Les Forces de l'Italie. — Administration et Armée. — Finances et Commerce

LES
FORCES DE L’ITALIE

ADMINISTRATION ET ARMEE. — FINANCES ET COMMERCE.

Annuaire statistique italien. — 1858-1864.

Il y a six ans, l’Italie n’était encore qu’une espérance, elle est devenue une réalité. Pour estimer les forces qui doivent assurer l’existence du royaume italien, on n’est plus réduit aux conjectures, on a des faits. L’hypothèse est remplacée par la statistique. Les chiffres au reste ont leur éloquence, et on n’en saurait douter après avoir lu l’Annuaire que MM. Cesare Correnti et Pietro Maestri viennent de publier pour 1864 : c’est le second volume d’une publication dont le premier a vu le jour en 1858. Que d’enseignemens on doit rencontrer en étudiant l’état de la péninsule à ces deux dates si rapprochées et pourtant si diverses, 1858 et 1864! D’ailleurs, on ne saurait guère imaginer un spectacle plus attachant que celui que nous donne un peuple assez jeune pour avoir une grande liberté d’allures, assez mûr pour savoir réfléchir, et qui, placé au milieu des exemples de toute sorte que lui offrent les sociétés modernes, travaille avec zèle à fixer ses institutions.

Si ce spectacle est tel qu’il doive intéresser des hommes de toute nation, il présente pour des Français un attrait tout particulier. Ce sont en effet nos lois, nos institutions, nos habitudes, que l’Italie, par une pente naturelle, se trouve portée à imiter. Ce qu’elle nous emprunte, elle le modifie d’ordinaire en quelque partie; ce qu’elle n’adopte pas, elle le discute au moins. N’est-ce pas là pour nous une épreuve des plus utiles? À ce titre, il nous importe de connaître comment les auteurs de l’Annuaire statistique de l’Italie jugent la nation française. Ils lui assignent, comme traits principaux, «un esprit qui allie la précision avec la recherche des généralités, une humeur facile, incompatible avec l’austère orgueil que demande la liberté, une horreur de la solitude qui efface les personnalités et une recherche de la société qui rend presque ridicule tout caractère fortement accusé, — l’amour de la symétrie, même dans les lettres et dans les arts, — le besoin de la contradiction et en même temps la passion de l’autorité, l’aptitude à faire de grandes choses à la condition de recevoir une forte impulsion. » Avec ces dispositions, disent-ils, les Français devaient naturellement « inscrire dans leurs constitutions l’admissibilité de tous à toutes les charges, et ensuite subir la tyrannie du règlement... La France en effet fut la terre classique de la centralisation... Les gouvernemens changent en France, la centralisation ne change pas. » Sans chercher à faire, comme contre-partie de ce tableau, une peinture du peuple italien, nous apercevons dans le caractère de ce peuple deux traits qui se dessinent nettement. C’est d’abord une grande habileté dans le maniement des intérêts et des esprits. S’agit-il seulement de discuter, les Italiens se laissent aller au plaisir de développer dans leur belle langue et d’épuiser jusqu’au dernier tous les sujets qu’une question peut soulever; s’agit-il de prendre un parti, ils savent se borner au nécessaire, ils savent obtenir, par de prudentes concessions, le résultat qu’ils désirent. Cette politique qui ne dédaigne pas les moyens détournés, qui prévoit les occasions avec un soin perspicace et les attend ensuite avec patience, qui sait que toute cause et tout effet commencent par être petits avant de devenir grands, et qu’il est ainsi facile, en s’y prenant de loin, de préparer les succès et d’étouffer les obstacles, cette politique, disons-nous, est née autrefois en Italie et s’y est perpétuée. Une autre particularité qu’on distingue dans le caractère des Italiens explique l’impression que nous faisons sur eux : les Italiens, quoique très sociables, ne laissent pas leur personnalité s’effacer dans le milieu où ils vivent; ils ne sont point sujets aux engouemens de la mode et ne connaissent guère le ridicule; ils restent originaux; ils vivent et pensent à leur guise. Cette disposition, très facile à reconnaître dans leur vie privée, se retrouve aussi dans leur vie publique. Alors même qu’elle serait atténuée par les nouvelles conditions où ils se voient placés, elle persistera suffisamment pour donner à l’existence nationale beaucoup d’activité et de variété. Quoi qu’il en soit d’ailleurs, et pour rentrer dans le domaine des faits. on ne peut guère nier que depuis cinq ans les Italiens n’aient fait sagement leurs affaires. On trouve quelquefois qu’ils y mettent de la lenteur; mais il ne faut pas oublier que c’est un proverbe italien celui qui nous apprend qu’on ne doit pas cheminer vite, si l’on veut faire bonne route.

