Les Mabinogion/Math, fils de Mathonwy

Traduction par Joseph Loth.
Fontemoing (tome 1p. 173-210).



MATH, fils de Mathonwy


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Voici la quatrième branche du Mabinogi.


Math[1], fils de Mathonwy, était maître de Gwynedd[2], et Pryderi, fils de Pwyll, de vingt et un cantrevs du Sud, c’est à dire des sept cantrevs de Dyvet, des sept cantrevs de Morganhwc[3] (Glamorgan), des quatre de Keredigyawn (Cardigan) et des trois d’Ystrat Tywi (Carmarthen)[4]. À cette époque, Math, fils de Mathonwy, ne pouvait vivre qu’à la condition que ses deux pieds reposassent dans le giron d’une vierge, à moins toutefois que le tumulte de la guerre ne s’y opposât[5]. La vierge qui vivait ainsi avec lui était Goewin, fille de Pebin, de Dol Pebin[6] en Arvon. C’était bien, à la connaissance des gens du pays, la plus belle jeune fille de son temps. Math résidait toujours à Caer Dathyl[7] en Arvon ; il ne pouvait faire le tour du pays, mais Gilvaethwy, fils de Don[8] et Eveydd[9], fils de Don, ses neveux, fils de sa sœur, ainsi que les gens de sa famille, le faisaient à sa place ; la jeune fille ne le quittait pas. Or, Gilvaethwy tourna ses pensées vers la jeune fille et se mit à l’aimer au point qu’il ne savait que faire à cause d’elle. Tel était son amour qu’il commença à dépérir, couleur, physionomie, aspect extérieur : c’est à peine si on l’aurait reconnu. Gwydyon[10], son frère, le regarda un jour attentivement. « Jeune homme, » lui dit-il, « que t’est-il arrivé ? » ― « Pourquoi cette question ? » répondit-il. « Que remarques-tu en moi ? » ― « Je vois que tu as perdu ton air et tes couleurs : qu’as-tu ? » ― « Seigneur frère, ce qui m’est arrivé, je ne serai pas plus avancé de le confesser à qui que ce soit. » ― « Qu’est-ce, mon âme ? » ― « Tu connais le privilège de Math, fils de Mathonwy : la moindre conversation entre deux personnes, chuchotée aussi bas que possible, si le vent l’atteint[11], il la sait. » ― « C’est bien, n’en dis pas plus long, je connais ta pensée : tu aimes Goewin. »

En voyant que son frère connaissait sa pensée, Gilvaethwy poussa un soupir le plus profond du monde. « Cesse de soupirer, mon âme, » dit Gwydyon ; « ce n’est pas ainsi que l’on vient à bout d’une entreprise. Je ferai soulever, puisqu’il n’y a pas d’autre moyen, Gwynedd, Powys[12] et le Sud[13] pour pouvoir aller chercher la jeune fille. Sois joyeux ; je ferai cela pour toi. »

Ils se rendirent aussitôt auprès de Math, fils de Mathonwy. « Seigneur, » dit Gwydyon, « j’ai appris qu’il était arrivé en Dyvet une espèce d’animaux comme il n’y en a jamais eu dans cette île. » ― « Comment les appelle-t-on ? » répondit Math. ― « Des hob[14], (cochons) seigneur. » ― « Quel genre d’animaux sont ceux-là ? » ― « Ce sont de petites bêtes, mais dont la chair est meilleure que celle des bœufs. Ils sont de petites taille. Ils sont en train de changer de nom. On les appelle moch (porcs), maintenant. » ― « À qui appartiennent-ils ? » ― « Ils ont été envoyés d’Annwn à Pryderi, fils de Pwyll, par Arawn, roi d’Annwn. » (on a encore conservé quelque chose de ce nom : Hannerhwch, Hannerhob)[15]. ― « Eh bien ! de quelle façon pourrait-on les avoir de lui ? » ― « J’irai, seigneur, moi douzième, avec des compagnons déguisés en bardes, demander les cochons. Mon imagination n’est pas mauvaise : je ne reviendrai pas sans les porcs. » ― « Volontiers, pars. » Il alla, avec Gilvaethwy et dix autres compagnons, jusqu’en Keredigyawn[16], à l’endroit qu’on appelle maintenant Ruddlan Teivi[17], où se trouvait la cour de Pryderi.

Ils entrèrent sous l’aspect de bardes. On leur fit bon visage. Ce soir-là, Gwydyon fut placé à côté de Pryderi. « Nous serions heureux, » dit Pryderi, « d’entendre un récit de ces jeunes gens là-bas. » ― « Notre coutume, » répondit Gwydyon, « le premier soir que nous nous rendons auprès d’un personnage important, c’est que le Pennkerdd[18] prenne la parole. Je te raconterai volontiers une histoire. » Gwydyon était le meilleur conteur qu’il y eût au monde. Cette nuit-là, il amusa si bien la cour par des discours récréatifs et des récits que tout le monde fut charmé de lui et que Pryderi prit plaisir à causer avec lui. En finissant, Gwydyon dit : « Seigneur, quelqu’un pourrait-il mieux remplir ma mission auprès de toi que moi-même ? » ― « Oh ! non, » répondit-il ; « c’est une langue pleine de ressources que la tienne. » ― « Voici quelle est ma mission, seigneur : j’ai à te demander les animaux qui t’ont été envoyés d’Annwvyn. » ― « Ce serait la chose du monde la plus facile sans la convention qui existe à leur sujet entre le pays et moi ; il est convenu que je ne m’en dessaisirai pas avant que leur nombre ici n’ait doublé. » ― « Je puis, seigneur, te libérer de ta parole. Voici comment : ne me les donne pas ce soir, mais ne me les refuse pas non plus. Demain, je te proposerai des objets d’échange à leur place. » Cette nuit même, Gwydyon et ses compagnons se rendirent à leur logis pour se concerter. « Hommes, » dit-il, « nous n’obtiendrons point les porcs en les demandant. » ― « Assurément, » répondirent-ils. « Par quel artifice pourrons-nous les avoir ? » ― « J’y arriverai, » dit Gwydyon.

Il eut recours alors à ses artifices et commença à montrer sa puissance magique. Il fit apparaître douze étalons, douze chiens de chasse noirs ayant chacun le poitrail blanc, avec leurs douze colliers et leurs douze laisses que tout le monde eût pris pour de l’or. Les douze chevaux portaient douze selles, et partout le fer était remplacé par de l’or ; les brides étaient en rapport avec les selles. Il se rendit auprès de Pryderi avec les chevaux et les chiens. « Bonjour à toi, seigneur, » dit-il. ― « Dieu te donne bien, » répondit, Pryderi ; « sois le bienvenu. » ― « Seigneur, je t’apporte un moyen de te libérer de la parole que tu as donnée, disais-tu hier soir, au sujet des porcs, à savoir que tu ne les donnerais ni les vendrais. Tu peux les échanger pour quelque chose de mieux. Je t’offre ces douze chevaux avec leur équipement, tel que tu le vois, leurs selles et leurs brides, ces douze chiens de chasse avec ces colliers et ces laisses, ainsi que ces douze boucliers dorés. » Ces écus, c’étaient des champignons qu’il avait transformés[19].

« Eh bien » dit Pryderi, « nous allons tenir conseil. » Ils décidèrent de donner les porcs à Gwydyon, en échange des chevaux, des chiens et des écus. Les gens du Nord prirent congé, et se mirent en route avec les porcs. « Compagnons, » dit Gwydyon, « il nous faut marcher en toute hâte. Le charme ne dure que d’une période d’un jour à l’autre. » Cette même nuit ils marchèrent jusqu’à la partie la plus élevée de Keredigyawn, à l’endroit qu’on appelle encore, pour ce motif, Mochdref.(la ville aux porcs)[20]. Le lendemain, ils mirent en route, traversèrent Elenit[21], et, à la nuit, se trouvèrent entre Keri et Arwystli[22], dans la ville qu’on appelle aussi, depuis, Mochtref. Ils reprirent leur marche, et arrivèrent, à la nuit, dans un cymwd de Powys, qu’on appelle, pour cette raison, Mochnant [23]. Puis ils atteignirent le cantrev de Ros [24], et passèrent la nuit dans la ville connue encore sous le nom de Mochtref. « Hommes, » dit Gwydyon, « réfugions-nous, avec ces animaux, au cœur de Gwynedd ; on lève des armées à notre poursuite. » Ils se rendirent à la ville plus élevée d’Arllechwedd [25], et y construisirent des écuries pour les porcs, ce qui a. valu à la ville le nom de Creuwyryon [26]. Les écuries faites, il se rendirent auprès de Math, fils de Mathonwy, à Kaer Dathyl. Lorsqu’ils y arrivèrent, on était en train d’appeler le pays aux armes. « Qu’y a-t-il de nouveau, » dit Gwydyon ? » ― « Pryderi, » lui fut-il répondu « est en train de réunir les gens de ses vingt et un cantrevs pour vous poursuivre. Nous avons été étonnés de la lenteur de votre marche. Où sont les animaux que vous avez été chercher ? » ― « Ils sont, » dit Gwydyon, « dans l’autre cantrev, là-bas, où nous leur avons fait des écuries. » À ce moment, ils entendirent les trompettes appelant les gens du pays aux armes. Ils s’armèrent et marchèrent jusqu’à Pennardd [27], en Arvon. Gwydyon, fils de Don, avec Gilvaethwy, son frère, se rendit, lui, à Kaer Dathyl il fit coucher Gilvaethwy avec Goewin, dans le lit de Math, fils de Mathonwy, après avoir jeté dehors outrageusement les autres pucelles. Gilvaethwy coucha avec elle cette nuit-là malgré elle. Le lendemain, dès qu’ils virent poindre le jour, ils se rendirent auprès de Math, fils de Mathonwy et ses troupes. On allait justement tenir conseil pour savoir de quel côté on attendrait Pryderi et les hommes du Sud. Ils prirent part à la délibération. Il fut décidé qu’on attendrait au cœur de Gwynedd. Ils attendirent, en effet, juste au milieu des deux ' maenawr [28] de Pennardd et de Coet Alun [29]. Pryderi vint les y attaquer.

