Les Gaietés/Les Projets d’un bon vieux Seigneur

Les GaietésAux dépens de la Compagnie (p. 121-122).


LES PROJETS D’UN BON VIEUX SEIGNEUR.

Air de la Catacoua.


Je veux rétablir dans ma terre
Les us, les bons us d’autrefois ;
Messieurs mes vassaux, je l’espère,
Vont reconnaître tous mes droits :
Je fais, car j’ai haute justice,
Je le prouve sur parchemin,
Dresser demain,
Dans mon terrain,
Un bon gibet sur le bord du chemin ;
C’est bien le moins qu’un seigneur puisse
Quand il lui plaît, pendre un vilain.

Je veux bannir de mon empire
Tout clerc, pédagogue ou lettré ;
Que personne n’y sache lire,
Hormis le bailli, le curé ;
Qu’enfin, pour science achevée,
Avant qu’il soit quinze ou vingt ans,
Mes paysans,
Bien ignorans,

Comme il convient à mortaillables gens,
Sachent courir à la corvée
Et battre l’eau de mes étangs.

Respectable droit de jambage,
Je te rétablis promptement,
Mais docile aux conseils de l’âge,
Adieu te dis confidemment ;
Il est bon que je te maintienne
Ad honores, pour le moment ;
Dors maintenant,
Droit séduisant
Dont aujourd’hui je m’abstiens prudemment…
Je veux te garder pour étrenne
À mon fils quand il sera grand.

Je veux qu’avant tous, à l’église,
Le pain bénit me soit offert ;
Si quelqu’insolent s’autorise
D’un abus trop longtemps souffert,
Sous-préfet, bedeaux, maire et suisses,
Que le coupable soit puni ;
Qu’il soit saisi,
Battu, honni,
Et de mon fief à tout jamais banni !
Nul que moi n’a droit aux prémices…
Aux prémices du pain béni.