Les Huit journées de mai/Appendice

Le Petit Journal (p. 286-306).


APPENDICE.


(Note 1.)
Soldats de l’armée de Versailles,

Le peuple de Paris ne croira jamais que vous puissiez diriger contre lui vos armes, quand sa poitrine touchera les vôtres ; vos mains reculeraient devant un acte qui serait un véritable fratricide.

Comme nous, vous êtes prolétaires ; comme nous, vous avez intérêt à ne plus laisser aux monarchistes conjurés le droit de boire votre sang comme ils boivent vos sueurs.

Ce que vous avez fait au 18 mars, vous le ferez encore, et le peuple n’aura pas la douleur de combattre des hommes qu’il regarde comme des frères, et qu’il voudrait voir s’asseoir avec lui au banquet civique de la liberté et de l’égalité.

Venez à nous, frères, venez à nous ; nos bras vous sont ouverts !

3 prairial an 79.

Le Comité de Salut public, 
Ant. Arnaud, Billioray, E. Eudes, F. Gambon, G. Ranvier.

Le Comité de Salut public autorise les chefs de barricades à requérir l’ouvertures des portes des maisons, là où ils le jugeront nécessaire.

À réquisitionner pour leurs hommes tous les vivres et objets utiles à la défense, dont ils feront recépissé et dont la Commune fera état à qui de droit.

Paris, le 3 prairial an 79.

Le membre du Comité de Salut public,
G. Ranvier.


(Note 2.)
Notice sur la condamnation et la mort de Tony Moilin.

Quelques journaux de Paris ont raconté, et plusieurs personnes ont répété que Tony Moilin avait été condamné, puis fusillé, pour avoir été pris, le 27 mai, les armes à la main.

Ce récit est inexact.

T. Moilin n’a jamais eu les armes à la main, ni le 27 mai, ni auparavant.

Durant le siége de Paris, et depuis le 18 mars, il a été attaché comme médecin aide-major à un bataillon de la garde nationale de Paris : c’est en cette qualité qu’au temps du second siége, il a quelquefois suivi son bataillon hors de l’enceinte fortifiée, non pour se battre, mais pour donner des soins aux blessés.

Il est hors de doute qu’il n’aurait pu refuser ce service sans se compromettre gravement vis-à-vis de la Commune, qui l’aurait fait emprisonner ou même fusiller[1]. La cour martiale s’est empressée de reconnaître que M. Moilin s’était point recherché pour un semblable fait. Il a été arrêté dans la soirée du 27 mai, chez lui, rue de Seine. Conduit immédiatement devant la cour martiale, qui siégeait au Luxembourg, il a été jugé et condamné à être passé par les armes. Le tout a duré quelques minutes à peine, moins de temps que l’on en met à le raconter.

Un seul fait fut reproché à M. T. Moilin : celui de s’être, le 48 mars, emparé de la mairie de son arrondissement, et d’avoir ainsi contribué à donner le signal de l’insurrection. On lui représenta une sorte de décharge donnée par lui, ce jour-là, à M. Hérisson, le maire qu’il avait remplacé. Aucun témoin ne fut entendu.

T. Moilin convint du fait incriminé ; il ajouta qu’il avait exercé les fonctions de maire pendant deux jours à peine ; qu’au bout de ce temps, peu d’accord avec les hommes de la Commune, il avait cessé volontairement de paraître à la mairie, où il avait été aussitôt remplacé.

Il dit aussi qu’il avait été entraîné à cet acte presque malgré lui, par des gardes nationaux de son quartier ; que, depuis, il avait constamment refusé les candidatures et les emplois qui lui avaient été offerts, et n’avait participé en quoi que ce fût aux actes de la Commune, bien moins encore aux deux crimes reprochés aux insurgés ; qu’il s’était borné à faire un service médical, à secourir des malades et des blessés.

La cour martiale demanda compte à Moilin de son temps et de ses actes depuis le jour de l’entrée de l’armée de Versailles dans Paris. Il répondit que, signalé depuis longtemps, notamment par le procès de Blois et par ses écrits, comme l’un des chefs du parti socialiste, ayant à répondre de la prise de possession de la mairie du VIIIme arrondissement, au 18 mars, redoutant une justice par trop sommaire et les fureurs des premiers moments, il avait cherché et trouvé un asile chez des amis, et cela depuis le lundi, matin jusqu’au samedi soir. Invité à nommer les personnes qui l’avaient reçu, il s’y refusa d’abord, pour ne point les compromettre ; mais, sur l’assurance qui lui fut donnée qu’en les nommant il ne leur ferait courir aucun danger, une personne qui l’assistait, celle qu’il épousa deux heures après, donna aux juges ce document, qu’il a dépendu d’eux de vérifier.

