Les Géorgiennes/Texte entier
RHODODENDRON-PACHA | MM. | Pradeau. | |||
JOL-HIDDIN | Désiré. | ||||
BOBOLI | Léonce. | ||||
POTERNO |
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Édouard George. | |||
Jean-Paul. | |||||
COCOBO | Duvernoy. | ||||
FÉROZA | Mmes | Ugalde. | |||
NANI | Zulma Bouffar. | ||||
ALITA | Taffanel. | ||||
ZAIDA | Simon. | ||||
MELEVA | Léonti. | ||||
MÉLANO | Deferté. | ||||
MIRZA. | Dallonde. | ||||
UN TAMBOUR | Ida Lange. | ||||
AUTRE TAMBOUR | Mathilde. | ||||
UN TROMPETTE | Debar. | ||||
AUTRE TROMPETTE | Hortence. |
ACTE PREMIER.
Scène PREMIÈRE.
- À pleines corbeilles,
- Cueillons, de ces treilles,
- Le fruit transparent et vermeil ;
- Les grappes sont mûres,
- Et, dans les ramures,
- Voyez-les briller au soleil.
- Célébrons l’automne,
- Qui fait sa couronne
- De ces fruits si doux ;
- Les grappes vineuses
- Brillent radieuses
- ALITA.
Comme des bijoux.
- La topaze est moins transparente.
- Le rubis est moins éclatant.
- Une récolte aussi charmante,
- Il faut la cueillir en chantant.
- À pleines corbeilles, etc.
- Mais quel bruit se fait entendre ?
- Ah ! c’est l’affreux Boboli.
- Tout le jour on le voit s’étendre
- En palanquin comme en son lit.
Scène DEUXIÈME.
- Quelle abominable paresse !
- Peut-on dormir ainsi sans cesse !
- Constantinople, ô mon pays,
- Je te regrette ;
- Au moins, au séjour des houris,
- On est honnête !
- On n’appelle pas paresseux
- Un galant homme,
- Quand le travail qu’il fait le mieux
- Est un bon somme.
- Sous les douces lois du Prophète
- On vit tranquille, et j’aime ça ;
- Mais l’amour n’en fait qu’à sa tête,
- C’est grâce à lui que je suis là.
- Sous les douces lois du Prophète
- On est tranquille, il aime ça ;
- Mais l’amour n’en fait qu’à sa tête,
- Et c’est grâce à lui qu’il est là.
- Ô les splendides nuits d’été,
- Sur le Bosphore,
- Quand on danse au son velouté
- De la mandore !
- Oh ! revoir tes yeux de lapis,
- Ô ma sultane,
- Et ronfler sous tes frais abris,
- Ô mon platane !
- Sous les douces lois du Prophète, etc.
- Sous les douces lois du Prophète, etc.
(À part.) Oh ! mon amour, tais-toi.
Que le mien va peut être se faire tuer ou endommager.
Toi, c’est simplement un mari, tandis que Poterno, le mien, me laisserait un orphelin qui est déjà assez à plaindre d’être tout le portrait de son père, le pauvre petit malheureux, sans le perdre encore avec ça.
Eh bien, puisque vous aimez tant les sultanes… pourquoi donc n’en avez-vous pas une seule ?
Oh ! j’en ai eu beaucoup… confiées à ma garde. (Haut.) Ah !… je n’étais pas né pour le célibat.
Ni moi.
Ni moi pour le veuvage.
Alors, si vous voulez que quelqu’une vous donne son cœur et sa main, allez d’abord vous faire tuer, vous et vos esclaves, pour la défense de la patrie.
Après nous verrons.
Oh ! il y a plus de défenseurs qu’il n’en faut pour repousser les barbares, allez ! mes esclaves et moi nous avons les passions douces.
Oui ! oui !
Ou si nos défenseurs reviennent triomphants.
Oui ! oui !
Quant à Boboli et à ses grands bons-à-rien, je propose qu’on leur vote des jupons de femme.
Oui ! oui !
Et des aiguilles à tricoter.
Oui ! oui !
À notre observatoire !
À notre observatoire !
Ah ! ma petite Alita.
Va-t’en, va-t’en, tu m’agaces.
Allons, esclaves, suivez-moi.
Scène TROISIÈME.
Je reste pour veiller sur vous, mes petites chattes, (à part) un reste d’habitude de ma vie passée.
Pour veiller sur nous ? Eh bien, nous verrons cela si l’ennemi envahit la ville, car tous nos hommes sont si poltrons…
Ah ! Poterno surtout ; c’est même ce qui me rassure. Je le connais, il se cachera le plus possible derrière les autres.
En avons-nous employé de ces moyens pour les décider à marcher !
La prière.
La raillerie.
La séduction.
Rien n’y faisait.
Et sans Férosa, qui s’est mise en colère et nous a monté la tête, ils seraient encore ici.
Ils n’ont cédé qu’à nos menaces.
Quel est ce bruit ?
Ah ! c’est Férosa, elle tient des lettres à la main.
Ah ! je vais avoir des nouvelles de Poterno.
Férosa a l’air furieux.
Est-ce qu’il y aurait du nouveau ?
Scène QUATRIÈME.
- Ah ! quel malheur, quel sort effroyable !
- Un destin affreux, hélas ! nous attend.
- Tout nous trahit et tout nous accable,
- Qui pouvait prévoir pareil accident ?
- Un tel sort nous est réservé
- Quand tout devait être sauvé.
- Peut-on savoir, savoir enfin
- Ce qui vous cause un tel chagrin,
- Parlez, parlez.
- Nos hommes étaient cent cinquante
- Pour lutter avec trente-deux,
- Et vers nous, chose humiliante,
- Vaincus ils vont rentrer honteux.
- « On nous a vaincus, mis en fuite,
- « Les gredins m’ont fort abîmé ;
- « Dans mes foyers je rentre vite :
- » TOUTES LES FEMMES.
« Tu vas revoir ton bien-aimé.
- Ah ! c’est abominable,
- C’est trop fort, c’est affreux,
- Ah ! c’est épouvantable,
- C’est vraiment trop honteux.
- Charmantes brebis,
- Je ris et m’amuse
- En voyant la ruse
- De vos chers maris.
- Une ruse ? expliquez-vous.
- Parlez, parlez tout de suite.
- Qu’est-ce donc ? dites-le-nous.
- Parlez vite, parlez vite.
- Pour battre les ennemis
- Vous savez comment ils sont partis.
- Avec répugnance.
- Je conclus, d’après leur goût,
- Qu’ils ne se sont pas battus du tout.
- Ah ! l’impudence !
- Je vous donne ici ma foi
- Qu’ils se sont battus autant que moi ;
- Ils vont, dans quelques instants,
- Revenir ici gais et bien portants.
- Ah ! c’est trop fort, ah ! c’est affreux,
- C’est révoltant, c’est monstrueux.
- Que faire, hélas !
- Que ne pas faire ?
- Ô trahison !
- Qu’on délibère.
- Vengeons-nous !
- Oui, vengeons-nous.
- Oui,
- Conseillez-nous, cher Boboli.
- Insurgez-vous, femmes timides.
- Insurgeons-nous, sachons agir.
- Renvoyez vite ces perfides.
- Oui, forçons-les à repartir.
- LES FEMMES.
Et, si vous avez du courage,
- Nous en aurons, nous en aurons.
- Tenez-leur un ferme langage.
- Nous le tiendrons, nous le tiendrons.
- Oubliez vos titres d’épouses.
- Oui… notre amour, nous l’oublierons
- De gloire montrez-vous jalouses.
- À marcher nous les forcerons.
- Non, pas d’amour, pas de faiblesses,
- Allons, femmes, sœurs ou maîtresses,
- Sans hésiter insurgeons-nous.
- Appelons les femmes aux armes,
- Emparons-nous de la cité ;
- Nous avons versé trop de larmes,
- Secouons un joug détesté.
Scène CINQUIÈME.
Quelle ruse, seigneur ?
Ces Géorgiens, dont l’absence favorisait si bien les élans de mon cœur pour Nani…
Et les miens pour Alita, seigneur.
Et les tiens pour… bien que tu ne sois qu’un vil esclave ; eh bien, ces Géorgiens, ils vont revenir.
Quoi ! ils vont…
Oui, mais, grâce à mes conseils, on va les forcer à repartir.