C’est là qu’eut lieu la rencontre, et le massacre fut grand des deux côtés ; les hommes du Sud furent forcés à la retraite. Ils reculèrent jusqu’à l’endroit qu’on appelle encore, aujourd’hui, Nantcall [30], poursuivis par leurs adversaires. Alors eut lieu un carnage indescriptible. Ils battirent ensuite en retraite jusqu’à Dol Penmaen [31], où ils se concentrèrent et demandèrent la paix. Pryderi donna des otages ; les otages étaient Gwrgi Gwastra [32] et vingt-trois autres fils de chefs. Ils s’avancèrent ensuite en paix jusqu’à Traeth Mawr [33] ; mais, quand ils se retrouvèrent réunis à Melenryt [34], on ne put empêcher les gens de pied de se lancer des flèches. Pryderi envoya des messagers demander à Math d’arrêter ses gens, et de laisser l’affaire se vider entre lui et Gwydyon, fils de Don, l’auteur de tout ce qui se passait. Quand Math, fils de Mathonwy, eut entendu son message, il dit : « Par moi et Dieu, si Gwydyon, fils de Don, le trouve bon, je le permets volontiers ; je ne forcerai personne à combattre au lieu de faire nous-mêmes de notre mieux. » ― « En vérité, » dirent les messa­gers, « Pryderi, trouve qu’il serait bien, à l’homme qui lui a fait pareil tort, d’opposer son corps à corps, et de laisser en paix sa famille. » ― « J’en atteste Dieu, » dit Gwydyon, « je ne demande pas aux hommes de Gwynedd de se battre pour moi, lorsque je puis lutter seul à seul avec Pryderi. J’opposerai mon corps au sien volontiers. » La réponse fut apportée à Pryderi. « Je ne demande, » dit-il, « le redressement de mes torts à personne autre qu’à moi-même. » On les laissa seuls à l’écart ; ils s’armèrent et se battirent. Par l’effet de sa force et impétuosité, de sa magie et de ses enchantements, Gwydyon l’emporta, et Pryderi fut tué. Il fut enterré à Maentyvyawc [35], au-dessus de Melenryt ; c’est là qu’est sa tombe.

Les gens du Sud se dirigèrent vers leurs pays en faisant entendre des chants funèbres ; ce qui n’avait rien de surprenant : ils avaient perdu leur seigneur, beaucoup de leurs meilleurs guerriers, leurs chevaux et leurs armes en grande partie. Les hommes de Gwynedd s’en retournèrent pleins de joie et d’enthousiasme. « Seigneur, » dit Gwydyon à Math, « ne ferions-nous pas un acte de justice en rendant aux gens du Sud leur seigneur qu’ils nous ont donné en otage pour la paix ? Nous n’avons pas le droit de le tenir en captivité. » ― « Qu’on le mette en liberté, » répondit Math. On laissa Gwrgi et les autres otages aller rejoindre les hommes du Sud. Math se rendit à Kaer Dathyl, tandis que Gilvaethwy, fils de Don, et tous les gens de la famille qui l’accompagnaient auparavant se mirent à faire, comme d’habitude, le circuit de Gwynedd, en laissant de côté la cour. Arrivé dans sa chambre, Math fit préparer un endroit où il pût s’accouder et reposer ses pieds dans le giron de la pucelle. « Seigneur, » dit Goewin, « cherche une vierge pour supporter tes pieds maintenant : moi, je suis femme. » ― « Qu’est-ce que cela veut dire, » répondit-il ? « On m’a assaillie, seigneur, et cela en cachette. Je ne suis pas restée silencieuse : il n’y a personne à la cour qui ne l’ait su. L’attaque est venue de tes neveux, des fils de ta sœur, Gwydyon et Gilvaethwy, fils de Don. Ils m’ont fait, à moi violence, et à toi honte. On a couché avec moi, et cela dans ta chambre et dans ton propre lit. » ― « Eh bien, » répondit-il, « je ferai de mon mieux. Je te ferai tout d’abord avoir satisfaction, et je chercherai ensuite celle qui m’est due. Je te prendrai comme femme, je remettrai entre tes mains la propriété de mes États. » Cependant, les deux fils de Don ne se rapprochaient pas de la cour ; ils continuaient à circuler à travers le pays ; ils se tinrent à l’écart de lui (c’est-à-dire Math) jusqu’au moment où il fut interdit de leur donner nourriture et boisson. Alors, seulement, ils se rendirent auprès de lui. « Seigneur, » dirent-ils, « bonjour à toi. » ― « Oui, » dit-il, « est-ce pour me donner satisfaction que vous êtes venus ? » ― « Seigneur, » répondirent-ils, « nous sommes prêts à faire ta volonté. » ― « S’il en avait toujours été ainsi, je n’aurais pas tant perdu d’hommes et de chevaux ; ma honte, vous ne pouvez me la réparer, sans parler de la mort de Pryderi. Puisque vous êtes venus vous mettre à ma disposition, votre châtiment va commencer » Il prit sa baguette enchantée, et, d’un coup, transforma Gilvaethwy en une biche de bonne taille ; puis instantanément, il prévint toute fuite de la part de l’autre, en le frappant de la même baguette, et en fit un cerf. « Comme vous êtes maintenant liés, » dit Math, « vous marcherez ensemble, vous formerez un couple, et vous aurez les instincts des animaux dont vous avez la forme. Vous aurez un petit à l’époque accoutumée pour eux. Dans un an, vous reviendrez auprès de moi [36]. »

Au bout d’un an, jour pour jour, on entendit un grand bruit contre les parois de la chambre, ce qui excita aussitôt les aboiements des chiens. « Allez voir, » dit Math, « ce qu’il y a dehors. » ― « Seigneur, » dit quelqu’un, « je viens d’aller voir, il y a là un cerf, une biche et un faon. » Il se leva aussitôt et sortit ; il aperçut, en effet, trois bêtes : un cerf, une biche et un faon vigoureux. Il leva sa baguette en disant : « Que celui d’entre vous qui a été biche l’année dernière soit sanglier cette année, et que le cerf soit une truie. » Et il les frappa de sa baguette. « Le petit, je le prends, » ajouta-t-il ; « je le ferai élever et baptiser. » On lui donna le nom de Hyddwn [37]. « Allez, » dit-il ; « vous serez l’un sanglier mâle, l’autre femelle, et vous aurez les mêmes instincts que les porcs des bois. Dans un an, trouvez-vous sous les murs de cette maison avec votre petit. » Au bout de l’année, les aboiements des chiens se firent entendre sous les murs de la chambre, et toute la cour accourut de ce côté. Il se leva lui-même et sortit. Dehors, il aperçut trois bêtes : un sanglier mâle, un sanglier femelle et un petit très fort pour l’âge qu’il paraissait. « Celui-ci » dit-il, « je le garde, et je le ferai baptiser. » Et, d’un coup de sa baguette, il en fit un bel adolescent brun et fort. On l’appela Hychtwn [38]. « Que celui d’entre vous, » ajouta-t-il, « qui a été sanglier mâle l’année dernière, soit louve cette année, et que la truie soit loup. » En disant ces mots, il les frappa de sa baguette et ils devinrent loup et louve. « Ayez, » dit-il, « les instincts des animaux dont vous avez la forme. Soyez ici, sous ces murs, dans un an, aujourd’hui. »

