd toutes ses propriétés développatrices.

« 3o Bromure d’ammonium ou de potassium, 2 grammes pour 100 d’eau distillée.

« Les solutions 1 et 3 se conservent indéfiniment.

Fig. 19 et 20. — Cuvettes à développement.
Fig. 21. — Cuvette pour le fixage.
Fig. 22. — Première cuvette de lavage.
Fig. 23. — Deuxième cuvette de lavage.

« On a également sous la main plusieurs cuvettes. L’une doit servir au développement (fig. 19 et 20) une autre au fixage (fig. 21), et les autres (fig. 22 et 23) aux lavages. Dans une éprouvette graduée, on verse d’abord 3 parties de la solution de fer. Le mélange devient immédiatement jaune-rouge, mais ne doit pas être trouble lorsqu’il a été remué. Ce mélange est versé dans la cuvette à développer en quantité suffisante pour recouvrir entièrement la glace à développer. 90 centimètres cubes de la solution no 1 et 30 centimètres cubes de la solution no  2 faisant ensemble 120 centimètres cubes de liquide suffisent pour une cuvette demi-plaque, le double pour une cuvette de dimension à développer un cliché 0m,18 0m,24. On retire la glace du châssis négatif, et on la plonge, sans temps d’arrêt, dans la cuvette, en ayant bien soin que toutes ses parties soient immergées. On agite quelques instants, et on ne tarde pas à voir apparaître d’abord les grandes lumières de l’épreuve, si la pose a été convenable. Les demi-teintes suivent de près.

« Cette apparition a lieu généralement au bout de dix à quinze secondes pour les premières épreuves, c’est-à-dire quand le développement est fraîchement préparé. Si au contraire l’image apparaissait tout d’un coup, sans une différence marquée entre les lumières et les ombres, ce serait un signe certain d’une pose exagérée, et il faudrait, sans perdre un instant, retirer la glace du développateur et la plonger dans une cuvette pleine d’eau, pendant qu’on ajouterait à celui-ci 8 à 10 centimètres cubes de la solution no 3 de bromure alcalin ; puis la glace rincée dans l’eau distillée serait replacée dans la cuvette de développement. Le bromure a pour but de ralentir considérablement la venue de l’image, et de permettre aux lumières de prendre de l’intensité, sans que les demi-teintes s’accentuent outre mesure : on comprendra donc que le résultat dépendra surtout de l’appréciation de la quantité de bromure à ajouter au développateur.

« Si la pose paraît avoir été convenable, il est inutile d’avoir recours à l’addition du bromure dans le développateur. Il tendrait à exagérer l’opacité des noirs du cliché et ferait venir une épreuve dure, heurtée, avec des contrastes exagérés.

« Le développement continue pendant quelque temps, une à deux minutes, souvent plus, rarement moins. Il faut, pour qu’il soit complet, que la glace, vue par transparence devant la lumière rouge, paraisse avoir dépassé de beaucoup le but à atteindre, et que, vue par réflexion dans le liquide, les parties restées blanches au début du développement aient pris une teinte marquée, non point uniforme, mais proportionnelle à l’impression qu’elles ont reçue.

« Dans le développateur, l’épreuve monte donc progressivement de ton jusqu’à ce qu’elle ait atteint le degré voulu, degré d’ailleurs difficile à saisir au début.

« Lorsque la glace est développée à point, on la plonge dans une cuvette pleine d’eau que l’on renouvelle deux ou trois fois jusqu’à ce qu’elle soit débarrassée de la plus grande partie du développateur qui la mouillait, ce que l’on reconnaît lorsque l’eau de lavage ne se teinte plus en blanc par la formation d’un précipité d’oxalate de chaux. On l’immerge alors dans un bain neuf d’hyposulfite de soude à 26 pour 100 dans de l’eau, et on l’y laisse séjourner non seulement le temps nécessaire pour que la couche de bromure non impressionnée soit dissoute, et que, vue de dos, il n’y ait plus trace de matière blanche, mais quelques minutes de plus, afin que le fixage soit bien complet. Ensuite, on lave abondamment sous le robinet d’eau courante.

« Mais il est une précaution utile à prendre au sortir du dernier bain d’hyposulfite, bien qu’elle ne soit pas indispensable : c’est d’immerger le cliché pendant quelques minutes dans un bain d’alun ordinaire à saturation. Non seulement la couche impressionnée se raffermit et se tanne dans cette solution, mais surtout elle se nettoie et s’éclaircit dans les grandes lumières, c’est-à-dire dans les parties sombres de l’épreuve. Les clichés baissent légèrement de ton dans ce bain, mais ils gagnent beaucoup en pureté, en transparence et en douceur. Il est préférable de ne pas les laver entre le bain d’alun. Après quelques minutes de séjour dans ce dernier, la glace est abondamment lavée sous le robinet et mise à séjourner dans une cuvette pleine d’eau pendant douze heures, cette eau devant être fréquemment renouvelée, afin de faire disparaître les plus légères traces des différents produits employés dans les bains précédents.

« Un lavage parfait est indispensable à la conservation des clichés, et l’on ne saurait y apporter un trop grand soin. On construit pour cet usage des cuvettes verticales en zinc avec des rainures, de façon à y introduire plusieurs glaces à laver à la fois, et on les y laisse séjourner dix à douze heures, en renouvelant sans cesse l’eau par un écoulement lent sous le robinet. »

La seconde méthode pour le développement des images négatives est, avons-nous dit, l’emploi de l’acide pyrogallique, qui réduit les parties du sel d’argent ramenées par la lumière (selon nous, du moins) à l’état d’oxyde d’argent, et réduit cet oxyde à l’état d’argent métallique très divisé et noir.

L’acide pyrogallique était l’agent qui servait autrefois au développement des images sur collodion sec ou humide. C’est le même produit que l’on emploie avec le gélatino-bromure d’argent, et cela sans grande modification. Cette dernière méthode est même encore souvent préférée à l’oxalate de fer.

Voici comment on opère. On a préparé d’avance une solution à 1 pour 100 d’acide pyrogallique.

On a préparé, d’autre part, la solution ammoniacale suivante :

Eau distillée 
300 cent. cubes.
Ammoniaque concentrée 
10
Bromure d’ammonium 
10

On mélange parties égales des deux liquides (50 centimètres cubes de chacun, par exemple), et on verse ce mélange, sans temps d’arrêt, dans une cuvette contenant la glace à développer, en remuant sans cesse le liquide, pour que les parties de la couche sensible se trouvent également et constamment mouillées par l’agent développateur. L’image doit apparaître en quelques secondes, et arriver en peu d’instants à son état complet ; ce dont on juge en examinant l’image par réflexion et par transparence, à travers la glace, dans l’obscurité, en s’éclairant avec une lanterne rouge.

Le cliché étant convenablement développé, on rejette le liquide qui a servi au développement, et on lave abondamment la glace sous un robinet d’eau courante. On l’immerge ensuite dans le bain de fixage indiqué plus haut (20 d’hyposulfite de soude pour 100 d’eau) ou mieux dans deux bains successifs, pour enlever toute trace de sels solubles d’argent.

Fig. 24. — Pince à lavage.

Pour transporter la glace sur le robinet d’eau concentrée, il est commode de se servir d’une pince telle que la représente la figure ci-dessus et qui est due à M. Faller.

L’emploi du crochet étant indispensable avec les plaques au gélatino-bromure dont la plupart ne sont pas rodées. M. Faller a imaginé le petit doigtier que l’on voit sur la figure 25, et qui doit rester constamment au doigt pendant qu’on travaille ; ce qui fait qu’il ne s’égare pas dans l’obscurité du laboratoire, au moment où l’on en a besoin.

Fig. 25. — Doigtier à crochet.

La durée du fixage peut varier de cinq minutes à dix minutes, mais on peut la prolonger sans inconvénient au delà de ce temps, pourvu que la solution servant au fixage n’ait pas encore servi, et sur-tout n’ait point servi à fixer antérieurement des clichés développés au fer, ce qui serait une cause à peu près certaine de taches.

« D’une manière générale, le liquide fixateur, dit M. Audra, doit toujours être neuf, ou, du moins, ne servir que pour une série d’opérations successives, et ne jamais être conservé pour l’usage du lendemain. »

Après le fixage, un lavage à l’eau courante, minutieux et prolongé, est indispensable, de même qu’après le développement au fer.

Du lavage complet qui enlève toute trace d’hyposulfite dépend la parfaite conservation du cliché. On soumet les plaques au courant continu de l’eau d’une fontaine dans des boîtes de zinc à rainures, en évitant que le jet ne tombe directement sur les clichés, qu’il finirait par détériorer, et on prolonge ce lavage jusqu’à cinq à six heures.

On voit dans les figures ci-dessous la forme que l’on donne aux cuves à rainures servant à diriger un large courant d’eau sur les glaces développées ou fixées.

Fig. 26 et 27. — Cuves pour le lavage à grande eau des glaces développées ou fixées.

Il arrive souvent qu’un cliché est reconnu trop faible après le fixage. Il présente bien tous les détails et tout le fouillé voulus, mais les noirs manquent d’opacité. Dans ce cas, il faut le faire monter, et lui donner plus de vigueur.

Le renforçateur le plus commode et le plus puissant est le bichlorure de mercure, suivi de l’action de l’ammoniaque. On prend :

Eau distillée 
100 grammes.
Bichlorure de mercure 
5
Alcool 
10 cent. cubes.

Le cliché, trempé pendant quelques minutes dans de l’eau pure, est plongé dans ce bain, où il blanchit rapidement. Plus il blanchit et plus l’action de l’ammoniaque sera énergique ; on peut donc déterminer à volonté le degré du renforcement.

On lave ensuite le cliché dans l’eau pure, pendant cinq ou six minutes, et on le plonge dans une eau ammoniacale, ainsi composée :

Eau pure 
100 cent. cubes.
Ammoniaque 
10

La couche noircit immédiatement : le renforcement est instantané.

On lave ensuite le cliché avec beaucoup de soin.

Cette opération peut se faire soit après le lavage des clichés, soit plusieurs jours après.

Il arrive quelquefois que le cliché, au lieu d’être pâle, est trop monté, trop opaque. Si l’on veut réduire l’intensité de ton, on emploie avec avantage le prussiate rouge de potasse, mélangé à l’hyposulfite de soude. On prépare une dissolution composée de :

Hyposulfits de soude 
15 grammes.
Eau pure 
100
Solution saturée de prussiate rouge de potasse 
6 ou 8 gouttes.

La glace, préalablement trempée dans l’eau pure, étant plongée dans ce bain, on voit le cliché s’affaiblir peu à peu. Au bout de quelques minutes, on retire le cliché de ce bain, et l’on ajoute deux ou trois gouttes de la solution de prussiate rouge de potasse ; on agite le mélange et l’on y remet le cliché. On peut continuer ainsi à ajouter, toutes les cinq minutes, quelques gouttes de prussiate, jusqu’à ce que l’affaiblissement ait atteint le degré voulu.

Comme ce bain contient de l’hyposulfite, il faut terminer l’opération par un lavage à l’eau courante aussi prolongé que s’il sortait directement du bain fixateur.

Fig. 28. — Égouttoir.

Quand le cliché est terminé, on le place sur l’égouttoir (fig. 28), ou contre un mur, à l’ombre, et loin de tout foyer de chaleur. En effet, la gélatine imbibée d’eau fond à une très basse température ; et si l’on voulait activer le séchage en chauffant le cliché, soit au soleil, soit près du feu, on le ferait inévitablement couler.

Outre le développement par l’oxalate de fer et l’acide pyrogallique, il est une troisième méthode découverte et propagée en 1886 : c’est le développement à l’hydroquinone.

La quinone, ou hydroquinone, s’obtient, dans les laboratoires de chimie, en traitant l’acide quinique retiré de l’écorce de quinquina, par quatre parties de peroxyde de manganèse et 11 parties d’acide sulfurique, mélange qui dégage de l’oxygène. Dans l’industrie, on prépare plus économiquement l’hydroquinone en opérant sur les produits extraits du goudron de houille. Aussi cette substance se trouve-t-elle aujourd’hui dans le commerce à très bas prix (25 centimes le gramme).

Le développement avec une dissolution d’hydroquinone donne au cliché la beauté propre au développement par les sels de fer, en même temps que la vigueur qu’assure l’emploi de l’acide pyrogallique.

Depuis quelque temps, les amateurs se sont fort engoués de ce nouveau révélateur.

MM. Balagny et Ducom, à qui l’on doit l’introduction de l’hydroquinone dans la photographie, composent comme il suit le bain de développement :

600 cc. d’une solution de carbonate de soude à 25 p. 100.
300 cc.                                    sulfite de soude à 25 p. 100.
10 grammes d’hydroquinone.

Ce bain doit être incolore. Il peut servir immédiatement, ou être conservé tout préparé. Le même bain peut être employé pour douze ou quinze clichés ; mais il perd nécessairement de son énergie, à mesure qu’il sert. Il est donc utile d’avoir deux ou trois flacons, où l’on mettra les bains ayant déjà été utilisés. On ne se servira alors du bain neuf que pour les épreuves instantanées, et pour revivifier les autres, dans le cas où cela deviendrait nécessaire, pendant le développement d’un cliché.

Le liquide deviendra jaune après avoir servi, mais il ne doit pas dépasser la teinte du cognac. S’il noircissait, c’est qu’il se serait trouvé mélangé, dans les cuvettes, à des substances étrangères ; l’acide pyrogallique notamment, même à faible dose, lui fait prendre une coloration très foncée.

Si l’on veut faire varier à son gré et peu à peu la quantité d’hydroquinone, pour obtenir différentes intensités dans le développement même, on emploie la solution suivante :

100 cc. de sulfite de soude à 25 p. 100.
200 cc. de carbonate de soude à 25 p. 100.


dans laquelle on ajoute, au fur et à mesure des besoins, de 10 à 30 centimètres cubes d’une solution à 10 p. 100 d’hydroquinone dans l’alcool à 40°.

Quel que soit le bain employé, le bromure de potassium n’est pas nécessaire, les blancs restent purs et il n’y a pas de voile.

La suite des opérations, c’est-à-dire le lavage à l’alun et le fixage, restent les mêmes qu’avec les autres agents révélateurs.

Dans le numéro du 1er septembre 1888 du journal la Nature, M. Balagny a publié une longue description des procédés de développement à l’hydroquinone. Ce travail contient différents renseignements pratiques sur l’emploi de ce révélateur. M. Balagny fait connaître les modifications à apporter au mode opératoire, selon que l’on veut obtenir des épreuves instantanées, des portraits, des reproductions de tableaux, etc. La difficulté principale consiste à savoir tirer bon parti des bains ayant déjà servi.

Nous citerons seulement, de la note de M. Balagny, la manière de préparer le bain révélateur, et la formule à laquelle il s’est arrêté, après bien des expériences infructueuses.

On préparera d’abord, dit M. Balagny, la solution suivante :

1o Eau ordinaire 
1 litre.
Sulfite de soude 
250 grammes.

Et d’autre part, on préparera la solution ci-dessous :

2o Eau ordinaire 
1 litre.
Carbonate de soude 
250 grammes.

On laissera reposer ces deux dissolutions, on les décantera, et on les conservera.

Quand on voudra préparer un bain d’un litre d’hydroquinone, on fera chauffer, au bain-marie, dans un flacon, 300 centimètres cubes de la solution de sulfite. Dès que la température se sera élevée de + 60 à + 70° environ, on retirera le flacon du feu, et on y mettra 10 grammes d’hydroquinone en poudre.

On dissoudra ces 10 grammes dans la solution chaude de sulfite, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien au fond du flacon. Quand tout l’hydroquinone aura disparu, on finira en mettant dans le même flacon 600 centimètres cubes de la solution de carbonate de soude. On agitera le tout ; on bouchera avec un bouchon neuf, et on laissera reposer.

Avec ce mélange on opérera le développement et le fixage, comme il a été exposé plus haut.


CHAPITRE III

le cabinet noir du photographe moderne.

Nous n’avons pas besoin de dire que c’est dans l’obscurité que s’exécutent les opérations du développement ou du fixage.

Le cabinet noir du photographe était primitivement un simple réduit, où l’on s’éclairait avec la flamme d’une bougie. On trouva ensuite que la lumière de la bougie était susceptible de donner une faible impression chimique sur la plaque sensible, et on la supprima, en garnissant la vitre d’un verre jaune, couleur qui n’impressionne pas les plaques au collodion. Mais les glaces au gélatino-bromure étant infiniment plus sensibles que celles au collodion exigent un éclairage par la lumière rouge, qui a le privilège d’être absolument anti-photogénique. Le commerce fournit d’excellents verres rouges, pour cet objet particulier.

Il est bon de faire usage d’un double verre rouge, dont l’un est mobile. Quelques opérateurs se servent d’un verre jaune, auquel ils superposent un verre rouge, mobile.

Il ne doit y avoir, dans le cabinet noir, d’autre lumière que celle qui traverse le verre rouge. Toutes les fissures doivent être recouvertes de mastic ou de papier noir. Il est même bon de garnir la porte d’un rideau noir, qui ne laisse passer aucune lumière. Malgré toutes ces précautions, il ne sera pas inutile de recouvrir d’une planchette noircie les épreuves en voie de développement.

La lumière du jour étant sans cesse variable, plus d’un photographe préfère y renoncer, et s’éclairer au moyen d’une lanterne, qui fournit une lumière toujours égale. La lanterne est garnie de verres jaunes ou rouges.

On trouve dans le commerce différents modèles de lanternes pour éclairer les laboratoires des photographes. Les unes brûlent du pétrole, d’autres de l’huile ou du gaz.

Fig. 29. — Lanterne à gaz. Fig. 30. — Lanterne à pétrole. Fig. 31. — Lanterne d’atelier, à pétrole.

La figure 29 donne L’aspect d’une lanterne de laboratoire brûlant du gaz ; la figure suivante une lanterne à pétrole. La figure 31 montre un autre modèle de lanterne à pétrole disposée pour l’éclairage d’un atelier, et d’une assez grande dimension. Elle est fermée par un verre rouge, mais construite de manière à ce que la lumière rouge soit projetée en bas, pour que la vue n’en soit pas affectée. Le couvercle supérieur se soulève, pour démasquer la lumière d’un carreau jaune, qui permet de mieux juger, par transparence, de l’intensité du cliché.

La mèche se règle par un bouton, que l’on tourne à l’extérieur.

Fig. 32. — Lampe-bougeoir de voyage. Fig. 33. — Lanterne de voyage ouverte. Fig. 34. — Lanterne de voyage fermée. Fig. 35. — Lanterne de voyage grand modèle.

La figure 32 représente une lampe-bougeoir pour le voyage : le verre qui la ferme est couleur rubis. On la serre dans un étui de fer blanc, ce qui la préserve de tout accident. La figure 33 montre une lanterne de voyage ouverte ; la figure suivante la montre fermée. La figure 35 est une lanterne de voyage de plus grand modèle, éclairée par une bougie. La figure 36 est encore une lanterne de voyage, mais de forme triangulaire, et éclairée, comme la précédente, par une bougie.

Fig. 36. — Lanterne de voyage triangulaire.

Sans recourir à un appareil coûteux, l’opérateur peut se contenter d’une lanterne ordinaire, dont on colore les verres au moyen d’un vernis de gomme-laque, teint en rouge avec la chrysoïdine, ou en collant sur les verres blancs de la lanterne du papier enduit de chrysoïdine.

On peut encore éclairer le laboratoire à l’aide d’une lampe alimentée par de l’alcool dans lequel on a dissous du chlorure de sodium ou de strontium, qui colorent la flamme en jaune ou en rouge. On peut aussi employer un bec de gaz de Bunsen, dans la flamme duquel on maintient constamment une petite quantité d’un sel de strontium.

M. Davanne conseille simplement d’entourer une bougie d’une sorte d’étui de papier coloré en jaune-orange, analogue à ceux qu’emploient les marchandes d’oranges. Pour obtenir ce papier, on dissout 1 gramme de chrysoïdine dans 100 centimètres cubes d’alcool, on filtre le liquide, et on l’étend sur un papier blanc mince, qu’on fait ensuite sécher, en le suspendant : il prend ainsi une couleur orangée.


CHAPITRE IV

les clichés pelliculaires.

Les glaces au gélatino-bromure ont des avantages d’un ordre supérieur, mais elles ont un inconvénient : elles ont l’inconvénient d’être des glaces, c’est-à-dire des objets fragiles, qui exposent l’opérateur au chagrin de perdre en un instant le fruit de plusieurs journées de travail. Dans les ateliers, de tels accidents ne sont pas rares. Ajoutez que la conservation des glaces demande un grand emplacement. Pour le voyageur, les glaces gélatino-bromurées alourdissent singulièrement son bagage, nécessitent de sa part mille précautions, et l’empêchent de rapporter autant de clichés qu’il le voudrait.

Ces considérations ont amené, dans ces dernières années, un retour vers l’ancien procédé de la photographie sur papier, dans lequel l’image négative s’exécutait sur une simple feuille de papier, au lieu d’une glace. Telle fut, on le sait, la méthode primitive de la photographie, celle qui a illustré les noms des Talbot, des Bayard, des Blanquard-Evrard, et qui fut remplacée, plus tard, par le cliché négatif de verre recouvert d’une couche d’albumine ou de collodion. C’est cette ancienne méthode, c’est-à-dire les négatifs du passé, que l’on a été conduit à restaurer de nos jours.

Multa renascentur quæ jam cecidere.

Il faut, toutefois, remarquer que dans la méthode primitive des Talbot, des Bayard et des Blanquard-Evrard, le papier ne servait pas seulement de support. Il était pénétré, imprégné, des substances sensibles, et c’est dans sa pâte que se produisait la décomposition chimique du bromure d’argent. Dans le procédé auquel on revient aujourd’hui, le papier ne sert plus que de support, et la couche sensible en est même souvent détachée, après l’impression lumineuse.

C’est l’émulsion de gélatino-bromure d’argent qui, jusqu’ici, s’est prêtée seule à la préparation des papiers négatifs destinés à remplacer les glaces.

Il existe plusieurs sortes de papiers destinés à former des épreuves négatives, dont on peut séparer ou non la pellicule sensibilisée.

Nous citerons d’abord le carton Thiébaut, le premier qui ait été proposé et breveté. On prend un carton ou un bristol épais, et on étend à sa surface l’émulsion de gélatino-bromure d’argent. On impressionne dans la chambre noire, on développe, et on fixe l’image comme à l’ordinaire. Ensuite on sépare du carton la pellicule de gélatino-bromure impressionnée et formant l’image, et l’on a un cliché pelliculaire transparent, avec lequel on tire les positifs.

Avec le procédé Balagny ce n’est plus le carton mais le papier ordinaire qui sert à former l’épreuve négative ; et selon les préférences des opérateurs, on peut avoir des pellicules adhérentes ou non adhérentes au papier.

Si l’on veut que la couche sensible adhère au papier, on étend sur une glace un mélange de benzine, cire blanche, gomme Dammar et résine ordinaire ; puis on prend du papier à calquer, que l’on a fait préalablement tremper pendant douze heures, pour le ramollir. On étend sur ce papier de la colle d’amidon, formée de 15 grammes d’amidon pour 100 grammes d’eau. On applique sur la glace, lorsqu’elle est sèche, ce papier collé. Avec un couteau on chasse les bulles d’air, et quand la surface est sèche, on y verse l’émulsion au gélatino-bromure. Quand le tout est sec, on a un papier avec pellicule adhérente.