La cour apprit donc que T. Moilin avait trouvé un asile chez un ami intime, son compatriote, médecin comme lui, mais d’une opinion politique différente, conservateur et membre du conseil général de son département ; qu’accueilli d’abord par cet ami à bras ouverts, même avec de vifs remercîments pour la confiance et la préférence qu’on lui accordait, ce dévouement, quelques jours après, avait fait place à la peur ; que le samedi soir, 27 mai cet ami avait prié son hôte de quitter sa retraite et de chercher ailleurs que chez lui un refuge, ce que T. Moilin ne s’était point fait dire deux fois ; qu’au sortir de cette maison peu hospitalière, découragé, ne cherchant plus à disputer sa liberté, ni même sa vie, il était rentré chez lui, rue de Seine, où, sur la dénonciation de son portier et de ses voisins, il avait été presque aussitôt arrêté et conduit au Luxembourg devant la cour martiale.

À ce récit se borna la défense de T. Moilin, qui fut immédiatement condamné à mort. La cour voulut bien lui dire que le fait de la mairie, le seul qu’on lui pût reprocher, avait en lui-même peu de gravité, et ne méritait point la mort, mais qu’il était un des chefs du parti socialiste, dangereux par ses talents, son caractère et son influence sur les masses, un de ces hommes, enfin, dont an gouvernement prudent et sage doit se débarrasser, lorsqu’il en trouve l’occasion légitime. T. Moilin convint volontiers de tout cela ; il reçut, d’ailleurs, de grands compliments sur la façon convenable et digne dont il s’était exprimé ; sur la fermeté, exempte d’affectation et de forfanterie, qu’il avait montrée ; seulement, l’un des officiers qui composaient la cour, à propos de cet ami qui l’avait mis à la porte à l’heure du plus grand danger, lui fit observer qu’il avait là un singulier ami !

Tony Moilin n’eut qu’à se louer de l’urbanité des membres de la cour. On lui accorda sans difficulté un répit de douze heures, pour qu’il pût faire son testament, écrire quelques mots d’adieux à son père, enfin donner son nom à une personne qui lui avait, dans le procès de Blois et depuis, montré le plus rare dévouement. Après ces devoirs remplis, le 28 mai au matin, Tony Moilin fut conduit à quelques pas du palais, dans le jardin, et fusillé ! Son corps, que sa veuve avait réclamé, et que l’on avait d’abord promis de rendre, lui fut refusé. L’on dit, pour raison de ce refus, que l’autorité ne voulait point que la tombe de T. Moilin, de qui le parti socialiste ferait sans doute un martyr, devint l’occasion et le théâtre de rassemblements tumultueux. Sur l’insistance de la famille, M. le général de Cissey a fini par répondre qu’il regrettait qu’on ne pût lui délivrer ces tristes restes, mais qu’ils avaient été confondus avec ceux d’un grand nombre de condamnés, et qu’il était impossible de les reconnaître.

Ce jugement de la cour martiale du 2me corps d’armée fut le dernier qu’elle prononça. A partir du 28 mai, tous les accusés, même ceux pris les armes à la main[2], même les chefs de l’insurrection les plus coupables, furent conduits à Versailles et déférés aux conseils de guerre ; ils ne sont pas encore jugés aujourd’hui.

Si l’ami de T. Moilin eût conservé son dévouement vingt-quatre heures de plus, ce dernier échappait à la juridiction des cours martiales ; traduit devant un conseil de guerre ou une cour d’assises, il aurait pu présenter une défense plus ample et plus efficace, faire entendre des témoins, et réduire à sa valeur légale l’accusation portée contre lui.

Pour le fait qu’on lui imputait, auquel il avait de lui-même et si promptement mis fin ; fait qui, depuis quelques mois, s’est reproduit tant de fois dans notre malheureux pays, à peu près impunément, il eût été vraisemblablement condamné à une peine légère, moindre à coup sûr que la mort et, sans doute, bientôt amnistié.

Périgueux. le 17 juin 4871.

(Écho de la Dordogne.)


(Note 3.)