Une seule fois les Italiens ont été trop vite en besogne au gré de leurs ennemis : c’est à l’époque des annexions. Est-il besoin de dire que, si les faits ont été rapides, la préparation avait été longue? Sans remonter aux siècles passés, nous pouvons dire que l’Italie avait presque existé au commencement de ce siècle. L’épopée napoléonienne lui avait donné un semblant de vie. L’Italie avait eu une armée, un drapeau, une sorte d’indépendance nationale. Lorsqu’après 1815 les Italiens se trouvèrent réveillés de leur rêve de grandeur, ils ne perdirent pas l’idée de la patrie commune. L’histoire des conspirations italiennes de 1815 à 1859 serait l’histoire de cette recherche de l’unité. Ce n’étaient pas seulement les intelligences d’élite qui songeaient à la patrie idéale, mais l’idée faisait son chemin dans les masses; des martyrs, souvent obscurs et vulgaires, tombaient en poussant le cri sacré du poète : « Italie ! Italie ! » Lorsqu’arriva l’ébranlement de 1859, l’unité était faite dans le sentiment populaire sous l’apparente variété des régions, et il n’y eut qu’à souffler sur les anciens gouvernemens pour les faire disparaître; mais, l’unité politique ainsi réalisée, il s’agissait de la consolider et de lui faire porter ses fruits. C’est aux auteurs de l’Annuaire statistique que nous allons demander les résultats obtenus.


I.

Jetons d’abord avec eux un coup d’œil sur les institutions administratives proprement dites du nouveau royaume. Voyons par quels liens administratifs les différentes parties sont rattachées au centre. C’est là une question capitale, et quelques personnes seront peut-être portées à s’étonner qu’elle n’ait point encore été résolue par une législation qui ait un caractère durable. L’administration provinciale et communale est en ce moment régie par la loi du 23 octobre 1859, votée sous le ministère de M. Rattazzi; mais l’opinion a toujours semblé n’attribuer à cette loi qu’un caractère provisoire. Promulguée à l’origine pour les anciennes provinces et pour la Lombardie, elle ne s’étendit aux autres parties du royaume qu’avec les restrictions que les circonstances nécessitèrent. Le public, la presse, les ministres, le parlement, n’ont cessé de s’occuper d’une organisation plus générale et plus durable. La question reste ainsi en suspens; nous pouvons l’examiner théoriquement, étudier le mouvement qu’elle a produit dans les esprits, essayer de prévoir la solution qu’elle recevra.

Un premier fait domine cette question, et doit exercer une influence prépondérante : c’est la puissance de la vie municipale en Italie. Évidemment, dans tout système administratif, on tiendra le plus grand compte de cet élément. Qu’on veuille bien toutefois nous permettre de hasarder une simple hypothèse : supposons qu’une organisation pût se produire qui ne laissât point une assez grande part d’influence aux municipes; on peut affirmer que dans ce cas les mœurs seraient plus fortes que les lois, et que le municipe, quelque garrotté qu’il fût, saurait se mouvoir assez pour s’affranchir de ses liens. Que l’on considère en effet l’histoire italienne, en remontant, si l’on veut, jusqu’aux Romains : on y reconnaît, à travers cette longue suite de siècles, une affirmation incessante de la vitalité des municipes. L’organisation municipale fut la force de la civilisation romaine; sa tradition, non interrompue, se retrouve au moyen âge : la commune italienne est puissante et florissante alors que dans le reste de l’Europe les communes s’élèvent avec peine et vivent misérablement, préservées de mille périls par leur seule obscurité. Dans la plupart des pays, ce fut le travail de royautés tyranniques de rapprocher et de mêler jusqu’à un certain point les seigneurs et le peuple. Les républiques italiennes accomplirent cette œuvre par le seul prestige de leur vie municipale; de bonne heure les châtelains descendirent de leurs montagnes, vinrent résider dans les villes italiennes et s’inscrire sur les registres de leurs corporations.