Si l’on veut avoir une pellicule se détachant du papier, on ajoute à la colle d’amidon 3 grammes de talc. Le papier étant collé sur la glace, avant d’étendre l’émulsion, on commence par y étendre une couche de poudre de talc, que l’on recouvre d’une couche de collodion. Le collodion étant sec, on applique l’émulsion. Cette pellicule sert à recevoir l’épreuve négative.

Les papiers négatifs se traitent comme les glaces gélatino-bromurées, pour le développement. Il faut seulement rendre l’image plus vigoureuse que quand on opère sur les glaces. Il faut aussi prolonger davantage le fixage et les lavages, parce que la couche de gélatino-bromure d’argent est plus épaisse.

M. Morgan, M. de Chennevières, M. Chardon, préparent, par des moyens analogues, des pellicules adhérentes au papier.

La compagnie américaine Eastman vend un papier, qui est généralement recherché, surtout pour le tirage des épreuves positives, mais le papier Eastman s’emploie également pour l’obtention des négatifs.

Le principal avantage du papier Eastman, c’est de se présenter sous forme de rouleaux qui, montés dans un châssis spécial, peuvent se dérouler à volonté, et donner des séries de vingt-quatre à quarante-huit épreuves, réunies sous le plus petit volume possible.

Cette manière d’opérer rend de grands services, surtout pour la photographie instantanée. Le changement des glaces pour prendre des épreuves successives est, en effet, une grande difficulté, dans la photographie instantanée. L’emploi de papiers sensibles disposés en rouleaux est un excellent moyen de simplifier ce changement. Il suffit de tourner le cylindre, pour enrouler à sa surface l’épreuve qui vient d’être obtenue à la lumière et pour faire venir à sa place une nouvelle portion de papier qui recevra l’impression lumineuse.

Fig. 37. — Châssis à rouleaux Eastman.
A, châssis fermé. — B, couvercle du châssis. — C, corps du châssis. — D, devant du châssis et volet.

La figure 37 (A, B, C, D) représente le châssis à rouleau Eastman-Walker, qui peut s’adapter à toute chambre obscure, quelles que soient ses dimensions.

Fig. 38.

Cet ingénieux appareil, qui a été popularisé en France par M. Nadar, se compose d’un double système de bobines (fig. 38). Le papier négatif a été enroulé, à la fabrique, au moyen d’une machine spéciale qui lui donne une tension uniforme, sur une bobine, que l’on place dans le châssis, dans une rainure et qui est fixée par une vis (fig. 39).

Fig. 39.
Fig. 40.
Fig. 41.

Le papier, passant sur une planchette qui le maintient rigide pendant l’exposition à la lumière (fig. 40), est fixé ensuite par pression sur une baguette de cuivre (fig. 41). Dès qu’il est en pression, le papier est enroulé, au moyen d’une clef, sur la bobine opposée. Ce mouvement prépare un nouveau déroulement de papier sensible et une nouvelle exposition à la lumière.

Un frein automatique assure et régularise la tension du papier, en raison des variations de la température ; en outre, un indicateur extérieur fait connaître lorsque le papier est en bonne position pour opérer, et un perforateur automatique sert à tracer une série de trous qui délimitent la séparation exacte entre les clichés consécutifs.

M. Nadar a complété l’appareil américain en y ajoutant un marqueur, s’adaptant aux châssis à rouleau et indiquant automatiquement le nombre de poses déjà faites, renseignement qui est d’une grande utilité pratique. Le marqueur de M. Nadar se compose d’une roue à encliquetage portant, en chiffres, sur sa surface, le nombre de poses effectuées, qui peut aller jusqu’à 50.

Les papiers négatifs au gélatino-bromure ne sont pas assez transparents pour servir au tirage des épreuves positives. On a donc l’habitude de commencer par le rendre transparent à l’aide de la vaseline.

M. Nadar opère comme il suit. Il enduit d’huile de ricin, à l’aide d’un pinceau, le papier sur ses deux faces, puis il y passe un fer chaud. La chaleur et la pression ayant fait pénétrer l’huile dans tout le tissu du papier, on essuie avec soin, on plonge quelques instants dans un vernis à l’alcool, puis on sèche. Le vernis emprisonne l’huile et rend le cliché inaltérable. Le tirage est presque aussi rapide qu’avec le verre et les épreuves n’offrent aucune trace de pointillé ni de granulé.

Pour tirer des épreuves avec les papiers négatifs ou les pellicules, il faut, à défaut du matériel précédent, un appareil pour maintenir la couche sensible parfaitement plane. Si l’on opère dans l’atelier, on peut couper le papier en feuilles de grandeur convenable, et les tendre comme on le fait souvent pour le dessin, mais les fabricants vendent un grand nombre d’appareils extenseurs pour cet usage, et qui s’adaptent à tous les modèles de chambres noires.

Fig. 42. — Extenseur de pellicules.

Un extenseur de pellicule fort simple est représenté (fig. 42), C’est un cadre-châssis A, B, C, sur lequel on étend la pellicule abfg que l’on tire au moyen des pinces C.

Le porte-membrane Eastman est un autre appareil, très pratique. Il est formé d’une mince planchette, composée de feuilles de bois collées ensemble, pour éviter tout gauchissement, et d’un cadre métallique à bords rabattus, qui sert à fixer la feuille de papier négatif sur la planchette. Le papier est ainsi parfaitement tendu.


CHAPITRE V

la retouche des clichés. — la conservation des négatifs.

Théoriquement, un cliché négatif devrait être sans défaut, et n’exiger aucune correction. Mais cet idéal ne se réalise jamais. Les clichés négatifs présentent des piqûres transparentes, et même des taches, qui se traduisent en points blancs, sur le positif. Dans le portrait, le visage montre les taches de rousseur et les verrues. Il faut que l’art intervienne, pour corriger les défauts du procédé : l’objectif a exagéré les imperfections du modèle, il faut les atténuer, pour ne pas produire une image trop réaliste.

L’appareil nécessaire pour retoucher les épreuves est aujourd’hui bien connu. C’est un pupitre (fig. 43) composé de trois châssis à charnières, qui se développent en forme de Z. Le châssis horizontal, en bois, encadre une glace étamée, qui renvoie la lumière sur le châssis incliné, lequel se trouve au milieu, et qui est formé d’une glace dépolie assez grande pour qu’on puisse y poser le cliché. Le châssis supérieur, qui est en bois plein, fait fonction d’abat-jour. Il peut soutenir un voile noir qui, tombant des deux côtés et derrière l’opérateur, l’empêche d’être gêné par la lumière extérieure, et lui permet de voir l’épreuve et d’en juger tous les défauts.

Fig. 43. — Pupitre à retouches.

Le cliché est ainsi complètement éclairé par transparence.

Le pupitre à retouches peut être remplacé par le moyen suivant. On pose sur une table une feuille de papier blanc, de chaque côté de laquelle on dispose quelques livres formant deux piles, espacées entre elles d’une largeur un peu moindre que celle du cliché. On applique le cliché par ses bords, entre les livres, et la feuille de papier sert de réflecteur.

Pour retoucher un cliché, il faut commencer par le vernir à chaud, mais le crayon prend mal sur cette couche, et il faut préparer la surface qui doit recevoir le crayon. Pour cela, on prend de la cendre de bois bien tamisée, ou de la poudre d’os de seiche très fine, et avec le doigt indicateur on en frotte doucement toutes les parties où devra porter la retouche. La couche de vernis étant ainsi dépolie, le crayon mord très bien à sa surface.

Fig. 44. — Crayons à retouches.

Les retouches se font avec un crayon Faber (fig. 44) taillé en pointe très fine. Elles ne peuvent porter que sur les parties transparentes du cliché épais, et les rendre plus opaques. Ce travail demande beaucoup d’attention.

On commence par enlever, avec le grattoir, toutes les petites taches ou irrégularités, qui se traduiraient par autant de points, plus ou moins clairs, sur le portrait. Si une ombre est trop dure, on peut, avec le crayon, ménager une demi-teinte, qui l’adoucisse. On marque bien le point visuel du portrait, et on atténue les rides du visage, en passant à plusieurs reprises le crayon coloré sur la ligne claire qui représente ces rides.

Il n’est pas toujours nécessaire de procéder avec autant de soin. Dans la plupart des cas, quelques parties du cliché ont seules besoin de recevoir une teinte générale, qui leur donne un peu plus d’intensité, soit pour rendre ces parties plus légères comme demi-teintes, si l’épreuve est trop uniforme, soit pour permettre à d’autres parties trop dures d’arriver au point voulu, si le cliché est heurté. On peut accentuer, par le même moyen, la séparation des plans, adoucir des masses de verdure trop foncées, etc. On applique, pour cela, au dos de l’épreuve des couches de collodion ou de vernis teinté.

Nous terminerons ce chapitre par quelques mots sur la conservation des clichés négatifs.

Les clichés négatifs sur verre s’enferment généralement dans une boîte à rainures, dite boîte à glaces, que nous avons représentée dans les premières pages de cette Notice (fig. 1).

Au lieu d’employer les boîtes à rainures, on peut empiler les glaces les unes sur les autres, en les mettant à nu dos à dos, et en séparant les faces par trois ou quatre doubles de papier-joseph. On fait un paquet par douzaine de clichés, et on enveloppe ce paquet avec un fort papier, dont on colle les parties rabattues, pour éviter des épaisseurs de cire ou de ficelle qui, interposées entre les paquets, pourraient occasionner des ruptures. Ces paquets mis dans des caisses, avec du foin ou des rognures de papier, peuvent voyager sans danger.

Si les négatifs sont des pellicules de gélatine, on les conserve entre des buvards bien secs. Pour assurer leur planité, il est préférable de ne pas les mettre dans des cahiers reliés, la reliure faisant presque toujours goder le papier. On prépare des feuilles de papier buvard coupées un peu plus grandes que les épreuves ; on interpose un cliché entre chaque feuille, et on serre le tout entre deux planches, avec des sangles à boucles. Des boîtes avec planchettes à ressort semblables aux châssis positifs seraient parfaites pour conserver les clichés pelliculaires.


CHAPITRE VI

le tirage des épreuves positives. — l’ancien procédé de tirage des positifs sur le papier au chlorure d’argent. — les nouveaux procédés de tirage des positifs. — le tirage au platine, au charbon, au fer, au gélatino-bromure d’argent.

Le procédé de tirage des positifs encore le plus répandu est celui au chlorure d’argent, c’est-à-dire le tirage sur le papier imprégné d’une certaine quantité de chlorure d’argent, qui noircit dans les parties qui reçoivent la lumière par les clairs du négatif, et qui reproduit ainsi une image directe, ou positive, du modèle.

Dans les Merveilles de la science, nous avons longuement traité du tirage des épreuves positives sur le papier imprégné de chlorure d’argent, et représenté le châssis à pression dans lequel on place l’épreuve négative avec le papier chloruré, pour l’exposer à la lumière diffuse. Nous avons également fait connaître les moyens de débarrasser le papier des parties de chlorure d’argent non impressionnées par la lumière, c’est-à-dire le fixage de l’épreuve positive, ainsi que le virage, pour donner à l’épreuve le ton voulu. Nous n’avons donc pas à revenir sur ce sujet. Nous nous bornerons à décrire les appareils qui servent aujourd’hui au tirage des épreuves au chlorure d’argent ; car ces appareils ont reçu, depuis la publication de notre Notice, certains changements ou perfectionnements.

Fig. 45, 46, 47. — Châssis-presse.
Fig. 48. — Châssis-presse anglais.

Les figures 45, 46, 47, 48 représentent les châssis-presse, tels qu’on les emploie aujourd’hui pour le tirage des épreuves au chlorure d’argent.

Nous disons que le tirage des épreuves positives sur le papier imprégné de chlorure d’argent est le procédé encore le plus universellement répandu. Ce n’est pas qu’il soit absolument exempt d’inconvénients. On a reconnu, dès les premiers temps de la création de la photographie sur papier, que les épreuves obtenues sur le papier au chlorure d’argent ont le grave défaut de s’altérer avec le temps. C’est par suite d’un défaut de soin dans le lavage de l’épreuve, que ce fâcheux résultat se produit. En effet, la plus faible trace de chlorure d’argent, ou d’hyposulfite de soude, laissée dans la masse du papier, par suite d’un lavage trop peu continué, altère l’épreuve, qui, au bout de quelques années, pâlit, sous l’influence de la lumière, et finit par disparaître presque en entier. Sans doute un lavage long et rigoureux met à l’abri de ce danger, mais il faut toujours s’en préoccuper, car le meilleur opérateur n’est jamais certain que le temps n’altérera pas un jour les dessins qu’il a obtenus avec le plus de soin.

C’est pour parer à cet inconvénient fondamental que, dès l’origine de la photographie sur papier, on a cherché de nouveaux moyens de tirage des positifs, et ici se rangent les nouveaux procédés de tirage, à savoir :

1o Au charbon ;

2o Au sel de platine ;

3o Au sel de fer ;

4o Au gélatino-bromure d’argent.

Procédé au charbon. — Le tirage des épreuves par ce procédé est fondé sur le phénomène chimique que Poitevin découvrit, il y a bien des années, et qui consiste en ce que la gélatine mélangée de bichromate de potasse est influencée par la lumière, de façon à devenir insoluble dans l’eau, même dans l’eau chaude ; tandis que la gélatine non touchée par la lumière demeure soluble dans l’eau, et peut être enlevée par des lavages. Dès lors, si l’on prépare un papier contenant un mélange de bichromate de potasse et de gélatine, et qu’à ce mélange on ajoute une poudre insoluble dans l’eau, c’est-à-dire non impressionnable à la lumière, du charbon, par exemple, on aura un papier sur lequel s’imprimera fidèlement le modèle primitif.

Si, en effet, on expose une feuille de papier enduite de gélatine colorée par de la poudre de charbon, sous un cliché négatif, qu’on l’expose à la lumière un temps suffisant, et qu’on lave ensuite à l’eau tiède, la gélatine se dissoudra dans les parties que les noirs du cliché auront protégées contre les rayons lumineux, et entraînant avec elle la poudre colorée, elle laissera apparaître la surface blanche du papier. Au contraire, dans les parties claires qui ont reçu la lumière, la gélatine, devenue insoluble, reproduira par la couleur noire du charbon les ombres du modèle, après le lavage.

Pour préparer le papier au charbon, on fait dissoudre 200 grammes de gélatine dans un litre d’eau chaude, et on la mélange avec de la poudre de charbon. On étend ce mélange sur le papier, et on applique ce papier sur une glace bien horizontale disposée préalablement. Quand ce mélange adhère suffisamment au papier, on enlève la feuille, et on la fait sécher. Il faut ensuite sensibiliser le papier, en le trempant dans un bain de bichromate de potasse à 5 pour 100, en opérant dans l’obscurité.

Cependant on n’a pas en général la peine de préparer soi-même son papier : on le trouve dans le commerce. Quand on veut s’en servir, on n’a qu’à le sensibiliser, en le faisant flotter sur une dissolution de bichromate de potasse ou de chromate d’ammoniaque, à 3 pour 100 d’eau, et en opérant dans l’obscurité.

On laisse flotter le papier trois minutes, et on le laisse sécher dans l’obscurité. Il faut seulement se servir des feuilles sensibilisées dans les 24 heures ; car au bout de quelque temps, le mélange de bichromate et de gélatine devient insoluble spontanément.

Dans le tirage au charbon, la durée de l’exposition à la lumière est environ moitié plus petite que dans le tirage au papier à chlorure d’argent. Il y a seulement dans le tirage au charbon une particularité à signaler. La couche sensible ressemble à une toile cirée, et ne laisse apparaître d’image qu’au moment du fixage. On ne peut donc suivre les progrès de la venue de l’épreuve. Pour se rendre compte du temps nécessaire au tirage, il faut se servir d’un photomètre.

Le photomètre de Vidal est le plus employé par les photographes dans l’industrie qui nous occupe.

Le photomètre de M. Léon Vidal est fondé sur les colorations successives que prend un papier au chlorure d’argent, selon l’intensité de la lumière qui le frappe. On prend des bandes de papier recouvertes de chlorure d’argent, dans l’obscurité, et on les expose à la lumière du jour, un temps variable, de manière à obtenir toutes les nuances, depuis le brun-clair jusqu’au plus foncé. On compare ces teintes avec celles obtenues avec le papier bichromaté fourni par le commerce. Après un ou deux essais préalables, on sait que l’exposition précise d’un cliché doit correspondre à telle ou telle teinte, pour donner une bonne épreuve avec le papier bichromaté. On note sur le cliché le numéro qui correspond à cette teinte, et on opère à coup sûr, avec le papier chromaté.

Il y a, dans le procédé au charbon, un grand inconvénient : c’est que, dans les demi-teintes, la couche de gélatine ne subissant qu’imparfaitement l’action de la lumière n’est insoluble qu’à la surface, et que la partie profonde du mélange, n’ayant pu être attaquée, se dissout, pendant qu’on traite le papier par l’eau chaude. Dès lors, la pellicule impressionnée dans ces parties, n’adhérant pas au papier, est exposée à s’arracher.

Cette difficulté a été surmontée par un artifice très ingénieux, dû à M. l’abbé Laborde (1858), et à M. Fargier (1859). Le papier gélatino-chromaté a deux faces : l’une extérieure, et l’autre qui touche au support. On développe l’image par la face qui n’a pas reçu l’impression de la lumière, c’est-à-dire par la face adhérente au support.

Pour cela, on colle sur l’épreuve non encore développée un papier préparé spécialement, que l’on nomme papier de transfert, et on place le cliché négatif dans l’eau tiède. Le support se détache peu à peu ; l’image adhère au nouveau support, et y conserve ainsi toutes ses finesses.

On fixe l’épreuve par un passage à l’alun et un lavage à l’eau froide.

L’opération du transfert oblige forcément à retourner le cliché, car la droite est devenue la gauche et inversement. Pour la redresser, il faut transporter de nouveau l’image terminée, sur un dernier support, qui est le support définitif, où elle se retrouve dans le vrai sens.

En faisant usage de pellicule pour obtenir l’épreuve négative, l’opération du retournement est plus facile ; il n’y a qu’à prendre la face opposée à celle qui a reçu l’impression lumineuse pour épreuve définitive.

Tel est le procédé dit au charbon, non que le charbon intervienne comme agent photographique, puisque chimiquement c’est un corps absolument inerte, mais parce que la poudre de charbon (qui pourrait être remplacée par une matière pulvérulente colorée quelconque, pourvu qu’elle soit insensible à l’action de la lumière) sert à garantir le papier de l’impression lumineuse.

La description que nous venons d’en donner suffit pour faire comprendre que ce mode de tirage est d’un emploi plus long que le procédé au chlorure d’argent. Il a, toutefois, l’avantage de donner des épreuves inaltérables, et il est surtout employé par les opérateurs qui se servent des procédés pelliculaires.

Si l’on remplace le charbon par des poudres diversement colorées, on obtient des photographies de couleurs différentes, selon la matière ajoutée, ou selon la couleur du papier qui sert de support. C’est ainsi que l’on obtient des images rouges, violettes, bleues, etc.

Le tirage au charbon qui a joui d’une grande vogue, pendant vingt ans, a été à peu près abandonné depuis la création du procédé au gélatino-bromure.

Procédé au platine ou platinotypie. Un procédé de tirage des positifs qui est, au contraire, encore en grande faveur aujourd’hui, c’est la platinotypie, c’est-à-dire le tirage des positifs sur du papier enduit d’un sel de platine. On obtient par cette méthode des images qui ressemblent à des dessins au crayon ou au fusain, genre qu’affectionnent beaucoup d’amateurs. Mais leur principal avantage, c’est que l’épreuve positive étant composée d’un métal inaltérable, le platine, est absolument indestructible, et sous ce rapport, le tirage au platine doit être recommandé de préférence au tirage au chlorure d’argent. Ajoutons que les manipulations sont simples, rapides, et que l’impression par la lumière exige beaucoup moins de temps qu’avec les papiers au sel d’argent.

Toutes ces considérations expliquent la faveur dont jouit aujourd’hui le tirage des épreuves positives au sel de platine.

Le commerce fournit du papier au platine, pour les tirages des épreuves positives. On le conserve dans des étuis contenant du chlorure de calcium, substance avide d’eau, qui empêche le papier de s’altérer par l’humidité.

Voici comment le papier au platine est préparé dans le commerce. On encolle du papier avec une dissolution de gélatine, d’arrow-root ou de varech, en prenant 10 grammes de gélatine pour 300 grammes d’eau, et on fait flotter ce papier dans un bain chromaté à 18 degrés et contenant 3 grammes d’alun dissous dans 200 centimètres cubes d’alcool.

Pour sensibiliser ce papier, on le plonge, en opérant dans l’obscurité dans une dissolution de chlorure double de platine et de potassium et d’oxalate de peroxyde de fer, dans les proportions de 24 centimètres cubes de solution de platine et 22 centimètres cubes de solution de fer pour 4 centimètres cubes d’eau distillée.

La lumière agit sur le sel de platine en réduisant le sel à l’état métallique et laissant un dépôt de platine pur.

Le papier au platine est d’une couleur jaune citron qui, par l’action de la lumière, se modifie jusqu’à la teinte gris-foncé, ce qui permet de suivre l’action de la lumière sur la couche sensible. L’image n’apparaît donc pas comme sur le papier au chlorure d’argent.

Pour développer, c’est-à-dire pour faire apparaître l’image, on se sert d’un bain composé de 300 grammes d’oxalate neutre de potasse pour un litre d’eau.

Ce bain est placé dans une cuvette en tôle émaillée, que l’on chauffe environ à 70°, sur un fourneau à gaz.

Après le développement on lave les épreuves dans deux ou trois bains d’acide chlorhydrique à 1, 5 p. 100 pour enlever le sel de platine et de fer non impressionné. Enfin on lave et on sèche.

On trouve dans le commerce un papier de platine, dit à la sépia, parce qu’il fournit des épreuves d’un ton plus foncé que le papier de platine ordinaire, et qui est analogue à celui de la sépia ou de l’encre de Chine étendue. Ici le chlorure de platine est mélangé de chlorure de palladium. Les ombres sont plus rigoureusement dessinées qu’avec le papier au platine ordinaire.

On tire les épreuves au papier sépia, comme avec le papier de platine pur. Il faut seulement ajouter au bain de développement du carbonate de soude, ou du succinate de soude, et selon quelques opérateurs, du benzoate d’ammoniaque.

Le tirage au platine donne des épreuves un peu flou, comme disent les artistes, c’est-à-dire n’ayant pas la finesse des lignes des épreuves obtenues par les sels d’argent, surtout avec les papiers albuminés, mais l’extrême finesse n’est pas la qualité que les amateurs recherchent toujours, et l’on apprécie souvent mieux que le léché d’un dessin, le vague et l’estompé, qui rappellent les grands ensembles de la nature.