Un an après, jour pour jour, il entendit un grand tumulte, des aboiements de chiens sous les murs de sa chambre. Il se leva et sortit. Dehors, il aperçut un loup, une louve et, avec eux, un fort louveteau. « Celui-ci, » dit-il, « je le prends et je le ferai baptiser. Son nom est tout trouvé : ce sera Bleiddwn [39]. Vous avez trois fils, et ces trois les voilà : Les trois fils de Gilvaethwy le traître ; trois guerriers éminents et fidèles : Bleiddwn, Hyddwn, Hychtwn Hir (le Long). » Et, d’un coup de sa baguette, ils se trouvèrent dans leur propre chair. « Hommes, » dit Math, « si vous m’avez fait tort, vous avez assez souffert et vous avez eu la grande honte d’avoir des enfants l’un de l’autre. Donnez à ces hommes un bain, faites-leur laver la tête et donner des habits. » On exécuta ces ordres. Quand ils furent équipés, ils revinrent auprès de lui. « Hommes, » dit Math, « la paix, vous l’avez eue, l’affection, vous l’aurez aussi ; conseillez-moi : quelle pucelle prendrai-je ? » ― « Seigneur, » répondit Gwydyon, « rien de plus facile : Aranrot [40], fille de Don, ta nièce, la fille de ta sœur. » On alla la lui chercher : la jeune fille entra. « Jeune fille, » dit Math, « es-tu vierge ? » ― « Pas autre chose, seigneur, » répondit-elle, « à ma connaissance. » Alors, il prit sa baguette et la courba. « Passe par-dessus, » dit-il, « et, si tu es vierge, je le reconnaîtrai. » Elle fit un pas par-dessus la baguette enchantée et, en même temps, elle laissa après elle un enfant blond et fort. Aux cris de l’enfant, elle chercha la porte, et aussitôt elle laissa encore quelque chose après elle, comme un petit enfant, mais, avant que personne ne pût l’apercevoir une seconde fois, Gwydyon saisit l’enfant, l’enroula dans un manteau de paile et le cacha au fond d’un coffre, au pied de son lit. « Eh bien, » dit Math, fils de Mathonwy, en parlant de l’enfant blond, « je vais faire baptiser celui-ci, et je lui donnerai le nom de Dylan. » On le baptisa. À peine fut-il baptisé qu’il se dirigea vers la mer. Aussitôt qu’il y entra, sur le champ il en prit la nature et devint aussi bon nageur que le plus rapide des poissons. Aussi l’appela-t-on Dylan Eil Ton [41] (Dylil an, fils de la vague). Jamais vague ne se brisa sous lui. Le coup qui causa sa mort partit de la main de Govannon [42] son oncle, et ce fut un des trois coups funestes.

Comme Gwydyon était un jour au lit mais éveillé, il entendit des cris dans le coffre qui était au pied de son lit ils étaient tout juste assez forts pour être entendus de lui. Il se leva précipitamment et ouvrit le coffre. Il aperçut un petit garçon remuant les bras du milieu du manteau et le rejetant. Il prit l’enfant dans ses bras se rendit avec lui en ville, dans un endroit où il savait trouver une femme pouvant donner le sein et fit marché avec elle pour nourrir l’enfant. On le nourrit une année. Au bout de l’année, il était d’une taille qui eût parut forte même pour un enfant de deux ans. Au bout de la seconde année, c’était un grand enfant capable d’aller tout seul à la cour. Quand il fut à la cour, Gwydyon veilla sur lui ; l’enfant se familiarisa avec lui et l’aima plus que personne. Il fut élevé à la cour ainsi jusqu’à l’âge de quatre ans ; il eût été bien assez développé pour un enfant de huit ans. Un jour, il alla se promener au dehors à la suite de Gwydyon. Celui-ci se rendit avec lui à Kaer Aranrot. En le voyant entrer, Aranrot se leva pour aller à sa rencontre, lui souhaiter la bienvenue et le saluer. « Dieu te donne bien, » dit-il, ― « Quel est donc, » dit-elle, « cet enfant qui te suit ? » ― « Cet enfant c’est ton fils, » répondit Gwydyon. ― « Homme, » s’écria-t-elle, « quelle idée t’a pris de m’outrager ainsi, de poursuivre et de maintenir aussi longtemps mon déshonneur ? » ― « Si tu n’as pas d’autre déshonneur que celui de voir nourrir par moi un enfant aussi beau que celui-ci, ce sera peu de chose. » ― « Quel est le nom de ton fils ? » ― « Eh bien, je jure qu’il aura cette destinée qu’il n’aura pas de nom avant d’en avoir reçu un de moi. » ― « J’en atteste Dieu ; tu es une femme de rien ; l’enfant aura un nom quand même tu le trouverais mauvais, et toi, tu ne retrouveras plus jamais celui que tu es si furieuse d’avoir perdu, celui de pucelle. » En disant ces mots, il sortit furieux et retourna à Kaer Dathyl où il passa la nuit.

Le lendemain il se leva, prit l’enfant avec lui et alla se promener sur les bords de la mer, entre l’Océan et Aber Menei. Il fit paraître par enchantement un navire à l’endroit où il aperçut des algues et du varech ; il transforma les algues et le goémon en cordwal en grande quantité ; il lui donna diverses couleurs au point qu’on ne pouvait voir de plus beau cuir. Il mit à voile et se rendit lui et l’enfant à la porte de l’entrée de Kaer Aranrot. Puis il se mit à façonner des souliers et à les coudre. On le remarqua du fort. Aussitôt qu’il s’en aperçut, il changea ses traits et ceux de l’enfant pour qu’on ne pût les reconnaître. « Quels hommes sont à bord de ce navire ? » dit Aranrot. ― « Ce sont des cordonniers, » lui fut-il répondu. ― « Allez voir quelle espèce de cuir ils ont et comment ils travaillent. » On se rendit auprès d’eux, et on trouva Gwydyon en train de colorer le cuir : il le dorait. Les messagers allèrent le rapporter à Aranrot. « Eh bien dit-elle, « portez la mesure de mon pied à ce cordonnier et dites-lui de me faire des souliers. » Il façonna les souliers, mais non d’après sa mesure il les fit plus grands. On apporta les souliers : ils étaient trop grands. « Ils sont trop grands, » dit-elle ; « je les lui paierai, mais qu’il en fasse une paire de plus petits. » Que fit-il ? Il lui en façonna une paire beaucoup trop petite pour son pied et la lui envoya. « Dites-lui, » dit-elle, « que ceux-ci ne me vont pas non plus. » On lui rapporta ces paroles. « Eh bien, » s’écria-t-il, « je ne lui ferai pas de souliers avant d’avoir vu son pied. » On alla le lui dire. « Eh bien, » s’écria-t-elle, « je vais aller jusqu’à lui. » Elle se rendit au navire : il était en train de tailler et le jeune garçon de coudre. « Princesse, » dit-il, « bonjour à toi. » ― « Dieu te donne bien, » répondit-elle. « Je suis étonnée que tu ne puisses arriver à me faire des souliers sur mesure. » ― « C’est vrai, mais je le pourrai maintenant. » À ce moment, un roitelet se dressa sur le pont du navire. L’enfant lui lança un coup et l’atteignit entre le nerf de la jambe et l’os. Elle se mit à rire. « En vérité, » s’écria-t-elle, « c’est d’une main bien sûre que le lleu [43] l’a atteint. » ― « Eh bien, » dit Gwydyon, « il a un nom, sans que nous ayons à prier Dieu de t’en récompenser, et le nom n’est pas mauvais désormais, il s’appellera Lleu Llaw Gyffes. » Aussitôt, tout ce qu’il avait fait se transforma en algue et en goémon, et il ne continua pas plus longtemps ce travail, qui lui valut d’être appelé un des trois eurgrydd (cordonniers-orfèvres) [44]. « En vérité, » dit-elle, « tu ne te trouveras pas mieux de te montrer méchant envers moi. » ― « Je ne l’ai pas été, » répondit-il. Et il rendit à l’enfant ses traits. « Eh bien, » dit-elle, « je jure que l’enfant aura pour destinée de n’avoir pas d’armure avant que je l’en revête moi-même. » ― « Par moi et Dieu, » dit Gwydyon, « tu peux être aussi perverse que tu voudras, il aura des armes. » Ils se rendirent à Dinas Dinllev [45]. Il y éleva l’enfant jusqu’à ce qu’il fût en état de monter n’importe quel cheval et qu’il eût atteint tout son développement comme visage, taille et corpulence. Gwydyon s’aperçut qu’il était humilié de n’avoir pas de cheval ni d’armes, il l’appela auprès de lui. « Garçon » lui dit-il, « nous irons en expédition demain toi et moi : sois donc plus joyeux que cela. » ― « je le serai, » répondit le jeune homme. Le lendemain, ils se levèrent dans la jeunesse du jour et remontèrent la côte jusqu’à Brynn Aryen [46]. Arrivés au haut de Kevyn Clutno [47], ils s’équipèrent eux et leurs chevaux, et se dirigèrent vers Kaer Aranrot. Ils changèrent leurs traits et se rendirent à l’entrée sous l’aspect de deux jeunes gens, Gwydyon ayant pris toutefois un visage plus grave que son compagnon. « Portier, » dit-il, « rentre et dis qu’il y a ici des bardes de Morgannwc. » Le portier obéit. « Qu’ils soient les bienvenus au nom de Dieu, » dit-elle ; « laisse-les entrer. » On leur fit le meilleur accueil. La salle fut préparée et ils se mirent à table. Quand on eut fini de manger, elle causa avec Gwydyon de contes et histoires. Gwydyon était bon conteur. Quand ce fut le moment de cesser de boire, on leur prépara une chambre et ils allèrent se coucher. Gwydyon se leva de grand matin et appela à lui sa magie et son pouvoir. Un grand mouvement de navires et un grand bruit de trompettes auxquels répondirent de grands cris dans la campagne, se firent entendre. Quand le jour vint, ils entendirent frapper à la porte de la chambre, et Aranrot demander qu’on lui ouvrît. Le jeune homme se leva et ouvrit. Elle entra suivie d’une pucelle [48]. « Gentilshommes, » dit-elle, « nous sommes dans une mauvaise situation. » ― « Oui, » répondirent-ils ; « nous entendons le son des trompettes et les cris ; que t’en semble. » ― « En vérité, » dit-elle, « il est impossible de voir les flots, tellement les navires sont serrés les uns contre les autres. Ils se dirigent vers la terre de toute leur vitesse. Que faire ? » ― « Princesse, il n’y a pas autre chose à faire que de nous renfermer dans le fort et le défendre du mieux que nous pourrons. » ― « Dieu vous le rende. Défendez-le ; vous trouverez ici des armes en abondance. »

