Les Livres d’étrennes, 1899

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Les Livres d’étrennes
J. B.

Revue des Deux Mondes tome 156, 1899


LES LIVRES D'ÉTRENNES

Semblables à ces palais de Contes de fées qui se dressent sur les rives de la Seine, séduisans d’apparence, mais qui ne sont pas faits pour durer et dont toutes sortes de pavillons couvrent un instant la marchandise, ainsi ces beaux livres aux nuances éclatantes abritent des produits variés de tous bords et de tous pays. La France domine dans cette exposition universelle des idées, et sur ce domaine, vous pouvez rayonner dans tous les sens et goûter le charme de la promenade sans crainte de vous perdre : les étiquettes ne manquent pas.

C’est à Paris que se concentrera l’attention du monde pendant toute l’année qui va s’ouvrir et, au moment où la ville se transforme et se pare, plutôt qu’elle ne s’embellit, l’heure n’est-elle pas venue de dire ce que fut Paris[1] depuis ses origines, et surtout pendant le dernier siècle, où tant de mémorables événemens s’y sont accomplis, où s’y sont manifestées, dans leur expression la plus haute et la plus aiguë, toutes les gloires et toutes les misères, — cette ville, la plus belle de toutes, capable d’éprouver en une si courte évolution toutes les grandeurs et toutes les infortunes humaines. Aucune autre ne s’est modifiée à ce point, tout en conservant autant de monumens et de souvenirs de son passé, et, quelles que soient ses incessantes réformes, ses constructions nouvelles et toujours inachevées, on ne pourra changer ni l’élégante courbe de la Seine, ni l’aspect de l’île Saint-Louis, avec la fine et si pure silhouette que la Sainte-Chapelle et Notre-Dame découpent sur l’horizon vaporeux du ciel. C’est le reflet de toutes ces vicissitudes du siècle, les momens divers de cette métamorphose, que M. Louis Barron a réussi à fixer dans ce livre, où défilent, dans un décor inimitable et unique en son genre, tant d’illustres personnages ; où les scènes se renouvellent à chaque génération, comme aussi les mœurs, les plaisirs, les modes, et sous tous les régimes successivement essayés et usés en un si court espace de temps. Mais aussi quelle vie, quel mouvement des choses et des êtres, et que de sujets d’observation ! Toutes ces impressions, on les éprouve en lisant ce livre sur Paris, si bien documenté et dont les nombreuses vignettes et planches tirées en couleur sont le meilleur commentaire du texte.

Dans les destinées de Paris, l’histoire de l’Hôtel de Ville[2], de la Maison Commune où s’est concentrée la vie politique et la vie municipale de la capitale à travers les siècles, a tenu la plus grande place, et connaître l’histoire de l’édilité parisienne, c’est connaître celle de l’antique cité, et un peu celle de notre pays. Prévôts, échevins, préfets de la Seine, conseillers généraux et municipaux, les divers magistrats de l’Hôtel de Ville ont toujours eu la préoccupation de tenir cette histoire au courant, et n’ont jamais ménagé les ressources à cet effet. Dans cet ouvrage, enrichi de nombreuses illustrations. M. Louis d’Haucour expose, par règne ou par gouvernement, et depuis son origine, les principaux événemens célèbres de la Maison commune de Paris, et donne la généalogie de ses édiles.

Le Paris de 1800 à 1900[3], de M. Charles Simond, est une publication qui s’inspire du même esprit et qui retracera, en trois volumes, la vie parisienne à travers le XIXe siècle, d’après les estampes et les Mémoires du temps.

On ne saurait parler des annales de notre passé sans rappeler ces deux précieux albums de Paris à travers les âges par M. Hoffbauer[4], auxquels des dessins et des aquarelles reproduisant les aspects successifs des principales vues et perspectives historiques de Paris donnent autant de prix, au point de vue de l’art ancien, qu’en aura pour la littérature, et l’art en général, l’ouvrage publié avec un luxe incomparable et orné de cent planches hors texte et d’en-têtes gravés sur bois : Un Siècle[5], avec la collaboration des plus célèbres écrivains et des artistes les plus renommés. Après le chapitre qu’on a lu ici même, on comprendra qu’il ne soit pas besoin d’insister sur la valeur de cette publication.

En relisant la curieuse étude de Paris, que Mercier a tracée à la fin du XVIIIe siècle, M. Henri de Noussanne a eu l’ingénieuse idée de mettre en parallèle avec le texte d’autrefois le tableau que cet auteur pourrait écrire aujourd’hui, à cent ans de distance. En se substituant à Mercier dans cette contre-partie du Tableau de Paris, en comparant Paris sous Louis XVI et Paris aujourd’hui[6], M. de Noussanne n’a, pas plus que son devancier, ménagé ses contemporains ; la politique et ses créatures n’y sont pas moins critiquées qu’au temps de Mercier.

