Les Français libres à leurs frères les Canadiens

Les FRANÇAIS LIBRES
À LEURS FRÈRES
Les CANADIENS.


LORSQUE nous gémiſſions ſous un gouvernement arbitraire nous ne pouvions que plaindre votre ſort, regretter les liens qui nous uniſſaient à vous, et en murmurant en ſecret des trahiſons dont vous aviés été les victimes nous n’òſions pas plus que vous lever nos têtes courbées ſous le joug de la ſervitude, une ſtérile indignation de la conduite criminelle de nos rois envers vous etait le ſeul hommage que nous puſſions vous rendre.

Mais aujourd’hui nous ſommes libres, nous ſommes rentrés dans nos droits, nos oppreſſeurs sont punis, toutes les parties de notre adminiſtration sont régenerées et forts de la juſtice de notre cauſe, de notre courage et des immenſe moyens que nous avons préparés pour teraſſer tous les tirans ; il eſt enfin en notre pouvoir de vous venger, et de vous rendre auſſi libres que nous, auſſi indépendans que vos voiſins les Americains des États-Unis. Canadiens, imités leur exemple et le notre, la route en eſt tracée, une réſolution magnanime peut vous faire ſortir de l’état d’abjection ou vous êtes plongés. Il dépend de vous de réimprimer ſur vos fronts cette dignité premiere que la nature a placé ſur l’homme et que l’eſclavage avait effacée.

L’homme eſt né libre ; par quelle fatalité eſt-il devenu le ſujet de ſon ſemblable ? Comment a pu s’operer cet étrange bouleverſement d’idées, qui a fait que des nations entieres ſe ſont volontairement ſoumiſes a reſter la propriété d’un ſeul individu ? C’eſt par l’ignorance, la molleſſe, la puſillanimité des uns, l’ambition, la perfidie ; les injuſtices, &c, des autres. Mais aujourd’hui que par les excès d’une domination devenue inſupportable des peuples entiers, en s’élevant contre leurs oppreſſeurs ont révélé le ſecret de leur foibleſſe et dévoilé l’iniquité de leurs moyens, combien ne ſont elles pas coupables les nations qui reſtent volontairement dans des fers aviliſſans et qui effrayées du ſacrifice de quelques momens de repos, ſe livrent à une honteuſe inertie et reſtent volontairement dans la ſervitude. Tout autour de vous vous invite à la liberté ; le païs que vous habités a été conquis par vos peres. Il ne doit ſa proſperité qu’à leurs ſoins et aux votres, cette terre vous appartient, elle doit etre indépendante. Rompés donc avec un gouvernement qui dégénere de jour en jour et qui eſt devenu le plus cruel ennemi de la liberté des peuples. Partout on retrouve des traces du deſpotiſme, de l’avidité, des cruautés du roi d’Angleterre. Il eſt temps de renverſer un trone ou s’eſt trop longtems aſſiſe l’hypocriſie et l’impoſture, que les vils courtiſans qui l’entouraient punis ſoient de leurs crimes ou que diſperſés ſur le globe l’opprobre dont ils ſeront couverts atteſte au monde, qu’une tardive mais èclatante vengeance s’eſt operée en faveur de l’humanité.

Cette révolution néceſſaire, ce chatiment inévitable ſe prépare rapidement en Angleterre. Les principes républicains y font tous les jours de nouveaux progrés et le nombre des amis de la liberté et de la France y augmente d’une manière ſenſible ; mais n’attendés point pour rentrer dans vos droits l’iſſue de cet événement, travaillés pour vous, pour votre gloire, ne craìgnés rien de George III, de ſes ſoldats, en trop petit nombre pour s’oppoſer avec ſuccés à votre valeur, ſa foible armée eſt retenue en Angleterre autour de lui par les murmures des Anglais, et par les immenſes préparatifs de la France, qui ne lui permettent pas d’augmenter le nombre de vos bourreaux. Le moment eſt favorable, et l’inſurrection eſt pour vous le plus ſaint des devoirs, n’héſités donc pas et rappellés aux hommes qui ſeraient aſſez laches pour refuſer leurs bras et leurs armes à une auſſi généreuſe entrepriſe l’hiſtoire de vos malheurs. Les cruautés exercées par l’Angleterre pour vous faire paſſer ſous ſon autorité. Les inſultes qui vous ont été faîtes par des agens qui s’engraiſſaient de vos ſueurs. Rappelés leur les noms odieux de Murray et d’Haldimand ; les victimes de leurs ferocités. Les entraves dont votre commerce a été garotté ; le monopole odieux qui l’énerve et l’empeche de s’aggrandir ; les traites perilleuſes que vous entreprenés pour le ſeul avantage des Anglais : Enfin rappellés leur qu’etant nés Francais, vous ſerès toujours enviés, perſécutés par les Rois Anglais et que ce titre ſera plus que jamais, aujourd’hui, un motif d’excluſion de tous les emplois.