Elle alla leur chercher des armes. Elle revint avec deux pucelles, apportant chacune une armure « Princesse, » dit Gwydyon, « revêts son armure à ce jeune homme ; moi je revêtirai l’autre avec le secours des deux pucelles. J’entends le tumulte de gens qui arrivent. » ― « Volontiers, » répondit-elle. Elle le revêtit avec empressement d’une armure complète. « As-tu fini, » dit Gwydyon à Aranrot, « d’armer ce jeune homme ? » ― « C’est fait, » répondit-elle.

― « J’ai fini moi aussi. Tirons maintenant nos armures ; nous n’en n’avons plus besoin. » ― « Oh ! pourquoi ? Voici la flotte autour de la maison. » ― « Non, femme, il n’y a pas la moindre flotte. » ― « Que signifiait donc toute cette levée ? » ― « C’était pour rompre le sort que tu as jeté sur ce jeune homme et lui procurer des armes, et il en a eu sans que tu aies droit à des remerciements. »

― « Par moi et Dieu, tu es méchant homme. Il se pourrait que bien des jeunes gens perdissent la vie à cause de la levée que tu as occasionnée dans ce cantrev aujourd’hui. Je jure que ce jeune homme aura pour destinée de n’avoir jamais une femme de la race qui peuple cette terre en ce moment. » ― « En vérité, » dit-il, « tu as toujours été une femme de rien, que personne ne devrait soutenir. Il aura une femme quand même. » Ils se rendirent auprès de Math, fils de Mathonwy, et se plaignirent d’Aranrot avec la plus grande insistance. Gwydyon lui apprit comment il avait procuré une armure au jeune homme. « Eh bien, » dit Math, « cherchons, au moyen de notre magie et de nos charmes à tous les deux, à lui faire sortir une femme des fleurs. » Il avait alors la stature d’un homme et c’était bien le jeune homme le plus accompli qu’on eût jamais vu. Ils réunirent alors les fleurs du chêne, celles du genêt et de la reine des prés, et, par leurs charmes, ils en formèrent la pucelle la plus belle et la plus parfaite du monde. On la baptisa suivant les rites d’alors et on la nomma Blodeuwedd [49]. Lorsqu’ils eurent couché ensemble, pendant le festin, Gwydyon dit : « Il n’est pas facile de s’entretenir sans domaines. » ― « Et bien, » répondit Math, « je lui donnerai le meilleur cantrev qu’un jeune homme puisse avoir. » ― « Quel cantrev, seigneur ? » ― « Celui de Dinodig. » (Ce cantrev porte aujourd’hui les noms d’Eivynydd et Ardudwy) [50]. On lui bâtit une cour à l’endroit qu’on appelle Mur y Castell [51], dans la partie escarpée d’Ardudwy. C’est là qu’il habita et régna. Tout le monde fut content et accepta avec plaisir sa domination.

Un jour, il se rendit à Kaer Dathyl pour faire visite à Math, fils de Mathonwy. Ce jour-là, Blodeuwedd se mit à se promener dans l’enceinte de la cour. Le son d’un cor se fit entendre, et aussitôt elle vit passer un cerf fatigué poursuivi par les chiens et les chasseurs. Après les chiens et les chasseurs venait toute une troupe de gens à pied, « Envoyez un valet, » dit-elle, « savoir à qui est cette troupe-là. » Un valet sortit et demanda qui ils étaient. ― « La troupe de Gronw Pebyr[52], seigneur de Penllynn[53], » répondirent-ils. Le valet revint le lui dire. Pour Gronw, il continua à poursuivre le cerf, l’atteignit sur les bords de la rivière Kynvael et le tua. Il fut occupé à l’écorcher et à donner la curée aux chiens jusqu’à ce que la nuit vînt le surprendre.

Quand il vit le jour s’en aller et la nuit approcher, il passa devant l’entrée de la cour. « Il est bien sûr, » dit Blodeuwedd, « que nous ferons mal parler de nous par ce seigneur, si nous le laissons, à une pareille heure, aller à un autre endroit sans l’inviter. » ― « Assurément, princesse, » répondirent ses gens, « il vaut mieux l’inviter. » Des messagers allèrent lui porter l’invitation. Il accepta avec plaisir et se rendit à la cour. Elle alla au devant de lui pour lui souhaiter la bienvenue et le saluer. « Princesse, » dit-il, « Dieu te récompense de ton bon accueil. » Il se désarma et ils s’assirent. Blodeuwedd le regarda et, à partir de ce moment, il n’y eut pas une place dans tout son être qui ne fut pénétrée de son amour. Il jeta lui aussi les yeux sur elle et il fut envahi par les mêmes sentiments. Il ne put lui cacher qu’il l’aimait ; il le lui dit. Elle en fut toute réjouie. L’amour qu’ils avaient conçu l’un pour l’autre fut l’unique sujet de leur entretien ce soir-là. Ils ne tardèrent guère à s’unir : cette nuit même ils couchèrent ensemble. Le lendemain, il voulut partir. « Non, assurément, » dit-elle, « tu ne t’en iras pas d’auprès de moi ce soir. » Ils passèrent la nuit ensemble et se concertèrent pour savoir comment ils pourraient vivre réunis. « Il n’y a qu’un moyen, » dit-il, « il faut que tu cherches à savoir de lui comment on peut lui donner la mort, et cela sous couleur de sollicitude pour lui. » Le lendemain il voulut partir. « Vraiment, » dit-elle, je ne suis pas d’avis que tu t’en ailles d’auprès de moi aujourd’hui. » ― « Puisque tel est ton avis, je ne m’en irai pas, » répondit-il, « je te ferai seulement remarquer qu’il est à craindre que le seigneur de cette cour ne revienne à la maison. » ― « Eh bien, demain, je te permettrai de t’en aller. » Le lendemain, il voulut partir, et elle ne s’y opposa pas. « Rappelle-toi, » dit-il, « ce que j’ai dit ; presse-le de questions, et cela, comme en plaisantant, par tendresse ; applique-toi à savoir de lui comment la mort pourrait lui venir. »

Lleu Llaw Gyffes revint chez lui ce soir-là. Ils passèrent le temps en causeries, musique, festin, et dans la nuit, allèrent coucher ensemble. Il lui adressa la parole une fois, puis une seconde, sans obtenir de réponse. « Qu’as-tu, » lui dit-il, « tu n’es pas bien ? » ― « Je réfléchis, » répondit-elle, « à une chose qui ne te viendrait jamais à l’esprit à mon sujet : je suis soucieuse en pensant à ta mort au cas où tu t’en irais avant moi. » ― « Dieu te récompense de ta sollicitude ; mais si Dieu lui-même ne s’en mêle, il n’est pas facile de me tuer. » – « Voudrais-tu, pour l’amour de Dieu et de moi, m’indiquer de quelle façon on pourrait te tuer ? car, pour ce qui est des précautions, j’ai meilleure mémoire que toi. » ― « Volontiers. Il n’est pas facile de me tuer en me frappant : il faudrait passer une année à faire le javelot dont on se servirait et n’y travailler que pendant la messe le dimanche. » ― « Est-ce sûr ? » ― « Bien sûr. On ne peut me tuer dans une maison, on ne le peut dehors ; on ne peut me tuer, si je suis à cheval ; on ne le peut, si je suis à pied. » ― « Eh bien, de quelle façon peut-on donc te tuer ? » ― « je vais te le dire : il faut me préparer un bain sur le bord d’une rivière, établir au-dessus de la cuve une claie voûtée, et ensuite la couvrir hermétiquement, amener un bouc, le placer à côté de la cuve ; il faudrait que je misse un pied sur le dos du bouc et l’autre sur le bord de la cuve quiconque m’atteindrait dans ces conditions, me donnerait la mort. » ― « J’en rends grâces à Dieu, c’est là une chose facile à éviter. » Elle n’eut pas plutôt obtenu la révélation qu’elle la fit parvenir à Gronw Pebyr. Gronw s’occupa de la fabrication de la lance, et, au bout de l’année, jour par jour, elle fut prête. Il le fit savoir, le jour même, à Blodeuwedd. « Seigneur, » dit celle-ci à Lleu, « je me demande comment pourrait se réaliser ce que tu m’as dit. Voudrais-tu me montrer comment tu te tiendrais sur le bord de la cuve et sur le bouc, si je prépare moi-même le bain ? » ― « Je te le montrerai, » répondit-il. Elle envoya vers Gronw et l’avertit de se tenir à l’abri de la colline qu’on appelle maintenant Brynn Kyvergyr [54] sur les bords de la rivière Kynvael. Elle fit rassembler tout ce qu’elle trouva de chèvres dans le cantrev et les amena de l’autre côté de la rivière en face de Brynn Kyvergyr.