Il est assez piquant d’opposer à ces tableaux désabusés ce livre de foi républicaine ardente et jeune sur la Convention[7], où M. Alexandre Bérard célèbre la grande période de reconstruction républicaine. L’illustration, tirée des estampes de la Bibliothèque Nationale et du Musée Carnavalet, a tout l’intérêt d’un document de premier ordre.

Un volume qui obtiendra certainement un succès considérable non seulement chez tous les habitués du littoral méditerranéen qui va du cap Roux au torrent de Saint-Louis servant de frontière entre l’Italie et la France, mais encore auprès de tous les amateurs de beaux et bons livres, c’est l’ouvrage du général Bourelly : les Perles de la Côte d’Azur[8]. Sur Menton, Monaco, Monte-Carlo et leurs environs, les routes du Littoral de la Corniche, l’auteur a rassemblé tout ce qui s’y rattache au point de vue pittoresque, artistique, géographique, historique, archéologique, et décrit les beautés incomparables que la nature a prodiguées à ces rivages privilégiés. L’édition a toutes les qualités d’une publication de choix, elle en a l’élégance, l’impression irréprochable avec ses illustrations à l’aquarelle par M. E. Lessieux, si fraîches et si lumineuses, avec ses excellentes gravures en noir d’après les originaux, fusains, lavis, dessins à la plume ou au crayon.

Ne quittons point la Méditerranée sans parler du nouveau volume de M. Marius Bernard, qui continue ses excursions par les Côtes Orientales, de Salonique à Jérusalem[9], et nous retrace ses impressions d’une plume aussi alerte que les croquis de M. H. Avelot sont variés, habiles et bien enlevés.

La France du Nord[10], premier volume d’une superbe collection qui comprendra toute la géographie pittoresque et monumentale de la France, ne saurait manquer d’être appréciée pour la sûreté de son information, l’élégance des reproductions en couleurs et des dessins qui donnent la vue la plus exacte de tous nos départemens, de leur beauté et de leurs ressources.

Entre tous les livres d’art, les plus intéressans pour nous sont ceux où l’histoire de France et l’histoire des origines de la peinture française sont étroitement mêlées, comme cette magnifique édition de Catherine de Médicis[11] dont l’exécution irréprochable ne le cède en rien pour l’habileté et le goût aux autres grandes publications entreprises par les éditeurs des Saints Evangiles, des Maîtres de la peinture… etc. On peut dire des portraits de Catherine de Médicis à tous les âges de sa vie qu’ils la font connaître autant qu’on peut connaître cette figure, restée l’un des plus énigmatiques pour ses biographes comme pour ses peintres, puisque, sous ses aspects successifs, elle ne laisse presque rien transparaître de son âme. Et pourtant que de portraits n’avons-nous pas de Catherine de Médicis dans tous les albums de la fin du XVIe siècle, et répartis dans les principales collections de l’Europe ? Presque en aussi grand nombre que les souvenirs qui la concernent épars dans Tavannes, Villeroi, Montluc, de Thou, l’Estoile, les ambassadeurs italiens, la reine Marguerite, Brantôme. Pour parler d’elle, à son tour, M. Henri Bouchot a consulté tous les historiens et chroniqueurs, des plus anciens aux plus modernes, interrogé tous les originaux ou reproductions de son image et de celles d’Henri II et de leurs enfans et proches, les miniatures de ses livres d’heures, émaux de Léonard Limosin, esquisses et portraits pris sur le vif par tant de peintres et sculpteurs, de Corneille de Lyon, à François Clouet. Secum fert ærumnas Danaum ! s’écria Léon X quand la fille de Laurent de Médicis fut montrée au Saint-Père, son oncle. Parole prophétique jetée vers celle à qui l’égoïsme et la jalousie inspirèrent des résolutions quelquefois généreuses, mais trop souvent perfides, et qui vit se dessécher entièrement la tige des Valois, et « nouvelle Niobé, tomber autour d’elle, frappés comme d’une main céleste, tous ces fils à qui elle avait voulu donner des couronnes. »