Seigneur, permettez-moi d’exprimer mon admiration.
Je te permets d’exprimer ton admiration, Cocobo ; exprime, mon ami, exprime.
Grand soleil !
Pas mal.
Grande comète !
Très-bien.
Grand météore !…
Assez, tout le firmament y passerait ; je suis admiré suffisamment ; viens, partons.
Scène SIXIÈME.
Ne bougez pas, misérables, ou je vous coupe en deux.
Grâce, seigneur !
Que vois-je ? Boboli !… Cocobo ici !
Le grand, l’illustre pacha Rhododendron !
Chut donc !
Le phare lumineux de l’Orient !
Vas-tu te taire !… (regardant autour de lui.) Personne… nous pouvons dialoguer… Eh bien, oui… c’est moi.
- Je suis ce pacha de si grand renom
- Le grand pacha Rhododendron.
- Il est ce pacha, etc.
- Je suis Rhododendron,
- Pacha très en renom.
- Je trouble avec mon nom
- REPRISE. Tout le canton.
- Je suis le pa…
- Il est le pa…
- Je suis le cha…
- Il est le cha…
- Je suis ce pacha, etc.
- Il est ce pacha, etc.
- J’étais propriétaire
- D’un essaim de beautés :
- Un harem qui naguère
- Était des plus vantés :
- La perle du Bosphore,
- La ceinture de Flore,
- Le brillant météore,
- Le colibri vermeil ;
- La rose du Bengale,
- L’aurore boréale,
- L’étoile, la cigale,
- La lune et le soleil.
- Ce harem admirable,
- Autrefois sans rival,
- N’est plus qu’un lamentable
- Hôpital.
- RHODODENDRON.
Je suis ce pacha, etc.
- La perle du Bosphore
- Du safran a le teint ;
- Le brillant météore
- Est tout à fait éteint ;
- Le colibri s’enroue
- D’un catarrhe affecté ;
- La rose se tatoue
- Avec rapidité ;
- L’aurore boréale
- N’est rouge que des yeux ;
- L’étoile et la cigale
- Boitent toutes les deux ;
- La pâleur de la lune
- Va toujours en croissant ;
- Le soleil n’a plus qu’une
- Seule dent.
- Je suis ce pacha, etc.
Maintenant, répondez-moi : que faites-vous dans cette ville ?
Illustre seigneur Rhododendron…
Ne prononce pas mon nom, imprudent…
Ah !… ayant acquis une petite fortune, grâce à vos libéralités, je me suis retiré à Djégani, où je vis comme un honnête bourgeois.
Moi, phare lumineux de l’Orient…
Ah !… moi, dis-je, n’ayant pas acquis la moindre fortune, grâce à vos libéralités, je suis au service du seigneur Boboli…
Très-bien ! vous servirez mes projets.
Parlez, illustre seigneur Rhodo…
Encore !
Nous écoutons, phare lumineux de l’Orient…
Mohican ! Patagon ! va-t’en veiller autour de nous, afin que personne ne surprenne la révélation de mon projet ; (à Boboli), et toi, ouvre-moi tes ouïes.
Je vous ouvre mes ouïes, seigneur.
Voici mon projet : désirant renouveler mon harem, je me suis dit : la petite ville de Djégani est renommée dans toute la Géorgie pour la beauté de ses femmes et l’abrutissement de ses hommes ; si avec mes trente-deux esclaves, je tentais de m’emparer des charmantes Djéganiennes… Eh ! que dis-tu de mon idée ?
Gredin ! (Haut) Peuh ! eu eu…
Très-bien, tu m’approuves ; donc, ayant eu cette idée, il y a cinq ans, avec la spontanéité de décision qui m’est propre, la semaine dernière je me mettais en route pour exécuter mon projet. Arrivé en vue de Djégani, je cachai mes trente-deux esclaves et les trente-deux éléphants sur lesquels ils étaient montés derrière un palmier, et j’envoyai une déclaration de guerre aux cent cinquante abrutis de cette cité.
Comment ! cet ennemi que nos hommes sont allés combattre…
C’est moi-même… sont allés combattre, dis-tu ? Écoute, Boboli : tu sais si j’ai froid aux yeux…
Peuh !
Si je suis un gaillard…
Peuh !
Un dur-à-cuire…
Peuh !
Un troupier fini…
Peuh !
Flatteur !… En voyant les cent cinquante abrutis sortir de cette cité et faire quelques pas en tremblant, avec une lâcheté qui n’avait d’égale que celle de mes trente-deux guerriers ; en voyant mes trente-deux guerriers fuir devant ceux qui se sauvaient de leur côté, je me dis : à qui diable restera la victoire ?
Réflexion pleine de bon sens.
Flatteur !… Ne trouvant pas la réponse, et mon armée craignant quelque traquenard, je résolus de pénétrer seul dans ces murs ; je tentai d’acheter le gardien de la porte de la ville en lui donnant trois roupies : le misérable était incorruptible.
Ils sont tous comme ça dans ce pays : des consciences de bronze dans des hommes de fer ; ils ne trahissent jamais leur devoir qu’à la cinquième roupie.
C’est ce qui est arrivé.
Je connais le tarif.
Maintenant que je suis dans la place, j’attends de ton loyal concours la réussite de mon projet.
Moi ?… mais la première chose que je vais faire sera de le dénoncer.
Misérable !…
Oh ! mais nous sommes chez nous… et en force… et je vais de ce pas…
Un moment ! tout-à-l’heure, je t’ai défendu de prononcer mes titres et qualités ; dis-les, et je dis que tu as été gardien de mon harem…
Seigneur !… je vous en prie !… vous me feriez manquer mon avenir.
Seigneur, des hommes viennent de ce côté.
Ils pourraient troubler notre entretien.
- « Allons chercher ailleurs un endroit écarté
- « Où de causer en paix on ait la liberté.
- « Dans mon palais, seigneur, je serai triomphant
- « De vous y transporter dessus mon éléphant. »
Tu as un éléphant ?
Oui ;… il m’a vu naître ; il me fait mes commissions.
Marchons.
Marchons.
Scène SEPTIÈME.
- Ah ! pour nous quel beau jour !
- Nous voilà de retour.
- Non, plus de guerre !
- Plus de misère,
- COUPLET. Nous voilà de retour.
- C’est assez de bataille.
- C’est assez de mitraille.
- Au diable les lauriers !
- Mieux valent les foyers.
- C’est très-beau la patrie.
- Mais une douce vie
- Est un sort plus heureux ;
- S’il est moins glorieux.
Quelle guerre, mes enfants !
Quelle guerre !
Poterno, croyez-vous que j’ai bien servi mon pays ?
Ah ! pour un pays bien servi…
Voilà un pays bien servi !
Ah !…
Seul… je m’élance… je prends un canon !…
Oui.
Oui, oui.
Et je retourne auprès de mes braves… Cinq minutes après… je m’élance derechef… et je prends un deuxième canon. Puis je revole auprès de mes braves pour m’élancer de nouveau, et en réitérant sur un troisième canon. J’ai pris de la sorte dix-sept canons.
Tout ça sur le comptoir.
Naturellement,… et vous, Poterno ?… ah ! que vous étiez beau à voir à califourchon sur un obusier ennemi dont vous veniez de vous emparer !… L’artilleur allait mettre le feu ; le coup partait et nous étions tous massacrés… Par un hasard providentiel, la position que vous occupiez bouchait la lumière ; l’artilleur, qui était myope…
Et qui avait oublié ses lunettes…
Cherchait en vain la cause de cette obstruction singulière…
Malheureusement j’avais des allumettes chimiques dans ma poche de derrière…
Elles prirent feu… l’obusier éclata.
Et, pendant ce temps, la mitraille, les balles, les obus, les pétards, les marrons, les grenades, les artichauts, massacraient nos frères d’armes.
Ah ! ah ! ah !
Et voilà le récit navrant et véridique d’une histoire qui n’est jamais arrivée, et que nous dirons à nos femmes.
Le croiront-elles ?
Qu’est-ce que c’est que ça ?
Oui… on crie : À bas les hommes !
« Voilà ce qui vient de paraître : Ordre à toutes les femmes de traquer et arrêter tous les hommes valides qui seront trouvés dans la ville. »
Hein ? valides !
Non, pas invalides ; valides.
Sapristi ! mais je suis valide.
Et moi donc ! je ne me suis jamais si bien porté.
