Les Juives (Robert Garnier)

LES IVIFVES,

TRAGEDIE.


Texte incomplet

Entreparleurs.

Le Prophete.

Nabuchodonoſor, Roy d’Aſſyrie.

Nabuſardan, Lieutenant general en l’armee.

Amital, mere de Sedecie.

Les Roynes, femmes de Sedecie.

La Royne, femme de Nabuchodonoſor.

La gouuernante de la Royne.

Sedecie, Roy de Ieruſalem.

Serree, grand Pontife.

Le Preuoſt de l’hoſtel de Nabuchodonoſor.

Le Chœur des Iuifues.

LES IVIFVES,

TRAGEDIE.


ACTE I.

Le Prophete.


IVʃques à quand, Seigneur eʃpandras-tu ton ire ?
Iuʃqu’à quand voudras-tu ton peuple aimé destruire,
L’infortuné Iuda, que tu as tant cheri,
Que tu as quarante ans par les deʃerts nourri,
Comme vn enfant tendret que ʃa nourrice allaite,
Et ores en rigueur ta dure main le traitte ?
O ʃeigneur noʃtre Dieu, r’amolli ton courroux,
Raʃʃerene ton œil, ʃois pitoyable & doux,
Nous t’auons offenʃé de crimes execrables
Et cognoiʃʃons combien nous ʃommes puniʃʃables :
Mais las ! Pardonne nous, nous te crions merci,
Si nous auons peché, nous repentons außi.
Souuienne toy d’Iʃac & de Iacob nos peres,
A qui tu as promis des terres estrangeres
Auec posterité, qui s’écroiʃtre devoit
Comme vn ʃable infini qu’aux riuages on voit :

Ne vueille de la terre effacer leur memoire.
Qui t’inuoqueroit plus ? qui chanteroit ta gloire ?
Qui te ʃacrifieroit ? qui de tous les mortels
Se viendroit plus ietter au pié des tes autels ?
Seroit-ce le Medois ? ʃeroit-ce l’Ammonite ?
Las ! ʃeroit-ce celuy qui en Cedar habite ?
O Seigneur, ô Seigneur, vueille prendre pitié
D’Iʃrael ton enfant durement châtié.
Tu l’aurois vainement elevé ʃur la terre,
Vainement defendu de ʃes voiʃins en guerre,
Pourneant arraché le fardeau de ʃon dos,
Et conduit à pié ʃec par le milieu des flots,
Qui pour luy donner voye en deux parts ʃe fendirent,
Et, comme boulevars, par les flancs le couvrirent.
En vain, helas ! en vain tu l’aurois tous les iours
Repeu de ʃainte manne aux ʃauvages détours
De l’auʃtere Arabie, & ʃa ʃoif eʃtanchee
De l’onde iailiſſant d’une roche touchee :
Tu l’aurois pourneant par ces deʃerts conduit
Sous vn nuau de iour, & ʃous vn feu de nuit,
Prenant de ʃon ʃalut ʃolicitude telle,
Qu’on a de conferuer de ʃes yeux la prunelle :
Si ores l’ayant fait nombreux multiplier,
En ʃon adverʃité tu le viens oublier :
Tu le liures captif entre les mains profanes,
Et le vas confiner aux terres Caldeanes.
O peuples malheureux ! peuple cent fois maudit
Tu ʃçais bien que i’avois tes deʃaʃtres predit !
Que i’avois annoncé du grand Dieu la menace,
Afin qu’humilié deuant ʃa claire face
Le peuʃʃes recognoiʃtre, & qu’à force de pleurs,
De ieuʃnes & de cris previnʃes tes malheurs !
Mais tu as meʃpriʃé ces menaces prophetes,
Et m’as voulu meurtrir pour te les avoir faites,

Ton cœur obʃtiné fut & tes ʃens endurcis :
Außi es-tu butin d’vn peuple incirconcis,
Qui a mis au couteau la plus part de tes freres,
Arraché tes enfants du giron de leurs meres,
Tes femmes violé, le ʃaint temple polu,
Mis les joyaux en proye au ʃoldat diʃʃolu,
Qui les a teint de ʃang, & fait du ʃanctuaire,
N’aguiere inuiolable, un tombeau mortuaire.
Le poil m’en dreʃʃe au chef, s’en friʃʃonne d’horreur,
Ce triʃte ʃouvenir me remet en fureur.
Hà chetiue Sion, iadis ʃi floriʃʃante,
Tu ʃens ores de Dieu la dextre puniʃʃante !
L’onde de Siloé court ʃanglante, & le mur
De tes tours eʃt briʃé par les armes d’Affur :
Ton terroir plantureux n’eʃt plus que ʃolitude,
Tu vas languir captiue en triʃte ʃervitude.
Helas ! voyla que c’eʃt d’offenʃer l’Eternel,
Qui te portoit, Sion, vn amour paternel :
Tu as laiβé ʃa voye, & d’vne ame rebelle
Preferé les faux Dieux qu’adore l’Infidelle.
Ingrate nation, tu as ʃur les hauts lieux
Oʃé ʃacrifier à la Royne des Cieux,
Luy conʃacrer des bois, tu as d’argille molle
Poitri entre tes mains façonné mainte Idole,
Que tu as adoree, (abominable fait !)
Immolant à vn Dieu, que toy meʃme t’es fait.
Il a des yeux ouuerts, toutefois ne voit goutte :
Des oreilles il a, toutefois il n’écoute
On luy voit une bouche, & ne ʃçauroit parler,
Il a double narine & ne reʃpire l’air,
Ses mains ʃans maniment demeurent inutiles,
Et ʃes pieds ʃans marcher ʃont plantez immobiles.
Sẽblables ʃoyent ceux-là qui tels Dieux vont ʃuiuant
Au lieu de l’Eternel, de noʃtre Dieux viuant,