Après nous avoir montré Rembrandt chez lui et dans son œuvre et, avec Rembrandt, toute une partie de l’École hollandaise, M. Emile Michel nous fait voir avec Rubens[12], son frère d’origine, son contemporain, son intraitable contradicteur, dans un ouvrage non moins magnifique, un aspect très différent de cette école, deux arts très distincts, très complets, très indépendans l’un de l’autre. C’est l’exposé de longues recherches à travers toutes les archives et galeries de l’Europe ; c’est encore l’œuvre d’un critique dont les lecteurs de la Revue connaissent bien l’érudition, la compétence et le goût ; mais c’est aussi l’œuvre d’un peintre qui a examiné toutes les œuvres dont il parle, qui a complété, en les renouvelant, les études sur le peintre d’Anvers et recueilli un peu partout en Europe les élémens du monument qu’il vient d’élever au créateur de tant de chefs-d’œuvre. Il nous dit cette belle et longue carrière de Rubens, ses relations avec les souverains, les événemens auxquels il a été mêlé, bien plus encore l’éclat de son génie, l’universalité même de ses aptitudes, son incomparable fécondité et le nombre vraiment prodigieux de ses œuvres, toutes ces qualités rares qui font de cet artiste l’un des plus grands que nous offre l’histoire de l’art. Il nous découvre les aspects physionomiques de son génie et de son talent, traduit avec sincérité ses sensations en face des tableaux du maître et raconte leur histoire. Par la diversité même des sujets, les planches et les gravures donnent une exacte idée de l’universalité de Rubens, qu’on peut admirer dans ses œuvres les plus éclatantes et les plus caractéristiques, reproduites dans cet ouvrage avec un art et un goût qui font honneur à ses éditeurs.

Dans la nouvelle édition qu’il publie de son livre sur Raphaël[13] qui résume et complète tous ses travaux antérieurs sur l’Urbinate, M. Muntz a pénétré plus avant qu’on ne l’avait fait jusqu’ici dans l’intimité de la vie et dans le détail de l’œuvre du maître. Aux informations déjà recueillies par ses prédécesseurs il a ajouté un large contingent d’informations. Il a encore amélioré cet ouvrage en le tenant au courant de la critique et il nous offre le dernier mot de ce que l’on sait maintenant sur Raphaël.

Entre les livres qui présentent au plus haut point ce double caractère d’information historique et de recherche d’art, où le luxe des compositions s’allie à la beauté typographique, où le savoir et le talent de l’écrivain s’associent étroitement à ceux des maîtres dont il parle, il faut considérer tout d’abord l’Histoire du château de Versailles[14] que M. Pierre de Nolhac nous présente d’après les sources véritables de cette histoire, dans une magnifique publication d’un format somptueux, d’une exécution irréprochable, et qui fait honneur à la Société d’Édition artistique. On sait que celle-ci, quoique de formation nouvelle, a déjà pris une place à part parmi les éditeurs d’art, sous l’habile direction de M. Paul Gaultier.

Depuis dix ans, M. de Nolhac a réuni les matériaux de ce travail. Et combien ils sont nombreux, sur deux siècles d’art particulièrement féconds, sous les règnes de Louis XIV, Louis XV et Louis XVI, qui ont sans cesse embelli Versailles et y ont amassé les merveilles les plus diverses, dont beaucoup subsistent encore, toujours plus admirées, étudiées et reproduites ! Pour décrire ces splendeurs, M. de Nolhac a fait principalement usage des documens officiels de ce grand service des Bâtimens du Roi, des rapports inédits adressés à Colbert sur les premiers travaux de Louis XIV, de la correspondance de Colbert comprenant ses rapports à Louis XIV, des minutes de Louvois aux Archives historiques du ministère de la Guerre, des registres des ordres du roi tenus par Mansart, et enfin des plans, devis et correspondances des Bâtimens, dont beaucoup sont encore inédits aux Archives nationales. Les dessins anciens sont des documens de premier ordre en de telles études. Ce sont les plus beaux et les plus rares morceaux de ce trésor que M. de Nolhac a choisis dans les dessins et plans de Robert Cotte, Mansart, Charles Le Brun, les crayons de Van der Meulen et les vues inédites de Pérelle et d’Israël Silvestre pour les présenter ici dans des reproductions directement obtenues des originaux par des procédés nouveaux et variés, fort bien appropriés au style et au ton différent des œuvres qui sont mises sous nos yeux. Le livre de M. de Nolhac, ouvrage d’érudit et très étudié, est, tout entier, puisé aux sources originales et authentiques : il ne sacrifie rien au goût du jour et ne fait sur aucun point double emploi avec le volume sur Versailles et les deux Trianons[15], de M. Philippe Gille, édité par la maison Mame, dont nous pourrions répéter, maintenant que le premier volume vient de paraître, tous les éloges que nous en avons faits ici même l’année dernière.

