Les Hirondelles (Esquiros)/Le dernier soupir du Poète.

Eugène Renduel (p. 55-57).



Si tu n’avais plus de pain,
poète, que ferais-tu ?
Je chanterais !



La lampe du poète agonisait dans l’ombre ;
Des rapides printemps il voyait fuir le nombre ;
La faim, de son toit pauvre, écartait les amours ;
Sa cruche se vidait, et couché sur la paille :
« Il faut donc, disait-il, il faut que je m’en aille,
« Avec le dernier des beaux jours !


 « Mêlant les ris, l’amour, l’espérance féale,
« J’enflais à mon aurore une bulle idéale ;
« Papillon, je cherchais mon lit dans une fleur ;
« Un sylphe me berçait sur son aile bénie ;
« Comme un lys en parfum, mon âme en harmonie
« S’évaporait, loin du malheur.

« Mais, fleur, j’ai vu sécher ma goutte de rosée ;
« Au souffle des humains ma bulle s’est brisée ;
« Une abeille a sucé mon calice argenté ;
« Papillon, j’ai brûlé mes ailes à la gloire ;
« Et mon sylphe a froissé sa ceinture de moire,
« Aux ronces de la pauvreté.

« Le sort n’a-t-il donc pas de plus superbe tête,
« Pour secouer dessus l’éclair et la tempête ?
« Ô pourquoi m’empêcher de finir ma chanson !
« Si je ne t’ai rien fait, si mes jeux sont sincères,
« Pourquoi, vautour cruel, poursuivre de tes serres
« Petit oiseau sous le buisson !
 
« Je demandais si peu dans ma courte veillée,
« Un peu d’azur, d’émail, d’ombre sous la feuillée !
« Dans un bouton fleuri mon printemps s’écoulait ;
« Mon vol sur l’océan n’a pas cherché l’orage,
« Mais chétive éphémère, hélas ! j’ai fait naufrage,
« Au fond d’une goutte de lait.


 « Le malheur m’étreignit de ses serres puissantes,
« J’ai dévoré long-temps des larmes bien cuisantes ;
« Mais mon cœur, aux mortels ne s’est pas révélé.
« Qu’ils ne s’arrêtent pas devant mes douleurs vaines ;
« Il faudrait tant souffrir pour comprendre mes peines
« Que je crains d’être consolé !

« Je cherche seulement un calice de rose
« Où mon aile froissée, en tombant se repose ;
« Et quand le jour viendra de m’envoler aux cieux,
« Je voudrais, Chrysalide au corsage d’ivoire,
« M’ensevelir moi-même en un rayon de gloire
« Comme elle en un tombeau soyeux ! »

II



Lorsque l’on vint ouvrir la porte du poète,
Dans ses doigts languissait une lyre muette ;
Un souffle avait flétri sa couronne de fleurs,
Et comme un fruit tombé de son écorce verte,
On voyait commencé sur sa lèvre entrouverte
Un son qu’il achevait ailleurs.

Mai 1831.