Les Machabées de la Nouvelle-France/Chapitre troisième

Imprimerie de Léger Brousseau (p. 38-53).


CHAPITRE TROISIÈME.


Lambert Closse et les Iroquois. — Mariage de Charles LeMoyne. — Les Iroquois forcés de demander la paix. — Hardi coup de main de LeMoyne.


Les attaques réitérées des Iroquois contre Montréal avaient tellement réduit la petite garnison de la place que, dans l’automne de 1651, M. de Maisonneuve se décida à passer en France pour aller y chercher des secours. Pendant son absence il fut remplacé dans ses fonctions de gouverneur particulier par M. d’Ailleboust à qui M. Jean de Lauzon venait de succéder comme gouverneur de la Nouvelle-France. M. d’Ailleboust est le seul gouverneur du Canada qui soit resté dans le pays après s’être démis de ses fonctions[1].

L’année 1652 vit se continuer les incursions des Iroquois dans le pays, et couler le sang de plus d’un brave défenseur de la colonie. Nous ne pouvons résister au désir de faire le récit de la belle défense opérée dans une de ces rencontres, par le brave major Lambert Closse qui commandait en second la garnison de Montréal. Lambert Closse était venu dans le pays avec M. de Maisonneuve en 1641. Les écrits du temps le désignent comme sergent-major ou major de la garnison de Montréal ; et son nom est écrit en lettres d’or dans les annales de Ville-Marie. Le 11 octobre 1652, les aboiements furieux des chiens indiquèrent qu’il y avait des ennemis en embuscade aux environs de Montréal. Le major Closse, qui était toujours aux aguets sortit de la place avec vingt-quatre hommes pour faire une reconnaissance. Mais, avec la prudence que commandait la situation, il détacha La Lochetière, Baston et un autre, trois bons soldats, qui marchaient en avant-garde, à portée de fusil. Emporté par son courage, La Lochetière s’aventura trop loin et fut renversé d’un coup de mousquet par les Iroquois ; ce qui ne l’empêcha pas de tuer son adversaire avant de tomber mort. Les deux autres se rabattirent sur le gros de la troupe qui tint bon pendant quelque temps.

Mais les ennemis étaient si supérieurs en nombre que les nôtres auraient certainement été enveloppés et défaits, si M. Prudhomme, ancien habitant de Ville-Marie, ne les eût appelés d’une chétive maisonnette où il se trouvait, leur criant de se retirer vite, parce qu’on les environnait. Lambert Closse commandant à ses gens d’enfoncer les rangs des Iroquois et d’entrer dans la masure à tout prix, les nôtres se fraient un passage jusqu’à la maisonnette où ils se barricadent en un tour de main. On pratique des meurtrières et chacun se met à fusiller à l’envie les Iroquois forcés de combattre à découvert.

La tuerie dura tant que nos gens eurent de la poudre ; mais les munitions commençant à manquer, le major vit qu’il serait bientôt réduit à la dernière extrémité. Comme il faisait part de ses perplexités au sieur Baston, celui-ci, qui était bon coureur, s’offrit d’aller chercher du renfort. Après avoir reçu les marques d’amitiés les plus chaleureuses de ses camarades, Baston, profitant d’une décharge générale des assiégés, s’élança bravement au dehors.

Sous une pluie de balles, il passe comme un éclair au milieu des Iroquois, et parvient au château, d’où il revient bientôt avec huit ou dix hommes conduisant deux petites pièces de campagne chargées à cartouche, à la faveur d’un pli du terrain qui courait du château à la maison attaquée. Arrivés en vue des Iroquois, nos gens pointent leurs pièces et font feu sur l’ennemi, tandis que le major fait une sortie générale pour favoriser l’approche de cette précieuse réserve.

