Librairie nouvelle (p. 178-180).
Le chant des coqs, les coqs du chant

Le chant des coqs. — Les coqs du chant.


« Que pensez-vous de l’emploi du trille vocal dans la musique dramatique ? me demandait un soir un amateur dont une prima donna venait de vriller le tympan.

— Le trille vocal est quelquefois d’un bon effet, comme expression d’une joie folâtre, comme imitation musicale du rire gracieux ; employé sans raison, introduit dans le style sérieux et ramené à tout bout de chant, il m’agace le système nerveux, il me rend féroce. Cela me rappelle les cruautés que j’exerçais dans mon enfance sur les coqs. Le chant triomphal des coqs m’exaspérait alors presque autant que le trille victorieux des prime donne me fait souffrir aujourd’hui. Maintes fois aussi m’est-il arrivé de rester en embuscade, attendant le moment où l’oiseau sultan, battant des ailes, commencerait son cri ridicule qu’on ose appeler chant, pour l’interrompre brusquement et souvent pour l’étendre mort d’un coup de pierre. »

Plus tard, je me corrigeai de cette mauvaise habitude, je me bornai à couper le cri du coq d’un coup de fusil. Aujourd’hui l’explosion d’une pièce de quarante-huit suffirait à peine à exprimer l’horreur que le trille des coqs du chant m’inspire en mainte circonstance.

Le trille vocal est en général aussi ridicule en soi, aussi odieux, aussi sottement bouffon que les flattés, les martelés et les autres disgrâces dont Lulli et ses contemporains inondèrent leur lamentable mélodie. Quand certaines voix de soprano l’exécutent sur une note aiguë, il devient furieux, enragé, atroce, (l’auditeur bien plus encore) et un canon de cent dix, alors, ne serait pas de trop.

Le trille des voix graves, au contraire, sur les notes basses surtout, est d’un comique irrésistible ; il en résulte une sorte de gargouillement assez semblable au bruit de l’eau sortant d’une gouttière mal faite. Les musiciens de style l’emploient peu. On commence à reconnaître la laideur de cet effet de voix humaine. Il est déjà si ridicule, qu’un chanteur a l’air de commettre une action honteuse en le produisant. On en rougit pour lui. Dans deux ou trois cents ans on y renoncera tout à fait.

Un compositeur parisien de l’école parisienne a publié dernièrement un morceau religieux funèbre, pour voix de basse. À la fin de son morceau se trouve un long trille sur la première syllabe du mot requiem :

Pie Jesu, domine, dona eis re… quiem !!!!

Voilà le sublime du genre.