Tirage sur le papier au gélatino-bromure. — Un moyen fort employé aujourd’hui consiste à faire les tirages positifs sur des papiers enduits de gélatino-bromure d’argent, le même produit qui sert à obtenir l’épreuve négative. Ce papier, qui se trouve dans le commerce, est fabriqué en France par M. Marion, M. Morgan, M. Lami, et en Amérique par M. Eastman. Ce qui le fait rechercher par les photographes, c’est sa grande impressionnabilité, et le peu de temps qu’exige l’exposition à la lumière. En effet, la clarté d’un bec de gaz suffit pour l’impressionner, en quelques secondes. On évite ainsi cette longue exposition à la lumière du jour, qui était nécessaire quand on opérait avec le papier au chlorure d’argent, et on peut travailler à toute heure.

La sensibilité de ce papier est telle qu’en une seconde, à la lumière du jour, et en dix secondes, avec un bec de gaz, placé à 30 centimètres de distance, l’effet est produit. On peut donc obtenir l’épreuve positive sur le même papier qui a servi à donner l’épreuve négative. Il faut seulement, quand on veut opérer vite, mouiller le papier devant servir au tirage positif, et appliquer sur sa surface l’épreuve négative, encore humide, que l’on vient de retirer du bain. L’eau empêche les deux surfaces impressionnées de se coller l’une à l’autre, et permet de les séparer facilement après l’impression lumineuse.

Pour développer l’image, quand on emploie les papiers Morgan, Marion et Eastman, on se sert d’un bain de 100 grammes d’oxalate de potasse à 25 p. 100 un peu acidulé, de 15 grammes de sulfate de fer à 3 p. 100 acidulé, et de 2 grammes de bromure de potassium à 2 p. 100. On opère comme il suit.

On commence par tremper l’épreuve dans l’eau, pour la ramollir et éviter les bulles d’air. Ensuite on l’égoutte et on la place dans le bain révélateur, le côté impressionné en dessus. L’image apparaît graduellement. On arrête son développement quand les ombres ont atteint la valeur désirée. Après le bain révélateur, on passe l’épreuve, à trois reprises, dans une solution d’acide acétique très étendu, renouvelée chaque fois, et qui sert à dissoudre le sulfate de fer et à l’empêcher de pénétrer dans les fibres du papier. Ensuite on la lave à l’hyposulfite de soude pur, et à grande eau.

Les papiers au gélatino-bromure employés aux tirages positifs ont l’avantage d’une extrême rapidité, mais ils portent en eux un germe de destruction : c’est l’hyposulfite de soude, comme les épreuves tirées au chlorure d’argent. Sous ce rapport on ne saurait prédire à ce procédé un grand avenir, et les tirages au papier platiné ou au charbon assurent seuls une durée indéfinie.

Tirage aux sels de fer. — Il faut consigner ici le tirage aux sels de fer des épreuves positives, parce qu’il est d’un emploi considérable dans les bureaux d’ingénieurs, de constructeurs, de mécaniciens et d’architectes, quand il s’agit de reproduire économiquement et rapidement des dessins et des plans tracés sur papier transparent.

Remarquons cependant que les dessins qu’il s’agit de reproduire ne sont pas des épreuves photographiques, mais des dessins ordinaires et que, sous ce rapport, les procédés de tirage aux sels de fer sortent du domaine des faits que nous considérons ici, c’est-à-dire de la reproduction des épreuves positives. Cette remarque faite, nous pouvons passer en revue et décrire le mode de reproduction aux sels de fer.

Il existe aujourd’hui de nombreux moyens de reproduire par un papier photogénique des dessins ou des épreuves, sans se servir d’aucun appareil, à la seule condition de rendre ces objets transparents. Le modèle sert de cliché, pour obtenir une épreuve négative sur papier. Cette dernière, rendue transparente, est employée, à son tour, comme cliché, pour donner de nouvelles épreuves, qui alors sont positives. Par ce moyen on obtient des copies, qui reproduisent tous les détails du modèle avec ses propres dimensions.

Pour ces reproductions, industrielles, en quelque sorte, on pourrait employer un papier photographique quelconque fourni par le commerce. L’usage a prévalu, dans les bureaux des dessinateurs de machines, chez les ingénieurs et les constructeurs, de faire ces tirages en blanc sur un fond bleu, ou en bleu sur un fond blanc.

Le papier qui sert à cet usage et qui se trouve dans le commerce se prépare en mélangeant deux dissolutions, l’une d’une partie de citrate de fer et d’ammoniaque dans quatre parties d’eau, l’autre d’une partie de prussiate de potasse rouge dans six parties d’eau. On mélange les deux liquides, et on conserve à l’abri de la lumière. Pour l’étaler sur le papier, on se sert d’une brosse et on fait usage de papier huilé.

C’est le papier qui sert à tirer les épreuves. On le place dans un châssis-presse, et si l’on veut obtenir des épreuves à traits blancs sur un fond bleu, on place le modèle dans le châssis, le côté dessiné touchant la glace, afin d’éviter le renversement de l’image ; et l’on met par-dessus un papier imprégné de ferro-prussiate de potasse, la face sensible du côté du dessin. On expose le tout à la lumière, dans le châssis-presse. Le papier contient un sel de fer (ferrocyanure de potassium ) que la lumière réduit en donnant du bleu de Prusse (cyanure de fer et de potassium).

Après un temps convenable d’exposition lumineuse, on plonge le papier dans de l’eau pure, en opérant dans l’obscurité, et on le lave jusqu’à ce que l’eau cesse d’être colorée. L’excès de sel de fer non impressionné est enlevé par l’eau, et le bleu de Prusse fixé demeure sur le papier.

On a ainsi une épreuve négative, car les parties claires de l’objet sont indiquées par une teinte bleue et les traits noirs sont reproduits en blanc, puisqu’ils ont arrêté l’action lumineuse et empêché la formation du bleu de Prusse.

Si l’on veut obtenir des épreuves positives à traits bleus sur un fond blanc, on tire d’abord une épreuve négative en opérant à peu près comme il vient d’être dit. Le cliché négatif transparent ainsi obtenu sert à tirer l’épreuve positive donnant des traits bleus sur un fond blanc. Pour cela, on place le cliché négatif dans le châssis-presse, le côté sensible en contact avec le cliché. On produit ainsi un second renversement de l’image qui corrige le premier, l’épreuve positive est donc identique au modèle.

Après le fixage et le lavage, on a une copie à traits bleus sur fond blanc.

Tirage des positifs sur verre. — Les photographes font souvent des tirages d’épreuves positives sur verre. C’est ce qu’il faut faire quand ce cliché a été fendu, ou lorsque, ayant été trop développé, il nécessiterait une trop longue exposition pour le tirage.

Dans le premier cas, on fait la retouche de la fente sur le positif et une autre retouche sur le négatif, et le mal est réparé ; dans le second cas, on tire une épreuve sur une plaque sensible. L’épreuve positive étant sèche, on recommence la même opération, et on a un cliché négatif, qui est plus doux que l’original, et qui fournira un bon tirage.

Le grand emploi des épreuves positives sur verre, c’est la reproduction des objets d’histoire naturelle, d’appareils de physique, de mécanique, d’astronomie, ou les vues de monuments, qui doivent servir aux projections, dans l’enseignement et les cours publics. Il y a là un grand débouché de photographies positives sur verre. Le commerce de l’optique fournit ces clichés, mais il est facile de les produire soi-même, pour des recherches, ou pour des conférences et cours, en opérant comme il suit :

On emploie des glaces au gélatino-bromure, pour obtenir l’image négative, et on la développe aux sels de fer, selon le procédé ordinaire. Pour tirer l’épreuve positive, on emploie également la glace gélatino-bromurée. On obtient ainsi des épreuves de petit format, qui, agrandies dans la lanterne magique servant aux projections, rendent très bien les détails du modèle.

Les épreuves photographiques tirées sur verre et recouvertes de vernis copal ont été employées, dans ces derniers temps, pour remplacer économiquement les vitraux peints des églises. On s’en est servi également pour imiter en noir les vitraux colorés qu’il est de mode aujourd’hui de placer aux fenêtres.

Fig 49. — Meubles et accessoires rustiques construits en bois et en liège pour servir de fond aux photographies. (Modèles Faller.)

CHAPITRE VII

les agrandissements. — appareils nouveaux pour l’éclairage des lentilles grossissantes.

Le besoin de l’agrandissement d’une image photographique se présente assez souvent.

Le voyageur qui s’est contenté de prendre un très petit cliché d’une vue, d’un monument ou d’un paysage, doit s’occuper, au retour du voyage, d’agrandir cette image aux dimensions ordinaires. Pour obtenir un portrait de grandes dimensions, que recherchent quelques amateurs, il serait peu commode de préparer un cliché dépassant une certaine mesure. On pourrait sans doute y parvenir, mais c’est une opération difficile, et qui exige un matériel de grandes dimensions, que l’on possède rarement. Les fabricants de plaques au gélatino-bromure fournissent aujourd’hui de très grandes glaces à des prix fort accessibles. Là n’est donc pas la difficulté. Elle vient de l’appareil optique ; car pour produire une très grande image il faut que le modèle et la glace sensible soient tous les deux à la même distance de l’objectif, cette distance étant égale au double de la longueur focale. C’est ce qui nécessiterait une chambre noire énorme. En outre, le modèle, à cause de sa grande dimension, serait fort peu éclairé. De là la nécessité d’objectifs à large ouverture et à long foyer. Enfin, la pose est toujours très longue, et quand il s’agit d’un portrait, l’immobilité étant rarement obtenue, on peut perdre plus d’une glace, par une pose manquée.

Toutes ces raisons font comprendre que, pour obtenir de grandes images, on procède généralement du petit au grand, c’est-à-dire que l’on prend un petit cliché, que l’on s’occupe ensuite d’agrandir.

L’opération de l’agrandissement est de date ancienne en photographie, et de bonne heure on a possédé le matériel nécessaire à l’amplification d’une épreuve. Nous avons consacré un long chapitre dans les Merveilles de la science[2] à cette question. Nous avons représenté l’appareil à agrandissement du photographe américain Woodward (fig. 78, page 121) qui est éclairé par la lumière solaire, ainsi que l’appareil d’agrandissement de Monckoven (fig. 79 et 80). Nous n’avons pas, par conséquent, à revenir sur cette question, et nous renvoyons le lecteur, pour tout ce qui concerne l’agrandissement des photographies au moyen d’appareils éclairés par le soleil, aux pages sus indiquées des Merveilles de la science.

Cependant le soleil n’est pas l’hôte assidu des climats moyens ou septentrionaux, et d’ailleurs, son éclat varie selon les saisons. La rapidité d’impression des plaques que l’on emploie aujourd’hui permet de se contenter d’une lumière moins brillante que celle du soleil. De là est venue la construction de nouveaux appareils d’agrandissement, dans lesquels la lumière solaire est remplacée par des lumières artificielles, telles que la lumière provenant de la combustion du magnésium, le gaz oxhydrique et la lumière électrique.

Nous avons donc à faire connaître ici les appareils nouveaux d’éclairage artificiel qui servent aux agrandissements.

Fig. 50. — Appareil d’agrandissement avec une lampe à pétrole.

La figure 50 représente un appareil d’agrandissement éclairé par une simple lampe à pétrole. La lanterne, noircie à l’intérieur, arrête complètement toute lumière autre que celle de la lampe. Une lentille de verre qu’on aperçoit par la porte ouverte éclaire le cliché placé derrière cette lentille. En éloignant le soufflet de la chambre obscure on recule plus ou moins l’objectif pour obtenir le grossissement désiré. Un chariot destiné à recevoir la glace dépolie se meut sur une règle en bois, qui assure son parallélisme avec le cliché.

Fig. 51. Appareil d’agrandissement de M. Merville.

M. Merville construit un appareil d’agrandissement monté sur des colonnes de cuivre, que l’on voit sur la figure 51, qui s’éclaire avec une lampe à pétrole à trois mèches. La lentille éclairante du condensateur se compose de deux lentilles plan-convexe. Le faisceau lumineux obtenu va de 0m,50 à 2 mètres de diamètre avec la lampe à pétrole. Avec l’éclairage électrique, le diamètre du faisceau lumineux irait jusqu’à 3 et 4 mètres.

Fig. 52. — Autre appareil d’agrandissement.

M. Faller appelle lanterne universelle un appareil (fig. 52) qui se compose de l’instrument de grossissement, d’un chariot avec soufflet à crémaillère et d’un châssis négatif mobile.

Fig. 53. — Appareil d’agrandissement avec chambre noire.

La figure 53 représente un appareil d’agrandissement avec chambre noire attenante, dont les dispositions diffèrent peu de celles des précédents, et qui s’éclaire également avec le pétrole.

Citons enfin la lanterne Morgan (fig. 54) qui donne également de très bons résultats, notamment avec le papier Morgan au gélatino-bromure. Elle est éclairée par une lampe à pétrole à trois larges mèches, et se prête aussi bien aux projections qu’aux agrandissements.

Fig. 54. — Lanterne Morgan pour agrandissements.

Outre la lumière du magnésium et du pétrole, on a fait récemment usage, pour éclairer la lanterne magique des photographes, de sulfure de carbone brûlant dans du bioxyde d’azote, et le même effet a été obtenu plus économiquement, en faisant brûler du soufre dans du gaz oxygène. La lumière électrique est enfin quelquefois mise à contribution pour remplacer la lumière solaire.

C’est sur le papier positif au chlorure d’argent que l’on projette l’image agrandie par les appareils que nous venons de décrire. Mais le papier au chlorure d’argent est d’une faible impressionnabilité, et la pose est nécessairement fort longue avec cette surface chimique. On a voulu, pour accélérer la fabrication d’un cliché agrandi, se servir des agents rapides, c’est-à-dire faire emploi de papier au gélatino-bromure de M. Marion, de M. Morgan ou de M. Eatsman. On obtient, avec ces papiers, une impression très rapide. Seulement, tandis qu’avec le papier au chlorure d’argent il suffit de laver l’épreuve à l’hyposulfite de soude, pour la terminer, ici il faut développer l’image, c’est-à-dire la traiter par l’oxalate de fer, ainsi que nous l’avons exposé en traitant du développement des images obtenues sur une surface gélatino-bromurée.

Fig. 55. — Chevalet Nadar-Eastman.

Le chevalet Nadar (fig. 55) est très commode pour soutenir les glaces ou les papiers sur lesquels on projette l’image qu’il s’agit d’agrandir ; le chevalet glisse sur des rails. Il contient une boîte-magasin, où se trouve un rouleau de papier Eastman, qu’on développe à mesure des besoins. Du côté opposé à celui destiné aux agrandissements, une planchette à rebord sert d’appui aux tableaux, portraits et dessins à reproduire ou à agrandir. Une crémaillère verticale et des glissières guident les mouvements avec précision.

Le lecteur remarquera que la manière d’opérer qui vient d’être décrite consistant à produire une seule épreuve par l’amplification d’un petit cliché a l’inconvénient d’exiger autant de poses nouvelles qu’on veut tirer de positifs. Si l’on a besoin de pratiquer des retouches, il faut les faire sur chaque positif, On préfère, avec juste raison, tirer sur verre une épreuve du petit cliché de même taille, et ce positif transparent est placé ensuite dans l’appareil d’agrandissement, pour le projeter, non plus sur un papier, mais sur une glace sensible, qui se trouve transformée en un grand cliché. Grâce à ce grand cliché, on tire autant de positifs qu’on veut. La retouche, si elle est nécessaire, se fait une fois pour toutes sur les négatifs.

C’est ainsi que l’on opère généralement.

Fig. 56. — Appareil de projection en usage dans les cours et conférences.

Aux agrandissements des photographies se rattache la jolie opération des projections, qui est la joie des spectateurs et auditeurs des conférences scientifiques et des cours de sciences diverses. Dans une conférence d’astronomie, de physique, d’histoire naturelle, le professeur projette sur un écran blanc, au moyen d’un appareil ordinaire d’agrandissement, tel que le représente la figure 56, les images d’astres, d’appareils ou instruments divers, d’objets d’histoire naturelle, etc., etc. Ce procédé est une véritable opération d’agrandissement. Seulement, dans ce cas, l’image que l’on obtient n’est pas conservée, n’est pas fixée. Elle n’a pour but que de faire apparaître, pour quelques instants, à tout un auditoire, des objets amplifiés dans leurs dimensions. Faire des projections, c’est donc opérer un agrandissement photographique.

Cela est si vrai que l’appareil de M. Molteni, qui est en usage dans les conférences, pour produire des projections, est également installé chez les photographes, pour servir à l’agrandissement des clichés. Seulement, comme nous le disions plus haut, le photographe fixe et conserve l’image agrandie, tandis que le conférencier se contente de la montrer sur l’écran, et de remplacer aussitôt par une autre la projection amplifiante.

CHAPITRE VIII

les applications nouvelles de la photographie. — ses applications aux sciences naturelles. — étude des mouvements des animaux par la photographie instantanée. — la photographie appliquée aux travaux microscopiques. — appareils nouveaux.

Les applications de la photographie sont devenues innombrables. Dans l’état présent de la science, de l’industrie et des besoins sociaux, une opération chimique qui fixe instantanément et fidèlement toutes les scènes de la nature, tous les faits, tous les détails, tous les documents écrits, quels qu’ils soient, doit nécessairement intervenir dans une quantité de circonstances impossibles à dénombrer. D’après le but de cet ouvrage, nous n’avons à considérer que les applications de la photographie aux sciences naturelles et aux sciences physiques, et nous devons nous attacher uniquement à celles que nous n’avons pas mentionnées dans la Notice sur la photographie des Merveilles de la science.

Les faits que nous avons à passer en revue, les appareils que nous avons à faire connaître, pour exposer les applications récentes de la photographie aux sciences naturelles et physiques, ont besoin d’être distribués dans un ordre méthodique. Nous distinguerons, pour la clarté de ce qui va suivre :

1o Les applications récentes de la photographie aux sciences naturelles ;

2o Les applications récentes de la photographie aux sciences physiques (météorologie, physique, astronomie) ;

3o Les applications nouvelles de la photographie à l’imprimerie et à la gravure ;

4o L’emploi des appareils photographiques par les voyageurs, savants, ou simples touristes ;

5o Enfin les applications d’ordre varié, présentant un intérêt spécial.

applications nouvelles de la photographie aux sciences naturelles.

C’est l’étude des mouvements rapides de l’homme ou des animaux, mouvements qui n’auraient jamais pu être saisis et enregistrés avant la découverte de la photographie instantanée, qui a le plus frappé, dans ces derniers temps, l’attention du public. Pouvoir reproduire par des dessins, grâce à la glace sensible, les diverses périodes du vol des oiseaux, de la progression de l’homme ou des animaux, du galop d’un cheval, etc., c’est un tour de force qui peut donner l’idée des ressources infinies de la science actuelle.

C’est à un savant physicien et physiologiste français, le professeur Marey, que sont dus les premiers essais consistant à saisir et conserver l’image de phénomènes tellement rapides qu’il est presque impossible de les fixer, et dont notre œil même ne nous donne souvent qu’une idée imparfaite, à cause de la persistance des images sur la rétine, qui empêche la succession trop prompte de la série des impressions visuelles. La photographie, qui n’a pas le défaut de cette persistance naturelle de l’impression de la surface sensible, permet seule de séparer les impressions lumineuses que donne la succession d’un mouvement, chez les animaux ou chez l’homme.

Le professeur Marey avait donc pu, grâce à la photographie, ébaucher ce curieux genre d’études. Mais à l’époque où M. Marey exécuta les premiers travaux en ce genre, la photographie instantanée, la photographie au gélatino-bromure d’argent, n’était pas connue, et les résultats qu’il obtint étaient fort incomplets. La découverte de la photographie instantanée vint permettre de résoudre, avec une extrême élégance, le problème de la découverte des mouvements des animaux.

Ce ne fut pas cependant M. Marey qui entra le premier dans cette nouvelle voie. Il fut devancé par un photographe américain, M. Muybridge, de San Francisco, qui sut, le premier, photographier, à des intervalles égaux et très courts, les différentes parties des membres des animaux en mouvement pendant la marche.

Comment le photographe américain a-t-il obtenu ces résultats ? Muybridge, quand il s’agit de photographier les mouvements du galop d’un cheval, par exemple, dispose à côté les unes des autres trente chambres obscures, munies chacune d’un obturateur électrique, en les plaçant à 33 centimètres l’une de l’autre. Le cheval galopant le long d’une piste passe devant les 30 objectifs, et sur son chemin il brise de petits fils conducteurs tendus à travers le sol, à une certaine hauteur. En se brisant, chaque fil détermine la fermeture d’un courant électrique, qui va découvrir et refermer aussitôt un des obturateurs de la chambre noire. Au devant de l’objectif est un écran blanc, vertical, sur lequel l’animal se détache vigoureusement ; ce qui permet de prendre plus nettement l’image photographique.

En développant les trente images ainsi formées sur la plaque de gélatino-bromure, on obtient les positions des membres du cheval pendant le galop.

C’est par un procédé semblable que M. Muybridge a fixé les différentes positions d’un chien lévrier à la course, du cerf, du taureau, du bœuf. L’homme en mouvement fut également fixé sur la plaque sensible par M. Muybridge, qui obtint huit images d’un clown faisant le saut périlleux.

Les photographies de M. Muybridge furent envoyées, en 1859, à Paris, où elles firent beaucoup de sensation. Les physiologistes y voyaient un moyen de décomposer, comme l’avait fait M. Marey, les mouvements naturels des animaux ; les artistes se rendaient mieux compte des attitudes des animaux pendant leurs mouvements de progression, de course, de saut, etc.

On ne tarda pas à imiter, à Paris, les curieuses expériences du photographe américain. C’est ainsi qu’un photographe, M. A. de Lugardon, a obtenu l’image des sauteurs tels que nous les reproduisons, dans les figures 57 et 58.

Fig. 57. — Mouvement d’un sauteur de corde saisi par la photographie instantanée.
Fig. 58. — Le saut à la perche, d’après une photographie instantanée.

M. Marey s’empressa de suivre la voie qui lui était ouverte, et il se distingua par des perfectionnements fondamentaux, qu’il apporta au procédé américain.

En effet, M. Muybridge, comme on vient de le dire, prenait plusieurs images successives d’un animal en mouvement, sur une série de plaques. Mais en opérant ainsi, on ne peut connaître exactement le temps qui sépare les différentes impressions. Il est bien plus avantageux, au lieu d’opérer sur des plaques différentes, d’opérer sur une seule et même plaque. Il faut seulement que la plaque conserve toute sa sensibilité, d’une pose à l’autre.

M. Marey, est parvenu à résoudre cette difficulté par l’emploi de l’instrument que l’éminent astronome français, M. Janssen, avait imaginé pour l’observation photographique des éclipses de soleil, et qu’il avait appelé le revolver photographique.

M. Marey, appliquant à l’étude des mouvements des animaux le revolver photographique de M. Janssen, a pu reproduire les différentes attitudes d’un coureur vêtu de blanc, qui passait devant un écran noir. Un obturateur à plusieurs trous, mû par un mécanisme d’horlogerie, tournant devant l’objectif, démasquait cet objectif, à intervalles égaux. Le fond étant complètement noir ne produisait aucune impression sur la plaque, mais on fixait, à chaque ouverture, l’homme dans une nouvelle attitude et dans un autre point. On pouvait ainsi déterminer les distances parcourues entre chaque pose.

Les figures ci-dessous, qui représentent les photographies prises par M. Marey pour la course et la marche de l’homme, montrent la succession des mouvements qui se produisent dans la marche. Les positions du membre gauche sont teintées en gris, pour mieux faire comprendre ces positions.

