Les Heures, poésie

Revue des Deux Mondes4e période, tome 161 (p. 153-159).
POÉSIE

LES HEURES


AU FIL DES JOURS


Oh ! savoir vivre heureux dans son humble maison,
Renoncer à poursuivre un bonheur impossible,
Se faire une âme simple et devenir sensible
Aux plaisirs passagers qu’offre chaque saison ;

Savoir ne dédaigner aucun sujet de joie,
Jouir de la clarté d’un azur calme, et voir
Dans l’éclat d’un matin, dans la tiédeur d’un soir,
Un gage d’amitié que le ciel nous envoie ;

Quand le retour d’avril rend les bois palpitans.
Savoir prendre sa part du renouveau des choses,
Et, se rafraîchissant à la fraîcheur des roses.
Laisser au fond de soi renaître le printemps ;

L’été, parmi les champs ou le calme des villes,
Savourer, dans la paix des longs après-midis.
L’ombre lente des parcs doucement attiédis
Et des stores baissés sur les chambres tranquilles ;

En automne, où les fleurs ont de plus doux parfums,
Où l’amour s’attendrit d’un peu de lassitude,
Laisser, dans le silence et dans la solitude,
Son âme s’incliner aux souvenirs défunts ;

Puis en décembre, auprès du foyer clair, connaître
La douceur d’avoir froid pour se réchauffer mieux,
Et se sentir aussi plus vivant, plus joyeux,
Quand le premier frisson de l’hiver vous pénètre ;

Et vivre ainsi, chanter, aimer, selon le cours
Des saisons, dont chacune apporte un peu de rêve,
Puis, quand la neige fond et que l’hiver s’achève.
Et qu’un rayon qui filtre annonce les beaux jours,

Lorsque, sous la rosée en perles qui les trempe,
Les fleurs s’ouvrent, goûter le charme passager
Des soirs calmes qu’on voit doucement s’allonger
Et des premiers repas qu’on achève sans lampe...


L’ORPHELIN


Quand sa mère vient de mourir.
Le cœur de l’orphelin se serre.
Et, malgré sa douleur sincère,
Il est déjà fier de souffrir.

Il l’aimait bien, sa mère morte,
Et cependant, toujours en deuil.
Il a comme un naïf orgueil
Des longs vêtemens noirs qu’il porte.

Et ses camarades entre eux
Rient et jouent sans qu’il les envie.
L’enfant connaîtra dans la vie
La fierté d’être malheureux.


LA SOLITUDE


La Solitude a des caresses,
Dont seuls connaissent la douceur
Les orphelins sans grande sœur
Et les poètes sans maîtresses.

Elle sait lire dans nos yeux
Nos angoisses les plus secrètes,
Ses attentions sont discrètes,
Ses gestes sont silencieux.

Elle nous dit : « Soyez tranquilles.
— « Mes bras chauds vous tiendront blottis, —
« Et n’allez pas, vous, les petits,
« Vous mêler aux clameurs des villes. »

Lorsque nous rêvons, assoupis
Dans une vague lassitude.
Elle marche, la Solitude,
A pas très lents sur le tapis.

Elle aime la clarté des lampes.
Et parfois, quand nous travaillons,
Elle nous frôle, et nous croyons
Sentir son souffle sur nos tempes.

Et, les soirs mauvais et nerveux
Où le mal de vivre nous blesse,
Elle baise nos fronts et laisse
Glisser ses mains dans nos cheveux.


PRINTEMPS


L’hiver est chassé par le vent.
Avril renaît. La feuille pousse.
Et quelque chose de vivant
Frémit dans chaque brin de mousse.

Mille insectes qu’on ne voit pas
Rôdent dans la verdure grise,
Et sous mes pieds, à chaque pas,
Je sens une herbe qui se brise.

Et je m’égare lentement
Le long de la sente suivie,
Avec le vague sentiment
Que je marche sur de la vie.



LA MARE


Autour de cette mare où l’eau calme frissonne,
Il subsiste toujours, ma chère, un peu d’automne,
Et ce coin d’ombre ignore en sa tranquillité
Les bises de l’hiver et les feux de l’été.
Un branchage touffu, qui se resserre à chaque
Nouveau printemps, y garde une fraîcheur opaque,
Et les menthes, les joncs et les jeunes roseaux.
Qui pourrissent sans fin dans le calme des eaux,
Entretiennent, parmi les feuilles tamisées,
Un vague et doux parfum d’herbes décomposées.
Seul, immobile au bord de l’eau, dans la fraîcheur.
Un cygne, mal certain de sa toute blancheur.
Inspecte tout le jour ses ailes, en silence.
Mais le soir, quelquefois, quand la brise balance
Les branches, découvrant l’azur vaste des cieux,
Emu soudain, il tend le cou, lève les yeux.
Et, suivant dans le ciel la fuite des nuages.
Il rêve vaguement à de lointains voyages.