Le lendemain, elle dit à Lleu : « Seigneur, j’ai fait préparer la claie et le bain : ils sont prêts. » ― « C’est bien, » répondit-il, « allons voir. » Ils allèrent voir le bain. « Veux-tu aller dans le bain, seigneur, » dit-elle ? ― « Volontiers, répondit-il. Il y alla et prit son bain. « Seigneur, » dit-elle, « voici les animaux que tu as dit s’appeler boucs. » ― « Eh bien, » répondit-il, « fais en prendre un et fais-le amener ici. » On amena le bouc. Lleu sortit du bain, mit ses chausses et posa un pied sur le bord de la cuve, et l’autre sur le dos du bouc. Gronw se leva alors, à l’abri de la colline qu’on appelle Brynn Kyvergyr, et, appuyé sur un genou, il frappa de la lance empoisonnée, et l’atteignit si violemment dans le flanc, que la hampe sauta, et que le fer resta dans le corps. Lleu s’envola sous la forme d’un oiseau en jetant un cri strident, affreux, et on ne le revit plus.

Aussitôt qu’il eut disparu, ils se rendirent, eux, à la cour, et, cette nuit même, couchèrent ensemble. Le lendemain, Gronw se leva et pris possession d’Ardudwy. Après s’en être rendu maître, il le gouverna et devint seigneur d’Ardudwy et de Penllyn [55]. L’histoire parvint aux oreilles de Math, fils de Mathonwy. Math en conçut profonde douleur et grand chagrin, et Gwydyon beaucoup plus encore. « Seigneur, » dit Gwydyon, « je ne prendrai jamais de repos avant d’avoir eu des nouvelles de mon neveu. » ― « Bien, » dit Math, « Dieu te soit en aide. » Il partit et se mit à parcourir le pays ; il erra à travers Gwynedd et Powys d’un bout à l’autre. Ensuite il se rendit en Arvon, et arriva à la maison d’un serf qui habitait le maenawr de Pennardd. Il descendit chez lui et y passa la nuit. Le maître de la maison et les gens de sa famille rentrèrent. Le porcher arriva le dernier. Le maître lui dit : « Valet, ta truie est-elle rentrée ce soir ? » ― « Oui répondit-il ; « en ce moment elle est venue rejoindre les porcs. » ― « Quel trajet fait donc cette truie, ? » demanda Gwydyon. ― « Tous les jours, aussitôt qu’on ouvre l’écurie, elle sort et on ne la voit plus ; on ne sait quel chemin elle a pris, pas plus que si elle allait sous terre ! » ― « Voudrais-tu, » reprit Gwydyon, « me faire plaisir de ne pas ouvrir la porte de l’écurie avant que je ne sois avec toi à côté ? » ― « Volontiers. » Ils allèrent se coucher.

Au point du jour, le porcher se leva et réveilla Gwydyon. Il se leva, s’habilla, alla avec le porcher, et se tint auprès de l’écurie. Le porcher ouvrit la porte ; au même moment, la truie s’élança dehors et se mit à marcher d’une allure vigoureuse. Gwydyon la suivit. Elle prit sa course en remontant le cours de la rivière, se dirigea vers le vallon qu’on appelle maintenant Nant y Llew (le Ravin du Lion) ; là, elle s’arrêta et se mit à paître. Gwydyon vint sous l’arbre et regarda ce que mangeait la truie. Il vit que c’étaient de la chair pourrie et des vers. Il leva les yeux vers le haut de l’arbre et aperçut un aigle au sommet. À chaque fois que l’aigle se secouait, il laissait tomber des vers et de la chair en décomposition que mangeait la truie. Gwydyon pensa que l’aigle n’était pas autre que Lleu, et chanta cet englyn :

Chêne qui pousse entre deux glens, l’air et le vallon sont sombres et agités : si je ne me trompe, ces débris décomposés sont ceux de Llew[56].

L’aigle se laissa aller jusqu’au milieu de l’arbre. Gwydyon chanta un second englyn :

Chêne qui pousse sur cette terre élevée, que la pluie ne peut

plus mouiller, n’a pas amolli, qui a supporté cent quatre-vingts tempêtes : à son sommet est Lleu Llaw Gyffes.

L’aigle se laissa aller jusque sur la branche la plus basse de l’arbre. Gwydyon chanta un troisième englyn :

Chêne qui pousse sur la pente… si je ne me trompe, Lleu viendra
dans mon giron.

L’aigle se laissa tomber sur les genoux de Gwydyon. D’un coup de sa baguette enchantée, Gwydyon lui rendit sa forme naturelle. On n’avait jamais vu quelqu’un présentant plus triste aspect : il n’avait que la peau et les os.

Gwydyon se rendit avec lui à Kaer Dathyl. On amena, pour le soigner, tout ce qu’on put trouver de bons médecins en Gwynedd. Avant la fin de l’année, il était complètement rétabli. « Seigneur, » dit-il alors à Math, fils de Mathonwy, « il est temps que j’aie satisfaction de l’homme dont j’ai eu souffrance. » ― « Assurément, » répondit Math, « il ne peut se maintenir sans te rendre satisfaction. » ― « Le plus tôt que j’obtiendrai satisfaction sera le mieux pour moi. »

Ils rassemblèrent toutes les troupes de Gwynedd et marchèrent sur Ardudwy. Gwydyon, qui était à leur tête, se dirigea sur Mur y Castell. Blodeuwedd, à la nouvelle de leur approche, pris ses suivantes avec elle, et se dirigea, à travers la rivière Kynvael, vers une cour située sur la montagne. Leur terreur était telle qu’elles ne pouvaient marcher qu’en retournant la tête ; elles tombèrent ainsi dans l’eau sans le savoir, et se noyèrent toutes à l’exception de Blodeuwedd. Gwydyon l’atteignit alors, et lui dit « Je ne te tuerai pas, je ferai pis [57]. Je te laisserai aller sous la forme d’un oiseau. Pour te punir de la honte que tu as faite à Lleu Llaw Gyffes, tu n’oseras jamais montrer ta face à la lumière du jour, par crainte de tous les autres oiseaux. Leur instinct les poussera à te frapper, à te traiter avec mépris partout où ils te trouveront. Tu ne perdras pas ton nom, on t’appellera toujours Blodeuwedd. » On appelle en effet le hibou Blodeuwedd, aujourd’hui encore [58]. C’est ainsi que le hibou est devenu un objet de haine pour tous les oiseaux.

Gronw Pebyr, lui, retourna à Penllynn, d’où il envoya une ambassade à Lleu Llaw Gyffes pour lui demander s’il voulait, pour prix de son outrage, terre, domaines, or ou argent. « Je n’accepte pas, » répondit-il, « j’en atteste Dieu. Voici le moins que je puisse accepter de lui : il se rendra à l’endroit où je me trouvais quand il me donna le coup de lance, tandis que moi je serai à la même place que lui, et il me laissera le frapper d’un coup de lance. C’est la moindre satisfaction que je puisse accepter. » On en informa Gronw Pebyr. « Eh bien, » dit-il, « je suis bien forcé de le faire. Nobles fidèles, gens de ma famille, mes frères de lait, y a-t-il quelqu’un de vous qui veuille recevoir le coup à ma place ? » ― « Non pas, » répondirent-ils. C’est à cause de cela, parce ce qu’ils ont refusé de souffrir un coup à la place de leur seigneur, qu’on n’a cessé de les appeler depuis, la troisième famille déloyale [59]. « Eh bien, » dit-il, « c’est donc moi qui le supporterai. »

Ils se rendirent tous les deux sur les bords de la rivière de Kynvael. Gronw se tint à l’endroit où était Lleu Llaw Gyffes quand il le frappa, tandis que Lleu occupait sa place. Grown Pebyr dit alors à Lleu : « Seigneur, comme c’est par les artifices pervers d’une femme que j’ai été amené à ce que j’ai fait, je te prie, au nom de Dieu, de me laisser mettre entre moi et le coup, cette pierre plate que j’aperçois sur le bord de la rivière. » ― « Je ne refuserai pas cela, assurément, » répondit Lleu. ― « Dieu te le rende. » Gronw prit la pierre et la tint entre lui et le coup. Lleu darda sa lance, traversa la pierre de part en part, et Gronw lui-même, au point qu’il lui rompit le dos. Ainsi fut tué Gronw Pebyr. Il y a encore là, sur le bord de la rivière Kynvael, une pierre percée d’un trou ; et, en souvenir de ce fait on l’appelle encore aujourd’hui Llech Gronw [60]. Lleu Llaw Gyffes reprit possession du pays, et le gouverna heureusement. D’après ce que dit le devint ensuite seigneur de Gwynedd. Ainsi se termine cette branche du Mabinogi.