Nous donnons, d’après les journaux versaillais, la liste des personnes fusillées à Paris du 18 mars au 27 mai. Nous ajoutons même le nom du commandant Ségoyer, omis par ces messieurs.

Il résulte de cette énumération que deux individus, les généraux Clément Thomas et Lecomte, furent fusillés du 18 mars au 23 mai et soixante-quatre du 23 au 27 mai, — en tout soixante-six.

Ces exécutions eurent lieu soit avant l’élection de la Commune, soit quand elle était dissoute de fait, sans aucune autorité, toujours en dehors de son action ; il n’y eut parmi les otages ni un vieillard, ni une femme, ni un enfant, ni un blessé : quarante sur soixante-six avaient été convaincus d’avoir tiré ou commandé le feu contre les Parisiens.

Nous attendons maintenant que les Versaillais veuillent- bien publier : 1° les noms des prisonniers fédérés qu’ils ont fusillés depuis l’ouverture des hostilités jusqu’à l’entrée de l’armée dans Paris ; 2° les noms des vingt mille hommes, femmes, enfants, vieillards blessés, fusillés à Paris en vertu des ordres de M. Thiers et des généraux, du 22 mai au 15 juin, froidement et pour la plupart après la bataille ; 3° les noms des fusillés à Versailles, Satory, Bicetre, Montrouge, etc.,etc. 4° les noms des prisonniers morts à Versailles, sur les pontons et dans les forts ; 5° la liste exacte des soixante mille prisonniers.


Officiers. — Général Clément Thomas ; général Lecomte ;Ségoyer, commandant.


Jésuites et Dominicains. — Clere ; Allard ; Ducoudray ; Captier ; Cotrault ; Baudard ; Olivaint ; Caubert ; de Bengy ; Radigue ; Tuffier ; Rouchouze ; Tardieu ; Planchat ; Sabbatier ; Seigneret.


Prêtres. — Darboy, archevêque ; l’abbé Deguerry, curé ; Surat, évêque ; Recourt, curé ; Huillon, missionnaire.


Divers. — Bonjean, ex-sénateur ; Jecker ; Chaudey, ex-adjoint de Jules Ferry ; plus deux individus dont les noms nous manquent.


Gendarmes et sergents de ville. — Belamy ; Blanchesdini ; Bermond ; Biollard ; Barlottei ; Bodin ; Breton ; Chapuis ; Cousin ; Coudeville ; Colomboni ; Ducros ; Dupré ; Doublet ; Fischer ; Gauthier ; Garodet ; Geanty ; Jourès ; Keller ; Marchetti ; Mangenot ; Margueritte ; Mannoni ; Moullie ; Marty ; Millotte ; Pauly ; Paul ; Pons ; Poirot ; Pourtau ; Salder ; Vallette ; Weiss ; Walter.




(Note 4.)


Voici la prétendue traduction de la lettre adressée au Morning-Post, publiée par l’Officiel de M. Thiers :


A l’éditeur du Morning-Post.
PROTESTATION.


Monsieur,

Nous lisons aujourd’hui qu’une nouvelle boucherie a eu lieu à Versailles : 150 hommes ont été massacrés (have been butchered). Je désirerais savoir enfin si notre horreur du meurtre a deux poids et deux mesures. Le meurtre cesse-t-il d’être inique, lorsque les meurtriers sont du parti de l’ordre et non de la Commune ? Lorsqu’ils assassinent au nom de la religion, sont-ils plus justifiables qu’en se drapant dans l’athéisme ?

Sans doute, le parti de l’ordre a raison de traiter d’assassins et d’incendiaires les gens de la Commune ; est-ce une raison, pour lui, de continuer à faire un métier de boucher ? Tel est cependant le fanatisme que la guerre civile a soufflé dans les esprits.

Les communeux ont massacré 64 otages ; c’est vrai : ils se sont conduits en bêtes fauves, on les traite en bêtes fauves. Cependant, cet abominable crime, les communeux ne s’en sont rendus coupables que sous la pression des êtres désespérés entre les mains desquels était tombé le pouvoir ; et ces hommes eux-mêmes étaient enveloppés d’un cercle de flammes et de plomb. Mais que dire des infamies commises par l’autre camp ? On vient d’exécuter 13 femmes après les avoir publiquement outragées (disgraded) en pleine place Vendôme. En même temps, une lettre nous informe qu’un convoi de vingt à trente filles, bien mises, des ouvrières d’un établissement de couture, était aussi dirigé sur la place Vendôme pour y être aussi fusillées et peut-être aussi outragées.