Fig. 59. — La marche de l’homme, saisie dans ses mouvements successifs par la photographie instantanée.
Fig. 60. — La course de l’homme, saisie dans ses mouvements successifs par la photographie instantanée.

Pour l’étude du vol des oiseaux, M. Marey a employé l’appareil qu’il nomme fusil photographique, et dont voici la description.

Au fond du canon d’un fusil est un objectif photographique. Une culasse cylindrique qui contient un mouvement d’horlogerie est placée sur la crosse. Quand on appuie sur la détente du fusil, le ressort fait tourner un disque, percé d’une étroite fenêtre, qui laisse pénétrer ainsi, douze fois par seconde, la lumière au fond du canon. La plaque sensible, de forme circulaire, avance, après chaque pose, d’un douzième de tour, et peut alors recevoir une nouvelle image. Douze clichés peuvent être pris de cette manière en une seconde. Un appareil de changement de plaques instantané permet de changer vingt-cinq fois la plaque sensible. La mise au point se fait en allongeant ou en raccourcissant le canon ; ce qui déplace l’objectif. On s’assure que la mise au point est faite, en observant par une ouverture faite à la culasse l’image reçue sur un verre dépoli, qui doit être d’une grande netteté.

La figure ci-dessous montre l’image des formes successives d’un pigeon en état de vol, pris par M. Marey. On voit que les pattes de l’oiseau se portent très vivement en avant et cachent la tête de l’animal, et qu’en outre elles s’abaissent et s’infléchissent pendant toute la durée de cette période d’abaissement.

Fig. 61. — Images successives d’un pigeon volant.

M. Marey a également multiplié ses études sur la fixation par la photographie des mouvements de l’homme et des animaux, et il a, d’ailleurs, beaucoup varié les dispositions et le mode d’emploi de ces délicats appareils. Nous ne pouvons suivre le savant physiologiste dans le développement de ces études, d’un ordre spécial. Il nous suffit d’avoir exposé le principe général de l’une des plus intéressantes découvertes de la physiologie moderne.

Après l’application de la photographie à l’histoire naturelle des grands animaux et de l’homme, vient son application à l’étude des petits êtres et des éléments des tissus organiques. La plaque sensible recevant et conservant l’image des objets naturels que l’anatomiste ou le physiologiste a besoin d’étudier dispense celui-ci d’une observation longue et fatigante. L’opérateur peut, en même temps, par l’agrandissement, faire voir cette même image à une assistance nombreuse.

Nous avons décrit dans notre Notice des Merveilles de la science[3] les premiers résultats de la photographie micrographique. Nous avons parlé des travaux du Dr  Donné et de Léon Foucault, nous avons dessiné l’appareil de Bertsh, et reproduit, dans des figures spéciales, les dessins obtenus par l’appareil de ce dernier opérateur (fig. 109-111).

Depuis les travaux de Bertsh, la photo-micrographie est entrée largement dans la pratique des études des naturalistes. En France, M. Nachet, en Allemagne, M. Mayer, en Angleterre, MM. Hodgson, Shadboldt et Wenham, se sont appliqués à perfectionner, tant le microscope qui sert à produire l’image, que les appareils photographiques qui la fixent et la perpétuent.

Voici, d’après les travaux de ces divers savants, en quoi consistent les appareils qui servent, dans les laboratoires des naturalistes, à prendre les clichés photographiques des objets amplifiés par l’appareil optique.

Il s’agit de mettre l’objet microscopique au point de la vision, en manœuvrant la vis de l’instrument à la manière ordinaire, pour voir bien nettement l’objet, puis de remplacer l’oculaire du microscope par une surface photogénique, sur laquelle se forme l’image qui, tout à l’heure, n’existait que sur la rétine de l’œil de l’observateur, et à impressionner ainsi la plaque photographique. Cette plaque est ensuite traitée comme une épreuve photographique ordinaire, c’est-à-dire qu’on développe l’image, et qu’on la fixe par les procédés habituels.

Dans tout microscope il faut très vivement éclairer les objets ; car, destinés à être grossis par la lentille de l’instrument, ils ont besoin de concentrer une grande quantité de lumière, pour demeurer bien éclairés après leur grossissement.

En lisant dans les Merveilles de la science la description de l’appareil de Bertsh, qui fut le premier de ce genre, on a vu que l’éclairage de cet appareil était produit par le soleil. L’appareil de Bertsh se fixait, en effet, au volet d’une chambre fermée, et on recevait les rayons du soleil réfléchis par un miroir plan mobile. Mais l’emploi de la lumière solaire est sujet à bien des incertitudes, car le soleil manque souvent dans les climats du Nord, et l’intensité de son éclat est très variable. La lumière oxhydrique, ou lumière Drummond, est d’un usage dispendieux, et quelquefois dangereux. L’éclairage au magnésium est d’une durée bien courte. Une lampe à pétrole a assez de puissance pour remplacer le soleil ou la lumière oxhydrique. Cependant, après avoir essayé ces divers moyens d’éclairage intense, on a fini par se contenter de la lumière diffuse, en la concentrant par une série de lentilles, qui recueillent toute la quantité de lumière ambiante.

Les objets placés dans l’appareil photo-micrographique sont donc éclairés par un miroir argenté, qui envoie, parallèlement à l’axe du microscope, un faisceau de lumière, lequel venant tomber sur une puissante lentille est réduit à un filet lumineux, d’une puissance considérable.

Voici la disposition de l’appareil le plus généralement employé aujourd’hui pour l’impression photographique des images des objets vus au microscope.

Fig. 62. — Appareil pour la production des épreuves photo-micrographiques.

M est le miroir argenté qui reçoit le faisceau de lumière réfléchie par le miroir plan argenté I ; un diaphragme, E, arrête la partie du faisceau lumineux qui serait perdue et ne laisse passer que la quantité de lumière qui peut être utilisée pour l’éclairage de l’objet. D est la lentille convergente qui concentre les rayons lumineux en un filet unique, pour l’envoyer dans l’instrument. H est un simple écran que l’on enlève quand on veut opérer, c’est-à-dire laisser arriver la lumière sur l’objet. M est, comme il vient d’être dit, le miroir argenté mobile à la main, qui reçoit la lumière envoyée par le miroir plan I et la lentille D, et la rejette sur le corps placé sur le porte-objet F.

Pour obtenir l’image photographique de l’objet étudié, on manœuvre à l’aide de la vis le tuyau du microscope, en regardant par l’oculaire placé en B, c’est-à-dire à l’extrémité du tube. Quand on voit bien l’objet agrandi par le jeu des lentilles intérieures du microscope, on enlève l’oculaire et on le remplace par un petit châssis photographique A, contenant la plaque sensible. À cet effet, sur l’extrémité du microscope est fixée une platine bien dressée, sur laquelle le châssis peut se poser très exactement. La plaque que renferme ce châssis est de très petites dimensions, elle est seulement de 9 centimètres de long sur 4 de large. Bien entendu que la platine qui supporte le châssis est percée d’un trou, pour laisser passer la lumière.

Tout étant ainsi disposé, on fait glisser dans sa rainure la planchette inférieure du châssis, de manière à impressionner la surface sensible, et on le referme, au bout du temps de pose jugé nécessaire. Il ne reste plus qu’à porter le châssis dans l’atelier obscur, pour opérer le développement et le fixage de l’image.

Quelle est la substance sensible dont on fait usage, pour la photographie microscopique ? Les glaces au gélatino-bromure sont seules employées, tant en raison de leur rapide sensibilité, que parce qu’elles évitent les préparations préalables qu’un photographe exécute fort bien, mais qui déconcerteraient le naturaliste, ou lui feraient perdre inutilement du temps.

Cependant, comme les plaques albuminées donnent des images bien plus fines que les glaces au gélatino-bromure, les opérateurs désireux d’obtenir des épreuves irréprochables feront bien de se servir de plaques albuminées, quitte à faire exécuter les préparations préalables par des hommes du métier.

Comment se fait le tirage de l’épreuve positive ? Le papier au chlorure d’argent sert d’ordinaire à ce tirage. Cependant, pour avoir plus de finesse, il vaut mieux tirer sur un papier au collodion ; car le papier au chlorure d’argent est nécessairement d’une texture grenue et poreuse, qui enlève la finesse des traits et rend l’image flou. Le collodion, au contraire, par son velouté, accuse les détails les plus fins, et les demi-teintes conservent ainsi une douceur et une transparence complètes.

Rien n’empêche, d’ailleurs, de reporter sur le papier, par une dernière opération, l’épreuve sur collodion.

Le procédé que nous venons de décrire et l’appareil que nous avons figurés sont le plus généralement en usage dans les laboratoires d’histoire naturelle. Il existe cependant une deuxième méthode, qu’il est nécessaire de décrire, car elle comporte un appareil particulier.

Nous venons de voir la manière de recueillir et de fixer l’image de l’infiniment petit. Dans ce cas, des appareils de faible dimension, un simple châssis, suffiraient ; mais s’il s’agit de fixer des images d’un plus grand développement, d’embrasser de plus grandes étendues, par exemple de reproduire l’ensemble d’un organe ou un animal grossi, un insecte ou une partie du corps de cet insecte amplifiés, pour montrer sa structure interne, alors le simple châssis ne suffit plus, il faut en revenir à l’appareil de Bertsh, que nous avons décrit dans les Merveilles de la science, c’est-à-dire adjoindre à un microscope une chambre obscure complète. Dès lors, il ne sera plus nécessaire d’amplifier le cliché pour le faire servir aux études, il conservera la dimension que lui aura donnée l’objectif du microscope, avec la chambre obscure à laquelle il est accolé.

Il y a beaucoup d’appareils micrographiques appliqués à une chambre noire et servant à fixer l’image d’objets d’histoire naturelle, petits animaux entiers, tels que bacilles, microbes, ou même insectes complets.

Fig. 63. — Appareil du Dr  Roux pour les épreuves photo-micrographiques prises dans la chambre noire.

Nous représentons d’abord l’appareil construit par le docteur Roux (fig. 63). Le microscope est fixé sur une plaque tournante, AB, ce qui permet de choisir la partie de l’objet se prêtant le mieux à la reproduction. La chambre noire, CD, est à soufflet, et peut prendre un développement de 1m,20. Elle se meut sur une rainure, grâce au chariot qui la supporte. Le châssis portant la plaque sensible est placé à l’extrémité, E, de la boîte. Dans ce châssis, est la plaque de verre dépoli, qui doit recevoir l’image agrandie par la lentille intérieure du microscope, La partie antérieure de la chambre obscure est en rapport avec le microscope M. L’éclairage de l’objet est obtenu par une lanterne L, dans laquelle brûle une forte lampe à pétrole. La partie du faisceau lumineux qui serait perdue pour l’éclairage de l’objet est arrêtée par l’écran F.

M. Moitessier, professeur à la Faculté de médecine de Montpellier, à qui l’on doit un excellent ouvrage sur la Photographie appliquée aux recherches micrographiques, emploie, pour les vues micrographiques obtenues dans la chambre noire, l’appareil que représente la figure ci-contre, et dans lequel, comme dans le précédent, on donne au microscope une position horizontale, afin de pouvoir diriger le faisceau lumineux dans l’ouverture de la chambre noire pour impressionner la plaque posée verticalement.

Fig. 64. — Appareil de M. Moitessier pour la photo-micrographie dans la chambre noire.

Cet appareil est semblable, en principe, à celui que représentait la figure 62. Il se compose du microscope et de l’ensemble du miroir, diaphragme et lentille, destinés à produire l’éclairage de l’objet, le tout identique à ce que nous avons décrit plus haut. Le miroir mobile H, le diaphragme F, la lentille convergente E produisent le filet lumineux, et pénètrent dans le microscope M. La chambre obscure, A, est accolée au microscope horizontal ; l’objectif de ce microscope est enlevé et remplacé par l’objectif de la chambre noire, ou plutôt par le corps du microscope privé de son oculaire, ce qui donne une chambre noire munie d’un objectif de microscope. Les deux instruments sont raccordés au moyen de l’écran F, qui ne laisse passer aucun rayon de lumière étranger au puissant filet lumineux qui pénètre dans la chambre obscure.

Si la nature de l’objet à photographier ne permet pas de le placer verticalement devant l’objectif, on dispose au haut du microscope un prisme transparent, à réflexion totale, qui, réfléchissant l’image à travers sa substance, rend le filet lumineux horizontal et le renvoie dans la chambre obscure, avec cette direction.

Il est bon de dire que les images microscopiques obtenues dans la chambre obscure sont beaucoup moins fines et précises que celles que donne le simple objectif du microscope impressionnant une plaque. Sans doute on peut arriver à donner à l’image la grandeur que l’on désire, en augmentant, grâce au soufflet, la longueur de la chambre obscure. Des détails qui seraient inaperçus deviennent ainsi appréciables. Mais ce que l’on gagne en surface, on le perd en netteté, et les images ont toujours ce vague, ce flou qui caractérise les projections d’une chambre obscure.

Cette remarque fera comprendre la différence qui existe entre les épreuves micrographiques obtenues par l’un et l’autre de ces systèmes que nous venons de décrire.


CHAPITRE IX

les applications de la photographie aux sciences physiques. — les instruments enregistreurs, thermométrographe, barométrographe, magnétographe.

Dans les sciences physiques on fait une continuelle investigation des phénomènes de la nature. La physique et la météorologie reposent sur des observations méthodiques de la température, de la pression atmosphérique, de l’humidité de l’air, de la direction et de l’intensité des vents, des mouvements de l’aiguille aimantée, du degré d’électricité atmosphérique, etc. Mais l’obligation de consulter sans cesse les instruments, et d’en noter les indications, dépasserait les limites du plus grand dévouement et de la patience la plus robuste. On a donc cherché, de bonne heure, à substituer à l’homme des machines, qui enregistreraient elles-mêmes les observations des instruments de physique.

Il est assez curieux de noter que ce désir fut réalisé dès le dernier siècle. En 1772, le navigateur Magellan avait trouvé le moyen de construire des thermomètres et des baromètres, qui, par un effet mécanique, enregistraient leurs propres indications.

Nous n’avons pas besoin de dire que l’inscription des observations par de simples organes mécaniques était impossible à généraliser, avec les ressources dont on disposait au siècle dernier. C’est à la photographie qu’il appartenait de fournir les moyens de résoudre cet intéressant et utile problème.

Aujourd’hui, dans la plupart des observatoires météorologiques, si nombreux et si répandus en tous pays, le physicien est délivré de l’ennui, de la fatigue et de l’assujettissement de lire et d’inscrire les chiffres représentant la température, la pression atmosphérique, etc. La photographie exécute la besogne. Nous donnerons une idée sommaire de la manière dont sont disposés aujourd’hui les appareils enregistreurs fondés sur la photographie.

Pour le baromètre, on utilise la partie supérieure du tube, là où est l’espace connu sous le nom de vide de Torricelli. Le mercure, en s’élevant et s’abaissant dans cet espace, selon les variations de la pression de l’air, arrête, en raison de son opacité, le passage de la lumière à travers sa substance. Si l’on projette un rayon lumineux sur le vide de la colonne barométrique, et que l’on place derrière celle-ci un papier photographique impressionnable, et se déroulant d’un mouvement uniforme, on aura une impression ou une absence d’impression sur la surface sensible, selon les variations de la pression atmosphérique. La lumière d’un bec de gaz, ou celle d’une lampe à pétrole, sont les sources d’éclairage avec lesquelles on a réussi pour ce genre d’appareils, et le papier au chlorure d’argent est l’agent chimique impressionné par ces lumières.

Le thermométrographe, ou thermomètre enregistreur, est disposé à peu près comme le barométrographe. Seulement, la lumière ne passe pas par l’espace vide situé au-dessus du mercure. Elle traverse une petite bulle d’air, qui a été introduite à l’avance dans la petite colonne de mercure du thermomètre. La lumière ainsi transmise produit sur le papier sensible un point noir, et le déroulement méthodique du papier permet de déterminer l’instant où chaque point a été produit.

Dans les observatoires météorologiques, on emploie, pour les températures et les pressions, des instruments enregistreurs diversement disposés. Il nous serait difficile de décrire en particulier les barométrographes et les thermométrographes en usage aujourd’hui dans les divers observatoires ; nous signalerons seulement le bel appareil que M. Salleron a construit pour l’observatoire de Kiew, et qui est à la fois un barométrographe et un thermométrographe. Il enregistre même, simultanément avec les températures et les pressions, les variations de l’humidité de l’air.

Les variations de l’aiguille aimantée en déclinaison et en inclinaison sont également enregistrées, dans les observatoires météorologiques, par la photographie.

À l’extrémité de l’aiguille aimantée est attaché un petit miroir sur lequel la lumière d’une lampe vient se réfléchir, et le rayon réfléchi vient tomber sur un papier impressionnable placé dans une chambre noire, en y traçant un arc d’autant plus grand que sa distance à cette surface photographique est plus considérable. Au moindre mouvement de l’aiguille aimantée, la marque du rayon réfléchi se déplace sur l’écran, suivant la marche de l’aiguille, et sans en laisser perdre la plus petite oscillation.

Le papier photographique se déroule d’un mouvement uniforme ; il fait en vingt-quatre heures une révolution sur son axe. À la fin de la journée on retire le papier, on développe les traits, et on les fixe par les procédés ordinaires.

La ligne continue ainsi obtenue indique la marche du rayon lumineux réfléchi par le miroir fixé à l’aiguille aimantée, et représente ses divers mouvements pendant les vingt-quatre heures.

Ce magnétographe, qui est de l’invention du docteur Brooke, fonctionne depuis bien des années à l’Observatoire de Greenwich.

On a vu, dans la Notice sur la télégraphie atlantique, que le procédé consistant à amplifier les mouvements de l’aiguille aimantée en munissant son extrémité d’un petit miroir, qui réfléchit la lumière d’une lampe, et envoie sur un écran cette image amplifiée, a été utilisé par sir William Thomson pour la construction du récepteur des signaux du câble atlantique.

Les variations de l’état électrique de l’air sont enregistrées, à l’Observatoire de Kiew, par un procédé analogue. Le photo-électrographe dû à l’ingénieur physicien Francis Ronalds est un véritable paratonnerre, muni d’un électroscope à feuilles d’or. On sait que les feuilles d’or de cet instrument s’écartent plus ou moins l’une de l’autre, selon leur degré d’électrisation par l’air ambiant. Dans cet instrument on éclaire les feuilles d’or par une lampe et ces deux surfaces métalliques réfléchissant la lumière projettent leur double image sur un papier impressionnable, qui se déroule d’un mouvement uniforme, par l’effet d’un mécanisme d’horlogerie. Les deux courbures sinueuses que l’on obtient ainsi, qui se rapprochent ou s’écartent à toute heure du jour, représentent l’état électrique de l’air pendant les vingt-quatre heures, et à chaque instant de cet intervalle.

Les appareils qui viennent de nous occuper n’en sont encore que dans la période des essais. Ils sont certainement appelés à se multiplier dans les Observatoires et les cabinets de physique, mais leur nombre est encore peu considérable, parce que leur prix est élevé, et qu’ils ont à combattre beaucoup de défiances, de la part de plusieurs savants. À l’Observatoire de Kiew, de Greenwich, à celui de Paris et dans celui de Meudon, on voit fonctionner des appareils enregistreurs auxquels toute confiance est accordée ; mais ce ne sont là, il faut le reconnaître, que des exceptions dans le nombre immense d’établissements météorologiques installés dans tous les pays où la science est en honneur. Un jour viendra où la résistance que rencontre la méthode photographique sera vaincue, et le rôle des physiciens et de leurs aides se bornera alors à venir, à quelques heures d’intervalle, relever les papiers portant les indications des déterminations barométriques, magnétiques, etc. Ce seront alors les forces de la nature qui suffiront à inscrire les changements intermittents qui se reproduisent dans leur propre sein, La nature opérera, l’homme se bornera à regarder et à compter.


CHAPITRE X

les applications nouvelles de la photographie à l’astronomie. — les photographies des astres. — le congrès pour la carte photographique du ciel, ses débuts en 1888.

L’application de la photographie à l’astronomie physique n’est pas de date récente. Nous avons rapporté dans les Merveilles de la science[4] ses premiers débuts en exposant les résultats obtenus par MM. Warren de la Rue et Airy en Angleterre, le père Secchi à Rome, M. Schmidt à Athènes, M. Rutherford à New-York, pour la photographie des principaux astres de notre système solaire. Mais ce genre d’application de l’art photographique a pris de nos jours un développement considérable, et a abouti à la grande opération qui sera l’honneur scientifique de notre siècle. Nous voulons parler de l’exécution d’une carte du ciel par la photographie, projet arrêté dans un congrès mémorable d’astronomie qui s’est réuni à Paris en 1887, pour se concerter sur cette œuvre magnifique. Nous ferons connaître dans ce chapitre les découvertes faites depuis l’année 1870 jusqu’à ce jour, dans ce champ particulier de recherches.

Disons d’abord comment on opère pour obtenir l’épreuve photographique des astres, tels que planètes, satellites et comètes.

On comprend qu’une simple épreuve prise dans la chambre noire ne saurait donner une image suffisante d’un astre. Il faut nécessairement agrandir cette image par les objectifs des grands télescopes installés dans les Observatoires astronomiques et fixer ces images agrandies. Seulement, les verres des lunettes astronomiques sont achromatisés pour les rayons visibles, et non pour les radiations chimiques. La mise au point faite dans ces lunettes à la simple vue ne saurait être la même pour la photographie : on n’aurait qu’une épreuve confuse. On est donc forcé de prendre des télescopes dont l’objectif, formé d’un miroir concave argenté, est toujours achromatique pour tous les rayons. On remplace l’appareil réfringent qui forme l’oculaire par le papier photographique.

Nous n’avons pas besoin de dire que les télescopes destinés à la photographie céleste doivent pouvoir suivre le mouvement apparent de la sphère céleste, c’est-à-dire être montés équatorialement.

Ainsi que nous l’avons dit dans les Merveilles de la science, la lune et le soleil ont été les premiers astres photographiés par MM. Warren de la Rue, Airy, Grubb, le père Secchi et Rutherford.

Les éclipses de soleil vinrent fournir à la photographie céleste les moyens de prouver son utilité. L’instrument photographique a permis de découvrir des phénomènes que leur rapidité empêchait de laisser étudier. En 1862, Warren de la Rue à Riva Bellosa, le père Secchi et les observateurs espagnols au Discerto de las Palmas, obtinrent, pendant l’éclipse solaire, de belles photographies de la couronne du soleil, et pendant la même éclipse, la photographie fit reconnaître que les protubérances étaient partie constituante du soleil.

La couronne solaire fut observée dans les éclipses suivantes. Le 6 mai 1883, M. Janssen obtint, pendant l’éclipse totale, de belles épreuves, qui mirent en évidence d’importants détails de structure, et il put examiner avec soin les astres qui environnent le soleil. M. Janssen avait préparé deux grands appareils avec huit chambres photographiques qui avaient été dressées pour saisir le passage des planètes intra-mercurielles.

C’est en effet pour l’observation des passages des planètes sur le disque du soleil que la photographie rend de grands services et notamment pour l’examen des contacts extérieur et intérieur. On sait que M. Janssen fit installer pour le passage de Vénus sur le soleil, en 1882, une sorte de révolver photographique, permettant d’obtenir rapidement un certain nombre d’épreuves.

