Les Gaietés/Les Moutons

Les GaietésAux dépens de la Compagnie (p. 114-116).


LES MOUTONS.

Air de la Partie carrée.
Ou de la Sainte-Alliance des peuples.


Dans un pays que chacun peut connaître,
Au temps jadis, vivaient nombreux troupeaux ;
Mais les bergers voulaient, comme le maître,
Dîmer, tailler, tondre jusqu’aux agneaux.
Pour s’affranchir de ce joug tributaire,
La gent qui bêle enfin se révolta…
Pauvres moutons, oh ! vous avez beau faire,
Toujours on vous tondra, toujours on vous tondra,
Toujours on vous tondra.

Grande rumeur ! On prit les chiens pour guide ;
C’était gémir sous de nouveaux tyrans.
On vit bientôt cette race perfide
Se transformer en des loups dévorans.
Jours de terreur ! leur rage sanguinaire
Sur ce beau sol trop longtemps s’exerça…
Pauvres moutons, etc.


Sire Lion, d’un courage indomptable,
Vint à régner en ces temps désastreux ;
Gloire, revers, splendeur trop peu durable
Ont signalé son empire orageux.
Le Léopard trembla dans son repaire,
Mais que d’agneaux ce triomphe coûta !…
Pauvres moutons, etc.

On vit bientôt mille hordes sauvages,
Fondre du Nord sur ces bords désolés ;
On s’adjugea de riches pâturages,
Pour secourir des frères accablés.
Le reste échut au fermier solidaire,
Qui par traités en toisons s’acquitta.
Pauvres moutons, etc.

Robin-mouton, favori du despote,
Eut après lui la bergerie à bail.
Flatteur adroit et fourbe patriote,
À l’étranger il vendit le bercail.
On paya bien son zèle mercenaire ;
Il voulait paître… et paître on l’envoya.
Pauvres moutons, etc.

Oh ! quand pourrai-je, aux rives de la Seine,
Voir nos moutons jouir d’un sort plus doux,
Et pour eux seuls fertilisant la plaine,
Croître et bondir sans la crainte du loup ?
En attendant cet appui tutélaire,
Que chaque maître à son tour promettra,

Pauvres moutons, oh ! vous aurez beau faire,
Toujours on vous tondra, toujours on vous tondra,
Toujours on vous tondra.