Ou a beaucoup parlé des pétroleuses ; seulement, on n’a encore découvert aucun document de nature à éclairer le mystère de l’organisation. Ce corps n’a jamais existé qu’à l’état de fantôme, hantant l’imagination des journalistes.

Ces infâmes forfaits continuent, et pas un gouvernement en Europe n’a le courage, ni même ne manifeste le désir de protester contre eux. Probablement, sans doute, les États européens partagent l’erreur du gouvernement des réactionnaires de Versailles : que le sang versé est la seule solution possible des problèmes politiques et sociaux. C’est bien ; mais ils jouent leur vie sur un dilemme. La violence engendre la violence ; l’héritière fatidique de l’autorité brutale est la brutalité révoltée.

Frédérick A. Maxse.
Londres, 10 juin 1871.


Voici maintenant la protestation de M. Maxse, contre la falsification de sa lettre du 10 :

Au directeur du Morning-Post.
Monsieur,

J’ai eu l’occasion maintenant de consulter la version officielle française de la lettre que je vous ai adressée le 10 de ce mois, et qui a été l’objet de tant d’indignation. Si la traduction officielle était exacte, assurément il y aurait toute excuse pour l’indignation française ; mais je dois vous informer que la version publiée par le Journal officiel est une falsification de ma véritable lettre.

En premier lieu, bien que la version officielle prétende reproduire ma lettre en entier, en la faisant, précéder de son adresse et suivre de ma signature, il n’y a pas moins de 45 lignes d’impression sur 85 de supprimées. Les passages omis étaient très-importants, et déterminaient tout le caractère de ma lettre. Je soumets à l’appréciation de vos lecteurs la manière dont les autres passages ont été falsifiés, en les plaçant en colonnes parallèles :


LETTRE ORIGINALE.
Traduction.

« Sans doute le parti qui
est au pouvoir, considère
honnêtement les communistes
comme de simples
assassins et incendiaires,
et pour ce motif il continue
avec une parfaite tranquillité
de conscience à les massacrer
comme faux pompiers. »

» Si des hommes sont
traités comme des bêtes
féroces, ils deviendront des
bétes féroces. »

» Qui peut oublier le
mémorable passage d’un
télégramme spécial publié
par un de nos confrères il
y a une quinzaine de jours
seulement : « Treize femmes
viennent d’être exécutées
après avoir été
publiquement outragées
« sur l’a place Vendôme. »

VERSION OFFICIELLE
FRANCAISE.

« Sans doute, le parti de
l’ordre a raison de traiter
d’assassins et d’incendiaires
les gens de la Commune :
est-ce une raison
pour lui de continuer a
faire un métier de boucher ? »



» Les communeux se sont
conduits an bêtes fauves ;
on les traite en bêtes
fauves. »
 
»On vient d’exécuter 12
femmes après les avoir
publiquement outragées. »


J’ai désigné par des italiques les mots qui ont été spécialement dénaturés. La transformation la plus flagrante du sens et des mots se trouve dans le dernier de ces passages, et c’est là que se trouve l’insulte qui a causé tant d’irritation à Paris. Vous remarquerez que dans la version française on me fait parler à la première personne du temps présent, tandis que dans l’original, je cite un passage guillemeté d’une communication publiée « il y a une quinzaine ». Comme si, cependant, cette falsification n’était pas suffisamment malveillante par elle-même, le directeur du Journal officiel, en présentant cette précieuse traduction au public français, est assez dépourvu de scrupules pour me représenter comme déclarant « qu’à l’heure où nous écrivons on assassine les femmes sur la place Vendôme, après les avoir déshonorées. »

Je suis l’onde à dire que cette falsification est « délibérée, » parce que le directeur du Journal officiel a refusé ma rectification. Je lui ai envoyé jeudi une traduction de ma seconde lettre, publiée dans votre journal du 20, en faisant appel à ses sentiments d’impartialité pour qu’il la publiât, et je protestai en même temps contre la traduction erronée qui avait paru de ma première lettre, faisant aussi ressortir que, bien que le mot « outragées » (disgraced) soit susceptible d’une interprétation odieuse, il n’implique pas nécessairement la signification qu’il y a donnée, et j’ajoutai que l’explication exacte de l’expression ne pouvait être obtenue que du correspondant du Times, qui est le premier responsable de son emploi.