On doit également à M. Janssen de remarquables photographies de la surface du soleil, obtenues en réduisant la durée de la pose.

C’est aux travaux de deux astronomes français, les frères Henry, de l’Observatoire de Paris, que sont dus les progrès immenses qui ont été faits récemment par la photographie céleste.

Voici dans quelles circonstances intéressantes MM. Prosper et Paul Henry ont été conduits à entreprendre ces recherches, qui devaient aboutir à la grande entreprise internationale de l’exécution de la carte entière du ciel par les procédés photographiques.

Depuis l’invention des lunettes et des télescopes, les astronomes ont sondé dans tous les sens les profondeurs du ciel. À l’aide de grossissements considérables, ils ont pu distinguer des millions d’étoiles, des milliers de nébuleuses, des comètes et des planètes qui fussent à jamais restées inconnues, si les observateurs avaient toujours été condamnés à faire usage, comme les anciens, de l’organe de la vue, sans le secours des instruments qui rapprochent des centaines et des milliers de fois les corps disséminés dans l’espace. Des catalogues et des cartes célestes ayant été dressés dans notre siècle, avec un soin minutieux, à l’aide des plus fortes lunettes, il semblait que le nombre des astres accessibles aux investigations dût rester à peu près stationnaire. Il n’en est rien cependant : grâce à la photographie, des étoiles, ainsi que des nébuleuses dont on ne soupçonnait pas l’existence, sont venues se dessiner sur des épreuves obtenues à l’Observatoire de Paris par les frères Henry. La photographie céleste, on peut le dire avec toute assurance, nous ménageait, sous leur impulsion, de magnifiques surprises.

La trace laissée sur la voûte céleste par la marche apparente du soleil (ou l’écliptique) est parsemée d’étoiles dont il importe de connaître exactement la position, car c’est dans cette région que se trouvent les planètes, les grosses comme les petites. On sait que celles-ci sont nombreuses ; 280 ont été trouvées jusqu’à 1889 circulant entre Mars et Jupiter. La recherche de ces astres a été singulièrement facilitée par la construction de cartes écliptiques, dont l’Observatoire de Paris s’occupe depuis longtemps.

Ce travail important, c’est-à-dire celui des cartes célestes, fut entrepris par Chacornac, en 1852. Interrompu à la mort de cet astronome, il fut repris, en 1873, par MM. Paul et Prosper Henry. Ces cartes représentent toutes les étoiles, jusqu’à la 13e grandeur, comprises dans la zone écliptique. Chacune de ces cartes, dans son cadre de 32 centimètres, représentant un carré de 5 degrés de côté sur le ciel, il en faudrait 72 semblables pour figurer toute la zone écliptique. 36 de ces feuilles, renfermant 36 000 étoiles, furent construites en 1886 par MM. Henry, qui en terminèrent bientôt d’autres contenant 15 000 étoiles. Ce travail, très long et très minutieux, était poursuivi avec persévérance par ces deux astronomes ; mais ils se trouvèrent arrêtés par la très grande difficulté que présente la partie du ciel où ils étaient arrivés, et qui contient la voie lactée. Dans cette partie, certaines feuilles auraient eu jusqu’à 15 000 ou 18 000 étoiles chacune. Avec une telle condensation d’astres, les procédés ordinaires deviennent à peu près inapplicables. MM. Henry songèrent donc à recourir à la photographie, déjà essayée dans plusieurs observatoires (à Meudon notamment) et qui avait donné en Angleterre de si remarquables résultats pour certains astres aussi pâles que la nébuleuse d’Orion.

La première tentative qu’ils firent, en 1884, avec un appareil provisoire, qui était insuffisant pour le but qu’on poursuivait, réussit pourtant fort bien.

Les épreuves que nous avons vues ont été obtenues avec un objectif de 16 centimètres de diamètre, et de 2m,10 de distance focale, achromatisé pour les rayons chimiques. Elles représentaient, sur une surface d’un peu moins de 1 décimètre carré, une étendue du ciel de 3 degrés en ascension droite et de 2 degrés en déclinaison, et l’on pouvait apercevoir sur le cliché 15 000 étoiles de la 6e à la 12e grandeur, c’est-à-dire jusqu’à la limite de visibilité que permet un objectif de cette dimension. On sait qu’à la vue simple on ne peut apercevoir les étoiles que jusqu’à la 6e grandeur ; il n’y en a qu’une seule dans l’espace figuré sur l’épreuve dont il s’agit. Les diamètres de ces étoiles sont à peu près proportionnels à leur éclat, sauf pour les étoiles jaunes, qui viennent un peu plus faibles.

L’appareil photographique provisoire qui servit à faire ces essais se composait d’une caisse carrée de bois, adaptée à l’une des lunettes équatoriales du jardin, de 25 centimètres d’ouverture, qui formait un puissant chercheur, permettant de suivre les astres avec une très grande précision. On n’a pas employé les plaques au gélatino-bromure.

Les étoiles vinrent avec une telle netteté que nulle part on n’a obtenu des résultats aussi satisfaisants.

Ces premiers résultats engagèrent MM. Henry à construire un puissant appareil spécial pour photographier la voûte céleste.

L’appareil construit par les frères Henry, et qui est établi aujourd’hui à l’Observatoire de Paris, pour reproduire les images agrandies des astres ou des nébuleuses, se compose de deux lunettes juxtaposées, et contenues dans un même tube rectangulaire. L’objectif de la première lunette a 0m,24 d’ouverture et 3m,60 de foyer. C’est une sorte de pointeur ou de chercheur, car son axe optique est parallèle à celui de la lunette photographique. Les deux lunettes ont le même champ. On est donc certain de reproduire une portion du ciel sur le cliché, quand on voit cette même partie dans la première lunette. La seconde lunette, qui sert à la production de l’image photographique, a 0m,34 d’ouverture et 3m,43 de foyer. Elle est achromatisée pour les rayons chimiques. L’appareil est monté de manière à recevoir tous les mouvements convenables pour suivre la marche d’un astre.

Dès le 18 janvier 1886, on savait que MM. Henry avaient obtenu un succès dépassant toutes les espérances. En une heure de pose, ils avaient des clichés de 6 à 7 degrés carrés, sur lesquels étaient reproduits, avec un éclat, et une pureté de contours extrêmes, tous les astres, au nombre de plusieurs milliers, jusqu’à la 16e grandeur, c’est-à-dire bien au delà de la visibilité donnée par les meilleures lunettes sous le ciel de Paris. Des étoiles de 17e grandeur avaient même été obtenues en assez grand nombre, lesquelles n’avaient sans doute jamais été vues dans les meilleures lunettes.

Outre les étoiles, on découvrit aussi, quelquefois, sur les clichés, d’autres objets, invisibles dans les plus grands instruments : telle est la nouvelle nébuleuse des Pléiades, citée plus haut.

La séparation des étoiles doubles et multiples se trouvera ainsi grandement simplifiée, à l’avenir.

De belles images des principales planètes et des satellites furent obtenues ; plusieurs épreuves laissaient voir des étoiles inconnues jusqu’ici.

La nébuleuse d’Orion montra très nettement ses plus faibles détails.

C’était donc là un nouveau et immense champ d’études ouvert à l’activité des astronomes. Tout observateur pourra désormais, profitant d’une belle soirée, recueillir avec un appareil photographique convenable deux ou trois clichés, contenant chacun plusieurs milliers d’astres d’une pureté de définition irréprochable et d’une exactitude absolue de position, et ces clichés, transportés dans son cabinet de travail, lui procureront plusieurs mois de recherches fructueuses, à l’aide d’un simple microscope muni d’une vis micrométrique.

Ajoutons que cette étude se fera avec bien plus de facilité et moins de fatigue qu’avec ces lunettes de dimensions exceptionnelles, qu’on construit aujourd’hui, à grands frais, dans divers Observatoires, sans qu’on soit encore assuré qu’elles auront une supériorité bien sensible sur les instruments de moyenne dimension actuellement en usage, et qui, d’ailleurs, ne peuvent être utilement employés que par de belles nuits, assez rares sous le ciel de Paris.

Fig. 65. — M. l’amiral Mouchez, directeur de l’Observatoire astronomique de Paris.

Un devoir impérieux s’imposait donc aux astronomes : c’était d’entreprendre immédiatement le levé photographique de la carte complète du ciel, pour léguer aux astronomes des siècles futurs l’état du ciel à la fin du dix-neuvième siècle.

M. Mouchez, le savant directeur de l’Observatoire astronomique de Paris, qui a eu la belle pensée de faire procéder au travail dont nous parlons, par le concours général des astronomes de tous pays, expliqua, dans une note présentée, en 1886, à l’Académie des sciences de Paris, comment ce vaste travail, réparti sur tout le globe, entre huit ou dix Observatoires bien situés, pourrait se faire sans grands frais, en quelques années, et permettrait de fixer la position actuelle de vingt ou trente millions d’étoiles.

Quand on songe que c’est au milieu de l’atmosphère si troublée de Paris qu’ont été obtenues les photographies d’étoiles inférieures à la 16e grandeur, il est difficile d’imaginer la quantité prodigieuse d’astres nouveaux qui viendraient se révéler sur les clichés de MM. Henry, si ces astronomes pouvaient établir leurs appareils sous le ciel si pur des tropiques, ou dans des stations aussi favorables que le Pic du Midi, en France. Peut-être obtiendraient-ils alors des étoiles de 18e grandeur. En pénétrant plus profondément dans le ciel qu’on ne l’a fait jusqu’ici, leurs clichés prendraient sans doute, à quelque distance, l’apparence d’une nébulosité continue, comme le ciel lui-même, dans les belles nuits tropicales.

Bien des corps inconnus ayant une marche sensible pendant une heure ou deux de pose, comme les petites planètes, les comètes, la planète trans-neptunienne, si elle existe, ou des satellites encore inconnus, révéleraient leur existence par le tracé de leur route au milieu des étoiles fixes, comme cela a déjà eu lieu pour Pallas.

Le Congrès pour l’exécution de la carte du ciel par les procédés photographiques, s’est réuni à Paris, pour la première fois, au mois d’avril 1887.

Dans la séance de l’Académie des sciences du 18 avril 1887, le président, M. Janssen, annonçait la présence de nombreux astronomes de divers pays, venus à Paris pour ce congrès.

« Au nom de l’Académie, dit M. Janssen, je souhaite la bienvenue aux savants qui sont venus pour assister au Congrès qui doit fixer les conditions dans lesquelles doit s’effectuer la photographie de tout le ciel. On se rappelle qu’à propos des beaux travaux des frères Henry, concernant la reproduction du ciel étoilé, on décida d’exécuter une photographie complète de tous les astres qui parsèment le firmament, avec le concours des observateurs de tous les pays. D’après le désir de M. Mouchez, directeur de l’Observatoire de Paris, l’Académie s’est chargée de faire les invitations. Elle a la satisfaction de remercier les astronomes qui ont bien voulu venir coopérer à l’œuvre scientifique qui doit donner l’état exact de la voûte céleste à la fin du dix-neuvième siècle. Soixante membres étrangers font partie de ce Congrès, qui sera présidé par M. Struve, directeur de l’observatoire de Pulkova. Deux séances ont déjà été tenues ; les questions se succèdent rapidement ; on a déjà arrêté les grandeurs des étoiles qui seront photographiées, ainsi que le genre des instruments à employer. »

Les réunions eurent lieu à l’Observatoire, du 16 au 25 avril 1887. On comptait 56 astronomes, appartenant à seize nations différentes.

Sans entrer dans le détail des travaux présentés par les membres de cet important aréopage scientifique, nous rapporterons les conclusions votées par le Congrès. Ce sont les suivantes :

1o Les progrès réalisés dans la photographie astronomique rendent absolument nécessaire que les astronomes du siècle actuel entreprennent, d’un commun accord, la reproduction photographique du ciel.

2o Cette œuvre sera entreprise à certaines stations, qu’il faudra choisir, et à l’aide d’instruments, identiques dans leurs parties essentielles.

3o Le principal but qu’on doit chercher à réaliser est la représentation de l’état général du ciel à l’époque actuelle.

4o On adoptera pour la photographie un instrument réfractant, c’est-à-dire en combinant des lentilles pour projeter l’image sur la plaque sensibilisée par le gélatino-bromure.

5o On choisira, parmi les étoiles à photographier, les étoiles de quatorzième grandeur comme limite extrême : ce qui implique un temps de pose nettement déterminé.

La carte du ciel renfermera environ 20 millions d’étoiles, qui seront reproduites sur les clichés photographiques après une pose de 15 minutes. À côté des clichés destinés à la construction de la carte, il sera fait des clichés pour lesquels la durée de pose sera réduite à 3 minutes environ, et sur lesquels on trouvera toutes les étoiles jusqu’à la onzième grandeur.

Cette carte céleste comprendra 1 800 ou 2 000 feuilles, qui représenteront les 42 000 degrés carrés compris dans la surface sphérique formant la voûte céleste.

Dans sa dernière séance, le Congrès a élu les membres du Comité permanent d’exécution, lequel a constitué un bureau de neuf membres (M. Mouchez, président}, pour exécuter les expériences et les études arrêtées par le Congrès et pour activer les préparatifs d’exécution.

Dans une séance suivante du même mois, M. Mouchez offrait à l’Académie le résultat des premiers travaux photographiques exécutés par MM. Paul et Prosper Henry, pour l’exécution de la carte du ciel.

« MM. Paul et Prosper Henry viennent, dit M. Mouchez, de donner ainsi aux astronomes la possibilité de faire facilement, en quelques années et à l’aide du concours d’une dizaine d’observatoires répartis sur la surface du globe, la carte complète de la voûte céleste, comprenant non seulement les 5 000 à 6 000 astres visibles à l’œil nu, mais aussi les millions d’étoiles, jusqu’aux plus faibles, visibles seulement avec les plus puissants instruments. »

M. Mouchez donne ensuite la liste des principaux catalogues d’étoiles, et le programme provisoire des questions à résoudre pour atteindre le but proposé.

Six magnifiques planches sont annexées à ce travail. La lune, l’amas des Gémeaux, celui d’Hercule, Jupiter, Saturne, sont figurés, d’après les photographies obtenues à l’Observatoire de Paris.

Un Bulletin spécial du comité d’exécution de la carte du ciel a commencé de paraître en 1888. M. l’amiral Mouchez, en présentant à l’Académie le premier numéro de ce Bulletin, annonçait que les expériences et les études préparatoires étaient activement poursuivies par les savants des divers pays qui s’en sont chargés, à la suite du Congrès de 1887.

M. le docteur D. Gill, directeur de l’Observatoire du Cap de Bonne-Espérance, envoyait un mémoire sur la meilleure méthode de montage des plaques photographiques. M. le docteur Vogel, de Potsdam, avait fait d’excellents réseaux de repère ; il avait également à peu près terminé l’étude de la déformation de la couche sensible.

M. le docteur Scheiner avait constaté que la durée de pose des photographies stellaires semble être sans influence sur l’exactitude des positions des étoiles.

Fig. 66. — M. Janssen.

Disons, en terminant ce chapitre, qu’un astronome des États-Unis a publié, en 1888, une notice dans laquelle il prétend que la photographie astronomique est une science exclusivement américaine. C’est se montrer bien injuste ou tout à fait ignorant des travaux exécutés en Angleterre et en France, les seuls pays qui aient le droit de réclamer l’invention de la photographie astronomique. Il y a un demi-siècle que les physiciens français s’occupent de cette question, et aujourd’hui la France est à la tête de l’imposant mouvement qui va permettre de faire l’application la plus grandiose de la photographie à la construction de la carte du ciel de la fin du dix-neuvième siècle.

La carte dont le Congrès astronomique de Paris a tracé le programme sera certainement, aux yeux des astronomes de l’avenir, le monument scientifique le plus considérable et le plus fécond en découvertes que les siècles passés leur auront légué.


CHAPITRE XI

applications de la photographie aux arts de la typographie et de la gravure. — le procédé gillot et la photogravure directe.

Dans les Merveilles de la Science[5] nous avons exposé les débuts de l’art de la gravure photographique, et décrit les procédés primitivement créés par Poitevin, Garnier, Nègre, Baldus, etc. Ces procédés consistaient à appliquer la gélatine bichromatée à la formation d’un négatif photographique, en ménageant sur la planche métallique un grain, analogue à celui de la gravure en taille-douce. Nous avons dit qu’en 1867 Garnier obtint, de la Société d’encouragement, le prix fondé par M. de Luynes, pour la meilleure application de la photographie à la typographie et à la gravure.

Depuis l’année 1867, qui vit ainsi couronner les premiers essais de la gravure photographique, une foule de recherches ont été entreprises, pour perfectionner ces procédés et en étendre la sphère, ou pour les introduire dans les usages de l’imprimerie. Ce serait une tâche beaucoup trop longue que de raconter toutes les tentatives faites depuis 1867 jusqu’à ce jour, dans cette direction. Négligeant toutes les phases qu’a pu traverser l’art qui nous occupe, nous nous attacherons à décrire son état présent, et les procédés qui sont aujourd’hui acquis à la pratique industrielle.

Disons, pour commencer, que l’art de l’imprimerie fait aujourd’hui un emploi très étendu de la photographie appliquée à produire des clichés en relief, soit en zinc soit en cuivre. Aujourd’hui, les livres de science, d’art ou d’industrie, sont remplis de gravures, qui viennent éclairer et compléter les descriptions de l’auteur. Les ouvrages de pure imagination ont même recours aux illustrations : le récit a bien plus d’attrait quand un dessinateur de talent vient, presque à chaque page, mettre, pour ainsi dire, le sujet du récit sous nos yeux. À quelles dépenses n’auraient pas entraîné ce déluge d’illustrations, s’il eût fallu employer, comme autrefois, la gravure sur bois, qui demande un artiste pour dessiner sur le bois, puis un graveur pour tailler ce bois, et traduire, sans la dénaturer, l’œuvre du dessinateur ! La gravure par la photographie a permis de supprimer le plus souvent les deux intermédiaires entre la création et l’exécution de l’œuvre, c’est-à-dire le graveur sur bois, et quelquefois même le dessinateur lui-même.

Arrêtons-nous ici, pour faire une remarque rétrospective historique.

On sait que le but primitif du créateur de la photographie, Nicéphore Niepce, c’était précisément de produire des gravures par l’action de la lumière, au moyen de la chambre obscure et d’un agent chimique. L’agent chimique auquel Nicéphore Niepce avait recours était le bitume de Judée. Or, c’est précisément le bitume de Judée qui sert aujourd’hui de matière sensible pour produire les clichés en relief par les procédés photographiques.

Sans insister davantage sur ce rapprochement historique, nous dirons que les moyens d’obtenir des clichés en relief applicables à la typographie, c’est-à-dire donnant des dessins, que l’on tire en typographie en même temps que les pages de texte, ce qui procure une économie considérable, peuvent être réduits à deux :

1o La production d’un cliché en relief en zinc, qui rend avec une fidélité rigoureuse le dessin tracé par l’artiste.

2o La production d’un cliché en relief en cuivre, qui rend très fidèlement une vue photographique quelconque, paysage, portrait, monument, etc., sans aucune intervention du dessinateur.

Le premier de ces procédés s’appelle gillotage, du nom de l’inventeur, Gillot ; le second porte le nom de photogravure directe.

Tels sont les deux procédés qui servent à donner les clichés en relief, applicables aux tirages typographiques. Nous allons décrire l’un et l’autre, dans ce chapitre. Quant aux lithographies et gravures en creux, obtenues par la photographie, nous en ferons l’objet d’un chapitre particulier.

procédé gillot.

C’est à un graveur de Paris, François Gillot, mort en 1875, après avoir consacré sa vie à cette invention, que l’on doit la découverte et les perfectionnements de la remarquable méthode qui sert à transformer le dessin d’un artiste en un cliché de zinc, devant suffire à un tirage énorme, par la presse typographique.

Fig. 67. — François Gillot.

Cette méthode a été désignée longtemps sous le nom simple de procédé, qui impliquait une certaine défaveur. Aujourd’hui, ce nom n’est plus synonyme d’un art inférieur ; il a pris un rang honorable dans les arts, il est recherché dans la typographie, pour l’illustration des livres, comme le plus utile et le plus économique auxiliaire.

Voici les diverses opérations du procédé Gillot, que l’inventeur désignait sous le nom de paniconographie, mot rébarbatif, justement oublié aujourd’hui. Il vaut mieux employer le terme gillotage, qui a l’avantage de rappeler le nom de l’inventeur.

Le dessin à reproduire en cliché de zinc, pour le tirage typographique, est exécuté à la plume par l’artiste, sur un papier-carton, qui est remis à l’opérateur.

On remarquera les avantages d’un tel moyen, en ce qui concerne l’artiste. Il n’a pas à se préoccuper des côtés pratiques de l’impression, ce qui pourrait le gêner dans son inspiration. Il dessine, comme à l’ordinaire, sur du papier ; l’opérateur se charge de fixer son œuvre à jamais, tout en la respectant d’une façon intégrale. Si bien qu’après avoir servi à fabriquer un cliché pour l’imprimeur typographe, on peut rendre à l’artiste son dessin, qui n’a été mis à contribution que pour en faire une photographie. On sait, au contraire, que dans la gravure sur bois, le dessin est à jamais détruit par le graveur. S’il sert à faire des reports, des transports, des décalques, il est détérioré ou perdu. Ici, il est conservé sans altération. Un dessin de prix peut être emprunté à un Musée, et lui être ensuite rendu, quand il a servi à faire un cliché. Il n’est pas même toujours nécessaire d’emporter l’original à l’atelier. On peut apporter au musée ou dans la collection publique la chambre obscure, prendre la photographie du tableau ou de la gravure, et la replacer dans la vitrine. C’est là un avantage très appréciable.

Le dessin tracé à la plume par l’artiste, sur le papier, doit donc être photographié. On le réduit ordinairement au quart ou au tiers de ses dimensions, selon le format de l’ouvrage où il doit entrer.

L’épreuve négative est prise sur une glace collodionnée.

Il faut seulement ajouter que les glaces collodionnées que l’on trouve dans le commerce ne répondraient pas à l’opération qu’il s’agit d’exécuter. L’image obtenue sur glace collodionnée doit, en effet, être détachée du verre, sous forme de pellicule. Pour faciliter le détachage de la pellicule, on a le soin, avant d’étendre la couche de collodion sur la glace, de déposer sur cette glace une légère couche de caoutchouc dissous dans la benzine. Cette couche rendra facile la séparation de la pellicule.

L’épreuve photographique obtenue sur la glace collodionnée est détachée sans peine de la glace, en coupant ses quatre bords et la tirant légèrement. On a ainsi une pellicule collodionnée reproduisant, en négatif, le dessin de l’artiste.

On prend alors une plaque de zinc bien polie, que l’on recouvre d’une couche de bitume de Judée dissous dans la benzine.

On sait que le bitume de Judée a la propriété d’être influencé par la lumière, de telle sorte qu’il devient insoluble dans l’essence de térébenthine, tandis qu’il est parfaitement soluble dans cette essence, quand la lumière ne l’a pas touché.