« V’là ce qui vient de paraître : Ordre à toutes les femmes de s’armer à l’instant et de repousser par les armes tout homme en état de combattre qui serait trouvé dans nos murs. »
Repoussés par les armes !
Mort aux déserteurs !
Jol-Hiddin, voulez-vous que je vous dise ma façon de penser ?
Dis-moi ta pensée, mais épargne-m’en la façon, nous n’avons pas le temps.
Eh bien, vous connaissez mes principes : je file.
On ferme la porte de la ville ; on lève le pont. (Poterno et les quatre hommes arpentent le théâtre à grands pas.) Ah çà ! qu’est-ce que vous avez à faire les ours ?
Sapristi ! j’aimerais encore mieux l’ennemi que des femmes exaspérées ; vous ne savez pas ce que c’est que des femmes exaspérées.
Si, je le sais… surtout la mienne… on vient.
Jol-Hiddin, j’ai une idée…
Bonne ?
Je n’en réponds pas.
Bonne ?
Je n’en réponds pas non plus ; mais en la combinant avec la vôtre…
Scène HUITIÈME.
Oh ! que c’est amusant, nous avons constitué un gouvernement de femmes, et nous voilà toutes soldats… c’est gentil ça !… Toutes soldats ; soldats, c’est-à-dire que personne ne voulait l’être : tout le monde voulait être général, colonel, capitaine ou caporal… C’était des cris… ah ! et ça n’est pas facile de s’entendre quand on ne s’entend plus. Mais Férosa ayant tous les droits au commandement comme étant la plus forte tête de la ville, on l’a proclamée générale en chef. Alors moi je me suis élue moi-même capitaine à l’unanimité.
- Ah ! vraiment
- C’est charmant
- D’aller à la guerre
- En bon militaire,
- Bravement
- Et gaîment,
- Tambour battant.
- Écoutez la trompette qui sonne
- Des chants guerriers,
- Mon sang brûle et bouillonne,
- Mon cœur a soif de lauriers ;
- Le tambour se fait entendre
- Comme un appel aux combats.
- Ah ! je crois que, sans l’apprendre
- D’instinct, je marque le pas,
- Tra ta ra ta ta ta.
- II. Ah ! vraiment, etc.
- Quel plaisir ! me voilà capitaine ;
- Le sabre en main,
- Je dirige et j’entraîne,
- Mes soldats par mon entrain ;
- Je les mène à la victoire,
- Et, devant les ennemis,
- Ils se couvrent tous de gloire
- Et délivrent le pays.
- Tra ta ra ta ta ta.
- Ah ! vraiment, etc.
Scène NEUVIÈME
Vive Férosa ! vive la générale !
Qu’on écoute notre décision !
Qu’on écoute sa décision !
Nous, Férosa, élue par vous générale en chef pour défendre notre cité menacée, avons ordonné et ordonnons ce qui suit : La clef de la porte de la ville me sera remise !… que cet ordre soit immédiatement exécuté. (Une femme sort.). Quiconque tenterait d’échapper serait fusillé sur le champ.
… de Mars.
Toutes les femmes seront armées et concourront à la défense commune en cas d’attaque.
Accepté ! accepté !
Tout contrevenant, opposant ou résistant à ce qui vient d’être proclamé, sera exécuté sans jugement.
Au moins… et pour la première fois.
J’ai dit.
Tiens, veux-tu que je dise… tu es un grand homme.
Vive Férosa !
Scène DIXIÈME.
Générale, un inconnu que personne ne connaît et qui désire garder l’incognito demande à parler à la générale Férosa.
Un inconnu ?… qu’on l’amène ?
Inconnu qu’on ne connaît pas, faites-vous connaître.
Je ne suis pas fâchée de connaître un inconnu, moi qui n’en ai jamais vu.
Je produis de l’effet !
Oh ! un hippopotame habillé en Turc !…
Excessivement curieux comme phénomène.
Trahissons pour ne pas être trahi moi-même.
Qui êtes-vous ? que voulez-vous ? qui vous amène dans ces murs ?
Qu’elle est belle cette femme ! (Avec volubilité et sur le même ton.) Né dans ce pays, je fus arraché au sein de mon père et fait esclave, à l’âge de trois mois et demi, par des farouches soldats de Tamerlan, qui condamnèrent ma tendre enfance…
Passez votre enfance, votre adolescence, votre jeunesse et votre âge mûr, et arrivez tout de suite à votre vieillesse.
Comment ! à ma vieillesse : il paraît qu’elle est myope.
Oh ! après tout, un vieillard n’est qu’un ancien jeune homme avancé en âge.
Emmené avec d’autres soldats et trente-deux éléphants, pour vous combattre, par mon seigneur et maître, le terrible et beau Rhododendron… car il est beau, le gaillard !… on n’a rien vu de beau comme ça… et jeune… vingt-trois ans !… il n’en paraît pas dix-neuf.
Pas de phrases oiseuses, arrivez au fait.
Elle est cassante avec moi, mais agaçante. (Haut.) J’ai, au péril de mes jours, lâché son armée et pénétré dans votre ville, pour vous livrer ses plans et vous donner les moyens de vous emparer de lui, de ses séides et de ses trente-deux éléphants.
Oh ! trente-deux éléphants.
J’en retiens un pour aller à âne le dimanche.
Suivez-moi, vous et votre armée, hors des murs de cette ville, et, ce soir même, je vous ferai surprendre votre ennemi et les trente-deux éléphants sans défense (l’ennemi bien entendu) plongé dans le sommeil de l’ivresse la plus torpide.
Torpide ! a-t-il des mots à sa disposition !
Je soupçonne une machination ténébreuse.
Cet homme suspect ne m’inspire pas deux sous de confiance.
Nous acceptons vos services, mais nous refusons de vous suivre hors de la ville.
Apportez-nous ici l’ennemi et les trente-deux éléphants, on payera ce qu’il faudra.
Elle flaire un canard.
C’est mauvais signe.
C’était bon dans les temps… mais aujourd’hui…
Nous avons décidé de ne pas attaquer, mais d’opposer une résistance énergique à l’attaque de nos agresseurs.
Oui, oui, mort aux agresseurs !
Puisque je n’ai plus rien à faire ici, mesdames, j’ai bien l’honneur…
Pas du tout, vous ne sortirez plus d’ici ; je vous destine un emploi dans notre armée.
Près de vous, générale, mais…
Taisez-vous.
Dissimulons ma rage sous un sourire agréable.
Conduisez-le à la maison de ville en attendant de nouveaux ordres.
À vous, seigneur aussi, seigneur Boboli, nous vous réservons une fonction dont nous vous ferons part.
Oui ! une jolie petite fonction.
Je vais toujours appeler mes esclaves.
Et maintenant tout le monde à la cuve, et fêtons cette belle journée en remplissant nos coupes des prémices du vin.
Vive la générale ! vive Férosa !
- Allons ! foulez la grappe
- (bis) cadencés, Sous vos pas
- Hourra !
- Et que le vin s’échappe
- (bis) entassés, Des raisins
- Hourra !
- (bis) Cette liqueur charmante
- Elle coule écumante ;
- Poussons des cris joyeux,
- Hourra !
- Allons, ô Géorgiennes,
- Buvons à coupes pleines,
- Ce vin délicieux.
- Allons, ô Géorgiennes, etc.
- Répands tes flots rapides,
- Rouge et chaude liqueur,
- Douce au cœur ;
- Au sein des plus timides,
- Viens, jeter une noble ardeur ;
- Donne à qui te va boire
- D’un fier amour de gloire
- (bis). Les élans belliqueux
- Allons, ô Géorgiennes,
- Buvons à coupes pleines
- Ce vin délicieux.
- Allons, ô Géorgiennes, etc.
- Mais j’entends des rumeurs légères.
- Ce sont nos époux et nos frères.
- Poterno que j’ai cru perdu
- Va donc m’être à la fin rendu !
Scène ONZIÈME.
- Après une guerre funeste,
- Nous revenons dans nos foyers,
- De nos corps rapportant le reste,
- Mais avec nos cœurs tout entiers ;
- Nous nous sommes couverts de gloire,
- De gloire et de lauriers.
- Mais, hélas ! hélas, la victoire
- Trahit parfois les plus braves guerriers.
- Voici l’objet de votre flamme.