« Leur entrée, » dit la relation, « fut signalée par un redoublement de coups de fusil afin de faire connaître aux ennemis que cette poudre valait bien la précédente ; mais comme ils virent qu’on en était moins chiche qu’avant l’arrivée de Baston, ils jugèrent qu’il valait mieux se retirer que d’user plus amplement de nos libéralités… On ne sait pas au juste le vrai nombre de leurs morts, quoiqu’ils en aient beaucoup perdu en cette occasion, parce qu’ils les emportèrent quasi tous, et qu’ils n’ont pas accoutumé de se vanter des gens qu’ils ont ainsi perdus. Il est vrai qu’ils n’ont pas pu s’en taire absolument et que, exagérant leurs pertes, ils les ont exprimées en ces termes : « Nous sommes tous morts. » Quant aux estropiés, ils en ont compté le nombre aux Français, leur avouant qu’ils avaient eu trente-sept des leurs parfaitement éclopés. »

Quant aux nôtres, ils n’eurent à regretter que la mort du brave La Lochetière et la « grande blessure du pauvre Laviolette. » Le cadre relativement restreint de ce récit ne nous permettant pas d’y insérer les autres exploits de Lambert Closse, nous dirons de suite que, après maint autre fait d’armes non moins glorieux, il fut tué dix ans plus tard par un parti d’Iroquois qui rôdait aux environs de Montréal. Peu de temps avant sa mort, comme quelqu’un lui représentait qu’en s’exposant continuellement, comme ce n’était que trop son habitude, il finirait par perdre la vie dans quelque rencontre, il fit cette belle réponse que l’histoire nous a transmise : « Je ne suis venu ici qu’afin d’y mourir pour Dieu, en le servant dans la profession des armes ; si je n’y croyais pas mourir, je quitterais le pays pour aller servir contre le Turc et n’être pas privé de cette gloire. »

Découragés par les échecs qu’ils avaient essuyés à Montréal, les Iroquois se décidèrent l’année suivante à porter leurs coups plus au bas du fleuve. Pendant tout l’été de 1653, leurs bandes semèrent la terreur dans les environs des Trois-Rivières qu’elles tinrent même bloquées pendant plusieurs semaines. Enfin, quelques-unes de leurs bandes ayant été défaites, et plusieurs de leurs capitaines capturés près de Montréal par Aouéaté, guerrier huron, les Agniers qui faisaient le siège des Trois-Rivières se décidèrent à demander la paix. Il est à présumer aussi que la nouvelle de la venue de M. de Maisonneuve avec une centaine d’hommes déterminés, ne contribua pas peu à pousser les Iroquois à demander la suspension des hostilités. Toujours est-il que, par l’entremise de Charles LeMoyne, on put poser les préliminaires d’une paix qui ne devait pourtant pas être de bien longue durée.

Sur ces entrefaites, M. LeMoyne ayant été, à cause de ses beaux états de service, gratifié par M. de Maisonneuve d’une somme de quatre cents livres, en profita pour reprendre ses défrichements ; et, comme il avait atteint sa vingt-huitième année, il pensa aussi que le moment était venu pour lui de s’établir.

Il y avait alors à Ville-Marie une jeune personne fort distinguée, Mlle Catherine Primot. Née à Saint-Denis-le-Petit, au diocèse de Rouen, de Guillaume Thierry et d’Élizabeth Messier, elle avait été adoptée par Antoine Primot et Martine Messier qui n’avaient point d’enfant. Au moment de passer dans la Nouvelle-France en 1642, ils l’avaient demandée à ses parents, s’engageant à élever cette nièce comme leur propre fille et à la faire leur héritière. « Catherine n’avait alors qu’un an, dit l’auteur de l’Histoire de la colonie française ; et comme Monsieur et Madame Primot prirent le plus grand soin de l’éducation de cette enfant, ayant pour elle une affection de père et de mère, elle fut considérée dans la colonie comme leur propre fille et appelée de leur nom. Ayant remarqué les heureuses dispositions de cet enfant, Madame Primot s’était plus particulièrement appliquée à former son esprit et son cœur. Elle eut la joie de voir ses efforts couronnés de succès. Dès l’âge de quatorze ans, Catherine annonçait ce qu’elle serait un jour : une mère de famille accomplie et un modèle achevée de vertu pour toute la colonie. »

M. LeMoyne, qui avait été plus d’une fois à même d’apprécier les belles qualités de Mademoiselle Primot, la demanda en mariage à ses parents. Ceux-ci n’auraient certainement pas pu désirer un gendre plus digne, et ils accueillirent avec joie ses propositions.