On peut rapprocher le style de l’Empire de celui du siècle qui l’a précédé et, si le style de l’Empire a été bien longtemps dédaigné, dénigré, démodé, il a retrouvé depuis quelques années une faveur exceptionnelle. Le beau livre de M. Paul Lafond, qui a fait pour l’Art décoratif de l’Empire[16], comme l’a dit M. Henri Houssaye, ce que d’autres ont fait pour l’histoire, vient donc bien à son heure. Pour la première fois, nous avons sous les yeux un tableau complet et une étude suivie du mobilier sous la Révolution et sous l’Empire. M. Paul Lafond a voulu démontrer que le style de la Révolution et de l’Empire ne fut pas, ainsi qu’on l’a répété trop longtemps, un accident dans l’art français, qu’il n’avait pas rompu brusquement avec une tradition, mais tout au contraire, que ce style néo-antique est la continuation et la suite logique du style Louis XVI, un retour à la ligne droite et aux formes simples régulières.

Admirateur passionné de Venise, c’est toute une époque de son histoire que M. Paul Fiat nous fait connaître dans les Premiers Vénitiens[17]. Nous y voyons les « primitifs » sortant des ombres du moyen âge et ouvrant à mesure leurs yeux sur la vie, y trouvant la première révélation de la beauté et naissant à la conscience de l’art.

L’iconographie de Saint Antoine de Padoue[18], le plus éloquent disciple de François d’Assise, de la vie du frère mendiant, n’embrasse pas moins de sept siècles.

L’œuvre la plus belle que l’on ait encore consacrée à ces Grands Sanctuaires de la Vierge[19] que la piété des fidèles a fait éclore sur notre sol plus nombreux et plus riches qu’en aucun autre pays est assurément ce livre pieux, charmant et savant du P. Rouvier, qui s’est arrêté seulement aux plus célèbres.

C’est également une œuvre d’iconographie chrétienne que le livre que le R. P. Mortier a consacré à Saint-Pierre de Rome[20], au prince des Apôtres et à son tombeau, avec une érudition, une conscience, une impartialité historique toutes pénétrées de sentiment chrétien.

L’Histoire de Sainte Radegonde[21], qui est une œuvre à la fois de sainteté, de science et d’art, d’une belle exécution typographique et décorative, est comme ce dernier volume un beau livre d’étrennes destiné aux catholiques de France.

Le Secret de Saint Louis[22], écrit par un lettré délicat, qui unit à l’érudition autant de grâce poétique que de talent dramatique, nous reporte sept siècles plus tard à la grande époque de la France féodale, au temps des dernières croisades, des convictions fortes, des passions à la fois ardentes et naïves, des actions héroïques et chevaleresques, où la noble et pure figure de saint Louis domine tous ceux qui l’entourent : Blanche de Castille, Marguerite de Provence, les frères du roi : Robert, Charles ; Thibaut, comte de Champagne, le Légat, Pierre Mauclerc de Bretagne, le comte de Boulogne, la reine de Navarre, Four-nival, Joinville, Couci, Philippe Hurepel, Lusignan, qui se montrent à nous tels qu’ils furent et que nous les ont fait connaître les récits de Joinville et des chroniqueurs du temps. Pourquoi tant de tristesse a-t-elle envahi l’âme inquiète du jeune roi Louis IX ; d’où vient, à l’âge de douze ans, ce douloureux souci ? A-t-il deviné le secret de sa mère, devenu le sien, entendu les paroles si tendres qu’elle a dites à Thibaut ? Comment expier la faute qu’il a connue, comment la racheter ?… En s’enrôlant dans une guerre sainte, en combattant les infidèles jusqu’à ce qu’il trouve la mort en soldat du Christ, et, avec la mort, le pardon de Dieu. Certes, le sujet n’est pas banal par le temps qui court, et, dans ces heures de troubles, plus d’un le lira non sans plaisir ni sans émotion.

Avec M. Maspéro nous remontons bien loin dans un autre âge et dans un autre monde. C’est un véritable monument d’érudition, que ce bel et savant ouvrage sur l’Histoire ancienne des Peuples de l’Orient classique[23], que M. G. Maspéro vient d’achever avec ce troisième volume ; les Empires, qui a profité de toutes les grandes découvertes faites, au cours de ces dernières années, dans les régions dont il parle. C’est bien la vie qui sort de tous ces témoignages : palais de Darius, monumens et inscriptions de toute sorte, qui nous font voir en action les héros de ces événemens considérables. Avec le plus célèbre et le plus autorisé des égyptologues d’aujourd’hui, les faits semblent se préciser et les synchronismes entre l’histoire égyptienne d’un côté, les histoires grecque, médo-perse, assyrienne, chaldéenne, hébraïque de l’autre, apparaissent avec un caractère plus particulier de certitude. Il nous fait assister à la fin du vieux monde oriental, tandis que la Macédoine entre en scène contre la Perse, épuisée par une série ininterrompue de guerres intérieures contre ses provinces révoltées, et que l’audace heureuse d’Alexandre appelle la Grèce à recueillir sa vaste succession. La décadence et la ruine de l’Egypte, de Babylone et de Ninive sont consommées ; une ère nouvelle s’ouvre pour la Grèce, et le livre se ferme sur la fin de la puissance iranienne.

