Les Gaietés/L’Anti-Philosophe

Les GaietésAux dépens de la Compagnie (p. 73-75).


L’ANTI-PHILOSOPHE,

ROMANCE DÉDIÉE AUX NOUVEAUX CONVERTIS.



La grâce enfin touche mon cœur :
Je me retire aux Camaldules ;
Des libertins, des incrédules,
J’y braverai l’esprit moqueur.
Malgré mes tristes catastrophes,
Chrétiens, soyez-en convaincus,
Je vais prier pour les cocus,
Les catins et les philosophes.

Ô vous ! qui blâmez mes douleurs,
Sachez que j’adorais Sophie ;
Le goût pour la philosophie
A seul causé tous mes malheurs :
Elle ne faisait point ses pâques
Et sans cesse philosophait.
Depuis peu même elle avait fait
Un frère aux enfants de Jean-Jacques.

Un matin j’obtins, par trois fois,
Le prix de l’ardeur la plus pure,

En lui parlant de la nature,
Tout comme en parle un bon bourgeois.
Mais cette fille trop pensante,
Qu’amour d’innover consumait,
Prit le dessus, tant elle aimait
La philosophie agissante.

Que cette manière a d’appas !
Qu’à ce jeu Sophie était forte !
Mais mon lit est près de ma porte,
Et ma porte ne fermait pas.
Or, un Socrate en embuscade,
Voit ce tendron des mieux tournés,
Entre sans gêne, et, sous mon nez,
Il s’en fait un Alcibiade.

Au bruit que fit ce voisin-là,
En emménageant dans son gîte,
J’ouvre les yeux et je m’agite
Pour le précipiter de là.
Il s’y tient avec assurance,
Et ma belle me dit fort bien,
Que pour mettre en bas ce païen,
Elle avait trop de tolérance.

Après semblable trahison,
À qui veut-on que je me fie ?
D’abjurer la philosophie
Notre grand siècle a bien raison.

Ô vous ! qu’instruit une coquette,
Et qui l’aimez comme j’aimais,
Ne philosophez donc jamais,
Et baisez toujours en levrette.