J’expliquai aussi que la nouvelle que 150 prisonniers avaient été récemment fusillés, avait été publiée parmi les télégrammes de l’Agence Reuter, dans les journaux de Londres du 9 et du 10, en exprimant ma satisfaction de ce que cette nouvelle eût été démentie, et mon extrême regret d’avoir contribué, quoique involontairement, à répandre cette fausse nouvelle. Le Journal officiel n’a pas accordé la moindre attention à ma communication.

La calomnie, avec mon nom y attaché, a, par conséquent, encore la sanction officielle auprès du public parisien, et sous le règne, de terreur qui existe actuellement à Paris, il n’y a pas à espérer qu’aucun autre journal français ose la dévoiler ; en fait, le directeur d’un journal important, que je ne nommerai pas, m’a donné à entendre qu’il ne serait pas prudent de publier la traduction de la second lettre adressée au Morning-Post, et refusée par le Journal officiel.

Je dois donc chercher réparation par la presse anglaise ; et après les explications que j’ai données, je me sens parfaitement certain que, dans l’opinion des gens impartiaux ; l’accusation d’avoir publié « d’infâmes inventions » est transférée de moi aux directeurs du Journal officiel de Versailles ; et que s’il est question de poursuites pour « d’odieux libelles », ces messieurs seront placés au banc de la défense.

Votre obéissant serviteur,
Fréd. A. Maxse.
Paris, 25 juin.


(Note 5.)


On lisait dans le journal le Globe :


« Peu de jours après la chute de la Commune, un membre de l’Assemblée nationale eut la curiosité d’aller voir les femmes prisonnières à Versailles. A peine avait-il pénétré dans la cour où se trouvaient réunies deux ou trois cents de ces malheureuses, qu’il se sentit saisir le bras par l’une d’elles, couverte de vêtements en lambeaux :

» — Ne me quittez pas, monsieur, s’écria-t-elle.

» Il essaya de se dégager ; la femme se cramponna plus fort à son bras, en lui disant :

» — Pour l’amour de Dieu, ne me quittez pas ; regardez-moi.

» Le député jeta alors les yeux sur la prisonnière et ne put retenir une exclamation de surprise.

» — Grand Dieu ! madame, vous ici ?

» Il venait de reconnaître une de ses amies, femme riche et distinguée, qui habite Paris. La dame fondit en larmes, puis raconta son histoire.

» Le jeudi 23 mai, après que la bataille eut cessé dans son quartier, cette dame sortit et se rendit chez son teinturier pour y réclamer quelques objets. En sortant de sa boutique, elle se trouva au milieu d’un groupe de femmes qui fuyaient, poursuivies par des soldats.

» — Arrêtez-les, criait-on, ce sont des pétroleuses !

» Au même instant, les femmes furent cernées, Mme X… avec elles, et malgré ses protestations envoyée à Versailles. La route se fit à pied, et on ne peut se faire une idée des souffrances morales et physiques de l’infortunée prisonnière. La fatigue, la faim, la soif avaient épuisé ses forces. A Versailles, tous les efforts qu’elle tenta pour communiquer avec sa famille ou ses amis furent infructueux. Tout le monde voyait en elle une véritable incendiaire. Personne ne voulut croire qu’elle fut une femme honnête. Le député se hâta naturellement de la faire relâcher. Sans lui, elle aurait pu être transportée avec ses compagnes dans quelque maison pénitentiaire pour y attendre pendant des semaines et des mois la sentence du conseil de guerre. Cette dame est persuadée que nombre de prisonnières étaient tout aussi innocentes qu’elle ; mais, ajoute-t-elle, nous étions traitées avec la même rigueur que les vraies coupables. Mme X… ne parle qu’avec horreur des scènes auxquelles elle a assisté pendant sa captivité.


(Note 6.)


« M. Frédéric Morin, comme préfet du département de Saône-et-Loire, s’était trouvé en relations peu agréables avec un certain général auxiliaire nommé Franzini, commandant des mobiles de la Savoie, et avec un autre général non moins auxiliaire, M. Pradier, de son métier capitaine de vaisseau.

» Le jour de l’enterrement du regretté Chaudey, après avoir assisté aux obsèques de son ancien collaborateur, il passait sur le boulevard des Italiens ; il y fit la rencontre de M. Franzini, dont il ignore le titre actuel, et que d’ailleurs il ne reconnut pas. M. Franzini l’interpella en ces termes :

» — Ah ! vous avez voulu m’arrêter ! eh bien ! c’est moi qui vous arrête.