  1. ’Math. « Les trois premières magies, » disent les Triades, « sont : celle de Math, fils de Mathonwy, qu’il apprit à Gwydyon, fils de Don, celle d’Uthur Pendragon, qu’il apprit à Menw, fils de Teirgwaedd, celle de Rudlwm Gorr, qu’il apprit à Coll, fils de Collvrewi son neveu. » (Triades Mab., p 302, 1. 20 ; cf. Skene, Four anc. books, append. II, p. 460 : Rudlwm est remplacé par Gwidolwyn Gorr). Taliesin parle de la baguette enchantée de Mathonwy (Skene. Four anc. books, p. 947, 25), et fait aussi une allusion à la magie de Math (ibid., p. 200, v. 1). « J’ai été, » dit aussi un poète du Livre Rouge, « avec des hommes artificieux, avec le vieux Math et Govannon (Skene, Four ancient books, p. 303, v. 20 ; le texte donne gan Vathheu, il faut lire gan Vath hen). » Dafydd ab Gwilym nomme comme les trois maîtres en magie, Menw, Eiddilic Corr le Gaël, et Maeth (sic), sans qu’il soit possible de supposer une erreur de l’éditeur pour Math (p. 143). M. Rhys en fait une sorte de Plutus ou Pluton gallois (Lectures on welsh philology, 2e édit., p. 413, 414). Il est évident. que les. trois noms de Math, Mathonwy, Matholwch dérivent de la même racine. Zimmer a voulu tirer Mathonwy d’un nom irlandais au génitif Mathgamnai (auj. Mahony). C’est invraisemblable pour bien des raisons. (Zimmer, Götting. Gelehrte Anz., 1890, p. 512). Les dérivés en -onwy sont fréquents en gallois : Daronwy, Gronwy, Gwynonwy, Euronwy, etc.
  2. Gwynedd. Cette expression désigne tout le nord du pays de Galles compris entre la mer, depuis la Dee à Basingwerk jusqu’à Aber Dyfi, au nord et à l’ouest ; la Dyfi au sud-ouest ; au sud et à l’est, les limites sont moins naturelles ; Gwynedd est séparé de Powys en remontant jusqu’à la Dee tantôt par des montagnes, tantôt par des rivières. Gwynedd comprenait donc Anglesey, le Carnarvonshire, le Merlonethshire, une partie du Flintshire et du Denbighshire. Suivant M. Rhys, Gwynedd, à une certaine époque, aurait désigné spécialement la partie comprenant la vallée de la Clwyd et le district à l’est de cette vallée et au nord de la Mawddach. Gwynedd est identique à l’irlandais Fine, « tribu » (Zeuss, Grammatica celtica, 2e édit., VIII, note 1). Le nom des Veneti, aujourd’hui Gwenet en breton armoricain, appartient peut-être à la même racine, mais n’a pas le même suffixe (Sur les autres formes de ce nom, voy. Rhys, Lectures, p. 369-370).
  3. Voy. la note à Dyved, Pwyll, p. 81. Ce qui est digne de remarque, c’est que le mabinogi attribue sept cantrevs à Morgannwc qui n’en comptait, au XIIIe siècle, que quatre (Myv., arch., p. 737) cf. The Book of Llandav, éd., Rhys-Evans p. 247 249). C’est exactement l’étendue du royaume de Iestin ab Gwrgan, roi de Glamorgan de 1043 à 1091 (Iolo mss., p. 22). Le Liber Landavensis, d’après un document disparu mais d’accord en principe avec les Iolo mss., nous donne également sept cantrevs pour Morgannwc. Outre Gwent, les deux documents donnent à Morgannwc Ystrad Yw, dans le Brecknockshire, et Euyas dans le Herefordshire. Ces deux districts auraient été adjugés par le roi Edgar à Morgan Hen et à son fils, contre Howell Dda (Book of Llandav, p. 248 ; cf. Myv. arch., p. 739, col. 2). Morgan Hen (le vieux) mourut en 980. Le comté actuel de Glamorgan (pour Gwlad Morgan, le pays de Morgan), ne représente pas exactement l’ancien Morgannwg : sur ce comté cf. Egerton Phillimore, Owen’s Pembrok., p. 208, note 1.
  4. En gros, Ystrad Tywi (vallée de la Tywi), représente le comté actuel de Carmarthen. Il y a cependant deux modifications importantes : le Carmarthenshire ne comprend pas le Cymmwd de Gower qui est actuellement en Glamorganshire ; il comprend, en exceptant le petit district de Velfrey, tout le Cantref Gwarthaf, le plus considérable des sept Cantrefs de Dyfed (Egerton Phillimore, Owen’s Pembrok. I, p. 216, note 1).
  5. Parmi les fonctionnaires de la cour, figure, dans les Lois, le Troediawc ou porte-pied. Son office consiste à tenir le pied du roi dans son giron, depuis le moment où il s’esseoit à table jusqu’au moment où il va se coucher ; il doit gratter le roi, et défendre le roi tout ce temps contre tout accident. Il a sa terre libre, sa toile et son drap du roi, et un cheval aux frais du roi. Il mange au même plat que le roi, le dos tourné au feu. Son sarhaet « compensation pour outrage, » est de cent vingt vaches payées en argent. Sa valeur personnelle est de cent vingt-six vaches, avec augmentation possible. Il peut protéger un coupable en le faisant sortir depuis le moment où le roi met le pied dans son giron jusqu’au moment où il se retire dans sa chambre (Ancien Laws, 1, p. 622, 660, 678).
  6. Dol, pré ou vallon fertile, souvent sur les bords d’une rivière. Dol Pebin est entre Llanllyfni et Nantlle Lakes en Carnarvon (Egerton Phillimore, Owen’s Pembrokeshire, II, p. 351.
  7. Caer Dathl, ou, avec une voyelle irrationnelle ou euphonique, Caer Dathyl et Dathal ; est encore un nom de lieu du Carnarvonshire. Le caer ou fort se trouvait sur une éminence près de Llanrwst (Lady Guest, d’après le Cambro-Briton, II, p. 3). Il en est souvent question dans les Mab. et ailleurs (Myv. arch., p. 151 col. 1 ; Llewis Glyn Cothi, IV, 1, 7).
  8. Les enfants de Don sont Amaethon, Gilvaethwy, Govannon, Heveydd, Gwydyon et Aranrot. Ce mabinogi fait de Don leur mère. Suivant les Iolo mss., il y a eu un Don roi de Llychlyn (Scandinavie) et de Dulyn (Dublin) qui, vers 267 après J.-C., amena les Gaëls en Gwynedd. Ils y restèrent pendant cent vingt-neuf ans, jusqu’à l’époque où ils furent chassés par les fils de Cunedda venant du nord de l’Angleterre (p. 81). Il y a eu encore ici probablement confusion entre un personnage mythologique et un personnage réel. Chez les Irlandais, il y a aussi un Don, l’aîné des fils de Milet, personnage mythologique, et un Don Dess, roi de Leinster, dont les fils ravagèrent, avec un roi des Bretons, la plus grande partie des côtes de Bretagne (O’Curry, On the manners, II, 189 ; III, 136, 13-1).
  9. Eveidd, appelé Euuyd chez Taliesin (Skene, p. 200, v. 1).
  10. Gwydyon est le plus célèbre des fils de Don, et un personnage des plus fameux dans la légende galloise. Suivant les Iolo mss., il était roi de Mon et de Gwynedd. Ce serait lui qui, le premier, aurait appris la lecture et les sciences des livres aux Gaëls de Mon et d’Irlande. Il aurait appelé auprès de lui Maelgyn Hir, barde de Landaf, qui aurait remporté tous les prix et aurait péri victime de la jalousie des Gaëls (77, 78). Dans les Triades, c’est un des trois astrologues avec Idris Gam et Gwynn ab Nudd (Myv. arch., p. 409, col. 1) ; c’est un grand magicien ; il apprend la magie de Math (voy. la note à Math) ; c’est par sa magie qu’il gouverne Gwynedd, aidé en cela des conseils de Mor ap Morien (Iolo mss., p. 263, 20). C’est un des trois grands bergers de l’île ; il garde son troupeau de deux mille vaches à lait en Gwynedd, au-dessus de Conwy ; les deux autres sont Benren, qui garde les troupeaux de Caradawc ab Bran et Llawfrodedd Varvawc, qui garde les troupeaux de Nudd Hael. Le Livre Noir mentionne Caer Lew et Gwydyon (Skene, Four ancient books, II, p. 57, 3). Taliesin le mentionne souvent (Skene, Four ancient books, II, p. 138, 29 ; 154, 25 : « J’ai été au combat de Goddeu avec Llew et Gwydyon »). Un de ses poèmes est, à ce sujet, particulièrement intéressant : « L’homme le plus habile dont j’aie entendu parler est Gwydyon ap Don, aux forces terribles – je lis dygynnertheu au lieu de dygynuertheu ; on pourrait aussi supposer dygynwyrtheu, « aux prodiges terribles », – qui a tiré par magie une femme des fleurs, qui emmena les porcs du Sud ; car c’est lui qui avait la plus grande science (Kan bu idaw disgoreu, « leg. Kan bu idaw disc goren)… qui forma du sol ( ? ) de la cour des coursiers et des selles remarquables » (Skene, p. 158, vers 13-21). Plus loin, le poète nous dit qu’il a vu, le dimanche, une lutte terrible dans laquelle était engagé Cwydyon à Nant Ffrangcon (près de Carnarvon) ; le jeudi ils vont à Mon (ibid., v. 27). Le Livre Rouge vante aussi l’habileté de Lleu et Gwydyon (Skene, II, p. 302, v. 8). Llewis Glyn Cothi fait allusion à Caer Gwydyon qui, d’après les éditeurs, serait la voie lactée (p. 254, vers. 1). Gilvaethwy n’est guère connu.