- Sourd et borgne, il endurera
- Sans souffrir les cris de sa femme,
- Et d’un bon œil il la verra.
- Il est manchot, porte avec gloire
- Un nez d’argent, mais, dans ce cas,
- Sans le rougir il pourra boire
- Et vous pressera dans son bras.
LES ÉCLOPÉS.
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LES AUTRES.
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- Et nous vous accusions, ô glorieux débris,
- Pauvres martyrs, époux chéris.
- Eux, mutilés !… c’est incroyable
- La preuve pourtant la voilà.
- Je trouve bien invraisemblable
- Qu’ils soient si braves que cela.
- Allons ! ce ne sont pas des larmes
- Qu’il faut ici ; ce sont des armes !
- Vengons ces nobles preux
- En combattant pour eux.
- Allons ! marchons gaîment,
- En joyeux régiment,
- Car c’est l’honneur qui nous appelle ;
- Changeons-nous en soldats,
- De fer armons nos bras,
- Car notre cause est la plus belle.
- Vers l’arsenal,
- À mon signal,
- Que chacune s’élance ;
- Hâtons nos pas,
- La gloire les devance.
- Vous, martyrs des combats,
- Allez à l’ambulance.
- Allons ! marchons, etc.
LES FEMMES.
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BOBOLI.
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- Allons ! marchons gaîment, etc.
ACTE DEUXIÈME.
Intérieur d’une tente. — Le grand rideau du fond, entièrement ouvert et laissant voir des arcades en ruine traversant tout le théâtre ; la moitié de droite sert d’entrée à une ambulance, au-dessus de laquelle on lit : Ici on traite par l’eau. — L’autre partie des arcades conduit au camp.
Scène PREMIÈRE.
Entrez.
Tirez la chevillette, la bobinette cherra.
Hein ! quoi ? encore de la tisane : sapristi de sapristi !
De la tisane !… Qui est-ce qui parle de tisane ?… Assez de tisane.
Comment ! c’est vous qui me faites une pareille frayeur, caporal Poterno ?… Que le diable vous patafiole !
Moi ?… elle est roide celle-là… C’est vous qui m’avez… (allant pour éternuer) qui m’avez ré… révé… (il éternue)… eillé… bien !… J’ai pincé un rhume de cerveau cette nuit… ça va être commode, avec mon nez d’argent. Ah !… d’argent !… Vous savez qu’il m’a volé comme au coin d’un bois, ce gueux de marchand… il n’est pas en argent, il est en zinc… un nez qui m’a coûté trois roupies… (il va pour le prendre.) Tiens où est-il donc ?
Quoi ?
Mon nez… Où diable l’ai-je fourré ?
Ne le cherchez pas, c’est moi qui, pendant que vous dormiez, l’ai pris ; je ne trouvais pas l’éteignoir, et… (le prenant sur la bougie) le voilà !
Eh bien, ça va être agréable à porter à présent.
Dites donc, Poterno, est-ce que vous ne voyez personne ?
Non.
Nos infirmiers, ne les apercevez-vous pas ?
Non… ils sont allés dormir sans doute.
Si nous profitions de cela pour nous dégourdir les jambes ?
J’y pensais. Allons, bon… où est-il encore ?…
Quoi ?
Mon nez…
Mais sapristi, sergent, vous êtes assis dessus… c’est très désagréable.
Ah ! (Il disparaît.)
Sergent, est-ce que vous n’avez rien entendu ?
Moi ?… si, il me semble… je ne sais pas ; je ne vois rien ; je n’entends rien ; je suis complétement abruti depuis hier.
Ah ! nous nous sommes fourrés dans un joli guêpier.
Comment ! nous nous sommes ?… dites que vous nous avez fourrés, caporal Poterno, car c’est votre idée, cette fameuse idée de faire les faux blessés qui nous vaut d’être traités comme des vrais…
J’ai dit que je n’en répondais pas, sergent, et je vous ai prié de proposer la vôtre.
J’y avais renoncé, on ne pouvait l’exécuter qu’à la condition d’avoir les cheveux rouges, de parler dix-huit langues vivantes et de connaître la pêche à la morue ; c’était trop compliqué. Enfin ;ça ne peut pas durer comme ça ; il faut que ça cesse aujourd’hui, sinon…
Qu’est-ce que vous ferez, sergent ? nous ne sommes pas en force.
C’est un fait que toutes nos femmes sont armées jusqu’aux dents et exaspérées ; si encore ce n’était que les femmes !…
Et les gredins, qui sont jaloux de nous, au moindre mouvement que nous ferions, nous tireraient dessus comme sur des lapins… Ah ! vous avez eu une bonne idée ; Poterno. Quand j’aurai besoin d’une bonne idée, je penserai à vous.
Dame ! sergent, on fait ce qu’on peut.
Oui, mais, avec tout ça, nous voilà condamnés, comme censés malades, à rester au lit… combien de temps ?… je n’en sais rien.
Et à boire de la tisane, et à recevoir des douches ; ils nous traitent par l’eau, ces gredins d’infirmiers, et Boboli en tête qui nous en fourre… ah !
Ça n’est pas l’eau en elle-même que je déteste, c’est le goût ; si elle avait le goût du vin, parbleu ! je ne me ferais pas tirer l’oreille.
Scène DEUXIÈME.
Feignons de ne rien savoir et d’ignorer le reste. (Haut) Allons !
Quoi ?
C’est l’heure de l’eau.
Encore de l’eau !
La générale va venir, rentrons à l’ambulance.
J’y tâcherai, sergent, je me sens encore une capacité de trois litres.
Alors je pourrai en contenir douze.
S’il vous en manque, je vous passerai les miens.
Scène TROISIÈME.
- Attention, tapins,
- Ferme là, clampins,
- Allons,
- Ayons
- Du moelleux dans les mains,
- Soignez-moi les ras,
- Soignez-moi les flas,
- Soyons vigoureux,
- Mais toujours gracieux,
- Rapatapla, tarapatapla, etc.
- Rapatapla, etc.
- Enfans, sachez que la victoire
- Dans vos baguettes est un peu ;
- Elles conduisent à la gloire
- Le plus poltron devant le feu ;
- Par une marche fière et crâne,
- Aux soldats imprimez l’essor ;
- Soyez l’honneur de la peau d’âne
- Et l’orgueil de votre major.
- Vite, d’une façon brillante,
- Battez la marche triomphante.
- Attention, etc., etc.
- Fixez d’un œil calme, immobile,
- La canne du commandement ;
- Suivez bien sa manœuvre habile,
- Jusqu’en son moindre mouvement.
- De son langage emblématique
- Comprenez le sens glorieux ;
- Que sa voltige symbolique
- Parle clairement à vos yeux ;
- Soyez renommés à la ronde,
- Et faites du bruit dans le monde.
- Attention, tapins, etc., etc.
En mesure donc.
Ah ! mais j’en ai une entorse dans le poignet, moi.
Moi, j’ai les doigts que je ne me les sens plus.
Moi je me tape toujours dessus.
Tu les sens alors.
Je demande à nous reposer un peu.
Oui, oui, un peu de repos.
Paresseux comme des petites couleuvres !… Allons !… remettez ettes… rompez les rangs… arche ! Cinq minutes de respiration !
Scène QUATRIÈME.
Major… Psst !… major.
Hein ?… (comprenant.) Ah ! oui, oui, tambour-major… moi, un pacha puissant et redoutable…
Et moi chef des infirmiers ! quelle humiliation !
Je dois reconnaître, il est vrai, que ce costume majestueux et séduisant fait ressortir mes avantages physiques et me prépare la conquête des cœurs, en attendant celle des personnes.
Mais pourquoi donc parlez-vous comme ça ?
C’est l’influence de l’uniforme ; c’est égal, il est humiliant pour moi de commander les pas ordinaire et accéléré, la charge, le réveil et la soupe en manœuvrant cet instrument.
Votre instrument !… Ah ! si vous saviez celui que je suis forcé de manœuvrer comme infirmier.
J’y suis déjà d’une certaine force.
Moi aussi.
Il y a des fois que je l’envoie à des hauteurs incommensurables.
