Les Gaietés/La Marraine

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Les GaietésAux dépens de la Compagnie (p. 70-72).


LA MARRAINE.

Air : J’ai vu la boulangère.


Marraine, qui nous instruisez
Dès qu’au monde nous sommes ;

Rien qu’à l’tenir, vous qui prisez
L’cœur de messieurs les hommes,
J’suis en âge d’avoir un amant,
Dit’s-moi donc, ma marraine,
Comment,
Comment qu’y faut qu’je l’prenne ?

J’vois deux morveux qui m’font la cour
Se frotter à ma jupe ;
L’un a l’nez long, l’autre a l’nez court,
Et c’est là c’qui m’occupe ;
Ces deux morveux sont bien tournés ;
Dit’s-moi donc, ma marraine,
Est-ce au nez,
Au nez qu’y faut qu’je l’prenne ?

L’un est brun, bien dru, bien droit,
Plein d’esprit et d’bravoure ;
Ôtez-lui la main d’un endroit,
Dans un autre il la fourre ;
Dru comme il est, j’aurais d’son cru ;
Dit’s moi donc, ma marraine,
Est-ce le dru,
Le dru qu’y faut que j’prenne ?

L’autre est un roux dur et sournois,
Tout frais v’nu de sa province,
Qui n’me fait rien qu’en tapinois,
Qui m’chatouille et qui m’pince ;
Dur comme il est, c’est un homm’sûr ;

Dit’s-moi donc, ma marraine,
Est-c’le dur,
Le dur qu’y faut que j’prenne ?

L’un n’est pas plus haut que cela,
Mais y n’lui faut point d’aide ;
Quand je l’tiens dans ces cinq doigts-là,
Jarni, comme il est raide !
Tout p’tit qu’il est, y m’divertit ;
Dit’s-moi donc, ma marraine,
Est-c’le p’tit,
Le p’tit qu’y faut que j’prenne ?

L’autre est si gros que je n’crois point
Que par ma porte il passe ;
Mais rien n’lui va comm’l’embonpoint,
Car jamais y n’se lasse ;
Gros comme il est, ça n’a point d’os ;
Dit’s-moi donc, ma marraine,
Est-ce l’gros,
Le gros qu’y faut que j’prenne ?

Le choix vous semble embarrassant,
J’en juge à vot’silence ;
Vot’filleule a l’cœur innocent,
C’est pour ça qu’ell’balance.
Peur de faire un choix hasardeux,
Dites-moi donc, ma marraine,
Est-c’ les deux,
Les deux qu’y faut que j’prenne ?