Les Gaietés/La Peyronnette

Les GaietésAux dépens de la Compagnie (p. 156-160).


LA PEYRONNETTE.

Air de la Catacoua.


Chers eunuques du portefeuille,
Ventrus, que nous avons truffés,
De la liberté qui s’effeuille
Tous les germes sont étouffés ;
Mais cette canaille qui pense,
Ose ne pas le trouver bon…
Vite un bâillon,
Un saint bâillon,
Pour éclairer, il suffit de Guyon[1].
Il faut, pour gouverner la France,
Mettre la pensée en prison.


Entendez-vous ces cris sinistres
Du meurtre de nos libertés ?
La chute de vos sept ministres
Doit absoudre les royautés,
Et l’on exile en espérance
Les sept Lycurgues à Toulon !
Vite un bâillon,
Un saint bâillon,
Pour éclairer, il suffit de Guyon.
Faites respecter l’impudence
Sous la robe de Lamoignon[2] !

Mais sur vos chaises septennales
Vous n’êtes pas mieux éclairés ;
À vos consciences vénales
Nous jetons des gâteaux dorés ;
Chez vous le cœur est dans la panse
Et ne bat plus sous un cordon.
Vite un bâillon,
Un saint bâillon,
Pour éclairer, il suffit de Guyon.
Pillez la ruche, et, par prudence,
À l’abeille ôtez l’aiguillon.

Avec Canning, de ridicule
Couvrant tous nos exploits guerriers,
Aux jambons de la Péninsule

Ils font honneur de nos lauriers[3],
Et sur le bûcher de Valence[4]
Leurs traits ont gravé notre nom.
Vite un bâillon,
Un saint bâillon,
Pour éclairer il suffit de Guyon.
De l’aigle, cher à la vaillance,
Livrons les foudres aux dindons.

Sous les charniers de la police
Où les libelles sont éclos,
Ils marchent devant la justice
Dont ils allument les fallots ;
Mais dans les mains d’une Éminence,
Ils n’osent éteindre un tison.
Vite un bâillon,
Un saint bâillon,
Pour éclairer, il suffit de Guyon.
Que Vidocq ait l’omnipotence,
Que Tharin[5] soit un Fénélon !

De la vierge de Louis onze
Vos dons excitent l’appétit.
Encor des lois ! coulez en bronze
La servitude de l’esprit.

Aux talents votez l’indigence,
Les poucettes à la chanson !
Vite un bâillon,
Un saint bâillon,
Pour éclairer, il suffit de Guyon.
Proscrivez même l’éloquence !
Nous n’y tenons pas, par raison.

Que nos libertés en marasme
Meurent, et que tous nos valets,
Échappant aux cris du sarcasme,
Se vautrent dans l’or des budgets.
Le commerce a trop d’opulence…
Qu’il creuse pour nous son sillon.
Vite un bâillon,
Un saint bâillon,
Pour éclairer, il suffit de Guyon ;
Et qu’aux ronces de la puissance,
La brebis laisse sa toison.

Et toi, Discorde en chapeau rouge,
Aiguise ton poignard sacré ;
Broie en paix les sucs de Montrouge
Dans l’eau bénite des curés.
On réserve à ton innocence
Le monopole des prisons.
Vite un bâillon,
Un saint bâillon,
Pour éclairer, il suffit de Guyon.
Rendons le peuple à l’ignorance,
Changeons le sceptre en goupillon.


Lâchons la meute qui nous flatte
Sur tous nos ennemis muets,
Et sans crainte qu’il se débatte,
Pendons l’honneur à nos gibets.
Que bientôt la Charte, en silence,
Y perde son dernier haillon…
Vite un bâillon,
Un saint bâillon,
Pour éclairer, il suffit de Guyon.
Il faut, pour gouverner la France,
Mettre la pensée en prison.



  1. Le grand général des missions, prédicateur missionnaire à Saint-Roch, auteur du fameux livre des Lectures nouvelles et Méditations sur les Missions, Paris, 1821.
  2. Peyronnet, garde des sceaux.
  3. Discours de Canning au parlement britannique sur la guerre d’Espagne (12 décembre 1826).
  4.  ?
  5. Ancien évêque de Strasbourg, précepteur du duc de Bordeaux, — Fénelon du nouveau duc de Bourgogne.