Pas plus tard que ce matin, je l’avais envoyée si haut, si haut, que, ne la voyant pas revenir, je l’avais oubliée, lorsque, quelques heures plus tard, je me promenais avec une jeune particulière géorgienne, et, au moment où j’allais cueillir un baiser sur sa joue de rose, qu’est-ce qui tombe au milieu de nous ? ma canne ! Mais ce qu’il y a de plus superlativement extraordinaire, c’est que ce n’était pas la même. Heureusement que mes fonctions ne seront pas de longue durée ; je prends cette nuit même la poudre d’escampette pour aller rejoindre mes braves, et je les ramène ici vainqueurs sans combat, puisqu’ils ont réduit tous les hommes de cette cité à l’état de débris informes…
Ne disons rien.
Ce qui m’étonne fort… Ah ! pour un tambour-major étonné, tu vois un pacha bien étonné.
Mais pourquoi donc qu’il parle comme ça ?
Tu as tout préparé pour ma fuite ?
J’ai un moyen de me débarrasser des gardes qui pourraient nous gêner ; mais le diable, c’est la clef de la poterne.
Où est-elle ?
C’est la générale qui l’a sous sa cuirasse.
Sapristi !… non, mais je dis… sapristi !… il serait peut-être agréable de l’aller prendre ; mais facile, c’est autre chose.
La générale !
La générale ! Tambours, à vos caisses.
Et moi à mes malades.
Et tâchons de nous distinguer par une batterie aux champs… mais là quelque chose… aux oiseaux !… Attention !… de la souplesse, du velouté, de l’huile aux articulations… rien de l’épaule, tout du poignet ; aux champs !
Scène CINQUIÈME.
Assez !… (la batterie continue.) Assez, assez donc.
(Rhododendron agite sa canne, les tambours s’arrêtent. Il s’appuie sur sa canne d’un air majestueux, et pose devant Férosa, qui le regarde.)
Comment trouvez-vous ça ?… qu’elle est belle, cette femme !
Mais, c’est un poussah !
Un polichinelle !
Elles me contemplent.
Elle est émue !
Mesdames, je ne suis pas contente de vous ! (Mouvement.) Non, mesdames, non… je ne suis pas contente : hier au soir, ce matin encore, on vous a vues vous glisser dans l’ambulance, y échanger avec vos époux ou vos fiancés des regards et des paroles empreints d’une sollicitude qu’interdit la situation (Murmures.) Silence !… Je considérerais comme traîtres à la patrie celles de vous qui seraient surprises écoutant des propos d’amour.
Eh bien ! eh bien ! (Criant.) Silence dans les rangs !… Mais qu’est-ce que c’est ?… mais qu’est-ce que c’est ?
Songez-y, je ferai un exemple. (À Alita.) Qu’est-ce que c’est que ça ?
Ça, générale ? eh bien… mais c’est mon sabre.
Où avez-vous vu que l’on mettait son sabre à droite ?
C’est le capitaine instructeur qui me l’a fait mettre comme ça.
Une jolie instruction qu’il lui donne
Qu’on aille chercher le capitaine instructeur ! (Un soldat sort. À un officier.) Qu’est-ce que vous faites là, vous ?
Ça, générale ? ce sont des bandes pour un jupon.
Un jupon, mille baïonnettes !… un jupon !… sous les armes… quand nous pouvons être attaquées d’un moment à l’autre !… D’ailleurs, c’est très mal brodé… vous ferez quatre heures de faction cette nuit. (Murmures.) Ne murmurez pas ou je double la punition. Sachez-le, messieurs, j’entends qu’on laisse tout de côté pour la défense de la patrie… Jusqu’ici elle n’est pas attaquée, il est vrai, l’ennemi n’a pas donné signe d’existence, mais peut être est-ce un piége.
La gaillarde a du nez !
Générale, voici le capitaine instructeur.
Scène SIXIÈME.
Avancez ici, capitaine Nani ; d’où venez-vous ? où étiez-vous ? que faisiez-vous ?
Générale, je suis en train de sevrer mon petit dernier et… (Rires.)
Le moment est bien choisi !
- Sous cet uniforme modeste
- Palpite un vrai cœur de soldat ;
- Vous me verrez, ardente et leste,
- Voler aux périls du combat ;
- J’ai fait, et j’ose vous le dire,
- Ce que la consigne défend :
- Mon général, je faisais cuire
- 2e COUPLET. De la bouillie à mon enfant.
- Si la voix du canon m’appelle,
- À son signal j’obéirai ;
- À mon drapeau toujours fidèle,
- Vaillamment je le défendrai.
- Je veux être ou fière ou martyre,
- Soit qu’il tombe ou soit triomphant.
- En attendant, je faisais cuire
- De la bouillie à mon enfant.
- Mon général, je, etc., etc.
De la bouillie à votre enfant !… cette occupation est incompatible avec les devoirs du soldat… Attendez la paix pour sevrer votre enfant, que diable !… et apprenez, vous capitaine instructeur, qu’on ne met pas le sabre à droite.
Ceux qui ne sont pas gauchers, oui, mais ceux qui le sont ; voyez-moi, je suis gauchère, et…
Ah ! charmant ! ah ! ah ! ah ! (Rires.)
Scène SEPTIÈME.
Générale !
Qu’y a-t-il ? Ah ! c’est l’infirmier chef. Eh bien ?
Pardon, vous avez du monde, je reviendrai.
Je venais vous en parler, générale : entre nous, il y en a au moins deux, et je crois même tous, qui sont blessés comme vous et moi, et votre époux en tête.
Il aurait joué cette impudente comédie… mais êtes-vous bien sûr ?…
Parfaitement sûr ! je l’ai vu tout à l’heure qui… (Il sautille.)
Nous allons bien voir ; amenez-le moi. (Haut.) Qu’on me laisse (Boboli rentre dans l’ambulance.) J’ai besoin de repos, allez.
Tambours, garde à vous !… et tâchez de mieux manœuvrer : du nerf ! du charme ! les ras sont mous, les flas sont flasques : rra, rra, rra… moelleusement, là… un velours rra, rra…
- Attention, tapin, etc., etc.
Scène HUITIÈME.
Ah ! monsieur mon mari, j’aurais été dupe d’une pareille mystification !… et je me suis intéressée au sort de ce Jol-Hiddin… en le voyant si horriblement ravagé ; j’ai senti mon cœur ému de pitié… sotte que j’étais !… le voilà !…
Les plus grands ménagements, car il est bien malade.
Férosa qui me fait demander… Boboli qui prend un air narquois pour me dire ça… se douterait-elle de quelque chose ?… soyons extrêmement malin.
Sortez.
Il est sourd… (À l’oreille de Jol-Hiddin.) Popp !… (Jol-Hiddin tressaille.) Tirez-moi la langue.
Volontiers.
Allons donc.
Enfin nous voilà seuls ! c’est le premier moment que je trouve de pouvoir causer avec toi.
Comme elle m’aime ! (Haut.) Parle là-dedans (Il met son cornet acoustique.) Ce sont les canons que j’ai pris qui m’ont rendu sourd.
Pauvre ami, quel malheur que tu sois ainsi blessé !
Non, je ne suis pas pressé, je n’ai rien à faire ; causons tant que tu voudras… (À part.) Qu’elle est jolie !… et comme le costume militaire lui va bien !
Causer !… mais tu ne peux m’entendre… Ah ! si tu n’étais pas sourd, mon cœur aurait tant de choses à te dire
Il tient bon ; nous verrons bien.
- Secondez-moi, coquetteries,
- Ô traits vainqueurs dont s’arment les amours.
- Venez, charmantes perfidies,
- Je vous appelle à mon secours.
(Haut.)
- Oh ! le sommeil va me surprendre.
- Que faites-vous, mon Dieu ! mon Dieu !
- Sur ces coussins je vais m’étendre :
- J’ai besoin de dormir un peu.
- Ah ! que fait-elle ?
- Elle est ainsi cent fois plus belle.
- Les beaux cheveux
- Longs et soyeux !
- Oh ! la ruse n’est pas nouvelle,
- Mais toujours on fera
- Ce que femme voudra.
- Ah ! comme cette boucle est dure !
- Que faites-vous, par charité !…
- Moi ? je détache mon armure
- JOL-HIDDIN.
Pour reposer en liberté.
- Ah ! que fait-elle ?
- Elle est ainsi cent fois plus belle :
- Quel cou divin !
- C’est du satin !
- Ah ! la ruse n’est pas nouvelle,
- Mais toujours on fera
- Ce que femme voudra.
- Au diable ce maudit corsage !