» — Quand j’ai donné l’ordre de votre arrestation, répondit M. Morin, j’accomplissais un devoir, j’avais un mandat régulier ; montrez-moi le vôtre.

» — Est-ce que j’ai besoin de cela ? répliqua Franzini. Puis il poussa une tirade plus virulente qu’académique, qu’il termina par ces mots : — D’ailleurs n’avez-vous pas écrit au Rappel ?

» M. Frédéric Morin avait en effet écrit au Rappel plusieurs articles de critique courageuse contre la Commune.

» M. Franzini fit conduire M. Frédéric Morin — entre deux soldats — à pied, dans les rues de Paris, au général Pradier, non pas, il est vrai, au malheureux Pradier qui était rentré dans la marine, mais à son frère.

» Celui ci fut plus brusque encore que Franzini.

» — Ah ! vous avez voulu faire assassiner mon frère (sic) ; eh bien ! je vous tiens !

» Et là-dessus coups de poing dans le chapeau de l’ancien préfet de Saône-et-Loire, mots violents et grossiers, menaces absurdes. M. Morin eut la force de se contenir.

» Après cette scène violente, M. Frédéric Morin fut conduit aux Champs-Elysées, chez le général de Gallifet et lui demanda vainement d’être conduit chez le préfet de la Seine, M. Jules Ferry, qui aurait pu lui rendre témoignage. Refus absolu. L’ancien préfet, fut conduit à un espèce de campement, où on ne lui permit même pas d’écrire une lettre, et le lendemain dirigé sur Versailles.

» Pendant tout ce temps, il entendit vingt fois au moins des officiers plus ou moins supérieurs dire en le désignant : Au premier mouvement, qu’on le fusille.

» Une fois à Versailles, M. Morin était à l’abri de MM. Franzini et Pradier, et, naturellement, après trois minutes d’interrogatoire (interrogatoire qui fut différé illégalement jusqu’au mercredi), il fut mis en liberté.

» Si un homme qui a joué un rôle politique, qui a été conseiller général, préfet, a pu être traité comme nous venons de le raconter, on se demande avec effroi ce qui est arrivé à d’autres citoyens inconnus qui avaient le malheur d’être désignés par des haines personnelles. »

(Progrès de Lyon.)


(Note 7)


La citoyenne A.... une grande personne d’un certain âge déjà, elle peut bien avoir quarante ans, ayant du être belle autrefois et ayant conservé de ce passé une grande opinion d’elle-même et de son influence, vint s’asseoir à côté de l’officier d’état-major qui remplaçait Delescluze ; elle s’entretint quelque temps avec lui à voix basse.

Le citoyen officier signa deux demi-feuilles de papier, les lui remit assez mystérieusement, après quoi elle se leva et sortit du salon rouge.

Dans la salle du peuplé, une jeune file à la mine effrontée l’attendait.

Je suivis un instant ces deux citoyennes, d’ailleurs fort dissemblables, dont l’une était incontestablement la suivante de l’autre, et je les vis se diriger vers les bureaux, qui étaient situés tout le long du couloir qui tournait autour de la cour intérieure et s’ouvraient sur ce même couloir par des portes à un seul battant.

Il y avait là divers services installés depuis peu, vu que jamais je n’ai assisté à de si nombreux changements de locaux que pendant le règne de la Commune à l’Hôtel de ville.

Elles entrèrent premièrement dans le bureau du fond, où l’instruction primaire, sous la direction de Menier et sous l’inspection de Jules Vallès, était installée, avant de monter au deuxième étage.

Elles y restèrent quelques instants, puis la camériste sortit avec un assez gros paquet dans les bras ; la citoyenne A... la suivait à une certaine distance, elle ferma tranquillement la porte derrière elle.

Elles pénétrèrent ensuite dans le bureau suivant, puis dans l’autre ; chaque fois le fardeau augmentait ; à la dernière visite, elles étaient fort chargées toutes les deux ; un garde avec de gros paquets à la main les suivait à quelques pas en arrière, comme un valet de bonne maison.

Par simple curiosité, j’entrai à mon tour dans les pièces qu’elles venaient de quitter, et je constatai que dans la première la pendule, les candélabres et les deux coupes en marbre, noir venaient de disparaître ; le tapis de la table du second bureau avait servi d’enveloppe ; les rideaux de quatre fenêtres, y compris les deux du troisième bureau, avaient aussi disparu.