M. Pierre Gusman a tenté à son tour une reconstitution de Pompéi[24] à l’aide de nombreux témoignages tirés de la ville ensevelie et presque tout entière remise au jour après les fouilles successives qui l’ont exhumée de son linceul de cendre et nous permettent de contempler aujourd’hui sinon l’antique cité des Osques et des Étrusques, du moins le municipe latin du premier siècle, célèbre pour la splendeur de ses édifices, ses maisons si bien bâties, si riches et si élégantes, qui abritaient une vie voluptueuse ou studieuse ; renommé pour ses vins et ses délices de toute sorte qui en faisaient le site le plus recherché de la Campanie, où Cicéron, Phèdre, Claude, Florus, Sénèque eurent leurs villas. Quelles catastrophes terribles ont déformé ce sol, le nom même de Campi Phlegrœi dont les anciens avaient fait l’accès des Enfers, suffit à l’indiquer. Dans le livre de M. de Mandach, on peut suivre toutes les péripéties d’un drame qui eut lieu sous Titus et qui émeut encore l’humanité. On surprend le témoignage moral des squelettes trouvés sous les cendres, leur déposition muette et pourtant si éloquente, et les observations suggérées par les fouilles constituent une histoire complète et du plus grand intérêt, en ce qui touche les cultes, les plaisirs, les habitudes des Pompéiens, leurs monumens publics et leurs industries, sur lesquels les excellens croquis et les jolies aquarelles de M. Gusman complètent encore une habile information.

Si, franchissant les siècles depuis Rome, nous passons de l’histoire de l’art et de l’archéologie à l’histoire de nos Annales contemporaines dans les Grandes Journées populaires[25], nous retrouvons une autre histoire illustrée des révolutions de 1789, 1830, 1848, 1870, comme, dans les Héros de France[26], nous voyons retracées par M. Théodore Cahu, passé maître en l’art des récits nationaux, quelques-unes des plus nobles et des plus héroïques figures de la première : Hoche, Marceau, Desaix. Les beaux faits d’armes trouvent naturellement leur place ici ; c’est une le on admirablement faite pour captiver les jeunes imaginations, comme cet autre livre, la Marine d’aujourd’hui[27], qui complète la Marine d’autrefois, est aussi une leçon claire et vibrante de patriotisme : sur l’unité de combat et les croiseurs de demain.

Les Mémoires du sergent Bourgogne[28], cet obscur soldat qui a rapporté son histoire au jour le jour durant la campagne et la retraite de Russie, ne sont pas moins instructifs et touchans dans leur simplicité populaire. Les illustrations en couleur d’une vérité saisissante ajoutent à l’impression dramatique du récit.

Filleuls de Napoléon[29], par le capitaine Danrit, avec les compositions de M. Paul de Semant, est l’histoire d’une famille de soldats de 1807 à 1870.

Nous pouvons ici rapprocher deux importans ouvrages qui se complètent l’un l’autre, dont le succès considérable nous dispense de faire longuement l’éloge : l’Album historique[30] publié sous la direction de M. Ernest Lavisse, dont le tome III traite des XVIe et XVIIe siècles, et l’Album géographique[31], par MM. Marcel Dubois et Camille Guy, dont les descriptions et les dessins sont bien faits pour fixer à jamais dans la mémoire les événemens dont ils parlent et les régions qu’ils abordent.

Pour les œuvres d’imagination qui sont le plus habilement illustrées, mais qui se recommandent surtout par un tour ingénieux, amusant, instructif et par une morale toujours irréprochable, il suffit de faire son choix dans ces collections uniques de la maison Hetzel, Magasin d’éducation et de récréation[32], Petite bibliothèque Blanche, Albums Stahl, qui font le caractère de son individualité si tranchée, et dont la production toujours aussi féconde continue à répondre à tous les goûts de la jeunesse et de l’enfance. Nous ne pouvons signaler tous ces romans ; mais on peut s’en fier au goût de l’éditeur, à son habile, prudente et aimable expérience, à la fidélité de ses traditions, enfin au nom de leurs auteurs P.-J. Stahl, Legouvé, A. Daudet, Lucien Biart, Hector Malot, Alexandre Dumas, Th. Bentzon, Jules Verne, André Laurie, Henri de Noussanne, pour ne nommer que les principaux. Dans le nouveau conte de Jules Verne, Testament d’un excentrique[33], où, comme à l’ordinaire, l’intérêt résulte d’une si heureuse combinaison de l’élément scientifique et de l’imagination, le lecteur se passionnera pour la partie engagée entre les « Six, » que le caprice des dés, suivant le testament de William J. Hypperbone, membre de l’Excentric Club de Chicago, promènera à la surface de l’Union avec la perspective d’un gain de 60 millions de dollars.