- (À part.) Je n’y tiens plus. Que faites-vous ?
- Mon pauvre mari, quel dommage !
- Borgne, sourd et presque perclus !
- Ah ! que dit-elle ?
- Elle est ainsi cent fois plus belle !
- Ah ! si j’osais,
- Je parlerais…
- La ruse n’est pas nouvelle.
- Mais toujours on fera
- Ce que femme voudra.
- Ma foi, tant pis !
- Je me trahis.
(S’élançant sur Férosa.)
- Ma femme !
- JOL-HIDDIN, se contenant.
Mon mari !
- Moi ? rien.
- Il s’est trahi !
JOL-HIDDIN.
|
FÉROSA.
|
Ah ! il dissimule encore. (Appelant.) Holà, Boboli, infirmiers !
Scène NEUVIÈME.
Boboli !
Générale !
Je me suis rendu compte de l’état du blessé Jol-Hiddin, la situation est grave ; qu’il soit livré au traitement par l’eau de la façon la plus complète et la plus rigoureuse… Exécutez mes ordres à l’instant.
Scène DIXIÈME.
Allons ! allons !… situation grave… la générale l’a dit.
Ah ! oui… oui… situation grave..
Très-grave… traitement par l’eau…
De la façon la plus complète et la plus rigoureuse… Oui… oui… je vas te traiter par les frictions, moi… attends…
Hein…
Tu vas voir comme je suis boiteux…
À moi, mes infirmiers !…
Scène ONZIÈME.
Générale !… Férosa !… C’est parce que j’ai à lui communiquer une chose de la plus haute importance que je ne peux pas la trouver… En voilà une découverte que j’ai faite !… Dire que moi, simple capitaine instructeur, je tiens là… dans cette petite main-là, ce qui va sauver notre ville et terminer la guerre !… Ah ! j’en suis bien contente pour Poterno… ce pauvre Poterno qui a toujours eu si peu de chance qu’il s’est cassé le nez en tombant sur le dos !… Oh mais voilà de quoi le venger… (Appelant.) Générale !… générale !
Qu’est-ce donc ?
Vous savez bien l’hippopotame ?
Qui cela ?
Le major, cet affreux major qui est venu nous proposer de nous livrer Rhododendron, ses hommes et leurs trente-deux éléphants.
Eh bien ?
Eh bien, je crois que c’est Rhododendron lui-même.
Que m’apprends-tu là ? qui te fait supposer ?…
Pour s’habiller en major, il lui a fallu quitter ses autres vêtements ; eh bien, voici ce que le capitaine d’habillement a trouvé dedans.
Un plan de la ville !… des notes sur les moyens d’y pénétrer sans danger et de nous enlever toutes !
Vous voyez… c’est lui-même ou un espion.
Pas un mot de cela, j’espère découvrir la vérité dans quelques instants ; j’avais quelques doutes sur lui, et, pour les vérifier, je l’ai fait prier de venir dîner avec moi… Silence ! le voici.
Scène DOUZIÈME.
Une invitation à dîner ; elle me fait des avances… ça va tout seul : j’aurai la clef.
Major, nous n’attendions que vous…
Pardon… quelques essences de fleurs dont j’ai voulu m’ondoyer…
Il aura bien de la peine à se faire prendre pour une fleur.
Générale, nous venons prendre le mot d’ordre pour cette nuit.
Attendez ici, j’aurai peut-être besoin de vous. (Bas à Nani.) Tu auras soin de remplir souvent sa coupe. (Elle lui désigne Rhododendron. Haut.) Major, votre main, et à table ! (Ils s’asseyent à table.) Allons ! mes joyeux convives, tout est tranquille, les postes sont bien gardés ; je me sens en appétit : dînons gaiement, cordieu !
La générale a raison : de la gaieté et de la bonne humeur.
Oui, oui, de la bonne humeur.
À la santé du beau sexe en général et de la belle Férosa en particulier… non, au contraire… de la belle Férosa… en général. (Riant.) Oh ! en général ! ah ! ah ! ah !… en général… vous comprenez.
Ah ! ah ! ah !
Charmant !…
Il est idiot !
Buvons !
Elle boit, elle est perdue !
Il boit, je le tiens.
Scène TREIZIÈME.
Générale, vos ordres sont exécutés, les malades subissent le traitement de l’eau sous toutes les formes et à toutes les températures : en boissons, en douches, en bains, en… (Il rit.)
Eh ! eh ! eh !… Je propose qu’on boive à la santé de ces pauvres diables.
Oui ! oui !
Oh ! les malheureux… et ce pauvre Poterno qui aime tant le vin. Tiens, fais-leur passer cela.
Générale, buvons un verre de vin de Lacryma ; cristi, ça leur fera plaisir.
- Mes chers amis, le verre en main,
- Vous redirez mon gai refrain.
|
bis |
- Pour ces martyrs que le destin
- A mutilés dans sa colère,
- Faisons des vœux la coupe en main,
- Afin qu’il leur soit plus prospère.
- À leur santé ! à leur santé !
- Qu’un toast ici par nous soit à l’instant porté.
- (Reprise.) À leur santé, etc.
- À leur santé.
(De chaque côté du rideau de l’ambulance et à l’ouverture du milieu paraissent des têtes de faux blessés animés par le vin qui s’agitent en mesure et chantent le refrain.)
- Tin, tin, tin, tin,
- À tous ces plats délicieux
- Il faut que nul d’entre eux ne touche,
- Mais qu’ils les dévorent des yeux
- S’ils sont défendus à leur bouche.
- À leur santé, etc.
- À leur santé, etc.
(Tous les faux blessés sortent avec précaution de l’ambulance, se dirigent vers la table et l’emportent dans l’ambulance. Férosa les voit ; à la fin du morceau, Boboli est aux genoux de Nani, et Rhododendron à ceux de Férosa.)
À toi, ma houri, mon cœur, mes esclaves, mon palanquin doré, mon éléphant, et Cocobo avec, si tu le veux.
À vous, ma divinité, mon cœur, ma main, ma fabrique de cachemires… Ternaux.
Votre main, votre cœur.
Mes palais.
Vos palais… votre… pachalik ?
Mon pachalik, mes trente-deux esclaves et leurs trente-deux éléphants.
Ah ! trente-deux éléphants : c’est lui ; il est tombé dans le piége.
Vous êtes Rhododendron !
Rhododendron !
Imbécile, je suis pincé.
Qu’on l’arrête !
Enfer, poignard, potence et poison, je me suis trahi.
Un conseil de guerre se réunira demain pour juger tous ces faux blessés qui ont déserté devant l’ennemi ; quant à celui-ci, qu’il soit fusillé au petit jour.
Fusillé !… crois-tu que je survive à un pareil affront ?
Ça me fait de la peine, mais je suis bien content.
Pardon, mes braves, quelques dispositions à prendre. (Bas à Boboli.) Arrange-toi comme tu voudras, mais il faut que tu me sauves, sinon je révèle tout.
Seigneur… mais vous voulez donc me faire manquer mon avenir.
Ton avenir !… Ah ! ah ! ah !… le drôle me fait rire, quoique je n’en aie guère envie.
Qu’on l’emmène.
Bien joué, Marguerite à toi la première partie, mais à moi la revanche, je l’espère. (Aux gardes.) Marchons, messieurs !
RHODODENDRON.
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LES AUTRES.
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Scène QUATORZIÈME ET DERNIÈRE.
Ah ! les gredins, ils m’ont flanqué dans une baignoire à faire éclore des ours blancs.
Et moi dans une à faire cuire des œufs à la coque. (Il éternue.) Je m’enrhume.
Mais, sapristi, sergent, où courrez-vous comme ça avec cette corde ?
Vous n’avez donc pas entendu ce que disait Férosa à l’instant, au moment où nous venions pour nous révolter ?
Si, sergent, que nous passerions tous en conseil de guerre.
Eh bien, alors… Il ne nous reste plus que cette corde.
Pour nous pendre ? merci ; allez-y tout seul, sergent, j’en prendrai un morceau après, ça me portera bonheur.
Ah ça, vous êtes idiot ; vous pensez que je vais me pendre pour échapper à la peine de mort ? Voyons, il faut absolument que nous trouvions le moyen de sortir de ce camp.
Tout de suite.
Sentinelle, prenez garde à vous !
Entendez-vous, sergent ?