LES CLOCHES


Ma barque flotte au fil de l’eau.
Mon rêve flotte au fil de l’heure.
Je préfère le triste au beau :
Chante-moi la chanson qui pleure.

Le jour décline. Qu’il est doux
D’aller sans, cesse à la dérive !
Comme la terre est loin de nous !
Existe-t-il même une rive ?

Mais voici que dans le ciel clair.
Comme un appel des villes proches.
Un tintement traverse l’air...
Les cloches ! Les cloches ! Les cloches



NOVEMBRE


Novembre est de retour. C’est la saison d’aimer.
Dans le parc solitaire, où la nuit fait pâmer
Les lys pâles d’automne et les dernières roses,
Flotte l’âme odorante et subtile des choses.
Et, tandis qu’en rêvant j’écoute la rumeur
De la brise, qui naît, s’enfle, décroît et meurt.
Pareille au bruit des mers lointaines sur le sable.
Je ne sais quoi de doux et d’indéfinissable,
Le parfum de la brise ou la couleur des cieux,
Le sourd bourdonnement du parc mystérieux
Ou la complicité de la nuit endormie
Me rappellent le jour où la première amie.
Ayant levé vers moi ses grands yeux apaisés.
Se livra toute pâle à mes premiers baisers.
Comme en moi tout le cher souvenir se réveille !
On dirait que la nuit qui s’est faite, pareille
A la nuit frissonnante et tiède de l’aveu,
Me remplit encor d’elle et me la rend un peu.
Je la cherche des yeux. Je tressaille, j’écoute,
Et mon âme ce soir se sent reprise toute.
J’entends encor sa voix lente me caresser.
Et mes lèvres, sur qui se posa son baiser,
Dans la brise qui passe, exquise et caressante,
Cherchent l’illusion des lèvres de l’absente.


AUTOMNE


Voici l’automne qui finit.
Et l’ombre des sous-bois tressaille.
Les amoureux cherchent un nid.
Un frisson court dans la broussaille.

La brise frôle la forêt.
Des feuilles tournent dans l’espace.
Un ruisseau murmure. On croirait
Entendre l’automne qui passe.

Et les couples silencieux,
Au fond du grand bois monotone,
Ferment tout doucement les yeux
Pour écouter mourir l’automne.


CHANT D’AUTOMNE


Nous n’aurons plus beaucoup de beaux jours cette année.
Les arbres presque nus frissonnent sous les cieux.
La rose qui restait au jardin s’est fanée ;
Et l’automne décroît lentement dans tes yeux.

Et le charme attristé de l’heure qui décline
Au fond de tous les cœurs verse un trouble secret,
Et toute âme est un peu ce soir comme orpheline,
Et chaque souvenir se teinte d’un regret.

Qu’importe ? Ces beaux jours transparens et paisibles
Ont d’autant plus de prix qu’ils sont plus passagers.
Et nous-mêmes, plus las, plus frileux, plus sensibles.
Nous percevrons ce soir des frissons plus légers.

Aussi profilons bien de cette fin d’automne,
Qui, par sa grâce intime et son recueillement,
Convient à notre amour éphémère et lui donne
Je ne sais quoi de doux et triste exquisement.

Songeons que le jour fuit, songeons que l’heure est brève.
Ecoutons en tremblant l’automne s’éloigner.
Chaque instant qui s’envole emporte un peu de rêve.
Chaque serment d’amour peut être le dernier,

Mais, si déjà l’hiver frissonne dans l’espace,
Si, ce soir, le parfum des fleurs doit s’épuiser,
Pour préciser au moins la minute qui passe
Unissons nos deux cœurs en un dernier baiser.

Fixons à tout jamais cette heure enchanteresse,
Cette heure grave et lente, impossible à saisir,
Où l’automne qui meurt prête à notre tendresse
La subtile douceur de ce qui va mourir.



RETOUR D’HIVER


Pénétrons-en la grâce exquise, qu’exagère
Le trouble indéfini de la chute du jour,
Et, dans cette minute unique et passagère,
Savourons tout le charme éternel de l’amour.

Voici les tristes vents annonceurs de Décembre,
Ils chassent devant eux l’automne qui s’enfuit.
On dirait que le soir ne quitte plus la chambre.
Et l’on sent tout le jour l’approche de la nuit.

Seules, dans les logis bien clos où l’ombre rôde.
Les femmes, que la nuit effare, ont mieux compris
Qu’il fait bon être deux dans la chambre bien chaude,
Et guettent en tremblant le retour des maris.

Dès qu’ils auront quitté l’usine ou la charrue,
Vers la demeure aimée ils hâteront le pas.
Ils ne flâneront pas à causer dans la rue ;
Le cabaret, ce soir, ne les retiendra pas.

Ils songent que là-bas s’inquiètent les femmes.
Car la fin de l’automne et le jour qui finit,
Par ces retours d’hiver, éveillent dans les âmes
Un instinctif besoin de se blottir au nid.


André Dumas .