  11. V. le mabinogi de Lludd et Llevelys : les Corranicit, race étrangère, avaient ce privilège.
  12. Une des trois grandes divisions du pays de Galles. Powys, à l’époque de sa plus grande étendue, était borné à l’ouest et au nord-ouest, par Gwynedd ; au sud, par le Cardiganshire et la Wye, et à l’est, par les marches d’Angleterre, depuis Chester jusqu’à la Wye, un peu au-dessus d’Hereford. La capitale avait d’abord été Pengwern, aujourd’hui Shrewsbury, appelée par les Gallois maintenant Amwythic. Les empiètements des Saxons firent transporter la capitale de Pengwern plus à l’intérieur, à Mathraval. Suivant Powel, ce transfert aurait eu lieu en 796, après l’achèvement du fossé d’Offa : mais les Iolo mss., p. 30, donnent encore Pengwern comme capitale du temps de Rhodri le Grand qui mourut en 877.
  13. Le Sud (Deheubarth), formant le royaume de Dinevwr, comprenait tout le reste du Pays de Galles, c’est-à-dire tout l’ancien pays des Demetae et des Silures représentés par les deux évêchés de Saint-David et de Llandaf.
  14. Hob. Ce mot n’est plus usité. Il a été conservé dans une chanson très populaire dont la ritournelle est hob y deri dando.
  15. Le texte de ce passage n’est pas certain. Il semble qu’on soit ici en présence d’une glose du copiste du xive siècle, à en juger par le dictionnaire de Davies au mot hob ; après avoir renvoyé à ce passage de notre mabinogi, Davies ajoute : « hinc usitatum hannerhob. » Hannerhwch = hanner « moitié ; » hwch « truie ». Hannerhob aujourd’hui encore, a le sens de tranche de lard.
  16. Keredigyawn ou pays de Ceretic (V. trad. II, p.323, XXXIII), correspondait à peu près exactement au comté actuel de Cardigan.
  17. Rhuddlan Teivi, Rhuddlan, sur les bords de la Teivi, pour le distinguer d’autres Rhuddlan (plus anciennement Ruddglan, « la rive rouge »). C’est peut-être Glan Teivy, d’après lady Guest, à un mille et demi de Cardigan Bridge. Il y a des villages de Rulann en Bretagne armoricaine aussi.
  18. Penkerdd, « chef du chant ou des musiciens. » Le pencerdd est, à l’époque où les lois de Gwynedd et de Dyved ont été écrites, le même personnage que le barde à chaire ; cela est dit expressément dans les lois de Dyved (Ancient laws, I, p. 382, 9). Le huitième personnage de la cour est le barde de la famille. Il a sa terre libre, son cheval aux frais du roi, son habit de toile de la reine et son habit de laine du roi. Il s’assied auprès du Penteulu, ou chef de la maison royale, aux trois principales fêtes de l’année et celui-ci lui met la harpe en main. Quand on désire de la musique, c’est au barde à chaire ou au chef des bardes, comme dans notre mabinogi, à commencer. Il a droit à une vache et à un bœuf sur le butin fait par le clan dans une contrée voisine, après que le tiers a été donné au roi ; pendant le partage des dépouilles, il chante Unbeynyaeth Prydyn, « monarchie de Bretagne. » Sa valeur est de 123 vaches (Ancient laws, I, p. 33-34).
  19. Voir plus haut la note à Gwydyon.
  20. Moch, « porcs ; » trev, « habitation, ville. » Ce nom se retrouve très vraisemblablement en Armorique dans Motreff, près Carhaix, Finistère.
  21. Elenit. Lady Guest suppose que c’est une erreur pour Melenidd, montagne entre Llan Ddewi et Enni dans le Radnorshire. On pourrait supposer aussi Mevenydd, dans le comté de Cardigan.
  22. Keri était un cymmwd du cantrev de Melienydd, relevant de Mathraval, et faisant partie de Powys. Arwystli était un cantrev de Meirionydd. Ceri et Arwystli sont actuellement dans le comté de Montgomery.
  23. Mochnant, « le ravin ou le ruisseau aux porcs » (Cf. amoricain ant, la fosse entre deux sillons : an ant pour an nant. Cf. an env pour an nenv). Il y avait deux cymmwd de Mochnant en Powys ; Mochnant uch Raiadyr, dans le cantrev de Y Vyrnwy et Mochant Is Raiadyr dans le cantrev de Raiadyr (V. Powel, History of Wales ; Myv. arch., p. 736). On trouve dans cette région aussi un Castell y Moch.
  24. Ros. Ce cantrev était en Gwynedd, dans la région appelée y Berveddwlad, « le milieu du pays. » Il fait partie actuellement du Denbighshire. Le Mochdrev de Ros est actuellement un village entre Conway et Abergele.
  25. Arllechwedd était un cymmwd d’Arvon, divisé en deux parties : uchav et isav, le plus haut et le plus bas. On les appelle maintenant simplement Uchav et Isav, dit lady Guest. Ils faisaient partie du cantrev d’Aber.
  26. Creuwyryon. L’auteur voit dans ce mot une forme ou un dérivé de creu craw, « toit à porcs ; » armor., craou, « étable, écurie. »
  27. Pennardd, à l’ouest de la rivière Seint, en face Caernarvon. Cet endroit a eu une certaine célébrité (V. Ancient laws, I, p. 103). D’après les lois, Pennardd était la principale cynghellawrdref ou villa de chancelier de tout le pays de Galles (Ancient laws, II, p. 584). Il y a une commune de Pennars près Quimper.
  28. Maenawr ou maynawl, subdivision du cymmwd. D’après les Lois, il y aurait eu d’abord deux maenawr et deux trevs dans chaque cymmwd (Ancient laws, I, 90, 7-13)
  29. Coet Alun ou le bois d’Alun, transformé aujourd’hui, par de malencontreux archéologues, en Coet Helen ou le bois d’Hélène, l’impératrice, près de la ville de Caernarvon, de l’autre côté de la rivière.
  30. Nantcall est actuellement, d’après lady Guest, un ruisseau qui traverse la route de Dolpenmaen et de Caernavon, à neuf milles de cette dernière ville.
  31. Dol Penmaen (penmaen, tête de pierre), dans l’ancien cantrev de Dunodig, aujourd’hui dans le district d’Eivionydd.
  32. Il y a plusieurs Gwrgi ; le plus célèbre est le frère de Peredur et le fils d’Eliffer Gosgorddvawr (Myv. arch., p. 392, col. 1 ; v. la note à Peredur, dans le Mab. de ce nom). I1 y a un Gwrg Garwlwyd qui ne mangeait que de la chair humaine ; il était allié d’Edelfled, roi des Saxons ; il fut tué par Diffedell, fils de Dysgyvedawg (Myv. arch., p. 405, 45, 46).
  33. Traeth mawr ou le grand Traeth. Traeth indique proprement une étendue sablonneuse de rivage couverte par les flots à la haute mer seulement (arm. treaz, sable, rivage sablonneux). Le Traethmawr est une sorte d’estuaire sur les confins d’Arvon et de Merioneth. Le Traeth bach ou petit Traeth est un peu plus bas en Merioneth.
  34. Melenryt. Sa situation m’est inconnue ; ryt signifie gué.
  35. Lady Guest a lu Maen Tyryawc, qu’elle identifie avec le Maentwrog actuel, Merionethshire, ce qui est impossible.
  36. Sur le changement de sexe dans les contes celtiques, v. H. Gaidoz (Revue de l’hist. des religions, LVII, p. 317-332).
  37. Hyddwn ; l’auteur le fait dériver de hydd, « cerf, » armoric., heiz.
  38. Hychtwn. Hych en composition, non accentué = hwch, « porc, truie, » arm. houch.
  39. Bleiddwn, dérivé de bleidd, arm. bleiz, « loup. » Le passage en italiques est en vers du genre englyn dans le texte.