Cette propriété, découverte par Nicéphore Niepce, et qui fut mise à profit par lui pour créer les premières photographies, est la base du procédé Gillot. En effet, sur la lame de zinc recouverte d’une couche de bitume de Judée, on applique la pellicule de collodion contenant l’image négative, et en serrant dans un châssis la pellicule et la plaque de zinc, on expose le tout à la lumière solaire ou diffuse. Les parties transparentes du cliché laissent passer la lumière, qui va modifier chimiquement le bitume de Judée, de manière à le rendre insoluble dans l’essence de térébenthine. Dès lors, si, au bout d’un temps suffisant d’exposition à la lumière, on retire la plaque de zinc, et qu’on la place dans un bassin plat contenant de l’essence de térébenthine, on fixe l’épreuve, c’est-à-dire que l’essence dissout les parties de bitume de Judée non influencées par la lumière, en formant les ombres, et laisse à la surface de la plaque les parties modifiées, c’est-à-dire les clairs.

On a ainsi une plaque de zinc contenant la reproduction de la photographie, et par conséquent du dessin de l’artiste, et dans laquelle les noirs et les clairs, ainsi que les demi-teintes, répondent exactement à ceux du modèle.

Le zinc étant attaquable par les acides, si l’on place la plaque dans un vase contenant de l’acide nitrique étendu d’eau, le même dont on fait usage pour les gravures sur acier ou sur cuivre, l’acide dissout et creuse le métal, dans les portions non défendues par le bitume de Judée qui forme le dessin ; et si, enfin, on se débarrasse du bitume qui a défendu le métal de l’attaque de l’acide, on a une véritable planche de gravure, sur laquelle des traits en relief reproduisent le dessin primitif.

Il n’y a donc plus qu’à passer sur la plaque un rouleau d’encre, et à tirer une épreuve. On a l’image exacte du dessin primitif reproduit, en faible relief, sur une planche de zinc.

En cet état la plaque de zinc pourrait suffire au tirage d’un petit nombre d’épreuves ; et si on le tirait à la presse des lithographes, on aurait des épreuves convenables. C’est ce que l’on fait quelquefois, d’ailleurs, et l’on appelle ce genre d’épreuves des photolithographies.

Mais on ne se propose pas, dans le procédé qui nous occupe, de produire une simple planche pour les lithographes. Il faut donner au dessin un relief considérable, pour qu’il puisse être tiré à la presse des typographes.

L’invention propre de Gillot consiste à avoir trouvé le moyen de creuser profondément la planche de zinc, de manière à lui donner un relief suffisant pour le tirage typographique. Pour cela, on passe sur la planche un rouleau d’encre, et on la met dans un vase contenant de l’acide nitrique, plus concentré que celui qui a servi à la première morsure. On obtient ainsi un relief plus fort. En continuant la même opération un nombre suffisant de fois, on arrive à donner à la planche de zinc gravée un relief très considérable, qui permet le tirage en typographie.

Fig. 68. — Bassin automatique, pour la morsure des plaques par l’acide nitrique.

Dans les ateliers, pour faire agir sur la plaque de métal l’acide nitrique étendu d’eau, on se sert d’un bassin animé d’un mouvement lent et continuel, pour renouveler constamment la surface du contact de l’acide et du métal. La figure ci-dessus montre cet appareil, qui se compose d’un bassin AB, contenant l’acide étendu d’eau, qui reçoit un mouvement continuel de droite à gauche au moyen de la tige T, en rapport elle-même avec l’arbre moteur de l’atelier.

Quand le métal a été attaqué à la profondeur désirée, il ne reste plus qu’à faire le tirage au rouleau des lithographes, ainsi que le montre la figure 69.

Fig. 69. — Tirage d’une épreuve de photogravure à la presse lithographique.

La partie essentielle du procédé Gillot, c’est-à-dire la morsure progressive du cliché de zinc par l’acide azotique, a été exposée avec beaucoup de soin par M. L. Davanne, dans un rapport présenté à la Société d’encouragement, et inséré dans le numéro d’août 1883 du Bulletin de cette société. Nous citerons textuellement cette partie du travail du savant écrivain, en raison du nombre des détails qu’il nous donne sur une opération délicate et peu connue.

Sur une planche de zinc de 3 millimètres d’épaisseur, préalablement planée, bien décapée et dont la surface est convenablement préparée, polie ou graissée, suivant les sujets, on obtient, dit M. L. Davanne, l’image à graver avec une substance, encre, bitume ou vernis, formant réserve ; cette image a été produite directement par la photographie. La planche est alors couverte sur le dos, sur les tranches et sur les grands espaces blancs, avec une matière isolante quelconque, qui empêchera l’acide de mordre inutilement ces parties. Les marges et les espaces ainsi ménagés serviront, dans le courant du travail, à soutenir le rouleau encreur et l’empêcheront de plonger dans les creux qu’il ne doit pas atteindre ; ces parties seront ensuite enlevées à la scie à découper.

La planche est alors prête pour la morsure.

L’examen des difficultés à résoudre pour obtenir une bonne gravure nous aidera à mieux comprendre l’ensemble du travail.

Il faut empêcher que l’acide, par le fait de saturation par le zinc et de la densité qui en résulte, ne stationne, à l’état de nitrate de zinc inactif, dans les parties creusées, laissant l’action de l’acide libre se porter vers la surface, miner en dessous les traits du dessin et leur ôter toute solidité.

Ces creux doivent être assez profonds pour ne pas s’empâter rapidement au tirage par l’encre d’impression. Il est nécessaire, pour obtenir la résistance convenable, la solidité dans les traits, d’empêcher l’acide d’amincir trop les cloisons qui les supportent ; il faut au contraire les renforcer à la base en donnant aux creux la forme de V, tandis que la base du plein s’élargira en forme d’A.

La profondeur doit être assez considérable dans les grands blancs pour empêcher le rouleau de plonger, sans quoi ils seraient salis ; mais lorsque les traits sont rapprochés cette crainte n’existe plus ; une profondeur inutile entre des parois très minces pourrait les affaiblir ; or, par le fait seul du procédé employé, l’attaque par l’acide ne continue qu’en proportion de la largeur des espaces à creuser.

Ces résultats sont obtenus régulièrement par les mises en œuvre suivantes :

La planche préparée, portant le dessin, est encrée avec une encre grasse contenant un peu de cire et placée dans une cuve avec de l’eau acidulée qui mord légèrement le métal ; cette cuve est montée en bascule, un levier actionné par un moteur à vapeur la maintient en mouvement, l’eau va et vient sur toute la surface, lavant continuellement les parties non réservées contre son action ; il ne se produit donc pas de saturation locale, et le liquide incessamment renouvelé mord les fonds aussi bien que les parois, qui ne tarderaient pas à être minées, si on prolongeait trop longtemps la morsure. C’est pour cela que cette première attaque est faite avec le plus grand soin, c’est d’elle que dépend la finesse de l’épreuve : on emploie l’acide azotique à un état de dilution tel qu’il est peu sensible au goût, un ou deux centimètres cubes par litre d’eau. L’acidité est maintenue par la petite quantité d’acide à 36°, qu’un flacon à robinet verse goutte à goutte dans la bassine.

Après un quart d’heure environ, la planche est retirée ; le creux est à peine sensible à l’ongle, il faut, en le continuant, protéger les parois verticales et ne creuser que le fond ; pour cela on éponge, on sèche la planche, on la met sur une table de fonte chauffée régulièrement par la vapeur du moteur ; l’encre grasse qui couvre les traits se liquéfie légèrement, elle déborde et descend le long de la paroi qu’elle protège ; à ce moment on retire la plaque qu’on laisse refroidir, puis on l’encre de nouveau ; on la couvre ensuite en plein avec de la résine en poudre impalpable qui s’attache seulement sur les parties encrées, l’eau du nouveau bain enlèvera tout l’excédent ; on la remet dans la cuve avec un acide un peu plus fort et on recommence l’ensemble de ces opérations huit, dix ou douze fois. En procédant ainsi, l’encre qui déborde et descend le long des parois empiète de plus en plus sur la base du creux et, si les traits sont rapprochés, les deux coulées d’encre protectrice se rejoignent par le pied d’autant plus vite que l’écart est moins grand. Ainsi les morsures se trouvent arrêtées successivement et les creux sont d’autant plus profonds que les traits sont plus éloignés.

Il est facile de suivre la marche de la gravure et des réserves faites par l’encre ; à mesure que celle-ci remplit complètement les creux, les finesses du dessin s’empâtent, et à la fin de l’opération la surface présente un placard entièrement noir.


À chaque morsure nouvelle, on augmente l’acidité du bain, et quand les larges parties restent seules exposées à l’attaque, on peut employer l’acide à 6° B. À cet état, la plaque de zinc retirée du bain, lavée, essuyée, est traitée par la benzine, puis par la potasse, pour éliminer tous corps gras. On peut voir alors que les parois ne présentent pas un plan incliné, mais une série de talus ou bourrelets correspondant à la série des morsures. Ces renflements pourraient prendre l’encre d’impression et altérer la pureté des lignes et des blancs ; il faut les faire disparaître par une opération analogue à la première, mais menée rapidement en sens inverse. À cet effet, la plaque bien nettoyée et chauffée sur la table de fonte est encrée à chaud, avec un rouleau dur et lisse, au moyen d’une encre composée par moitié avec l’encre d’imprimerie et moitié avec un mélange à parties égales de résine et de cire jaune. Cette encre, qui ne peut être employée qu’à chaud, descend sur les parois latérales ; on arrête quand elle est arrivée à moitié de la profondeur, on refroidit la plaque, on renouvelle un encrage à froid, pour bien couvrir toute la surface, on chauffe de nouveau, pour glacer l’encre et n’avoir aucun point qui ne soit protégé, on porte à la cuve avec de l’acide à 5° B. qui ronge rapidement les talus et creuse encore plus profondément. On recommence l’opération entière, en ménageant l’encrage, de manière à pouvoir enlever les talus supérieurs ; On termine en préservant seulement la surface et en faisant sur toutes les parois une morsure très légère, qui fait disparaître les dernières traces de bourrelets.

La gravure est alors terminée, il ne reste qu’à enlever à la scie toutes les larges parties qui, en le maintenant, facilitaient l’action régulière du rouleau encreur ; on contourne également à la scie la forme générale, et on monte la plaque gravée sur les bois d’épaisseur.

Ces opérations sont menées rapidement, dans un vaste atelier, largement aéré pour éliminer les gaz nitreux résultant de l’attaque des zincs. Des séries de grandes cuves contenant les liquides acides reçoivent les planches à graver ; deux machines, l’une à gaz de la force de 4 chevaux, l’autre à vapeur, de la force de 6 chevaux, servent à mettre en mouvement les cuves, les outils à scier et découper, ainsi qu’une machine Gramme pour opérer à la lumière électrique, quand il est nécessaire.

On voit que la pose, pour obtenir les épreuves photographiques, joue un grand rôle dans le gillotage. C’est pour cela que Gillot a donné à l’installation de l’atelier photographique un soin tout particulier. Il a fait construire des modèles spéciaux de chambre obscure et d’appareils d’éclairage.

Fig. 70. — Atelier et chambre obscure de Gillot.

Un appareil pour ce genre de photographies renferme trois chambres obscures. La figure 70 représente un modèle de ces chambres. La partie A, qui correspond à la glace dépolie et qui reçoit la surface sensible, est fixe ; la partie B est mobile, c’est celle qui porte l’objectif. Elle est reliée par un écrou à une longue et forte vis qui est fixée sur le pied D, et qui la fait avancer et reculer sur les règles métalliques RR, qui empêchent toute déviation de parallélisme entre les deux parties A et B. L’une de ces règles est divisée en millimètres ; un vernier permet d’opérer le déplacement de l’objectif à un dixième de millimètre près. Les deux pièces A et B sont assemblées perpendiculairement sur le pied.

Chaque appareil complet repose sur quatre galets et se meut, en arrière et en avant, sur des rails fixes ; une division en centimètres avec vernier donne, à un millimètre près, la distance entre la surface sensible placée en A et le châssis C portant les sujets à reproduire.

D’autre part, les chevalets sont formés d’un pied en fonte et d’un châssis ; ils ne peuvent avoir aucun mouvement en avant ou en arrière, ils ont seulement un déplacement latéral sur deux petits rails perpendiculaires aux premiers ; le châssis en fer est fermé par une forte glace GG ; il est mobile autour de deux tourillons T, et il prend à volonté la position horizontale, pour y enfermer, rangées les unes près des autres, les diverses pièces à copier, et la position verticale parallèle à la chambre noire ; un engrenage et un contre-poids, P, rendent facile la manœuvre de ce châssis sur son pied, malgré son poids considérable.

Le déplacement en hauteur donné par l’engrenage et le déplacement latéral sur les rails permettent d’amener dans l’axe de l’objectif les divers sujets à copier, tout en laissant fixes la distance de l’objectif et le parallélisme des appareils.

« Avec cette disposition, dit M. Davanne, dans le rapport déjà cité, on n’a plus à rechercher la mise au point rigoureuse, qui est toujours si longue et si délicate à arrêter lorsqu’on la fait directement sur la glace dépolie ; des calculs exacts ont déterminé la longueur focale vraie de chaque objectif, on en a déduit pour les réductions (et les agrandissements, s’il y avait lieu) la distance qui doit séparer l’objectif et la surface sensible, puis la distance de celle-ci au modèle ; un tableau placé sur le mur en face de chaque appareil donne ces calculs tout faits. Sauf les cas forcés de copie au dehors, le modèle apporté est mis au châssis ; on règle le tirage de la chambre et son écart du modèle d’après les chiffres correspondants au tableau pour la proportion demandée, et on peut opérer avec une sécurité et une rapidité que ne donneraient pas les tâtonnements de la mise au point sur la glace dépolie. »

Tel est, dans son ensemble et dans les détails pratiques, le procédé Gillot, qui rend aujourd’hui de si grands services et qui trouve tant d’emplois aujourd’hui dans les publications illustrées et les ouvrages d’enseignement. Nous donnons, dans la figure 71, un spécimen de ce genre de gravure photographico-typographique.

Fig. 71. — Spécimen d’une gravure par le procédé Gillot.
photogravure directe.

Le gillotage, c’est-à-dire la transformation en un cliché de zinc en relief, du dessin fourni par un artiste, est déjà une industrie d’une grande importance ; mais la photogravure directe, qui donne une gravure en relief (en cuivre) au moyen d’une simple photographie, sans le concours d’aucun dessinateur, serait d’une importance industrielle plus grande encore, si elle était aussi sûre dans ses résultats. Dans le gillotage on supprime le travail du graveur sur bois, en opérant sur le dessin de l’artiste ; avec la photo-gravure directe, on supprime, tout à la fois, le travail du graveur sur bois et celui du dessinateur. Tout se fait automatiquement, par des moyens mécaniques ou chimiques.

On comprend toute l’économie et la simplification qui résulteraient de cette dernière méthode. Malheureusement, la photogravure directe est beaucoup moins avancée que le gillotage, et ses produits sont inférieurs en netteté à ceux du procédé Gillot.

En quoi consiste la photogravure directe ? Quels sont ses agents, ses moyens opératoires ?

La photogravure directe s’exécute au moyen du procédé Gillot, convenablement modifié. Les opérations sont à peu près les mêmes ; seulement, il faut se préoccuper ici de donner à la gravure le grain, qui la constitue essentiellement. Dans le gillotage, l’artiste, en exécutant son dessin, trace lui-même, à la plume, les tailles qui doivent composer la gravure : avec de l’habitude et une étude spéciale, il arrive à tracer son dessin avec les traits convenables pour simuler les tailles de la gravure. Mais quand on opère sur une simple photographie, on n’a plus cette ressource ; la photographie transformée en gravure ne donnerait que les teintes plates qui lui sont propres. Il faut donc ici, tout à la fois, produire une gravure en relief, et créer un grain de gravure, artificiel, pour ainsi dire.

On vend aujourd’hui dans le commerce des papiers gaufrés, quadrillés, grainés, etc., dont les graveurs-photographes se servent, et sur lesquels ils tirent les négatifs à pourvoir d’un grain. Cependant la plupart des opérateurs préfèrent obtenir eux-mêmes le grain de leur papier. Pour cela, ils ont recours aux différents moyens qui sont en usage depuis longtemps dans les ateliers des graveurs en taille-douce.

On sait que le grain d’une gravure s’obtient, généralement, par le procédé dit à la résine. On enferme dans une armoire bien close la planche de cuivre ou d’acier à pourvoir d’un grain ; puis on projette, grâce à une manivelle que l’on tourne de l’extérieur, un nuage de résine en poudre. La résine, en tombant sur la surface métallique, y forme une couche grise. La plaque retirée de l’armoire, ainsi recouverte de vernis par petites places, est traitée par l’acide azotique. Les grains de vernis résultant des petits espaces non attaqués par l’acide constitueront, au tirage, les grains de la gravure.

Le procédé à la résine est souvent employé par les graveurs-photographes pour remplacer les papiers quadrillés, gaufrés, etc.

Quoi qu’il en soit des moyens permettant de donner le grain aux plaques métalliques, la photogravure directe s’exécute, comme nous l’avons dit, par les diverses opérations décrites ci-dessus à propos du gillotage, mais en opérant sur une lame de cuivre. Le gillotage donne un relief de zinc, la photogravure directe un relief de cuivre.

Différents opérateurs en France, mais surtout en Allemagne, exécutent d’assez bonnes gravures pour l’usage de la typographie, par la photogravure directe. Seulement, ils tiennent, presque tous, leurs procédés secrets, bien qu’ils soient décrits tout au long dans leurs brevets d’invention. C’est que la réussite de l’opération ne dépend pas exclusivement de la mise en pratique des procédés décrits dans les brevets, mais bien des tours de main particuliers, dont chaque graveur se réserve l’usage, et qu’il n’a garde de divulguer.

M. Ch. Petit, M. Gillot fils, M. Michelet, produisent, à Paris, de bonnes gravures par ce moyen. Nous mettons sous les yeux de nos lecteurs (fig. 72) un spécimen de photogravure directe obtenu par M. Ch. Petit.

Fig. 72. — Spécimen de photogravure directe exécuté par M. Ch. Petit, graveur à Paris.

Il serait à désirer que la photogravure directe pût devenir d’un usage courant dans l’imprimerie comme l’est aujourd’hui le gillotage. Obtenir directement, sous forme de gravure, au moyen de la photographie, les vues de la nature, les portraits, les monuments, etc., c’est le desideratum de la photographie, qui, en reproduisant mécaniquement, sans l’intervention du dessinateur ni du graveur, les spectacles de la nature, aurait atteint les dernières limites de l’art.


CHAPITRE XII

la photolithographie, la photoglyptie et la gravure photographique en creux.

Nous avons fait un groupe distinct des applications de la photographie à la lithographie et à la gravure en creux ( taille-douce), dans le but de simplifier l’exposé général de la question de la gravure photographique, assez complexe, et que l’on trouve traitée avec beaucoup de confusion dans les ouvrages scientifiques. En effet, d’une part, la gravure typographique (gillotage et photogravure directe) est maintenant d’une importance industrielle considérable, tandis que la photolithographie et la gravure photographique en creux ne trouvent que de rares débouchés. Aujourd’hui, la plupart des ouvrages de science et d’art se remplissent de gravures dérivant de la photographie et s’imprimant avec le texte, tandis que les lithographies et gravures, qu’il faut tirer à part, et qui, dès lors, reviennent à un prix élevé, ne se voient que très rarement dans les publications, et ne servent qu’à des besoins vraiment artistiques.

Nous ne pouvons cependant nous dispenser de traiter ici rapidement de la photolithographie et de la gravure photographique en creux (ou taille-douce), en rattachant à ce dernier genre la photoglyptie.

photolithographie.

On peut obtenir des épreuves de photographie tirées à la presse lithographique, de deux manières :

1o En pratiquant la première des opérations du gillotage telles que nous les avons décrites (pages 53-58), c’est-à-dire en obtenant sur le zinc, recouvert de l’épreuve photographique positive, une impression en très léger relief, au moyen d’une faible morsure par l’acide azotique. On a ainsi une planche de zinc contenant le dessin. Si l’on passe à sa surface le rouleau d’encre grasse, et que l’on tire à la presse lithographique, on a, comme nous l’avons dit pages 54-55, une assez bonne lithographie.

Ici le zinc remplace la pierre lithographique. Mais on sait qu’en lithographie (en dépit de son nom : lithos, pierre) le zinc sert souvent à recevoir le dessin et à fournir la planche pour le tirage : c’est, alors, la zincographie, simple variante de la lithographie.

En résumé, obtenir, par le gillotage, une planche de zinc en relief contenant le dessin à tirer en lithographie, et tirer à la presse des lithographes, voilà une première ressource de la litho-photographie.

Mais ce procédé ne pouvant fournir qu’un petit nombre d’épreuves, on pratique généralement la litho-photographie par une tout autre voie.

Le procédé consiste dans l’emploi de la gélatine bichromatée, c’est-à-dire le vieux moyen photogénique découvert par Poitevin, et qui a reçu tant d’applications différentes. On opère comme il suit :

On prend une pierre lithographique, et on la recouvre d’une couche de gélatine bichromatée. Sur cette couche, on place l’épreuve photographique négative, que l’on veut imprimer lithographiquement, et l’on expose la pierre au soleil. La lumière qui traverse les parties claires rend insoluble dans l’eau la gélatine, qu’elle a touchée, tandis que la gélatine des parties noires, qui n’a pas reçu de lumière, reste soluble. Donc, si après un temps suffisant d’exposition lumineuse on lave la pierre à l’eau chaude, la gélatine non impressionnée se dissout, et la pierre reste recouverte de gélatine insoluble. Or, cette gélatine insoluble a la propriété de retenir l’encre d’impression lithographique, tandis que le rouleau ne laisse pas d’encre sur les parties de la pierre non gélatinisées. Au tirage, on obtient donc des lithographies.

La presse qui sert à obtenir les photolithographies se voit dans la figure 73.

Fig. 73. — Presse pour le tirage des photolithographies.

On opère quelquefois autrement. On tire une épreuve photographique négative sur du papier enduit de gélatine bichromatée, on expose à la lumière, et on lave le papier, pour faire disparaître la gélatine non impressionnée. On passe le rouleau chargé de noir lithographique sur ce cliché même. L’encre adhère partout où la gélatine est sèche, par suite de son imperméabilité à l’eau ; tandis qu’elle est repoussée dans les parties humides où la gélatine non impressionnée par la lumière a conservé la propriété d’absorber l’eau. On fait ensuite un report de ce papier sur la pierre lithographique, et on tire à la presse lithographique.

Nous n’avons pas besoin de faire remarquer que ce dernier procédé est préférable ; car le maniement d’une pierre lithographique, toujours si lourde et si encombrante, crée bien des difficultés aux opérateurs.

Ajoutons que l’on n’obtient guère par la photolithographie que des reproductions de simples dessins au trait, et qu’il est bien rare de pouvoir reproduire ainsi des dessins à demi-teintes, c’est-à-dire les véritables œuvres de l’art du dessin.

photoglyptie.

On reproche à la litho-photographie de ne fournir qu’un nombre très limité d’épreuves, la planche étant vite hors de service. C’est pour réaliser les grands tirages d’épreuves de photographie que l’industrie met depuis assez longtemps en pratique une méthode que nous avons longuement décrite dans les Merveilles de la science[6] et qu’il nous suffira de rappeler.

Il s’agit de la photoglyptie, cette curieuse méthode découverte par l’anglais Woodbury.