Parmi les récits qui conservent les préférences de la jeunesse parce qu’ils sont dus à la plume d’écrivains qui ont une brillante imagination et ne la mettent qu’au service de beaux sentimens, plaçons en première ligne Une Tache d’encre[34], où M. René Bazin a peint avec une observation très précise et avec une fine sensibilité les émotions intimes d’un jeune bourgeois, au cœur simple et modeste, qui trouve sa récompense dans un heureux mariage. De superbes compositions d’André Brouillet et des héliogravures de prix ornent ce magnifique volume ; — le Trésor de Madeleine[35], où M. Pierre Maël met en scène les stratagèmes d’un perfide espion pour dépouiller et entraîner à sa perte une honnête famille, qui, à force d’énergie et grâce à un concours de circonstances exceptionnelles, arrive à déjouer les projets du traître ; — Grand Cœur et petit pays[36], où l’on voit les héroïques efforts d’un petit peuple pour reconquérir sa liberté ; — Par le Courage[37], récit plein de verve et de gaieté qui a pour cadre l’Amérique ; — le Secret du Vallon d’Enfer[38], dont l’action gravite autour du procès La Tréaumont sous Louis XIV, — et tant d’autres tirés du Journal de la Jeunesse, de la Lecture pour tous, de la Revue des Jeunes filles et du Saint-Nicolas.

Le Château des Merveilles[39], avec ses prodiges, et ses héros dont les qualités, les exploits dépassent la commune mesure, vaudra à M. de Noussanne l’admiration de ses jeunes lecteurs, et le Filon de Gérard[40], ce récit d’aventures qui fait suite aux Chercheurs d’or de l’Afrique australe, mais qui se passe cette fois au Transvaal, chez les Boërs et sur les bords du Zambèze, où notre. Gérard a eu l’heureuse fortune de découvrir un gisement d’or, puis fondé Massey-Dorp avec sa famille, leur fera passer des heures charmantes.

À ce genre du roman d’aventures, où l’habileté, le fin de l’art est de faire accomplir aux personnages des exploits invraisemblables, se rattachent la Vallée fumante[41], dont l’action se déroule au XVIIIe siècle dans les Montagnes Rocheuses du Far-West, au milieu d’une région où le feu et l’eau toujours en mouvement produisent d’innombrables geysers et de terrifians phénomènes volcaniques ; — les Étrangleurs du Bengale[42], où une famille anglaise, devenue prisonnière des Thugs, finit par leur échapper par miracle ; — l’Equipage de la « Rosette »[43], épisodes dramatiques de la guerre de course que les marins français firent aux Anglais à l’époque de la Convention ; — l’Or du Pôle[44], qui nous transporte au Klondyke.

Ceux qui préfèrent les aventures de voyage aux récits imaginaires trouveront à se satisfaire dans le Tour du Monde[45], qui contient, avec des illustrations toujours originales, toutes les nouvelles qui peuvent intéresser la géographie et la colonisation sous toutes ses formes. C’est dans le Tour du Monde qu’avaient paru avant d’être mis en volume le voyage de M. A. -H. Savage-Landor : Aux Régions interdites du Thibet[46] et celui de M. Léon Boillot, Aux Mines d’or du Klondyke[47].

Les amateurs de livres où l’élément scientifique se mêle à l’étude de la nature et qui donnent des notions d’histoire naturelle présentées avec agrément seront satisfaits en lisant la Vie dans la Nature[48], ornée de superbes gravures et lithographies en couleur, et l’Intelligence des Animaux[49], qui abonde en observations relatives aux manifestations intellectuelles de l’espèce animale.

Les amateurs de vieilles chansons, dans un temps où elles semblent renaître, des anciennes vignettes, devenues rares, de Grandville, Andrieux, Raffet, Giacomelli, Bayard, etc. apprécieront l’originale idée qu’a eue M. Garnier de reproduire les Chansons de Béranger [50], avec accompagnement de piano.

Nommons encore dans les contes abracadabrans, les Merveilleuses Aventures de Dache[51], où le texte est d’une verve aussi intéressante et éblouissante que le dessin, ce qui n’est pas étonnant, puisqu’ils sont de M. Paul de Semant ; enfin l’Idée fixe du savant Cosinus[52], album humoristique en couleur, par Christophe ; l’Oie du Capitole[53], par M. Léo Claretie ; dans les contes et récits variés, les Explorations inconnues[54], par Lucien Biart ; Tambour battant[55], par M. Chambon ; Bois-Rosé[56], par Gabriel Ferry ; Cousine Alice[57], par M. Emile Breton ; la Sœur perdue, par Mayne Reid ; enfin ce joli volume des Fables de Florian[58], rajeunies par les spirituelles illustrations de Vimar.