Je m’expliquai seulement alors le fardeau du garde qui accompagnait les deux femmes, je me plais à croire que quelque délégué complaisant réquisitionna une voiture pour les citoyennes patriotes qui prenaient tant de soins du mobilier de la Ville.

Le contraire me surprendrait fort.

(Figaro, 4 juin.)
Marfori.


(Note 8.)


Delescluze, puisqu’il faut l’appeler par son nom, s’était fait, monter, à la mairie du 11e arrondissement, dont il était l’élu à la Commune et qu’il administrait comme délégué, une petite retraite aimable où il venait se reposer des soucis du pouvoir, en compagnie de jeunes vestales, recrutées dans la légion des pétroleuses.

Au surplus, cette Mairie était transformée en phalanstère, et la nuit où y entra le général de Langouriau. — celui-là même qui fut, avec le général Chanzy, traîtreusement arrêté en wagon par ordre de la Commune et gardé prisonnier pendant quelques jours, — elle offrait un spectacle aussi étrange que repoussant.

Chaque couple avait fui de sa chambre en plein désarroi, et ils étaient nombreux, presque toutes les pièces de ce vaste édifice ayant été transformées en chambres à coucher ! Ce n’était partout, sur le parquet, sur les meubles, dans les lits défaits, que faux chignons rancis, jupons jaunis, corsets défraîchis ; restes de victuailles, fonds de bouteilles, débris et maculatures de toute espèce de l’orgie, habituelle de la soirée. Les soldats durent immédiatement procéder au nettoyage et à la désinfection de la Mairie, pour la rendre accessible sans trop de péril pour la vue et l’odorat.

Delescluze, l’Erostrate-Marat, qui vient de « faire à la liberté des funérailles dignes d’elle, » avait donc sa petite maison dans ce lieu de délices, et la maîtresse du sieur Verdure, autre élu du XIe arrondissement, laquelle avait été nommée « déléguée » à l’Orphelinat de la rue Oberkamph, employait son importance nouvelle à tout ce qui pouvait procurer d’agréables distractions aux grands hommes de la Commune.

Ces faits étaient déjà connus et presque publics. Or, voilà qu’on vient d’en découvrir, sur leur théâtre même, une de ces preuves irrécusables qui appartiennent à l’histoire et à la conscience publique, et que nous rapportons dans sa nudité révélatrice.

Voici comment la matrone infâme chargée, ne l’oublions pas, de la direction d’une maison de jeunes orphelines de tout âge, la fille de joie accouplée au brigand Verdure, la proxénète de profession et d’expérience, pourvoyait un jour à la lubricité avinée de l’incendiaire en chef de Paris. Certains objets ignobles, trouvés en nombre dans cette Mairie souillée, prouvent d’ailleurs toute la prudence de ce Faublas de la basse démagogie dans la débauche :

« Au citoyen Delescluze.

» Je certifie que la nommée Henriette Dubois est dans un état de santé et de propreté qui ne laisse absolument rien à désirer.

» Paris, le 5 mai 1871.
» Citoyenne Verdure »


Et voilà ce que valaient les plus illustres d’entre les régénérateurs de l’humanité.

(Gaulois, 18 juin.) (Sans signature).


(Note 9.)


Dernières nouvelles de Versailles.
Lundi 29 mai, 10 heures du matin.

Paris est écrasé. L’insurrection décapitée roule dans le sang de ses défenseurs. Le carnage farouche, implacable, frappant en aveugle et sans relâche, achève la victoire des amis de l’ordre.

Nous déportons, nous fusillons tout, même les prisonniers blessés à mort.

Nos bons amis, les Prussiens à Saint-Denis, les rois chacun dans son pays respectif, arrêtent et livrent à notre vengeance les rares fugitifs qui essaient d’échapper à la mort. Hurrah ! Paris est écrasé, détruit, vaincu ! L’ordre règne. Les honnêtes gens ont repris le dessus.

Deux cent mille scélérats, en proclamant la Commune, proclamaient, en fait, la République fédérative.

Les monstres ont failli réussir ; mais les amis de l’ordre siégeant à l’Assemblée nationale de Versailles, veillaient et ont heureusement déjoué ces coupables manœuvres.

Les républicains honnêtes rendent à la France des services bien précieux : Simon musèle l’instruction, Picard rétablit le timbre et le cautionnement de 25,000 fr. pour les journaux. J. Favre poursuit à l’étranger avec un zèle admirable jusqu’au dernier fugitif.