Le principe de la photoglyptie de Woodbury, c’est qu’un cliché photographique en gélatine, obtenu par le procédé de Poitevin, c’est-à-dire par l’action de la lumière sur le bichromate de potasse, étant soumis à une pression considérable, sous la presse hydraulique, en contact avec un bloc de plomb, imprime sur le métal tous ses creux et reliefs ; et que l’empreinte ainsi formée étant reproduite par la galvanoplastie donne des clichés en creux, qui servent à un très grand tirage.

Voici comment ce procédé est mis en pratique aujourd’hui, dans la maison Goupil, à Paris.

On commence par prendre une épreuve positive de l’objet à reproduire, sur une lame de gélatine bichromatée, en exposant la couche sensible de gélatine sous un négatif ; on développe l’image à l’eau tiède, et l’on a un cliché, sur lequel les reliefs de gélatine représentent les ombres. On place ce cliché de gélatine sur une feuille de plomb, et on le soumet à une forte pression, à l’aide d’une presse ou d’un laminoir ; ce qui permet d’obtenir des planches de grandes dimensions. La gélatine est d’une telle dureté, qu’au lieu de s’écraser sous la presse, elle pénètre dans le plomb, et y laisse son empreinte.

Mais le plomb n’est pas assez dur pour servir au tirage d’une presse typographique. On en fait donc, par la galvanoplastie, un premier moule, au moyen duquel on obtient ensuite autant de copies galvanoplastiques qu’on le désire, et qui sont identiques à la planche de plomb primitive. Ces clichés sont ensuite aciérés, pour les rendre plus résistants, et on les livre à l’impression.

Quand la couche d’acier commence à s’user, on peut en déposer une nouvelle par la galvanoplastie, et les planches peuvent encore servir aux tirages.

Dans la maison Lemercier, à Paris, on emploie le même procédé, avec quelques variantes. On prend, sur une feuille de gélatine bichromatée, une épreuve négative, et après le temps voulu d’exposition à la lumière, on lave la feuille à l’eau chaude, pour développer l’image. On obtient ainsi une planche représentant l’original par des creux ou des reliefs de gélatine d’une délicatesse inouïe. On durcit cette feuille de gélatine, en la plongeant dans une dissolution d’alun, et on la fait sécher. Elle est mise alors sur une plaque d’acier, que l’on recouvre d’un bloc métallique d’alliage d’imprimerie, et l’on comprime le tout, à la presse hydraulique, sous une pression d’environ 1 000 kilogrammes par centimètre carré. Après la pression, la feuille de gélatine, sans être aucunement altérée, a laissé dans le métal son empreinte très fidèle. On a ainsi un moule parfait, que l’on place dans un appareil spécial, la presse photoglyptique ; on recouvre le moule de papier légèrement humide, après l’avoir rempli de gélatine colorée et maintenue liquide par la chaleur, et on presse. Quand on retire la feuille de papier, elle a reçu l’empreinte du dessin, lequel s’est formé par des épaisseurs plus ou moins fortes de gélatine colorée. Les grands creux ont donné les noirs ; les demi-teintes, les demi-creux ; dans les blancs toute la gélatine ayant été chassée par la presse, le papier est à nu et donne les blancs.

Les épreuves photoglyptiques ressemblent aux épreuves ordinaires de la photographie. C’est une manière de tirer à bas prix un grand nombre d’épreuves d’une photographie, sans passer par les opérations ordinaires du tirage des positifs.

La photoglyptie n’est donc pas, à proprement parler, de la gravure photographique. Nous ne l’avons mentionnée ici que parce qu’elle joue un certain rôle dans l’industrie générale de la photographie, particulièrement pour la reproduction des tableaux. Ces reproductions peuvent être obtenues en nombre considérable, ce qui rend ce procédé industriel. En effet, on tire jusqu’à 1 000 épreuves avec un seul moule.

Pour reproduire des tableaux en photographie et en tirer un grand nombre d’épreuves, la photoglyptie offre de très grands avantages. On sait que M. Lemercier a publié de belles collections de photographies de tableaux obtenues par ce moyen, et que l’on doit à M. Goupil et à Ad. Braun, de Munich, plusieurs collections du même genre.

La photoglyptie peut donner des épreuves colorées, en teignant la gélatine avec des substances de couleurs diverses.

gravure photographique en creux.

La transformation des photographies en gravures en creux (taille-douce), qui a beaucoup occupé les industriels, au début de cet art, est aujourd’hui très délaissée.

Il faut dire qu’elle a fait peu de progrès depuis sa création, qui remonte aux premiers temps de la photographie. La difficulté réside toujours dans la production du grain, qui remplace les tailles de la gravure en creux. Garnier, Poitevin, Baldus, Tessié du Motay et Maréchal, Nègre, etc., ont obtenu, dès l’année 1850, de très bonnes gravures en taille-douce par des procédés photographiques. Ils reproduisaient des estampes avec une grande fidélité, et avec l’avantage de pouvoir suffire à de grands tirages.

Les procédés employés à l’origine par ces artistes ont subi de nos jours peu de changements. Nous les avons longuement décrits dans les Merveilles de la science[7]. Il nous suffira de les rappeler.

Le procédé consistait à prendre une planche de cuivre ou d’acier, à la recouvrir de gélatine bichromatée, à impressionner la gélatine, pour avoir un cliché négatif, puis à laver la planche à l’eau chaude, pour développer l’image. Comme nous l’avons dit ci-dessus, on obtient ainsi une impression en creux de la planche. Ensuite on recouvre la plaque métallique de plombagine, et on la porte dans un bain de galvanoplastie, pour obtenir une épreuve de cuivre en creux.

Cependant, les occasions de reproduire des estampes ou d’obtenir des gravures sur acier ou sur cuivre, par les procédés photographiques, se présentent rarement. D’un autre côté, le gillotage et la photo-gravure directe, qui donnent des clichés en creux ou en relief, propres à la typographie, sont d’un emploi si avantageux, par leur économie et la promptitude de leur exécution, qu’ils ont fait renoncer à la gravure photographique en creux, beaucoup plus difficile et d’un débouché peu étendu. Cette branche de la gravure photographique a donc perdu aujourd’hui presque toute importance ; ce qui nous dispense de nous y arrêter plus longtemps.


CHAPITRE XIII

la photographie en ballon. — résultats obtenus par m. nadar en 1868, par m. dagron en 1878. — l’appareil à déclanchement électrique de m. triboulet. — ascensions en ballon captif et en ballon libre entreprises récemment, pour obtenir des vues aériennes.

C’est M. Nadar père qui, le premier, tenta de prendre en ballon des vues photographiques. Ses expériences eurent lieu en 1868, avec le ballon captif de Giffard, qui se trouvait alors à l’Hippodrome du bois de Boulogne.

En 1878, M. Dagron, le même photographe qui s’est rendu célèbre par l’exécution de ces photographies microscopiques que l’on enfermait dans le chaton d’une bague, ou sur la tête d’une épingle à cravate, et qui rendirent, pendant le siège de Paris, les immenses services que nous avons signalés dans notre Supplément aux Aérostats, exécuta, du haut du ballon captif de Giffard, alors établi dans la cour du palais des Tuileries, des vues aériennes du quartier du Panthéon.

Cependant, on ne possédait alors que le collodion et l’albumine, comme agents photogéniques. La découverte du gélatino-bromure d’argent, agent instantané, vint rendre plus facile ce curieux genre de reproductions de la nature.

C’est un photographe de Paris, M. Triboulet, qui, en 1879, exécuta les premières photographies aériennes irréprochables, grâce à un appareil qui permettait de prendre d’un seul coup l’image de tout le tour de l’horizon, ainsi que les portions de terrain situées au-dessous de la nacelle du ballon.

L’appareil de M. Triboulet se composait de six chambres obscures, disposées en cercle, et placées dans une nacelle percée d’ouvertures, pour donner passage aux objectifs. Une septième chambre noire placée verticalement au centre de la couronne des chambres obscures servait à prendre une vue en plan, tandis que le centre prenait des vues panoramiques. La nacelle photographique était attachée au cercle du ballon, par une suspension à la Cardan, pour lui assurer la position constamment verticale. Un fil électrique, qui se déroulait sur un chevalet, à mesure que le ballon montait, reliait les objectifs des chambres noires à une pile. Un commutateur électrique placé à terre, étant manœuvré par l’opérateur, permettait de découvrir instantanément les obturateurs dans la nacelle de l’aérostat. Le photographe resté à terre, quand il jugeait le ballon captif arrivé à la hauteur suffisante, faisait manœuvrer le commutateur, et découvrait les obturateurs. On pouvait prendre ainsi des vues en plan, en panorama, ou des vues horizontales.

Les épreuves en plan et horizontales réussirent seules.

Cependant il était fort incommode d’avoir à dérouler un fil de cuivre allant de la terre à un ballon captif. On peut affirmer, sans crainte d’être démenti, qu’un tel procédé n’avait rien de pratique.

Après M. Triboulet, beaucoup de photographes ont pris des épreuves de paysages du haut d’un ballon ; mais le ballon était libre. Le photographe s’installait dans la nacelle, et il découvrait l’obturateur à la manière ordinaire, c’est-à-dire avec la poire de caoutchouc, qui produit un déclanchement instantané.

C’est ainsi qu’ont opéré M. Paul Desmarest, à Rouen, en 1880 ; MM. Glaisher, à Boston ; M. Shalbodt, à Londres, en 1883 ; enfin, en 1885, MM. Georget et Renard, ce dernier attaché, comme on le sait, à l’école aérostatique militaire de Meudon, et M. le commandant Fribourg, qui appartient à la même école.

Au mois de juin 1885, M. Gaston Tissandier, accompagné d’un amateur instruit, M. J. Ducom, prit en ballon des vues panoramiques, qui furent présentées à l’Académie des sciences, où elles excitèrent beaucoup de curiosité.

M. Gaston Tissandier s’était placé dans la nacelle d’un ballon captif, et avait disposé une chambre obscure ordinaire sur une planchette mobile, qui pouvait prendre toutes les positions sur l’horizon. Il put ainsi obtenir des vues en panorama, en plan, ou horizontales. L’obturateur était découvert instantanément, par le procédé ordinaire. À des altitudes de 600 à 1 100 mètres, on obtint plusieurs clichés bien réussis.

Cette expédition aérienne eut lieu le 19 juin 1885, dans l’aérostat le Commandant Rivière, cubant 1 000 mètres. M. J. Ducom s’occupait spécialement de la partie photographique de l’expérience, tandis que M. Tissandier prenait soin de l’aérostat ; M. G. Prus, ingénieur des arts et manufactures, les accompagnait.

L’appareil photographique, disposé sur le bord de la nacelle, de manière à pivoter sur son axe et à être fixé verticalement, était une chambre dite de touriste (13 × 18), à soufflet tournant. L’objectif était un rectiligne rapide no 4, de 36 centimètres de foyer. Il fut employé avec un diaphragme de 26 millimètres, son ouverture étant de 36 millimètres. Les photographies furent successivement faites avec un obturateur de M. Français, avec une guillotine à déclanchement pneumatique et à ressort de caoutchouc, tout spécialement construite pour cette expédition. Ce système donne un temps de pose d’un cinquantième de seconde.

L’agent photogénique était le gélatino-bromure d’argent. Le départ eut lieu à 1 heure 40 minutes de l’après-midi, par un vent sud-ouest, la direction étant nord-est.

Dix minutes après l’ascension, une première photographie fut exécutée, à 670 mètres, au-dessus de la rue de Babylone et des magasins du Bon-Marché. L’épreuve obtenue montrait les détails des jardins qui se trouvent dans ce quartier et les rues avoisinantes. Une autre opération fut faite au-dessus du pont Saint-Michel, à une hauteur presque semblable. On distingue nettement sur cette épreuve le pont et le quai Saint-Michel, le quai du Marché-Neuf, l’État-major des pompiers près de la Préfecture de police. On compte quinze voitures de place stationnant sur le quai du Marché-Neuf. On distingue encore les tramways, les passants, et la trace d’une voiture d’arrosage qui a marqué sur l’épreuve une traînée grisâtre.

Au-dessus de l’île Saint-Louis, à 600 mètres d’altitude, l’appareil fournit un cliché d’une netteté parfaite. Ce cliché donne, en plan, le pont Louis-Philippe, le port et le quai de l’Hôtel-de-Ville, la rue du Bellay et la pointe de l’île Saint-Louis. On voit deux bateaux-mouches sur la Seine, ainsi que les établissements de bains froids, de chaque côté du pont. Quand on examine le cliché à la loupe, on découvre les plus petits détails, tels que des rouleaux de corde dans un bateau amarré près de l’établissement de bains froids, des passants arrêtés sur le quai, etc.

Une nouvelle photographie assez remarquable fut obtenue, quelques minutes après, à 800 mètres d’altitude (à 2 heures 8 minutes), au-dessus de la prison de la Roquette. On y voit une partie de cette prison et le groupe des maisons comprises dans le voisinage entre la rue Saint-Maur, la rue Servan, la rue Merlin, avec les entre-croisements formés par les rues Omer-Talon et Duranty. L’établissement du dépôt du Mont-de-Piété s’y voit très nettement.

Au moment de la sortie de Paris, un beau cliché fut obtenu, à 2 heures 12 minutes, au-dessus du réservoir de Ménilmontant (altitude, 820 mètres). On y voit le fossé des fortifications, le boulevard Mortier, la rue Saint-Fargeau, la porte de Ménilmontant ; et la caserne qui se trouve près de Bagnolet.

Deux autres bonnes photographies furent faites hors Paris, à des hauteurs plus considérables, c’est-à-dire de 1 000 à 1 100 mètres. L’une représente les maisons de Lizy-sur-Ourcq (Seine-et-Marne), et l’autre la campagne de Germiny-l’Évêque (Seine-et-Marne), avec des chemins et des constructions.

La descente se fit à 6 heures 30 minutes, aux Rosais, près Rilly, dans les environs de Reims : on avait dépassé l’altitude de 1 900 mètres.

On pourrait facilement avoir dans la nacelle deux appareils photographiques, avec deux opérateurs, qui prendraient une série continue de clichés. Enfin, il ne serait pas impossible d’opérer avec des appareils panoramiques spéciaux, dont les résultats offriraient un intérêt tout particulier pour l’art militaire.

De nouvelles expériences de photographie aérienne ont été faites, en 1886, par M. Paul Nadar, fils du célèbre artiste et photographe de ce nom, pendant une ascension exécutée avec MM. Gaston et Albert Tissandier.

Cette ascension eut lieu le 2 juillet 1886, à 1 heure 20 minutes. La descente s’opéra à 7 heures 10 minutes du soir, à Segré (Maine-et-Loire), après un parcours de 180 kilomètres environ. L’altitude maxima ne dépasse pas 4 700 mètres. Pendant ce voyage, de près de six heures de durée, M. Paul Nadar n’exécuta pas moins de trente photographies instantanées. Parmi celles-ci, il y en a une douzaine de fort belles.

Ces épreuves et leurs agrandissements furent mis sous les yeux de l’Académie des sciences, par M. Mascart. On remarque principalement la vue de Versailles, prise à une hauteur de 800 mètres, celle de la ville de Bellême (Orne), celle de la ville de Saint-Remy (Sarthe).

Plusieurs des vues en perspective ont été obtenues à 1 200 mètres d’altitude. Toutes les glaces au gélatino-bromure d’argent ont été impressionnées à l’aide d’un obturateur donnant un temps de pose de 1/250 de seconde.

En 1885, comme il est dit plus haut, M. Gaston Tissandier avait obtenu des photographies aériennes d’une grande netteté, mais elles ne donnaient que des vues planimétriques, beaucoup plus faciles à réaliser que des vues en perspective. Les nouvelles photographies de M. Paul Nadar sont d’une netteté irréprochable ; elles démontrent toute la perfection des opérations aériennes, auxquelles la topographie et l’art militaire pourront si utilement recourir.

C’est, en effet, à l’art militaire pour les reconnaissances, et à la géographie pour donner l’aspect des régions peu connues ou inaccessibles, que s’appliquera la photographie aérienne, dont nous venons d’enregistrer les débuts.


CHAPITRE XIV

la photographie en voyage. — appareils à l’usage des touristes photographes. — chambre obscure et bagage photographique. — appareils réduits. — les appareils de poche et à main. — faut-il prendre des glaces ou du papier sensible ? — la photographie en vélocipède. — la photographie prise par un cerf-volant. — la photo-fusée.

La pratique de la photographie dans le cours de voyages n’intéressait autrefois que les personnes s’adonnant à des travaux scientifiques ou géographiques, ainsi que les opérateurs chargés de former des collections de vues, de monuments et de sujets, pour les marchands de photographies et de stéréoscopes. On faisait alors usage d’un matériel lourd, embarrassant et d’un transport difficile. Les choses sont bien changées aujourd’hui. La photographie est devenue le plaisir favori de bien des touristes, qui se plaisent à recueillir et à enregistrer les souvenirs de ce qu’ils ont vu en différents pays. La découverte du gélatino-bromure d’argent, pour la production instantanée de l’image, a mis à la portée de tous la photographie en voyage, devenue maintenant une opération très vulgaire, et l’industrie a créé à l’usage des amateurs un matériel nouveau de peu de volume et d’un faible prix.

C’est à la revue des appareils que l’on construit aujourd’hui pour l’agrément des touristes et des amateurs, que nous consacrerons ce dernier chapitre.

Quand on opère dans un atelier ordinaire, le poids des instruments n’est pas un élément dont on ait à s’inquiéter. Il n’a ici aucun inconvénient : il a même l’avantage de donner de la stabilité aux appareils. Mais en voyage, on est forcé de réduire autant qu’on le peut le poids, ainsi que le volume des instruments, et d’éviter tout ce qui est encombrant et superflu, pour s’en tenir à ce qui est indispensable.

Il faut, pour cela, construire des chambres noires très légères, et réduire à un petit nombre les opérations du développement et du fixage des épreuves. On se contente même généralement, aujourd’hui, de prendre les clichés négatifs, et de les conserver, pour ne les développer qu’au retour du voyage.

Ce que le touriste photographe doit nécessairement emporter, c’est 1o une chambre obscure, avec son pied ; 2o des objectifs, de force diverse ; 3o une boîte contenant les réactifs et les cuvettes destinés à faire le développement des négatifs, quand on juge cette opération exceptionnellement utile.

Fig. 74. — Chambre obscure de voyage. Fig. 75. — Chambre obscure de voyage.
Fig. 76. — Chambre obscure de voyage. Fig. 77. — Chambre obscure de voyage.

Quelle est la grandeur qu’il faut choisir pour la chambre obscure ? En d’autres termes, quel format doit-on adopter pour le cliché ? Le format le plus commode, le plus pratique, parce que c’est le plus petit, c’est le format des épreuves stéréoscopiques. En prenant, avec tous les soins nécessaires, une épreuve négative dans ce format, on a un cliché qui donne une idée suffisante du résultat, et qui, agrandi plus tard, fournira une épreuve positive, dans les conditions voulues de netteté et de beauté.

Si l’on ne veut pas se contenter de ce format réduit, il faut prendre le format de 15 centimètres sur 21, et même, si on le peut, de 18 sur 20, car ici l’agrandissement ne sera plus nécessaire.

Dans les figures 74-77, on a réuni les modèles des principales chambres obscures à l’usage des photographes voyageurs, qui existent actuellement dans le commerce de l’optique photographique, c’est-à-dire celles que construisent MM. Faller, Merville et Enjalbert, à Paris.

Quand le soufflet est replié, la chambre forme une sorte de boîte, que l’on enferme dans un sac en toile, pour le porter sur le dos.

Le pied, qui est en bois, est à trois branches, constituées chacune par trois parties évidées, qui peuvent rentrer l’une dans l’autre pour en faciliter le transport. Pour prendre une épreuve on déplie les branches du pied, et on serre toutes les vis pour obtenir une parfaite rigidité. On fixe la chambre sur le pied et on visse l’objectif. Puis on procède à la mise au point, et l’on prend l’image du sujet (fig. 78).

Fig. 78. — Chambre obscure de voyage (pose).

Tous ces appareils diffèrent peu les uns des autres. Leur mise au point exige un temps assez long. Pour les épreuves instantanées, il existe des chambres de voyage plus expéditives.

Telle est, par exemple, la chambre de voyage de M. Enjalbert (fig. 79, 80, 81), à laquelle le constructeur a donné le nom d’appareil alpiniste, pour rappeler son affectation aux excursions en montagnes, et particulièrement aux voyages alpestres.

Avec les 12 plaques gélatino-bromurées qu’il renferme, l’alpiniste ne pèse pas plus de 2 kilogrammes, et sa longueur ne dépasse pas 15 centimètres, ce qui permet de le porter en bandoulière, au moyen d’une courroie. Pour s’en servir on tire en avant le soufflet ; on presse sur les deux équerres, ainsi qu’on le voit sur la figure 79, ce qui fait chavirer la planchette-support, qui se fixe très solidement d’elle-même et l’on accroche la planchette-objectif au moyen de ses deux gâches à baïonnette. On arme l’obturateur en soulevant le bouton, et en ayant soin de boucher l’objectif.

On porte généralement l’appareil, ainsi tout monté, pour être plus sûr de ne pas manquer l’occasion d’un instantané, qui ne se représenterait plus.

Tenant l’appareil dans les deux mains et à hauteur voulue, le rayon visuel passant par le sommet des deux guidons et par le centre du modèle, on suit de l’œil le sujet à reproduire, et on déclanche l’obturateur au moment voulu, en pressant graduellement, entre le pouce et l’index, le bouton de déclanchement.

Les glaces sont emprisonnées dans les châssis en tôle, qui ont la forme de cuvettes, dont les rebords à ramures préservent la couche sensible de toute éraillure, dans leur frôlement des unes contre les autres. Ces châssis, légèrement bombés en avant, forment ressorts, pour maintenir les glaces appliquées contre les rainures qui sont au point. Ils se superposent, sans aucune séparation.

Le dispositif adopté pour faire disparaître la première glace et lui substituer la seconde se compose (fig. 79) d’un sac conique S en toile caoutchoutée, parfaitement imperméable et très flexible. Ce sac est fixé sur le couvercle qui surmonte la chambre noire et se loge, replié, dans son intérieur, sans augmentation de volume (fig. 80).

Le premier châssis, que l’on soulève au moyen du levier extérieur que l’on rabat ensuite, rentre, à moitié de sa hauteur, dans le sac. Un petit ressort intérieur le maintient en place. Saisissant extérieurement ce premier châssis, la main ouverte, par les deux côtés extrêmes et faisant glisser l’enveloppe jusqu’en bas, on le dégage entièrement, pour le placer dans l’espace laissé libre par les autres, qui sont poussés en avant par quatre ressorts intérieurs.

La seconde glace est devenue première, et cela sans erreur possible, ni tâtonnements. On opère de la même manière pour toutes les autres.

Fig. 82. — Le kinégraphe.


Après cet ingénieux appareil citons, pour ses dimensions très réduites, le kinégraphe de M. Français (fig. 82) qui se porte à la main. Il enferme trois châssis doubles, portant chacun deux glaces de 8 centimètres sur 9. Pour opérer on place l’objectif, on arme l’obturateur, et l’on tire en bas l’étui du châssis, en appuyant l’instrument contre sa poitrine. Une petite chambre obscure, contenue dans la boîte, fournit une image des objets que l’on voit de l’extérieur, car elle vient se peindre sur une petite glace dépolie, placée à la partie supérieure. On suit, de cette manière, ce qui se passe dans le champ de l’objectif. Quand on reconnaît que le sujet forme son image entre les traits horizontaux de la petite glace dépolie, on n’a plus qu’à presser avec le pouce sur la détente de l’obturateur, pour obtenir l’impression sur la glace gélatino-bromurée.