Oh ! une voix de femme, ça m’est égal.
Sentinelle, prenez garde à vous !
Oh ! si celle-là est une voix de femme, elle est bien enrouée.
Sous les armes ça peut passer pour une voix de femme ; ça dépend du grade ?
Voyons, comment nous évaderons-nous ?
Il me vient une idée… oui !… c’est ça !… vous allez voir, Poterno, c’est bien simple : je vous passe cette corde autour du corps. (Il la lui passe.) Quelqu’un ! (Il court et entraîne brusquement Poterno.) Non… personne… Suivez bien mon raisonnement : Vous êtes solide, bien bâti… vous êtes taillé comme l’Hercule Fournaise… Vous vous tiendrez debout sur le rempart ; vous vous arc-bouterez, et vous me tiendrez la corde ; je me laisserai glisser jusqu’au bas, deux cents pieds tout au plus, et je serai sauvé.
Ah oui !… fameux, ça ; mais moi, comment ferai-je pour m’évader ?
Merci… j’aime mieux descendre le premier, et je vous tirerai après… silence ! la patrouille.
ACTE TROISIÈME.
Une porte de ville en état de siége ; au troisième plan, le mur d’enceinte, défendu par un petit bastion qui se perd dans la coulisse de gauche. À droite, la porte de la ville fermée par un pont-levis qui, lorsqu’il s’abaisse, livre passage à l’extérieur. À gauche, premier et deuxième plans, le commencement d’un camp. À droite, un ouvrage avancé surmonté d’une pièce de canon dominant le mur et menaçant la campagne, qu’on découvre au dehors des murs d’enceinte. Nuit.
Scène PREMIÈRE.
- Guettez bien tous,
- Garde à vous !
- L’ennemi peut-être veille
- Tout près de nous ;
- Guettez de l’œil et de l’oreille.
- Déjouons habilement
- Tout perfide événement !
Nous approchons ?
Oui, seigneur.
Et tu me réponds que toutes les sentinelles…
Ne s’éveilleront pas avant le jour ; en ma qualité d’infirmier chef, ayant la pharmacie à ma disposition, j’ai administré un soporifique à toute la garnison, depuis la générale jusqu’au simple soldat.
À merveille !
Ah ! si on découvrait ma trahison, je serais pendu.
Oui ; mais, si tu me trahissais, moi, revenu ici en maître, je te ferais empaler.
- Empalé, moi, miséricorde !
- J’aimerais encor mieux la corde.
- Si ce destin fatal,
- T’attend, il est égal
- Que ce soit, au total,
- Ou la corde ou le pal.
- Sache qu’en général
- Tout supplice fait mal,
- Qu’il soit horizontal
- Ou qu’il soit vertical.
- Pour toi, le principal,
- Sous le rapport moral,
- C’est qu’un agent légal,
- D’un ordre spécial,
- Doit, au premier signal,
- Et c’est le but final,
- Frapper d’un coup brutal
- Ton principe vital.
- Or, dès qu’en général
- Tout supplice fait mal,
- Qu’il soit horizontal
- Ou qu’il soit vertical,
- Si ce destin fatal
- T’attend, il est égal
- Que ce soit, au total,
- BOBOLI. Ou la corde ou le pal.
Mais je m’aperçois que nous sommes arrivés… Voici la poterne.
Enfin !
J’ai cru un moment que nous allions échouer ; d’abord, pour avoir la clef, j’ai dû la prendre à la ceinture de la générale, qui n’en finissait pas de s’endormir.
Ma pensée combattait peut-être la vertu de ton soporifique… Moi, un pacha puissant et redoutable, mis au violon, avec un archer pour me garder… ! Allons… il faut finir… et mettre à exécution le plan que j’ai conçu pour m’emparer de la belle Férosa et de ses compagnes… Ah ! cette Férosa a jeté le trouble dans mes passions violentes.
Ah ! Nani ! Ah ! cette femme m’a jeté du vague à l’âme.
Oui… en effet… cette Nani est croustillante. Je n’en ferai pas ma sultane Validé…, mais elle aura la deuxième place dans mon cœur.
Hein ? comment, seigneur…, vous ne me laisserez pas même Nani pour récompense ?
Qui ? toi ?… (Riant.) Ah ! ah ! ah ! le drôle est amusant.
Mais, seigneur…
Allons, je t’en donnerai la valeur en argent, gaillard ; ainsi c’est entendu, tu as bien retenu tout mon plan.
Dans une heure je reviens le mettre à exécution, et j’espère vous trouver, toi et Cocobo, prêts à le servir ; baisse le pont-levis… Cordon, s’il vous plaît…
Voilà, seigneur.
Ah ! cette Férosa !… Ah ! ces femmes ! elles seront toutes à moi
Scène DEUXIÈME.
Oui, je le connais ton plan… imprudent… Tu me l’as livré. (Ricanant d’un air diabolique.) Hé ! hé ! hé ! Je suis doux comme un mouton, je suis doux comme deux moutons (bêlant). Mais !… (À Cocobo qui entre.) Ah ! Cocobo.
Seigneur ?
Aimes-tu le plaisir des dieux ?
Je ne sais pas, je n’en ai jamais mangé.
Mais triple buse, ne sais-tu point que le plaisir des dieux, c’est la vengeance ? Eh bien, sache donc que cet affreux pacha, cet être hideux, boursouflé, ventripotent, ce ballon, ce pot à tabac, prétend enlever toutes les femmes, toutes ! jusqu’à ton Alita.
Noble colère ! viens te venger de ton rival, suis-moi.
Où allons-nous ?
Déjouer le plan du farouche Rhododendron.
Allons déjouer le plan du farouche… — Quel plan ?
Mais son plan, animal.
Ah ! bien, bien… ô vengeance !… Quel plan vais-je déjouer, mon Dieu !…
Passe devant.
Je passe devant.
Et pas un mot !… la moindre indiscrétion pourrait éventer la mèche.
Ah ! vous ne me connaissez guère, seigneur ; moi d’abord, quand je ne sais pas ce dont il s’agit, il n’y a pas de danger que j’évente la mèche.
Précieuse qualité !… Allons, marche !…
Allons déjouer ce plan que j’ignore.
Allons goûter le plaisir des dieux.
Scène TROISIÈME.
Le jour point et grandit peu à peu. — Musique douce, puis croissante.
Un trompette s’étire, ouvre les yeux, regarde le ciel, puis se lève, et éveille un autre trompette couché près de lui.
Eh ! camarade… camarade. (Il le secoue.)
Hein ? quoi ? laisse-moi dormir.
Dormir ? mais voici le jour, et il faut sonner le réveil.
En effet… il fait jour ! Mais qu’est-ce que j’ai donc ?… mes paupières sont lourdes…
Allons, sonnons la Diane !
Sonnons la Diane… (Ils sonnent. Les soldats se réveillent.)
- Quel bruit, quel esclandre,
- Vient se faire entendre ?
- Qui donc ose ainsi
- Nous troubler ici ?
- Ah ! mesdames, mesdemoiselles,
- TOUTES.
Tous les hommes se sont sauvés !
- Se sont sauvés !
- Je vous apporte des nouvelles :
- Les hommes se sont esquivés !
- Ils se sont sauvés.
- C’est toi qui, je gage,
- Très-certainement,
- As ouvert la cage
- À ton cher amant !
- C’est vilain, mademoiselle,
- Pour un galantin s’éprendre d’un amour banal ;
- C’est vilain, c’est trop de zèle,
- C’est affreux, c’est immoral.
- C’est vilain, etc.
- Moi, sur ta figure
- Je le vois très-bien,
- Tu fis, j’en suis sûre,
- Évader le tien.
- C’est vilain, etc.
- C’est vilain, etc.
- Ton époux, ma belle,
- Pourrait bien aussi
- Devoir à ton zèle
- MILÉVA.
D’être loin d’ici.
- Le tien est en route,
- (bis.) Et j’atteste, moi,
- Sans le moindre doute,
- Que c’est grâce à toi.
- Je crois que ton frère,
- À tes soins touchants,
- Peut-être, ma chère,
- Doit la clef des champs.
- Ton cousin, ma bonne,
- Il s’est évadé ;
- Mais je te soupçonne
- De l’avoir aidé.
- C’est toi, c’est toi, c’est toi.
- Trêve à votre conte,
- Je cesse le mien ;
- Chacune a, sans honte,
- Protégé le sien.