Les scélérats avaient décrété qu’aucun fonctionnaire ne recevrait un traitement dépassant six mille francs, même un général en chef ; bien plus, ils avaient été jusqu’à s’appliquer à eux-mêmes les effets de cette loi. C’était intolérable. Mais l’ordre est rétabli. Rassurez-vous, doux amis de l’ordre ; rentrez en France ; rentrez à Paris. Revenez, fidèles et savants capitaines, Lebœuf, de Failly, Fleury, Bazaines de tous grades ; venez participer à la pluie de décorations et de gros traitements que vous ayez si bien mérités.

Rentrez aussi, banquiers faiseurs d’affaires, cens à fortunes véreuses, joueurs de Bourse ; rentrez, les de Morny, les Mirés, les Robert-Macaire de tous genres ; rentrez, loyaux et honnêtes fournisseurs d’armée ; rentrez, comtesses, duchesses, cocotes de tous étages : rentrez tous ! L’ordre est rétabli !

Les scélérats avaient décrété la séparation de l’Église et de l’État, et l’éducation laïque et obligatoire. Horreur ! Tranquillisez-vous, princes de l’Église, pieux évêques et archevêques ! Les traitements de vingt, trente mille francs vous seront maintenus et augmentés. Rassurez-vous, pieux hommes de Dieu, cafards instituteurs de la jeunesse ; rassurez-vous aussi, braves gens de la campagne. Vous pourrez continuer à élever vos enfants, comme vous-mêmes, dans la plus crasseuse ignorance, pour en faire des citoyens dignes du suffrage universel. L’ordre est rétabli.

Rentrez aussi, Piétri, agents de la police ouverte ou secrète, braves gendarmes ! Les scélérats ont brisé vos armes chéries, revolvers et casse-têtes, mais nous avons de nouveaux modèles perfectionnés : rentrez ! nous avons besoin de vous. L’ordre est rétabli !

Les scélérats ont brûlé l’échafaud. Oh ! les Vandales ! Qu’es-tu devenue, colonne de l’ordre ? Où t’es-tu enfui, serviteur modeste et intelligent, respectable bourreau ? Plus que jamais nous avons besoin de tes services. L’ordre est rétabli !

Rentrez tous ! Hurrah ! O la curée ! La France écrasée, mutilée, n’est pas encore morte ; elle a la vie dure ; Il lui reste du sang dans les veines ; rentrez, corbeaux, vautours, sangsues. L’ordre est rétabli !


(Note 10.)


Voici un échantillon de la convenance et de la dignité que montra le conseil de guerre :

1er conseil de guerre de la 9e division militaire, séant à Marseille.

Présidence de M. Thomassin, lieutenant-colonel au 84e de ligne.

« Le président. — Voulez-vous nous donner maintenant des explications sur la proclamation dans laquelle vous flétrissez les fonctionnaires restés fidèles à la cause de l’ordre ?

» Crémieux. — C’est bien simple ; j’étais en ce moment le pouvoir et j’avais le droit d’ordonner que tout le monde m’obéit. »

Le président s’élève, dans un mouvement empreint d’une haute éloquence, contre cette absurde et odieuse prétention. « Vous êtes sorti du sang et de la boue, dit-il à l’accusé ; plaise à Dieu que vous n’y retourniez pas ! »

Le commandant Villeneuve substitut du commissaire du gouvernement, s’exprima ainsi dans son réquisitoire :

« Ces bohèmes de cape et d’épée sont guidés par les fruits secs de toutes les ambitions déçues de tous les échelons, les aventuriers des révolutions avortées.

« Illustres sacripants, leurs noms forment une sinistre légende et leur personnalité est entourée d’une auréole à la nitro-glycérine, à la dynamite et au pétrole… »



  1. Nous laissons au correspondant la responsabilité de cette étrange assertion. Quand la Commune a-t-elle fait fusiller, ou seulement arrêter un fonctionnaire ou un médecin qui lui refusait ses services ?
      Il est également faux que la Commune ait fait fusiller « un seul réfractaire. » Le démenti le plus catégorique fut donné à cet égard par le Président du 4e conseil de guerre de Versailles, répondant à des accusés qui prétendaient avoir été contraints de marcher sous peine de mort.
  2. Le correspondant ne parle sans doute que da la cour martiale du 2me corps.