Les républiques italiennes du moyen âge, par leurs institutions, par leur commerce, par l’invention du crédit, donnaient au monde un spectacle nouveau et inauguraient les principes qui plus tard devaient constituer la vie moderne. Il faut même le dire, c’est à cause de la vitalité propre de ces républiques que l’Italie resta divisée alors que se formaient les grandes nations européennes. Quand, au XVe, au XVIe siècle, les populations se furent réunies en groupes, quelquefois en principautés, pourquoi ne se forma-t-il point une imité politique? pourquoi ne vit-on pas se traduire dans la réalité cette patrie idéale qui existait déjà dans la langue, dans les arts, dans la conscience des penseurs et des poètes? C’est qu’il y avait dans chaque petit état une civilisation trop avancée pour qu’une grande puissance politique pût se former par les moyens que les grandes puissances politiques avaient alors à leur disposition. Comment les artistes, les savans, les banquiers de Florence, n’auraient-ils pas regardé comme une calamité le règne d’un baron féodal, vassal de l’église ou de l’empereur? Comment Venise n’aurait-elle pas refusé d’incliner son aréopage de rois devant un Jean Galéas? Chaque république, chaque prince un peu fort absorba ses voisins immédiats, puis se heurta à de plus puissans, et il s’établit une sorte d’équilibre, fort troublé, il est vrai, et fort laborieux, de telle sorte qu’à l’époque où le droit public international commençait à s’inscrire dans les traités européens, il s’y inscrivit sans les Italiens et contre eux. « Aussi, disait M. Guizot dans l’Histoire de la civilisation en Europe, beaucoup des Italiens les plus éclairés, les meilleurs patriotes de notre temps, déplorent-ils le régime républicain de l’Italie au moyen âge comme la vraie cause qui l’a empêchée de devenir une nation; elle s’est morcelée, disent-ils, en une multitude de petits peuples trop peu maîtres de leurs passions pour se confédérer et se constituer en corps d’état. Ils regrettent que leur patrie n’ait pas passé, comme le reste de l’Europe, par une centralisation despotique qui en aurait fait un peuple, et l’aurait rendue indépendante de l’étranger. » Ainsi, par les malheurs mêmes qu’elle cause, s’affirme dans l’histoire la vitalité des municipes italiens, qui avait été le principe de l’organisation des républiques. On peut dire, en se reportant aux événemens de ces dernières années, que cette vitalité n’a rien perdu de son énergie; mais si elle peut être accusée de tant de maux dans le passé, il ne lui reste plus, dans les conditions nouvelles où l’Italie se trouve placée, que d’heureux fruits à porter. Personne n’a peur aujourd’hui que Ferrare et Bologne descendent en champ clos, personne ne craint que Livourne et Gênes se livrent des batailles navales, personne ne suppose que Milan et Naples aient l’intention de défendre leurs intérêts respectifs autrement que par des votes parlementaires. Tout le monde en revanche sent quelles ressources offrent à un état tant de villes qui vivent par elles-mêmes et qui peuvent se passer de l’impulsion du gouvernement central. C’est là vraiment un des caractères originaux de l’Italie actuelle. Son unité ne s’étant point faite à une époque barbare, mais en plein développement moderne, elle n’a point eu à lui sacrifier ces forces de la vie municipale qui ont été plus ou moins énervées dans les autres nations par la formation même de l’unité politique.

Voilà un premier fait dont tout plan d’organisation administrative devra tenir compte. Il est un second élément qu’il faut s’attendre à rencontrer dans les systèmes essayés ou étudiés pour organiser l’administration générale : c’est l’influence piémontaise. Pendant dix ans, un homme de génie a travaillé à faire du royaume de Sardaigne une sorte d’état modèle. Il a examiné d’un œil attentif toutes les institutions de l’Europe, et il n’a rien négligé pour acclimater dans son pays celles qui lui paraissaient les plus propres au rôle actif qu’il méditait. C’est par l’intermédiaire de cet état de Sardaigne, si ingénieusement organisé, que l’Italie est entrée dans le concert de la diplomatie européenne; c’est sous ses drapeaux qu’elle est venue se grouper aux jours de la délivrance. Rien d’étonnant dès lors que le système piémontais ait aussitôt prévalu, qu’il ait semblé naturel de profiter d’une expérience couronnée de si brillans résultats, que les institutions du nouveau royaume se soient calquées jusqu’à un certain point sur celles des anciennes provinces.

