Les Gaietés/L’Abbesse d’un Couvent comme il y en a encore beaucoup


L’ABBESSE D’UN COUVENT
COMME IL Y EN A ENCORE BEAUCOUP.



Sortez vite et rentrez souvent,
Le jour baisse,

Servez votre abbesse,
Mes filles, malgré pluie ou vent,
En avant,
Pour l’honneur du couvent.

L’heure est propice,
Jeunes houris ;
Que tout Paris
Vous trouve à son service.
Qu’on m’obéisse ;
Vingt ans entiers
J’ai fait l’office
Dans les plus beaux quartiers,
Ne riez pas,
Oui mes appas,
Ont mis au pas
La ville et la province.
Ducs et milords
Pleuvaient alors,
Et plus d’un prince
M’honora de son corps.

Sortez vite et rentrez souvent, etc.

De votre ancienne
Apprenez l’art ;
Mettez du fard
Et du rouge qui tienne.
Grosse Adrienne,
Parfumez-vous ;
Madame Étienne,

L’on voit tes cheveux roux.
Nina, ce soir,
Schall ni mouchoir,
Qu’on puisse voir
Ta gorge blanche et grasse.
Vous, Paméla,
Cachez cela,
Et qu’on vous fasse
D’autres reins que ceux-là.

Sortez vite, et rentrez souvent, etc.

Que tout rapporte.
Vous serez huit
Jusqu’à minuit
De garde sur la porte.
Qu’une autre sorte
Carton en main,
Et fasse en sorte
Qu’on l’accoste en chemin.
Chez Maréchal,
J’envoie au bal,
Trois des moins mal ;
Autant au Vaudeville,
Et tiens à part,
Pour maint richard,
En femme habile,
Des vierges de hasard.

Sortez vite et rentrez souvent, etc.


L’œil d’une fille
Juge à l’habit
De l’acabit
Des gens qu’elle émoustille.
Tout vieux qui brille
Donne aux catins ;
Sans crainte on pille
Des cagots libertins.
À nos prélats
De jeûnes las,
Dieu veuille, hélas !
Rendre des bénéfices !
Quand chacun perd,
Qui paiera cher,
Hors les novices
Et quelque duc et pair ?

Sortez vite, et rentrez souvent, etc.

L’art de complaire
À tous les goûts,
Doit parmi vous,
Être l’unique affaire.
Un mousquetaire
Va tout de bon ;
Mais qu’il faut faire
De frais pour un barbon !
Vous traitât-on
Comme un giton,
Souffrez ce ton ;
Chacun a son système :

Il faudrait pour
Les gens de cour,
De sexe même
Changer dix fois par jour.

Sortez vite, et rentrez souvent, etc.

Allez séduire
Sages et fous ;
Laissons de nous
Les duchesses médire ;
Nous pouvons rire
Nous qui plaisons.
L’envie aspire
À perdre nos maisons ;
Mais nos talents,
Plus que galants,
Sont désolants
Pour les prudes lubriques.
Rien ne nous vaut ;
Livrons assaut
Même aux pratiques
Des catins comme il faut.

Sortez vite, et rentrez souvent,
Le jour baisse,
Servez votre abbesse ;
Mes filles, malgré pluie ou vent,
En avant,
Pour l’honneur du couvent.