Les Hirondelles (Esquiros)/Adieux.

Eugène Renduel (p. 237-244).



ADIEUX.


Vous, mes amis, en quelques lieux que se dirigent vos pas, transportez-y mes os ; et qu’à l’endroit où descendra la caravane pour y fixer sa demeure, ils soient ensevelis près de vous.
Poète arabe.


Un livret tout moisi vit pour vous, et encore Comme la mort vous fait la taigne le dévore.
Mathurin Régnier.



Adieux.


Ô mes chants, dans les airs ouvrez vos blanches ailes ;
Adieu, groupe léger ; timides hirondelles,
Cherchez un doux printems :
Aigle, vole au rocher ; alcyons, près des tombes,
Dans les cieux tout d’azur nagez, blanches colombes,
Sans craindre les autans.


Je ne vous verrai plus, couronné de feuillage,
En groupe, vous poser sur mon front sans nuage
Comme un essaim d’oiseaux :
Mais, arbre des hivers, aux dépouilles flétries,
Je pleurerai long-temps ces branches si fleuries
Où pendaient vos berceaux.

Adieu, muse céleste, adieu fidèle guide
Qui pleuras de mes pleurs, et dont le doigt timide
M’a montré le chemin :
Arrivé maintenant au terme du voyage,
Je te quitte à regret après un long orage,
En te baisant la main.

Adieu, verte jeunesse, adieu belles années,
Je n’irai plus cueillir dans vos landes glanées
De timides bluets ;
Le temps m’effleurera de son aile glacée,
Et bientôt on verra sur une corde usée
Errer mes doigts muets.

II.

Oh ! dans un cœur ami si ma parole tombe ;
Si j’éveille, en chantant, un écho de ma voix ;
Si je charme, en son ciel, une douce colombe ;
Si je laisse quelqu’un pour pleurer sur ma tombe
Près d’un rocher, au coin d’un bois ;


Si du Dieu de Jacob j’entonnai les louanges ;
Si j’ai vanté le culte et le temple sacré ;
Si, m’entendant chanter, les célestes phalanges
Ont parfois, en passant, baissé leurs têtes d’anges
Autour de mon luth inspiré ;

De nos événemens si j’ai sondé l’abîme
Et pesé la grandeur dans le creux de ma main ;
Si, sous la gloire même en poursuivant le crime
J’ai montré le néant d’une tombe sublime
Et dit aux peuples leur chemin ;
 
Que me ferait alors l’orage populaire ?
Quand mes chants dispersés flotteraient en tout lieu,
Quand ils n’auraient pas même un phare tutélaire,
Que m’importe ?… ils vivront, dirais-je sans colère,
Dans le souvenir de mon Dieu !

En vain des grands périls un faible cœur s’étonne,
Ce n’est que par la mort qu’on entre au Panthéon ;
C’est le pied sur la bombe et le bronze qui tonne
Que vainqueur et royal au bout de sa colonne
Surgit le grand Napoléon.


III.


Recevoir au printemps l’hirondelle première,
Amis, porte, dit-on, bonheur à la chaumière
Et promet l’immortalité ;
Moi, pour ce nid d’oiseaux éclos de mon caprice,
Dans un coin de vos cœurs, dans votre âme propice
Je demande hospitalité.

En voyant émigrer leurs compagnes jumelles,
J’ai souvent désiré de m’en aller comme elles
Vers un rivage oriental ;
De suivre le printemps dans sa course fleurie,
Et dans le monde entier de n’avoir pour patrie
Que le ciel ou le nid natal.

Je voulais, ce qu’il faut pour vivre à l’hirondelle,
Un rayon de soleil, un peu d’air à son aile,
Un nid sous le lierre abrité,
Effleuré par son vol, un ruisseau qui se ride,
Au milieu de l’orage un toit de chaume aride,
Et puis surtout, — la liberté !


Envoi.


Seigneur, je viens suspendre en déployant mon aile,
Une harpe d’un jour à ta voûte éternelle j
Car, il faut pour chanter au monde dire adieu ;
Le poète n’est plus un son qui nous amuse,
C’est le clairon sonore ou l’humble cornemuse
Qu’embouchent les lèvres de Dieu.


Et toi, chêne battu par l’ardente tempête,
Qui dresses vers le ciel une sublime tête,
Ô Victor ! si mes vers, timide essaim d’oiseaux,
Recevaient en volant quelques gouttes de pluie,
De temps en temps permets que leur aile s’essuie
Et s’abrite sous tes rameaux !

Décembre 1833.