L’énergie des institutions municipales, l’influence de l’organisation piémontaise, voilà les deux faits que l’on doit nécessairement retrouver dans l’histoire des idées et des travaux qui se sont produits depuis la paix de Villafranca au sujet de l’administration intérieure de la péninsule. C’est un sujet qui depuis quatre ans a sans relâche occupé les esprits, qui a été étudié dans une quantité innombrable de publications, qui a été élaboré incessamment par des commissions parlementaires. Pendant cette période, les questions relatives à la décentralisation administrative ont été présentées sous mille aspects divers, et s’il suffisait de discuter les questions pour les résoudre, celles-là auraient reçu sans nul doute en Italie une solution satisfaisante.

Les partisans du pouvoir central alléguaient à l’appui de leur thèse la force nécessaire à tout état, indispensable surtout à l’Italie, qui pouvait être appelée dans un court délai à soutenir contre l’Autriche une guerre formidable. Au point de vue même de la vie ordinaire et des affaires courantes, disaient-ils, il n’y a de décisions éclairées et impartiales que celles qui sont rendues par une administration supérieure siégeant dans une grande capitale; les décisions prises dans les provinces et dans les lieux mêmes où les intérêts s’agitent sont d’ordinaire dictées par des passions mesquines et aveugles. Ils ajoutaient que les diverses branches des services publics, si elles ne sont pas concentrées dans les mains de l’état, tombent au pouvoir de castes exclusives, que la justice, l’enseignement, le culte, la bienfaisance publique, deviennent le privilège de corporations ambitieuses. Il fallait donc faire résolument le sacrifice des coutumes et institutions locales qui ne peuvent pas trouver place dans le dessin et les lignes régulières d’un grand état, et l’on devait se regarder comme payé de ces sacrifices par l’agrandissement même du royaume ; cet agrandissement n’était pas en effet seulement une nécessité pour la défense de l’Italie, mais encore une condition indispensable de prospérité et de civilisation dans un temps où tout progrès matériel ou intellectuel ne se réalise que par de vastes associations. Quoi de plus naturel dès lors que de tout sacrifier à la plus grande de toutes les associations, à l’état? L’exemple de la France était surtout cité par les publicistes de cette école, et ils ne manquaient pas d’appeler l’attention sur la puissance de cette nation où « au même instant le gouvernement veut, le ministre ordonne, le préfet transmet, le maire exécute. » Ils ajoutaient que, si l’esprit public, paraît actuellement demander en France que les excès de cette centralisation soient atténués, un mouvement tout contraire se produit en Angleterre, dans ce pays du self-government.

On pense bien que de leur côté les partisans de la décentralisation administrative ne manquaient pas d’argumens. Les travaux récens des économistes de tout pays leur fournissaient un arsenal de théories sur le véritable rôle de l’état, qui doit réduire son action à ce qui est nécessaire pour maintenir l’unité nationale et la tranquillité publique. Le pouvoir central, disaient-ils, reste d’autant plus fort qu’il se compromet moins dans les détails de l’administration. Quelques-uns soutenaient, au point de vue du droit politique, que les nouvelles provinces, en s’annexant aux anciennes, n’avaient abandonné que cette part de leurs privilèges dont le sacrifice était nécessaire pour former l’unité, et qu’elles s’en étaient réservé l’autre partie. D’autres exprimaient les plus vifs regrets sur ces franchises municipales que les gouvernemens déchus n’avaient pu détruire et qui semblaient devoir s’effacer dans l’Italie nouvelle. Les Lombards rappelaient que chez eux, sous le régime autrichien, aucun représentant du pouvoir central n’entrait dans le conseil de la commune ou de la province, que le contrôle supérieur et sans appel des affaires communales et provinciales était confié à un tribunal tout à fait indépendant du pouvoir politique, que les communes rurales étaient administrées directement par la masse des propriétaires dans des assemblées célèbres sous le nom de convocati, qu’il n’y avait pas une commune qui ne pourvût de ses deniers à l’instruction primaire et au service médical des indigens, que l’admirable système des irrigations lombardes avait donné lieu à des associations volontaires qui étaient devenues une des forces du pays. En Toscane, à Naples, en Sicile, on faisait remarquer qu’on avait donné à la vie communale une énergie toute particulière en agrégeant les petites communes de telle sorte que les agglomérations municipales fussent en moyenne de 6,000 habitans. Les Parmesans demandaient que l’on n’oubliât point que chez eux seuls les actes de l’état civil étaient confiés aux officiers municipaux. A Modène même, dans la terre classique de l’autocratie, on rencontrait une magistrature judiciaire chargée de connaître en dernier ressort des affaires contentieuses où l’administration était impliquée. Ainsi chacun présentait quelque particularité qu’il lui paraissait désirable de conserver.