  40. Aranrot ou Arianrhod : « Les trois aimables ou heureuses dames de l’île sont Creirwy, fille de Ceritwen ; Arianrhod, fille de Don, et Gwenn, fille de Cywryd ap Crydon » (Myv. arch., 392, 73 ; cf. ibid., 410, col. 21. Taliesin célèbre aussi l’illustration d’Aranrot (Skene, II, p. 159, v. 2. Sur ce nom, v. Rhys, Lectures, p. 374, 426). Il y a aussi une Aryanrot, fille de Beli (Triades Mab., p. 298). Arianrod est le nom de la constellation Corona Borealis, de même que Cassiopée porte le nom de Llys Don, la cour de Don, suivant lady Guest, on ne voit pas sur quelle autorité (cf. Silvan Evans, Welsh Dict.
  41. Dylan, « fils de la vague » : « c’est le bruit des vagues contre le rivage voulant venger Dylan, » dit Taliesin (Skene, 146 – 8). Un autre passage du même poète a trait à cet épisode de notre mabinogi : " Je suis né avec Dylan Eil Mor (fils de la mer), au milieu d’une assemblée ? entre les genoux des princes (Skene, II, 142, v. 30).
  42. Govannon, un des enfants de Don, a donné son nom à Kaer Govannon. Taliesin dit qu’il est resté un an à Kaer Ovannon (Skene II, p. 103, 3). Son nom est associé à celui de Math, fils de Mathonwy, dans un poème de Llywarch Hen (Skene, II, p. 303). Il est question de lui dans le Mab. de Kulhwch et Olwen.
  43. Lleu Llaw Gyffes. Il n’y a pas à hésiter à rétablir Lleu au lieu de Llew. Dans l’englyn de la p. 130 (v. notes critiques à la page 78 I.30 du Livre Rouge), la rime suffirait à le démontrer. On en trouvera d’autres preuves aux notes critiques de la page 71, I. 5. Le scribe du Livre Rouge copiait un manuscrit où eu représentait ew, eu et ev. De même le scribe de Peniarth 4. Ce dernier a été moins logique ; il donne Lleu dans le titre et même dans l’exclamation d’Arianrod : Lleu. Ailleurs il a Llew, mais le caractère qu’il emploie a eu, à une certaine époque, par exemple dans les Privilèges de Llandav, la double valeur u et w. Le sens s’oppose aussi à l’interprétation llew, lion. Il faudrait au moins un qualificatif. Quel est ici le sens de lleu ? Le seul sens connu est brillant, lumière (en composition dans go-leu). Il ne peut être juste ici. On pourrait peut-être songer à l’irlandais moyen , petit (Arch. für celt. Lexic., p. 791 :  : gach mbecc (tout ce qui est petit) ; id. p. 771. Pour l’identité de û final irlandais et eu gallois, cf. cnû, noix, gall. cneu ; crû, sang, gall. creu. C’est un des trois eurgrydd ou cordonniers orfèvres (v. plus haut la note à Gwydyon). C’est aussi un des trois ruddvoawc ou ruddvaawc, ainsi nommés parce que là où ils passaient, pendant une année entière, il ne poussait ni herbe ni plante ; les deux autres étaient Run, fils de Beli, et Morgan Mwynvawr (sur Run Ruddvoawg, cf. Myv. arch., p. 221, col. 1, XIII) ; Arthur l’était encore plus qu’eux : rien ne poussait après lui pendant sept ans (Triades Mab., 303, 5 ; cf. Skene, II, app., p. 458 : ici Llew est supprimé et remplacé par Arthur). Le Livre Noir mentionne sa tombe : « La tombe de Llew Llawgyffes est sous un havre (ou lieu protégé près de la mer), là où a été son intime… (y gywnes." pour cyvnes cf. irl. comnessam) : c’était un homme qui ne donna jamais justice à personne (Skene, II, p. 31, 23).
  44. V. p. 151, note 1.
  45. Dinas Dinllev ou la forteresse ou ville forte de Dinllev, citadelle de Lleu, aujourd’hui Dinas Dinlle, à trois milles environ au sud-ouest de la ville de Caernarvon, sur la côte, dans la paroisse de Llandwrog. Il y a encore des restes très visibles de la forteresse. Dinas est dérivé de din, « citadelle, » irlandais dun, vieux celtique dùnos (cf. les noms gaulois en dunum. Dinastet, dans le dict. vannetais de Cillart de Kerampoul, traduit palais et suppose un singulier dinas ? ; cf. Dinan).
  46. Brynn Aryen ou la colline d’Aryen.
  47. Kevyn Clutno, le promontoire, ou la colline arrondie de Clutno. Cevyn signifie proprement dos (arm. kein)
  48. Pucelle. J’emploie ce mot dans ma traduction avec les sens qu’il avait au moyen âge, de femme non mariée et de suivante.
  49. Blodeuwedd, v. la note à la page 208
  50. Cette phrase parait une glose. introduite dans le texte. Au XIIIe siècle encore, parmi les cantrevs de l’Arvon, on donne le cantrev de Dunodig (pour Dunoding) avec les deux kymmwd d’Eivionydd et d’Ardudwy. Après la conquête définitive du pays de Galles et sa réorganisation par le roi Edouard Ier, il n’est plus question du cantrev de Dunodig ; Evionydd reste au contraire un des cymmwd dépendant du vicomte de Caernarvon, le cymmwd d’Ardudwy est sous la main du vicomte de Meirionydd (V. Statuts de Rothelan, :Ancient laws, II, p. 708 ; les statuts de Rothelan, ou mieux Rhuddlan, ont été promulgués en 1284). J’écris Eivynydd, le w ayant parfois encore la valeur d’un v ; cf. Cynwael = Cynvael. Le ms. a Eiwynyd. L’original portait probablement Eivyonyd ou Eivonyd.
  51. Mur y Castell, « le mur ou rempart du château, » appelé aussi Tomen y Mur, sur les confins d’Ardudwy, est, d’après lady Guest, à deux milles au sud de la Cynvael ou rivière de Festiniog, et à trois milles de Llyn y Morwynion, ou lac des jeunes filles, où les pucelles de Blodeuwedd se noyèrent.
  52. Gronw le Fort, v. p. 208, note 2.
  53. Penllynn était un cantrev de Meirionydd (Myv. arch., p. 735), qui devint, par le statut de Rothelan, un cymmwd sous l’autorité du vicomte de Meirionydd (Ancient laws, II, p. 908).
  54. Brynn Kyvergyr ou la colline de la rencontre, du combat.
  55. Ardudwy touche Penllyn à l’Ouest.
  56. V. notes critiques.
  57. Sur le châtiment ou la réparation en cas d’adultère, cf. J. Loth, Le roman de Tristan et Iseut est-il d’origine celtique ? (Rev. Celt. XXX, p. 280).
  58. Cette tradition fait le sujet d’un poème de Dafydd ab Gwilym, connu sous le titre de Achau y Dylluan, ou la généalogie du hibou. Le poète lui demande son nom ; l’oiseau lui répond qu’on l’a appelée Blodeuwedd, et qu’elle était fille d’un seigneur de Mon. « Qui t’a métamorphosée ? » reprend le poète. « C’est Gwydyon, fils de Don, des abords de Conwy, qui, avec sa baguette magique, – il n’y en a plus eu de son espèce, – m’a fait passer de ma beauté dans le triste état où tu me vois, m’accusant d’avoir aimé, soleil éclatant d’une race brillante, Goronwy, le jeune homme vigoureux (Le texe gallois dit Goronowy fab Pefr Goronhir : Goronowy le fils vigoureux de Goronhir, ;il y a une syllabe de trop, il est vrai qu’on peut lire Gronwy ou Gronow), le seigneur de Penllynn, le beau, le grand. » (2ème éd., p. 158.)
  59. Les trois principales familles ou tribus déloyales de l’île de Bretagne sont : la famille de Gronw Pevyr de Penllynn, dont les hommes refusèrent à leur seigneur de le remplacer en face de la lance empoisonnée de Lleu Llawgyffes ; la tribu de Gwrgi et de Peredur, qui abandonna ses seigneurs à Kaer Greu, lorsqu’ils avaient rendez-vous de combat le lendemain avec Edin Glingawr (ou au genou de géant) : ils furent tués tous deux ; la troisième, la tribu d’Alan Fergan, qui abandonna en secret son seigneur sur la route de Camlan ; le nombre des combattants de chaque famille était de cent vingt hommes (Triades Mab., p. 305, I. 13). Les Triades de Skene (I1, p. 361) mentionnent que Lleu se trouvait à Lechorenwy, ou la pierre de Goronwy, à Blaenn Kynvael, ou au sommet, vers la source de la Cynvael. On y lit aussi Alan Fyrgan ; les Triades de Rhys-Evans ont Ar lan Fergan. faute évidente du scribe pour Alan Fergan. Dans le mabinogi de Kulhwch, il est fait mention d’un Isperyn, fils de Fergan, roi du Llydaw ou Bretagne armoricaine. Alain Fergant ou Fergent est Alain VI, qui régna en Bretagne de 1101 à 1119. Parmi les Alan de Bretagne, les plus célèbres sont Alain le Grand (877-907) et Alain Barbe-Torte, qui revint de Grande-Bretagne pour écraser définitivement les Normands (937-952). Sur le dévouement au chef de clan, v. J. Loth, Le drame moral de Tristan et Iseut. (Revue celt., XXX, p. 280 et suiv.)
  60. Llech Gronw ou « la pierre plate de Gronw. »