Toutes ces scènes si variées de la vie disparue ou présente, — cette évocation d’humanité, — produisent sur nous leur effet. Pour chacun de nous, il est des heures de détente. Qu’on lui montre alors Polichinelle ou la Haute Cour, Guignol ou le Commissaire, des féeries ou des horreurs, tout lui sera bon pour se distraire. Hommes aussi bien qu’enfans, ne sommes-nous pas gouvernés par noire imagination, qui transforme les objets et projette continuellement notre ombre dans l’image des choses ? Et dans ces livres qui se succèdent à rangs pressés, s’il ne fallait juger que sur le nombre et la fécondité apparente, l’inspiration serait florissante. Mais beaucoup, hélas ! semblables à ces têtes d’épis, qui sont vides et ne se dressent que plus superbes sur le sillon, ne laisseront après eux qu’une paille légère et stérile. Qu’importe après tout qu’ils ne soient pas faits pour durer, s’ils nous ont divertis un instant ou procuré un plaisir esthétique, en ces heures de rêverie qui marquent le renouveau de l’année ?


J. B.

  1. Paris pittoresque, 1800-1900 ; la Vie, les Mœurs, les Plaisirs, par M. Louis Barron, 1 vol. gr. in-8o illustré de 400 vignettes et planches en couleur. Société française d’Éditions d’art.
  2. L’Hôtel de Ville de Paris à travers les siècles, par Louis d’Haucour, 1 vol. gr. in-8o illustré. Giard et Brière.
  3. Paris de 1800 à 1900, publié sous la direction de M. Charles Simond, 1 vol ; illustré. Plon, Nourrit et Cie.
  4. Paris à travers les âges, par M. Hoffbauer, 2 vol. de texte et un de planches sous carton. Librairie de Paris.
  5. Un Siècle, Mouvement du monde de 1800 à 1900, 3 vol. petit in-4o avec planches en photogravure. Jean Boussod, Manzi, Joyant et Cie.
  6. Paris sous Louis XVI et Paris aujourd’hui, par M. Henri de Noussanne, 1 vol. in-8o illustré. Firmin-Didot.
  7. La Convention, par Alexandre Bérard, 1 vol. gr. in-4o illustré. H. May.
  8. Les Perles de la Côte d’Azur, par M. le général Bourelly, 1 vol. in-4o jésus avec aquarelles et gravures. H. Laurens.
  9. Les Côtes Orientales, par M. Marius Bernard, 1 vol. in-8o illustré. H. Laurens.
  10. La France du Nord, par Charles Brossard, 1 vol. in-4o. E. Flammarion.
  11. Catherine de Médicis, par M. Henri Bouchot, 1 vol. in-4o raisin, illustré de 49 planches en taille-douce dont 4 en couleur. Jean Boussod, Alanzi, Joyant et Cie.
  12. Rubens, sa vie, son œuvre et son temps, par M. Emile Michel, 1 vol. gr. in-8o jésus, contenant 250 gravures dans le texte, 40 planches en taille-douce, 40 planches hors texte en couleur. Hachette.
  13. Raphaël, sa vie, son œuvre et son temps, par M. Eugène Muntz, nouvelle édition, 1 vol. gr. in-8o jésus. Hachette.
  14. Histoire du Château de Versailles, par M. P. de Nolhac, 2 vol. format 45 X 35, avec 240 gravures dans le texte et 240 planches hors texte. Société d’Édition artistique.
  15. Versailles et les deux Trianons, par M. Philippe Gille, t. Ier, gr. in-4o illustré. Alfred Mame.
  16. L’Art décoratif et le Mobilier sous la République et sous l’Empire, par M. Paul Lafond, l vol. in-4o jésus, avec eaux-fortes de l’auteur et dessins par M. Maurice Maignant. H. Laurens.
  17. Les Premiers Vénitiens, par M. Paul Flat, 1 vol. in-4o jésus, avec 16 héliogravures et 50 gravures. H. Laurens.
  18. Saint Antoine de Padoue et l’Art italien, par M. C. de Mandach, 1 vol. gr. in-8o jésus, avec gravures et planches en taille-douce. H. Laurens.
  19. Les Grands Sanctuaires de la Sainte-Vierge en France, par le R. P. Frédéric Rouvier, 1 vol. in-f°. Alfred Mame.
  20. Saint-Pierre de Rome, par le R. P. Mortier. 1 vol. in-4o, illustré. Mame.