Le contrat de mariage fut passé au fort de Ville-Marie, en présence du gouverneur de la place, et de plusieurs notables, et le mariage eut lieu le 28 mai 1654 avec la plus grande solennité. Afin de montrer aux époux le vif intérêt qu’il leur portait, M. de Maisonneuve octroya à Charles LeMoyne une propriété située à la Pointe Saint-Charles. En outre il lui donna quatre-vingt-dix arpents de terre dans l’Île de Montréal, à part l’arpent sur lequel M. LeMoyne avait déjà fait construire une maison près de l’Hôpital.

Pendant l’année qui suivit, les Iroquois s’empressèrent de rompre de nouveau la paix et descendirent jusqu’à l’établissement de l’Isle-aux-Oies, en bas de Québec, qu’ils mirent à feu et à sang, après avoir tué les sieurs Moyen et Macart dont ils emmenèrent les enfants en captivité. Une partie de cette bande s’en vint ensuite rôder près de Ville-Marie. Après plusieurs escarmouches où un Français nommé d’Aubigeon fut tué, les Iroquois allèrent se poster de l’autre côté du fleuve, en face de la ville, et de là feignirent vouloir parlementer.

M. LeMoyne, qui arrivait en ce moment de Québec, dit à M. de Maisonneuve :

— Voilà des gens qui ont saccagé l’Île-aux-Oies et qui viennent de tuer d’Aubigeon. Ils veulent encore nous rendre victimes de quelque trahison. Il faut s’emparer de ces deux fourbes que vous voyez là, sur la batture, en face de nous, et qui semblent nous défier de rien entreprendre contre eux.

— Comment s’y prendre ? demanda M. de Maisonneuve.

— Si vous voulez bien me le permettre, j’irai seul vers eux…

— Seul !

— Oui, je traverserai avec deux pistolets cachés au fond de mon canot. Me voyant approcher en si petit équipage, ils me laisseront accoster la batture où ils sont, sans méfiance aucune. Arrivé sur eux, j’exhiberai tout-à-coup mes armes, et je forcerai ces drôles de prendre le courant qui vient vers le château. Et alors, vous les pourrez cerner et vous en emparer tout à votre aise.

Tout hardi qu’il pût être, ce plan fut adopté et réussit à merveille. Mais le gros des Iroquois qui étaient campés de l’autre côté du fleuve goûtèrent peu ce procédé, et après les plus violentes menaces, se décidèrent enfin le lendemain à venir attaquer la place. Mais M. de Maisonneuve, secondé par le major Closse et M. LeMoyne, ne donna pas le temps à ces sauvages de prendre pied à terre. À peine furent-ils en vue qu’on les chargea avec une telle impétuosité, qu’ils s’enfuirent comme une volée de corbeaux. Alors, pour avoir la liberté de leurs compagnons que l’on retenait prisonniers, dans le fort, les Iroquois demandèrent la paix.

On répondit à leur ambassadeur que les prisonniers iroquois ne seraient libres que lorsque tous les captifs français seraient rendus à leurs compatriotes. Le négociateur s’y engagea au nom de ses compatriotes, et retourna dans son pays d’où il revint bientôt avec les quatre enfants de MM. Moyen et Macart, MM. de Saint-Michel et Trottier et un nommé LaPerle qu’on avait perdu aux Trois-Rivières et qu’on désespérait de revoir, ainsi que quelques autres. Les Iroquois reçurent leurs frères, en échange des nôtres, et la paix fut de nouveau conclue, pour ne durer, il est vrai, qu’une année à peine.

Le retour des enfants de MM. Moyen et Macart fut accueilli avec joie ; car leurs familles étaient des plus considérables du pays, ce qui se voit par les alliances qu’ils contractèrent. « Mlle Marie Moyen, dit l’auteur de l’histoire du Montréal, a épousé un capitaine de condition et de mérite appelé M. Dugué, lequel a été épris d’elle pour les charmes de sa vertu. Mlle Macart s’est mariée avec M. Basile[2], l’un des plus riches marchands du Canada : la cadette sa sœur avait épousé un brave gentilhomme nommé M. de Villiers. »


  1. M. Ferland, Histoire du Canada.
  2. Le Sieur Charles Bazire, receveur des droits et domaines du Roi. Mlle Élizabeth Moyen épousa M. Lambert Closse en 1657.