Les Gaietés/Démence de Charles X

Les GaietésAux dépens de la Compagnie (p. 163-165).


DÉMENCE DE CHARLES X.

Air : Je n’ai plus peur de Croquemitaine.


Un jour le roi qui se fait vieux,
À son lever, quelle indécence !
Tint des propos séditieux
Dont la cour blâma la licence.
Je veux, disait-il, mettre à bas
Ce ministère malhonnête ;
Le trois pour cent ne me plaît pas…
Et chacun se disait tout bas :
Sa Majesté n’a plus sa tête.

Loin de moi, lâches conseillers !
J’ai déjà trop fait de sottises :
Débarrassez mes escaliers,
Allez pourrir dans mes églises.
Du péché j’aimais la douceur ;
Lorsqu’à me damner je m’apprête,
Je ne veux plus de confesseurs,
De jésuites et de censeurs…
Sa Majesté n’a plus sa tête.

Qu’on ne me parle désormais
Des émigrés, ni de la presse ;

J’annule et supprime à jamais
Et le timbre et le droit d’aînesse.
Au diable le pape et les sots,
Et la Sorbonne et la Gazette,
Les jubilés et les dévots,
Les capucins et les cagots…
Sa Majesté n’a plus sa tête.

Guerre à Mahmoud ! guerre au turban !
Le sort des Hellènes m’attriste :
Victoire ! dût le Drapeau blanc
Me traiter de bonapartiste.
Marchons, suivez-moi, vieux guerriers !…
Délivrons Corinthe et la Crète ;
Je quitte cerfs et lévriers
Pour voler aux champs des lauriers…
Sa Majesté n’a plus sa tête.

Assez longtemps j’ai méconnu
Le mérite de nos grands hommes ;
Trop d’intrigants ont obtenu
Des rubans et de larges sommes.
Que les beaux arts, pour les venger,
Aient une récompense honnête ;
De chaînes, loin de le charger,
Que l’on décore Béranger…
Sa Majesté n’a plus sa tête.

Je veux renvoyer de chez moi,
Peyronnet, Villèle et Corbière.

Qu’ils partent ! je veux être roi
Et gouverner à ma manière.
Je veux ouvrir un libre accès
Même à la pensée indiscrète.
Je veux et la Charte et la paix,
Je veux le bonheur des Français…
Sa Majesté n’a plus sa tête.