Fig 83. — Serre-joint des chambres obscures de voyage, de M. Faller.


M. Faller construit un support particulier pour les chambres noires de voyage. Il est muni d’un serre-joint très fort. Ce support (fig. 83) permet de placer un appareil photographique dans toutes les situations imaginables, même dans la position renversée (photographies aérostatiques ou prises du haut d’un monument, de la barre d’appui d’une fenêtre, d’un balcon), dans tous les cas enfin où l’usage du pied de campagne est incommode ou même impossible.

La facilité qu’on a de pouvoir le placer solidement au sommet d’une échelle, à la portière d’un wagon, sur une roue de voiture ou de tricycle, sur le bastingage d’un yacht, aussi bien que sur la première élévation qui se présente, branche d’arbre, sommet de mur ou de grille, remplace dans la majorité des cas l’emploi du pied de campagne.

Il y a toutefois dans les appareils que nous venons de décrire une grande difficulté à surmonter, c’est la mise au point. Sans doute il est plus commode d’être dispensé de mettre au point, et la plupart des appareils que nous venons de décrire permettent de s’en passer. Il est pourtant à craindre que les objets reproduits ne soient pas toujours bien nets. C’est pour cela que M. Molteni a imaginé une méthode particulière. On mesure la distance de la chambre au modèle, et une graduation indique immédiatement la position qu’il faut donner à l’objectif. On obtient ainsi une plus grande netteté, tout en évitant également les ennuis de l’appareil ordinaire qui fait perdre un certain temps, oblige à se munir d’un voile noir, fort embarrassant.

Fig. 84. — Appareil Molteni.

L’appareil Molteni (fig. 84) se compose d’une boîte en bois, qu’on porte à la main, à l’aide d’une poignée. Lorsqu’on veut s’en servir, on relève les deux couvercles d’avant et d’arrière, et l’on peut tenir la chambre à la main, au moyen de sa poignée. On applique ensuite l’œil à un trou percé au centre du couvercle postérieur, et l’on regarde le sujet à reproduire, qui apparaît dans l’encadrement formé par le couvercle antérieur.

Des divisions tracées sur la coulisse permettent de faire la mise au point très rapidement, si l’on connaît la distance de la chambre à l’objet principal. Cette distance doit être déterminée avec soin, à l’aide d’une règle si elle est inférieure à 5 ou 6 mètres ; jusqu’à 15 mètres, on peut la mesurer au pas, enfin l’estimer approximativement si elle dépasse cette distance.

Fig. 85, 86. — Express-détective de M. Nadar.

L’express détective de M. Nadar (fig. 85-86) est une chambre obscure à l’usage des voyageurs. Cet appareil, à mise au point variable et automatique, permet de photographier de près et de loin. Il suffit, pour avoir une image nette, de mesurer la distance approximative qui sépare du sujet à reproduire, et de pousser l’aiguille F sur le chiffre de mètres correspondant, indiqué sur le cadran.

Ce calcul approximatif de distance est très facile ; et à partir de 12 mètres, tous les plans sont au point, sans déplacer le foyer. Pour les distances inférieures à 12 mètres, il est aisé de s’assurer de la mise au point en mesurant, soit au pas, soit au besoin avec un mètre, la distance qui sépare du sujet. Il est, du reste, toujours possible de contrôler rapidement l’exactitude de cette mise au point grâce au verre dépoli que nous signalons plus loin.

L’obturateur, qui s’arme extérieurement en tournant la petite clef B, et qui déclanche sous la simple pression d’un bouton, peut passer graduellement d’une vitesse minima à une très grande vitesse et faire en même temps la pose. D’excellents clichés ont été obtenus avec cet appareil, en opérant dans un train de chemin de fer en marche.

À l’appareil est adjoint un chariot G, qui s’y adapte par un simple bouton à ressort, et qui renferme un châssis dépoli, maintenu toujours en place pour la mise au point par la pression de deux ressorts.

Un double ressort assure la fermeture des volets, qui ne peuvent pas être soulevés par mégarde, et qui sont complètement enlevés lors de l’exposition, car deux autres ressorts doubles empêchent la lumière de pénétrer.

Ces volets sont en même temps préparés de façon à pouvoir y inscrire des notes comme sur une ardoise.

Un compteur automatique indique exactement lorsque le négatif est en place et marque en même temps par un chiffre le nombre de clichés déjà exposés et, naturellement, ceux dont on peut encore disposer.

Un viseur E, composé d’un petit objectif reflétant l’image sur une glace, laquelle la renvoie sur le verre dépoli, permet de juger avec précision et de la rectitude des lignes, et de la position occupée par le sujet principal.

La chambre est donc maintenue par la main droite, sans qu’il soit nécessaire de la porter à la hauteur de l’œil pour viser, la main gauche restant libre pour obtenir le déclanchement de l’obturateur au moment voulu.

Cette combinaison de viseurs permet de photographier en tournant complètement le dos au modèle, lorsqu’il s’agit de faire des instantanés, sans crainte d’éveiller l’attention.

Un petit sac en cuir, avec courroie, pour le porter en bandoulière (fig. 86), cache l’appareil complet en le préservant des accidents éventuels, tout en permettant d’opérer sans le retirer de son étui.

Un petit appareil récemment importé d’Amérique, et que l’on nomme le rodack, remplit le même office que l’express-détective de M. Nadar. Il donne des épreuves avec une prodigieuse rapidité et d’une manière tout à fait automatique.

Nous n’avons encore rien dit du choix à faire de l’agent chimique impressionnable, pour le cas spécial qui nous occupe. Faut-il prendre des glaces collodionnées, albuminées, ou bien au gélatino-bromure ? Faut-il, au lieu de glaces, prendre des papiers sensibles ?

La préparation chimique à choisir doit fournir un support léger et facilement transportable. C’est dire que les glaces, soit collodionnées, soit gélatino-bromurées, prendront difficilement place dans le bagage du touriste photographe ; car elles sont d’une trop grande fragilité, et leur transport en voyage est une cause de perpétuelles craintes.

Il faut croire pourtant que ces craintes ne sont pas partagées par tous les opérateurs. En effet, le docteur Lebon a pris 3 000 clichés dans un voyage en Orient, et il n’en a eu qu’un seul de brisé. D’autres voyageurs sont revenus sans un accident. Mais que de précautions et quelle prudence ne faut-il pas pour manier les caisses fermées qui renferment les précieuses glaces ? Les constructeurs vendent des boîtes garnies de glaces gélatino-bromurées, que l’on recommande de placer dans une caisse de fer-blanc fermée à la soudure d’étain, et qui font éviter les malheurs.

L’emploi des papiers négatifs s’impose, pour ainsi dire, dans le cours des voyages. Seulement, il faut faire un choix entre : 1o les papiers recouverts d’une couche de gélatino-bromure d’argent, qu’ils soient opaques ou transparents, tels que les papiers Morgan, Eastman, Balagny et Lamy ; 2o la simple pellicule de gélatine recouverte d’une couche de gélatino-bromure d’argent, et qui est entièrement transparente.

Les opérateurs consultent leur habitude ou leur adresse, pour se décider entre l’un ou l’autre de ces agents impressionnables.

La difficulté, en voyage, surtout quand on opère avec des glaces, c’est de changer et de manier les glaces dans un lieu obscur. En général, on fait cette opération la nuit, en s’éclairant au moyen d’une lanterne à verres rouges ; mais dans le jour il faut trouver une petite pièce, chambre d’auberge, ou cabine de bateau à vapeur, que l’on puisse transformer en chambre noire, pour y effectuer les changements de négatifs, impressionnés ou non. On doit boucher hermétiquement tous les joints, et se servir, pour cela, de papier noir, dont on doit emporter une bonne provision.

Les lanternes de voyage, que nous avons déjà décrites et représentées dans un autre chapitre (pages 18-19), sont aujourd’hui très employées pour effectuer ces changements à l’abri de la lumière du jour.

Nous parlons seulement ici du maniement des glaces dans des lieux obscurs, et non de la manière d’exécuter en voyage toutes les manipulations de la photographie. Comme nous l’avons dit, il ne saurait, en effet, être question de terminer des clichés en voyage. On ne peut y songer que si l’on séjourne quelque temps dans une ville où l’on puisse trouver un atelier propice aux travaux de photographie. On ferait, sans cela, de mauvaise besogne.

Il est, toutefois, indispensable d’emporter quelques cuvettes, afin de pouvoir développer quelques clichés, pour s’assurer si l’on n’a pas commis d’erreur sur le temps de pose. Faisons remarquer seulement que s’il doit s’écouler un temps assez long entre la pose des épreuves pendant le voyage et leur développement au retour, il faut augmenter un peu la durée de l’exposition à la lumière.

Nous passons à une seconde série d’appareils de voyage, d’une dimension plus réduite encore, et auxquels on a recours quand il ne s’agit que de saisir rapidement certaines vues de la nature ou de l’art. Nous voulons parler des appareils dits de poche, ou à main, pour lesquels le pied de la chambre obscure est totalement proscrit.

Ici le format du cliché étant extrêmement restreint, son agrandissement est obligatoire.

L’appareil à main tend de plus en plus à s’introduire dans les habitudes des amateurs de photographie. On peut, grâce à ces minuscules instruments, opérer instantanément, et pour ainsi dire sans s’arrêter dans sa marche. Il est possible, en effet, de saisir et de fixer le portrait d’une personne sans qu’elle en soit aucunement prévenue. Tout le monde sait qu’un Musulman, de par sa foi religieuse et morale, ne consent jamais à poser pour son portrait. Ce n’est qu’en recourant à des subterfuges inouïs, que l’on peut reproduire par le dessin les traits d’un serviteur de Mahomet. Mais avec un appareil de photographie de poche, on peut, en dépit d’Allah, portraicturer un Turc.

L’appareil de poche a un objectif toujours prêt à fonctionner, et une chambre obscure disposée de telle sorte que l’opérateur n’ait qu’à viser l’objet, et à lâcher la détente qui découvre l’obturateur. C’est un fusil chargé, toujours prêt à partir, à la volonté du chasseur.

Les appareils de poche, ou à main, sont nombreux aujourd’hui ; ce qui ne veut pas dire qu’ils soient parfaits. Nous les citerons seulement pour donner une idée des immenses progrès de la photographie, et de la révolution qui s’est faite dans cet art, depuis qu’il est sorti des mains de Niepce et de Daguerre. On a peine à croire que la photographie telle qu’elle existe aujourd’hui ait eu pour origine les ébauches de ses premiers créateurs.

Fig. 87. — Chapeau photographique.

Les appareils de poche les plus répandus aujourd’hui parmi les amateurs sont le chapeau photographique, qui se compose d’une canne et d’un appareil pouvant être porté dans un chapeau. La canne, se séparant en 3 parties, forme un pied à trois branches, qui supporte l’appareil, lorsqu’on veut opérer. Un chapeau, de grandeur convenable, est la chambre noire, qui reçoit des clichés 9 × 12. On place le chapeau sur la canne, comme le montre la figure 87, et le petit appareil est prêt à fonctionner.

Fig. 88. — Photo-revolver.


Le photo-revolver (fig. 88) se porte dans la poche ou dans un étui à courroie. Dans le canon est un objectif, et neuf châssis, contenant des glaces de 4 centimètres de surface, qui peuvent venir successivement s’impressionner au fond du canon. L’objectif est aplanétique, c’est-à-dire reproduit tous les objets placés à plus de 5 ou 6 pas, avec une égale netteté, de sorte que la mise au point est inutile. Par la dimension considérable de ses lentilles, par rapport aux glaces, l’objectif donne assez de lumière pour produire des épreuves instantanées, et son champ est assez grand pour que l’image se trouve au centre, sans qu’il soit nécessaire de viser bien juste. L’obturateur est réglé par un mouvement d’horlogerie ; pour faire une épreuve il suffit de tourner le barillet et de presser la détente.

Les constructeurs d’appareils photographiques et les opticiens, obéissant au goût du public, ont mis dans le commerce différents appareils instantanés, très portatifs et de très faible volume.

Fig. 89. — Chambre-portefeuille de M. Mendoza. Fig. 90. — Chambre-portefeuille de M. Mendoza.

Tel est, par exemple, la chambre portefeuille de M. Mendoza (fig. 89 et 90), pour opérer à la main, en chemin de fer, sur un omnibus en marche, etc., etc. Cet appareil se compose d’une chambre à soufflet en noyer verni, et à ferrures nickelées, d’un objectif à paysages et portraits rapides, d’un obturateur circulaire à vitesse variable, muni d’un tube et d’une poire en caoutchouc, de trois châssis doubles et d’un manche-poignée.

La netteté des épreuves obtenue avec cet appareil est telle que l’on peut les agrandir sans la moindre déformation. Il permet de prendre des épreuves de 6 1/2 × 9 dans toute occasion, sans s’encombrer d’un lourd bagage ; son poids total est de 500 grammes, ce qui fait qu’on le porte aisément dans la poche.

Fig. 91. — Photo-éclair.


Le Photo-éclair Petter (fig. 91), que construit M. Merville, est un appareil entièrement métallique, qui se compose de : 1o un porte-objectif, avec obturateur instantané ; 2o un châssis-magasin, pour recevoir cinq plaques au gélatino-bromure ; 3o un objectif instantané ; 4o une courroie de cuir, permettant de porter l’appareil sous le vêtement ; 5o un verre dépoli, pour se rendre compte de l’image à obtenir.

Ce petit appareil, qui se dissimule facilement sous le gilet ou la redingote, permet de saisir, pour ainsi dire, le sujet, sans l’avertir.

Pour aller de plus fort en plus fort, comme chez Nicolet, nous citerons le fait extraordinaire qui a été annoncé en 1887, d’un opérateur qui, lancé sur un vélocipède, prenait des photographies instantanées. Les épreuves ont été montrées à la Société de photographie, et elles ne différaient en rien des épreuves ordinaires.

Fig. 92. — Appareil photographique établi sur un vélocipède.
Fig. 93. — Serre-joint de l’appareil fixé sur un vélocipède.

L’appareil était fixé au-dessus de la roue du vélocipède, comme le montrent les figures 92 et 93, dont la dernière fait voir le mode d’installation du serre-joint. C’est le même support que nous avons figuré plus haut(fig. 83), en parlant du serre-joint de M. Faller.

Cet habile opticien est, en effet, le constructeur de ce curieux appareil.

On voit sur la figure 92 le mode d’installation de la chambre obscure sur le vélocipède. Le serre-joint de M. Faller sert à le fixer. Nous montrons, à part, dans la figure 93, les détails du serre-joint.

On a réussi, en 1888, à obtenir des photographies aériennes, à l’aide d’un appareil très léger, enlevé par un cerf-volant.

Enfin, et comme le comble de l’art, nous citerons le tour de force qui a été réalisé en 1888, d’une photographie prise automatiquement, par une fusée d’artifice, au moment où la cartouche descend du haut des airs, après avoir fait explosion.

Cet étrange appareil photo-pyrotechnique, dû à M. Amédée Denisse, consiste en une toute petite chambre noire, cylindrique, ayant 12 lentilles espacées régulièrement sur une circonférence. Des cloisons évitent le croisement des rayons.

Le châssis, qui est à double enveloppe et cylindrique, supporte une pellicule sensibilisée que l’on place au centre de la chambre obscure. Un obturateur circulaire, percé de trous en regard des objectifs, fonctionne par son propre poids. L’obturateur est suspendu à une mèche d’artifice, que la fusée brûle au terme de son ascension. En retombant, il découvre et referme instantanément l’ouverture de la chambre obscure. La fin de cette même mèche actionne la détente du parachute, qui se déploie, et la fusée, retenue captive par une cordelette, est ramenée à son point de départ.

Le châssis, aussitôt recueilli, est enfermé dans une boîte obscure, jusqu’au moment de développer le cliché.

La photo-fusée opère en quelques secondes, sans avoir à redouter le tir de l’ennemi ; le parachute apparaît seul, comme un oiseau qu’il serait difficile d’atteindre avec un projectile.

Pour assurer la réussite, il ne faut négliger aucun des détails suivants : 1o employer des fusées chargées avec le plus grand soin ; 2o veiller à ce que la baguette de direction soit assez longue et bien droite ; 3o la cordelette doit se dérouler sans résistance, ni secousse.

Après l’épreuve prise en vélocipède, l’épreuve saisie par un cerf-volant ; après l’épreuve en cerf-volant, celle que relève une fusée dans un feu d’artifice. On voit que la photographie ne marche pas : elle vole !

Il ne faut pas désespérer de voir une épreuve photographique prise par un boulet de canon. Cela viendra !

Les appareils à main, venant à la suite de la découverte du gélatino-bromure, ont opéré toute une révolution dans la photographie à l’usage des voyageurs et des amateurs. Autrefois il fallait, pour s’adonner à ce genre de délassement, mettre en bataille tout un attirail encombrant et compliqué. La chambre obscure était lourde, et pour lui servir de support, il fallait un trépied, d’un transport difficile. On emportait des piquets, une tente, pour servir de laboratoire ou pour la pose ; enfin, un arsenal de flacons, d’éprouvettes et de petites boîtes contenant les agents chimiques révélateurs. Les résultats étaient, d’ailleurs, loin d’être en rapport avec la peine que coûtaient les opérations. Il n’était pas facile de travailler en plein air ; le froid ou la chaleur, le soleil ou la pluie, dérangeaient les influences qui produisent l’image lumineuse, ou sa révélation sur la plaque impressionnée. Il arrivait souvent que les photographes les plus expérimentés ne rapportaient de leurs excursions que des déceptions et le souvenir des ennuis qu’ils avaient éprouvés de la part des curieux et des passants, quand ils opéraient en pleine campagne.

La découverte du gélatino-bromure, en permettant d’opérer instantanément, jointe à l’invention des appareils à main, dans lesquels la mise au point est supprimée, et qui donnent une image exacte, rien qu’en connaissant la distance où l’on se trouve du modèle, est venue révolutionner la photographie du voyageur et de l’amateur. Du jour où le commerce a pu vendre des appareils d’un petit volume, se portant dans un chapeau, les amateurs ont pu s’adonner à cœur-joie à un passe-temps rempli pour eux de charme et d’intérêt.

De nos jours, on a pu prendre des clichés à la dérobée, pour ainsi dire, sans que le modèle, la victime quelquefois, puisse se douter qu’il est l’objet d’une reproduction secrète. Les opticiens et les photographes ont multiplié, à l’envi, les artifices pour dissimuler les appareils photographiques sous des formes qui ne puissent aucunement éveiller l’attention du dehors.

Voyez-vous ce monsieur, aux allures indifférentes, en apparence, qui porte en bandoulière un petit sac, semblable à un étui de lorgnette. Tout d’un coup il s’arrête, et place devant sa poitrine le prétendu sac de voyage. De sa main droite il pousse un ressort, pour mettre l’objectif au point, d’après le jugé qu’il a pu faire de la distance, et de la main gauche il soulève et laisse retomber, en une fraction de seconde, l’obturateur du petit objectif contenu dans la boîte. Cela fait, il continue son chemin.

Ce mystérieux personnage est un amateur photographe, qui a remarqué, en passant, un type d’homme ou de femme ou une scène de mœurs, qu’il a eu la fantaisie de conserver. Il en a pris l’épreuve photographique, sans que personne, autour de lui, se doutât de son acte, et il rapporte dans son laboratoire, pour la développer et la fixer, l’image qu’il a saisie au vol.

Pendant que s’éloignait l’homme au sac de voyage, un autre amateur s’arrête, et, frappé du même type ou de la même scène, il ôte, d’un air indifférent, sa montre de sa poche.

Cette montre n’est pas une montre : c’est le photo-éclair photographique ; et, traîtreusement, notre homme prend, comme le précédent, l’impression photographique du même modèle, puis il s’éloigne d’un pas tranquille.

Remarquez maintenant ce nouveau passant qui se découvre, et pendant quelques secondes, tient son chapeau à la main.

Ce chapeau n’est pas un chapeau : c’est une chambre obscure, dissimulée au fond du couvre-chef ; l’opérateur n’a pas voulu saluer, mais bien photographier son modèle.

Remarquez un quatrième amateur. Il tient à la main une lorgnette. Cette lorgnette n’est pas une lorgnette : c’est encore un appareil photographique secret, qui prend, à la dérobée, l’empreinte de la même scène.

Pendant que nos quatre amateurs s’escrimaient, à tour de rôle, un autre s’arrêtait au bord du trottoir, entr’ouvrait son gilet, et du bout du doigt, semblait effleurer un des boutons de son habit.

Ce gilet n’était pas un gilet : c’était une cuirasse photographique. Un imperceptible ressort avait déplacé la lentille d’un objectif, pour la mettre en rapport avec une chambre obscure, de forme aplatie, cachée sous son vêtement. Comment se douter qu’une lentille photographique se trouve perdue au milieu des boutons d’un gilet ?

Un sixième passant s’arrête ; il tire de sa poche un revolver, et il appuie sur la détente de son arme, qui parcourt plusieurs crans, avec un bruit de fer. Rassurez-vous pourtant. Ce passant ne veut tuer personne. Il veut, seulement, à chaque détente du tourillon de son arme, prendre un nouveau cliché.

Telles sont les surprises charmantes et les distractions pleines d’une saveur innocente et naïve, que la photographie instantanée offre aux nombreux amateurs de cet art nouveau. Est-il une distraction plus heureuse, plus agréable, plus digne des loisirs d’un galant homme ? Toutes les autres occupations des gens du monde sont coûteuses, dangereuses, ou inabordables à la masse des particuliers. Le collectionneur de tableaux et d’objets rares se ruine ; le joueur brûle son sang et son âme, aux terribles émotions du baccara ; les courses de chevaux ne sont pas des distractions, mais de fiévreuses transes ; la peinture et la sculpture exigent une vocation spéciale et de longues études ; les travaux littéraires ne sont pas à la portée de tous ; seule, la photographie instantanée procure à l’oisif intelligent une distraction facile et charmante. Le papier bromuré et la glace sensible remplissent à merveille les moments de l’homme désœuvré, mais amoureux de l’art. C’est en pleine campagne, au sein de la nature, qu’il peut chercher ses modèles et ses sujets. Et, comme récompense de ses travaux et de ses opérations de laboratoire, il a une série de vues, qui peuvent orner son salon, remplir ses albums et mériter les éloges de ses proches et de ses amis. Tout cela ne demande qu’un peu de goût, une adresse de main qui s’acquiert et reste acquise, de l’intelligence et de bons instruments d’optique. Ne soyons donc pas surpris, dès lors, de voir que la photographie d’amateurs soit devenue aujourd’hui l’apanage de tous, et que cet art fidèle et discret trouve dans les deux mondes une armée de pratiquants et d’adeptes.

fin du supplément à la photographie.
  1. Tome III, pages 1-188.
  2. Tome III, page 119-124.
  3. Tome III, pages 163-170.
  4. Tome III, pages 154-160.
  5. Tome III, pages 129-144.
  6. Tome III, pages 141-142.
  7. Tome III, p. 131-142.