  21. Histoire de Sainte Radegonde, reine de France, par M. l’abbé Ém. Briand, 1 vol. in-4o avec gravures et chromolithographies, 1 vol. in-4o. Librairie Oudin.
  22. Le Secret de Saint Louis, par M. Emile Moreau, avec douze compositions. par Adrien Moreau, gravées à l’eau-forte, par X. Le Sueur, 1 vol. in-4o. Delagrave.
  23. Histoire ancienne des Peuples de l’Orient classique, par M. G. Maspéro, t. III et dernier, — Les Empires, 1 vol. in-8o jésus, illustré. Hachette.
  24. Pompéi, la ville, les mœurs, les arts, texte, dessins et aquarelles par M. Pierre Gusman, 1 vol. gr. in-8o. L. Henry May.
  25. Les Grandes Journées populaires, par MM. P. Baudin et R. Cadières, 1 vol. in-8o. illustré. Société d’édition et de librairie.
  26. Les Héros de France, par M. Théodore Cahu, 1 vol. in-8o. Fume.
  27. La Marine d’aujourd’hui, par Georges Confesse, 1 vol. in-8o, illustré. Mame.
  28. Mémoires du Sergent Bourgogne, publiés par MM. Paul Cottin et Maurice Hénault, 1 vol. gr. in-8o jésus. Hachette.
  29. Filleuls de Napoléon, par le capitaine Danrit, 1 vol. in-4o, illustré. Delagrave.
  30. Album Historique, t. III, Les XVIe et XVIIe siècles, 1 vol. in-4o avec 2 000 gravures. Armand Colin.
  31. Album géographique, t. III, Régions tempérées, 1 vol. in-4o avec 2 000 gravures. Armand Colin.
  32. Magasin illustré d’éducation et de récréation, 1 vol. gr. in-8o, illustré. Hetzel.
  33. Le Testament d’un excentrique, par Jules Verne, 1 vol. gr. in-8o. Hetzel.
  34. Une Tache d’encre, par M. René Bazin, 1 vol. petit in-folio, tiré sur vélin et illustré de 65 compositions d’André Brouillet. Alfred Mame.
  35. Le Trésor de Madeleine, par M. Pierre Maël, 1 vol. in-8o jésus, illustré par Zier. Hachette.
  36. Grands Cœurs et petit pays, par M. Noël Gallois, 1 vol. gr. in-8o. May.
  37. Par le Courage, par M. Ed. Monteil, 1 vol. gr. in-8o. Société française d’éditions d’art.
  38. Le Secret du Vallon d’Enfer, par M. Pierre d’Alban, 1 vol. in-4o, illustré par Zier. A. Mame.
  39. Le Château des Merveilles, par M. H. de Noussanne, 1 vol. gr. in-8o, illustré. Hetzel.
  40. Le Filon de Gérard, par M. André Laurie, 1 vol. in-8o, illustré. Hetzel.
  41. La Vallée fumante, par M. Léo Claretie, 1 vol., illustré. Mame.
  42. Les Etrangleurs du Bengale, par M. L. Boussenard, 1 vol. gr. in-8o. E. Flammarion.
  43. L’Équipage de la « Rosette », par M. Gonzague Privat, 1 vol. in-8o jésus, illustré. Hachette.
  44. L’Or du Pôle, par Danielle d’Arthez, 1 vol., illustré. Hachette.
  45. Le Tour du Monde, 1 vol. in-4o, illustré. Hachette.
  46. Voyage d’un Anglais aux régions interdites, par M. A.-H. Savage-Landor. 1 vol. in-8o, illustré. Hachette.
  47. Aux Mines d’or du Klondyke, par M. L. Boillot, 1 vol. in-8o, illustré. Hachette.
  48. La Vie dans la Nature, par M. Henri Coussin, 1 vol., illustré. Librairie de Paris.
  49. L’Intelligence des Animaux, par M. Ernest Menault, 1 vol., illustré. Hachette.
  50. Les Chansons de Béranger, avec accompagnement de piano, par M. Casadesus. Garnier.
  51. Merveilleuses Aventures de Dache, texte et dessins, par M. Paul de Semant. Flammarion.
  52. L’Idée fixe du savant Cosinus, par M. Coupin. 1 album illustré. A. Colin.
  53. L’Oie du Capitole, par M. Léo Claretie. 1 vol. illustré par A. Vimar. H. May.
  54. Les Explorations inconnues, par Lucien Biart, 3 vol. in-8o, illustrés. Hennuyer.
  55. Tambour battant, par M. Chambon, 1 vol. gr. in-8o, illustré. May.
  56. Les Dernières Aventures de Bois-Rosé, par Gabriel Ferry, 1 vol. gr. in-8o, illustré. Hachette.
  57. Cousine Alice, par M. É. Breton, 1 v. in-8o ; la Sœur perdue, par Mayne Reid. Hetzel.
  58. Les Fables de Florian, avec illustrations par Vimar, 1 vol. in-4o. H. Laurens.