En effet des Français traiteraient leurs concitoyens en freres et ſe ſoucieraient moins de plaire au deſpote Anglais qu’à rendre juſtice aux Canadiens, ils ne s’attacheraient pas a plaire aux rois, mais à leurs freres : Ils renonceroient plutot à leurs places que de commettre une injuſtice : Ils préféreraient aux penſions, qui leur ſeraient accordés la douce ſatisfaction d’etre aimés et eſtimés dignes de leur origine. Ils oppoſeraient une vigoureuſe réſiſtance aux decrets arbitraires de la cour de Londres ; de cette cour perfide qui n’a accordé au Canada une ombre de conſtitution que dans la crainte qu’il ne ſuivit l’exemple vertueux de la France et de l’Amerique ; qu’en ſecouant son joug il ne fonda ſon gouvernement ſur les droits impreſcriptibles de l’homme.

Auſſi quels avantages avés vous retirés de la conſtitution qui vous a été donnée depuis ſix mois que vos repreſentants ſont aſſemblées, vous ont ils fait preſent d’une bonne loi ? ont ils pu corriger un abus ? ont ils eu le pouvoir d’affranchir votre commerce de ſes entraves ? non, et pour quoi ? parceque tous les moyens de corruption ſont employés ſecretement et publiquement dans vos elections pour faire pencher la balance en faveur des Anglais.

Canadiens, vous avés en vous tout ce qui peut conſtituer votre bonheur, eclairés, laborieux, courageux, amis de la juſtice, induſtrieux, qu’aves vous beſoin de confier le ſoin de vous gouverner a un tiran ſtupide, à un roi imbecille dont les caprices peuvent entraver vos déliberations et vous laiſſer ſans loi pendant des années entieres. n’eſt-il pas auſſi ridicule de confier à un pareil homme placé à l’autre extremité du globe le ſoin de veiller à vos plus chers interets, que de voir un cultivateur canadien aller ſe placer aux ſources du Miſſouri pour mieux diriger ſon habitation.

Les hommes ont le droit de ſe gouverner eux mêmes, les loix doivent être l’expreſſion de la volonté du peuple manifeſtée par l’organe de ſes repreſentans, nul n’a le droit de s’oppoſer à leur exécution, et cependant on a oſé vous impoſer un odieux veto que le roi d’Angleterre ne s’eſt reſervé que pour empêcher la deſtruction des abus et pour paraliſer tous vos mouvemens : voila le préſent que de vils ſtipendiés ont oſé vous préſenter comme un monument de bienfaiſance du gouvernement anglais. On a comparé très ingenieuſement le pouvoir légiſlatif à la tête d’un homme qui conçoit et le pouvoir legiſlatif aux bras du même homme qui éxecute, ſi les bras ſe refuſent à ce que la tête a jugé neceſſaire au bien du corps entiér, privé de ſecours il devient malade et il meurt.

Canadiens, il eſt tems de ſortir du ſommeil lethargique dans lequel vous etes plongés, armés vous, appelés à votre ſecours vos amis les Indiens, comptés ſur l’appui de vos voiſins, et ſur celui des Francais. Jurés de ne quitter vos armes que lorſque vous ſerés délivrés de vos ennemis, prenés le ciel et votre conſcience a temoin de l’equité de vos réſolutions et vous obtiendrés ce que les hommes énergiques ne reclament jamais en vain, la liberté et l’indépendance.

Reſumé des avantages que les Canadiens peuvent obtenir en ſe délivrant de la domination Anglaiſe.

1. Le Canada ſera un État libre et Independant.

2. Il pourra former des alliances avec la France et les États Unis.

3. Les Canadiens ſe choiſiront un gouvernement, ils nomeront eux mêmes les membres du corps légiſlatif et du pouvoir exécutif.

4. Le veto ſera aboli.

5. Toutes les perſonnes qui auront obtenu le droit de citoyen du Canada pouront etre nommées à toutes les places.

6. Les corvées ſeront abolies.

7. Le commerce jouira de la liberte la plus etenduë.

8. Il n’y aura plus de compagnie privilegieé pour le commerce des fourures, le nouveau gouvernement l’encouragera.

9. Les droits ſeigneuriaux ſeront abolis les lots et ventes, droits de mouture, de peage, reſerve de bois, travaux pour le ſervice des ſeigneurs, &c. &c. ſeront également abolis.

10. Seront également abolis les titres héréditaires, il n’exiſtera plus ni lords, ni ſeigneurs, ni nobles.

11. Tous les cultes ſeront libres. Les prêtres catholiques nommés par le peuple comme dans la primitive egliſe jouiront d’un traitement analogue a leur utilité.

12. Les dimes ſeront abolies.

Il ſera établi des Ecoles dans les paroiſſes et dans les villes : Il y aura des imprimeries, des inſtitutions pour les hautes ſciences, la medecine, les mathematiques ; il ſera formé des interpretes qui reconnus de bonnes mœurs ſeront encouragés à civiliſer les nations ſauvages et a etendre par ce moyen leur commerce avec elles.