Librairie nouvelle (p. 127-128).
On a un billet avec vingt francs

On a un billet avec vingt francs.


Vivier ayant une fois déterminé de cette manière originale le prix des places pour un concert qu’il se proposait de donner, un pauvre joueur de cor de la barrière Pigalle vendit tout ce qu’il pouvait vendre et courut chez le célèbre virtuose.

Arrivé devant le n° 24 de la rue Truffaut à Batignolles, il entre tout palpitant, monte au second, frappe à une petite porte (Vivier le millionnaire affecte des allures fort modestes). Un monsieur barbu, portant un coq sur son épaule gauche et un long serpent à sa main droite, vient ouvrir.

— M. Vivier ?

— C’est moi, monsieur.

— On m’a assuré qu’on pouvait obtenir chez vous, avec vingt francs, un billet pour le concert ? (Admirez cette flatterie, le concert ! comme s’il ne devait y avoir que le concert de Vivier à Paris !) Je suis un peu cor aussi, et j’ai même un peu de talent, quoiqu’on n’ait jamais voulu m’admettre à l’Opéra, et vous me rendriez, monsieur, le plus heureux, monsieur, des hommes, monsieur, si…

— Ah ! vous aviez des dispositions pour entrer dans la police espagnole ?

— La police ? Comment ?

— Certainement, vous avez voulu prendre place parmi les cors de l’Opéra ; ceux qui sont parvenus à cette dignité ont toujours fini par répondre quand on leur a demandé s’il était vrai qu’ils fussent à notre Académie de Musique : Oui, j’y suis cor et j’y dors. Mais assez de philosophie. (Et tendant au pauvre diable un napoléon sur un billet de concert.) Voilà votre affaire !

— Vous me donnez vingt francs, monsieur ?

— N’avez-vous pas vu annoncer dans les papiers publics, ne vous a-t-on pas dit, ne m’avez-vous pas répété vous-même tout à l’heure qu’on vous avait dit que l’on disait qu’on obtenait de moi un billet de concert avec vingt francs ? Eh bien ! n’avez-vous pas l’un et les autres ? Que prétendez-vous ? Vingt francs, cela n’est peut-être pas suffisant, à votre avis ? Peste ! vous êtes un drôle de cor !

— Mais, monsieur…

— Assez ! vous veniez me dévaliser ! lui crie Vivier d’une voix terrible ; sortez d’ici, ou j’appelle la maréchaussée et je vous fais traîner à la Bastille !