Librairie nouvelle (p. 74-75).
Les mariages de convenance

Les mariages de convenance.


Au dernier acte d’un autre opéra de M. Scribe (Jenny Bell), on voit une délicieuse jeune fille, soumise à la volonté paternelle, épouser un gros vieux imbécile d’orfèvre, et se faire vertueusement passer pour une coquette, afin d’éloigner un jeune homme qu’elle aime et dont elle est tendrement aimée. Ce dénoûment m’a paru affreux ; il m’a mis en colère. Oui, quand je vois de ces stupides dévouements, de ces insolentes exigences paternelles, de ces infâmes cruautés, de ces écrasements de belles passions, de ces brutaux déchirements de cœur, je voudrais pouvoir mettre tous les gens raisonnables, toutes les héroïnes de vertu, tous les pères éclairés dans un sac, avec cent mille kilos de sagesse au fond, et les jeter à la mer accompagnés de mes plus acres malédictions. .   .   .

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Vous croyez que je plaisante ! eh bien, vous vous trompez. J’étais furieux tout à l’heure ; je suis chargé d’une telle haine pour les pères Capulets et les comtes Pâris qui ont ou veulent avoir des Juliettes, que la moindre étincelle dramatique me met en feu et provoque une explosion. La vertu grotesque de Jenny Bell m’avait réellement exaspéré. Il y a d’ailleurs tant d’espèces de pères Capulets et de comtes Pâris et si peu de Juliettes ! Le grand amour et le grand art se ressemblent tellement ! Le beau est si beau ! Les passions épiques sont si rares ! Le soleil de chaque jour est si pâle ! La vie est si courte, la mort si certaine !… Centuples crétins, inventeurs du renoncement, du combat contre les instincts sublimes, des mariages de convenance entre femmes et singes, entre l’art et la basse industrie, entre la poésie et le métier, soyez maudits ! soyez damnés ! Puissiez-vous raisonner entre vous, n’entendre que vos voix de crécelles et ne voir que vos visages blêmes dans la plus froide éternité !…