- Ce n’est pas vilain, mesdemoiselles
- Agir autrement aurait été d’un cœur banal.
- Ce n’est pas vilain ; être rebelles,
- En ce cas, c’est très-moral !
Scène QUATRIÈME.
Très-bien, mesdemoiselles, j’ai tout entendu ; ceci est un compte que nous réglerons plus tard… Quant à présent, un fait plus grave que l’évasion de ces poltrons, qu’en somme je ne voulais qu’effrayer, vient de m’être révélé : notre ennemi, le farouche Rhododendron, a disparu. Le garde qui le veillait est encore plongé dans un sommeil surnaturel ; moi-même j’ai subi je ne sais quelle influence, car la clef du pont m’a été soustraite pendant mon sommeil… et tenez… voyez… la poterne est encore ouverte. Voilà par où l’on s’est enfui.
C’est une horreur, une infamie !… Ah ! les brigands !… les vauriens !… les pendards !…
Mesdames, jurons de nous défendre nous-mêmes jusqu’à la mort contre le farouche Rhododendron, qui, n’en doutez pas, va revenir nous attaquer et nous enlever !
Nous le jurons.
Et, puisque tous les hommes nous ont abandonnées lâchement… à bas les hommes !…
À bas les hommes !…
Vous avez raison. À bas les hommes et vivent les femmes !
- Allons, femmes, serrons nos rangs
- Et marchons en vrais conquérants.
- À bas les hommes !
- Quittons l’aiguille et le fuseau,
- Tirons les glaives du fourreau.
- À bas les hommes
- Trop longtemps, faibles que nous sommes,
- Nous avons souffert lâchement.
- En avant !
- Mais il est venu le moment
- Où finit le règne des hommes.
- Au son des clairons,
- Au bruit des canons,
- En avant, marchons,
- Hardis bataillons !
- Les hommes sont tous des sans-cœur,
- Sans courage et sans nul honneur ;
- Vivent les femmes !
- Chez eux nulle sincérité.
- Rien que mensonge et lâcheté ;
- Vivent les femmes !
- Secouons le joug des infâmes :
- Levons-nous et crions gaîment
- En avant !
- Car il est venu le moment
- Où vont enfin régner les femmes !
- Au son des clairons,
- Au bruit des canons ;
- En avant, marchons,
- Hardis bataillons !
Entrée de tambours précédés d’un tambour-major. — Évolutions militaires. – Férosa passe la revue de son armée. — Musique militaire. — Tambours.
Soldats, je suis contente de vous !
Vive la Générale !
Alerte ! (Vive émotion.)
Un détachement d’êtres bizarrement vêtus s’avance vers nous.
En effet… Ah ! la singulière démarche. On dirait qu’ils dansent… ils s’agitent… se démènent… Mais je ne me trompe pas… C’est une troupe…
Une troupe ?…
Une troupe de femmes… des bohémiennes…
Ah ! ah ! ah !
Oh !… Elles ont peur des bohémiennes !… les lâches !
Et rien autre chose à l’horizon ?
Pas de traces d’ennemis ?…
Quel est votre avis, mesdames, devons-nous les laisser pénétrer ici ?
Oui, oui.
Puisque rien ne nous menace encore, un peu de distraction.
Alors, déposez les armes et laissez entrer.
Ah ! les drôles de créatures !
Comme elles sont fagotées !
Et comme elles sautillent !
Scène CINQUIÈME.
- Nous sommes de pauvres Zingari,
- Dirirididi… Didirididi !…
- Nous venons de loin, bien loin d’ici,
- Didirididi… Didirididi…
- Nous payons en danse bouffonne
- L’hospitalité que l’on nous donne,
- Alza ! Alza !
- Danse que j’aime,
- Bonheur suprême,
- De ton ardeur
- Charme mon cœur.
- Toujours sautant depuis Tarente,
- Nos pauvres corps sont disloqués ;
- Ils ont une fièvre dansante,
- RHODODENDRON, à Boboli.
De l’araignée ils sont piqués.
- Près de nous, tandis qu’on s’empresse,
- Que nous captivons les regards,
- Vite, introduis avec adresse,
- Tous mes soldats dans les remparts.
- Oui, je vais avec vigilance
- Introduire ici vos soldats ;
(À part.) C’est le moment de la vengeance,
- Elle ne m’échappera pas !
- Nous sommes de pauvres Zingari,
- Etc, etc…
- Alza ! Alza !
- Par le plus étrange prodige,
- La tarentule, nuit et jour,
- Nous donne une fièvre, un vertige ;
- Et nous dansons, dansons toujours !
- Danse que j’aime,
- Etc., etc…
- Nous voici venus à la place
- Des hommes de Rhododendron ;
- De l’habileté, de l’audace,
- Et nous vaincrons ce fanfaron !
- Oui, sergent, mettons-nous en quatre ;
- La ruse, c’est dans mon emploi.
- Si l’on doit vaincre sans se battre,
- Certainement comptez sur moi.
- RHODODENDRON.
Danse que j’aime…
- Voici le moment, allons, preste ;
- Sans plus tarder il faut agir :
- Des soldats introduis le reste,
- Et mon projet va s’accomplir.
- Oui, c’est l’instant où ma colère
- Va clandestinement agir ;
- Oui, c’est le moment, je l’espère,
- Avec toi, gredin, d’en finir.
- Danse que j’aime.
- Nous sommes de pauvres Zingari.
- Etc., etc.
- Alza ! Alza !
(Sur le devant, Rhododendron, Jol-Hiddin, Poterne et Boboli.)
- Tous et sans éveiller d’alarmes
- Vers les faisceaux dirigez-vous.
- Saisissez promptement les armes,
- Et des femmes emparez-vous !
- De notre victoire éclatante
- Voici l’instant, préparez-vous !
- Il est seul, nous sommes soixante,
- Ne craignons rien et montrons-nous.
- Danse que j’aime,
- Etc., etc.
Eh bien ! mesdames… Êtes-vous contentes ?
Enchantées
Alors… (criant) lancez les armes par-dessus les remparts… (Retirant sa coiffure.) Rendez-vous, belle Férosa, et vous toutes, jolies Géorgiennes, vous êtes mes prisonnières !
Rhododendron !
Trahison !… Et pas d’armes !
Vos armes ?… Ah ! ah ! ah ! (Les bohémiennes rient.) Vos armes, belles Géorgiennes, ce sont vos jolis yeux, vos petits minois agaçants et fripons, tous ces attraits qui feront de moi votre esclave, tout en étant votre maître quant à vos armes de guerre, ne les cherchez pas, c’est inutile.
Malédiction !
Je crois que la ruse a réussi : non, ne les cherchez pas vos armes : les voilà !
Nous les tenons ! (Ils distribuent des armes aux femmes.)
Enfer ! poignard et poison !… je suis retrahi !
Reconnaissez votre Jol-Hiddin.
Nous voilà, une poignée de braves… armés jusqu’aux dents ;… tu es seul,… sans défense, — avance, si tu l’oses.
Ah !… il ose, le lâche !
Allons, rendez-vous !…
Je me rends, belle Férosa. (À part.) Tous ces Géorgiens sont laids, je me connais… Ah ! les malheureux… je serai trop vengé !
Eh bien, nous sommes-nous réhabilités ?
Oui !… oui !…
Avez-vous vu notre attitude martiale ?
Oui ! oui !…
Superbes !… Vous en êtes récompensés par notre profond étonnement…
Décidément… je me fixe à Djégani… et j’ai dans l’idée que bientôt tu reprendras tes fonctions dans mon harem.
Allons !… j’étais né pour le célibat !
Non. Nous sommes braves, mais galants : Vivent les dames !
- Si vers nous l’ennemi jamais
- Osait se montrer désormais.
- Pour gagner encor la victoire,
- C’est vous qui courrez à la gloire.
- Tous ensemble serrez vos rangs,
- Et marchez en vrais conquérants.
- Vivent les hommes !
- Tirez les glaives du fourreau !
- De l’honneur suivez le drapeau.
- Vivent les hommes !
- Et, dignes de vous que nous sommes,
- Nous vous crierons dorénavant :
- En avant !
- Et vous chanterez bravement,
- Comme doivent faire des hommes :
- Au son des clairons,
- Au bruit des canons,
- En avant, marchons,
- Hardis bataillons !