Qui a fait ciel & terre, & qui ialoux n’endure
Vn homme s’encliner deuant ʃa creature.
Retourne toy vers luy, peuple fautier, à fin
Qu’à tes calamitez il vueille mettre fin :
Amende, amende toy, ieuʃne, pleure, ʃouʃpire,
Afin que de ton dos, ʃes glaives il retire.

Chœur.


POurquoy Dieu, qui nous a faits
D’vne nature imparfaits,
Et pecheurs comme nous ʃommes,
S’irrite ʃi griefuemment
Du mal que iournellement
Commettent les pauvres hommes ?
» Si toʃt que ʃommes nez
»Nous y ʃommes adonnez :
»Noʃtre ame, bien que diuine
»Et pure de tout mesfait,
»Entrant dans vn corps infait
»Avec luy ʃe contamine
» Nul ne ʃe peut empeʃcher
»En ce monde de pecher,
»Tant eʃt noʃtre humaine race
»Encline a ʃe deuoyer
»Si Dieu ne vient deployer
»Sur nous ʃa divine grace.
Deʃlors qu’au verger d’Eden
Il crea le pere Adam,
De la terre ʃa naiʃʃance,
Et que de ʃon gras limon
De l’homme fut pris le nom
Comme avoit eʃté l’eʃʃence :
Le peché, qui dans les os

Du Serpent couuoit enclos,
Se gliʃʃa par vne pomme
Dans le credule cerueau
D’Eue, eʃpreinte de nouueau
Des coʃtes du premier homme.
Si toʃt ce poiʃon ne fut
Dedans ʃon oreille chut,
Qu’il s’eʃpandit en ʃon ame :
Et qu’Adam, qui le ʃentit,
Außi toʃt ʃe repentit
De la faute de ʃa femme.
Il estoit en ce beau lieu
Aiṇʃi qu’vn terreʃte Dieu,
Commandant aux creatures,
Qui voloyent, & qui nageoyent,
Qui dans les plaines logeoyent
Et dans les foreʃts obʃcures.
Ils foiʃonnoit en tout bien,
Il n’auoit ʃouci de rien,
La terre toute benine
Sans le dur coutre ʃouffrir,
Venoit tous les iours offrir
Les threʃors de ʃa poitrine,
Ses prez eʃtoyent touʃiours vers,
Ses arbres de fruits couuers,
Et ʃes iardins de fleurettes :
Zephyre éuentoit les ciel,
Des cheʃnes couloit le miel
Sans artifices d’Auettes.
L’orgueilleuʃe ambition,
Ni l’auare paßion.
La haine & l’amour encore,
L’eʃperance, ni la peur,
Ne luy geʃnoyent point le cœur,

Comme elles nous geʃnent ore.
Mais ʃi toʃt qu’il fut taché
De la bourbe de peché,
Dieu le banit de ʃa veuë,
Ses enfants furent maudits,
Luy chaßé de Paradis
Avec ʃa femme deceuë.
Depuis, ʃa posterité
N’a commis qu’iniquité.
Le frere meurtrit le frere :
Si bien que Dieu ʃe faʃchant
D’vn animal ʃi mechant
Reʃolut de le defaire.
Il fiʃt regorger les eaux
Des fleuues & des ruiʃʃeaux,
Il enfla la mer bruyante,
Le ciel ʃi longuement pleut,
Que toute ʃon onde cheut
Deʃʃus la terre ondoyante.
Lors cet Element moiteux
Couurit les monts raboteux
De quinze humides coudees :
Les Pins, qui croiʃʃent ʃi hauts,
Ne peurent attaindre égaux
A la hauteur des ondees.
Außi tout perit dedans,
Fors ceux qui eurent, prudens,
L’arche de Dieu pour refuge :
Mais ores, que les forfaits
Sont plus nombreux que iamais,
Ie crains vn autre deluge.