Les divers partisans de la décentralisation s’attachaient d’ailleurs à deux ordres d’idées principaux, dont l’un, qui tendait à la formation des régions, a fini par être abandonné, tandis que l’autre, qui était relatif à l’organisation municipale, a gardé toute son importance. La théorie des régions fut en faveur dans les premiers jours qui suivirent la paix de Villafranca. La question se posait pour ainsi dire dans le domaine de la spéculation pure : il n’y avait pas, à proprement parler, de parti en Italie; mais plus tard, après l’annexion de Naples et de la Sicile, l’idée régioniste fut embrassée avec enthousiasme par une partie des populations méridionales de la péninsule. Elle perdit alors du terrain dans le nord, et finit par s’y effacer à peu près complètement.

Pendant la période où cette théorie eut quelque succès, les hommes modérés demandaient pour chacune des régions, qui devaient être alors le Piémont, la Ligurie, la Lombardie, la Toscane, l’Emilie et la Sardaigne, un gouverneur investi de pouvoirs assez étendus pour rapprocher l’administration des administrés, pour faire un certain nombre de nominations, pour décider sur place la plupart de ces questions qui vont d’ordinaire s’entasser dans les bureaux des ministères. A côté du gouverneur aurait été placé un conseil régional, et, pour que ce conseil ne fût pas tenté de prendre des allures politiques et de se donner des airs de parlement, il n’aurait pas été élu directement par la masse des électeurs, mais il aurait été formé de délégués nommés par les conseils des diverses provinces de la région. Quelques-uns demandaient plus : à l’état, l’armée, la diplomatie, la fixation et la répartition de l’impôt par régions; mais tous les travaux publics qui ne présentent pas un caractère tout à fait national, l’instruction des divers degrés, les établissemens de bienfaisance, les soins de l’hygiène publique, les institutions de crédit, la sous-répartition de l’impôt, étaient réservés à la région. Quelques autres, tout à fait radicaux, imaginaient un conseil régional nommé directement par les électeurs politiques et confiant le pouvoir à une junte exécutive. Celle-ci aurait nommé les employés du trésor, de l’enregistrement, des douanes, des contributions directes, les ingénieurs, les professeurs, les juges; elle aurait donné l’investiture laïque aux évêques; elle aurait dirigé le crédit foncier, les caisses d’épargne, les caisses de dépôts et consignations; elle aurait réglé les comptes généraux et dirigé l’administration souveraine de la justice. Telle fut la doctrine qui prédomina dans le conseil extraordinaire (consiglio di stato) qui fut institué en Sicile le 19 octobre 1860 par la prodictature pour « aviser aux moyens de concilier l’unité italienne avec les besoins de la Sicile. » Ce conseil poussait ses idées sur la décentralisation jusqu’aux limites du fédéralisme. Dans le projet qu’il rédigea, le gouverneur de la région, sous le nom de lieutenant, avait des prérogatives vraiment royales; quant à l’assemblée élective qui représentait la région, elle formait un véritable parlement. Ces doctrines excessives effrayèrent les esprits et contribuèrent à augmenter le discrédit dans lequel finirent par tomber les partisans de l’idée régioniste. Tout au plus quelques-uns, pour ne point s’avouer complètement vaincus, arguent de l’isolement des îles de Sicile et de Sardaigne, et demandent pour elles un régime exceptionnel; mais la Sardaigne repousse cette idée avec énergie. On peut donc dire qu’il n’est plus question de partager l’Italie en grandes circonscriptions correspondant aux anciens états, et qu’elle restera divisée en provinces dont l’étendue et la condition administrative peuvent être comparées à celles des départemens français[1].

Quant à l’organisation municipale, il était naturel, d’après les indications que nous avons données en commençant, qu’elle tînt une grande place dans tous les projets agités au sujet de la constitution administrative du royaume. Tout le monde s’accordait pour demander que de grands privilèges fussent concédés à la commune. On citait volontiers comme modèle la commune belge : le conseil municipal a le droit de se réunir, si un tiers des conseillers le demande; les séances sont publiques ; les délibérations du conseil ne peuvent jamais être cassées par l’autorité administrative, mais seulement suspendues et déférées au conseil provincial; le bourgmestre comme ses conseillers sont nommés directement par les électeurs. Une des principales préoccupations des publicistes était de faire en sorte que la commune eût des dimensions convenables, assez restreintes pour garder son homogénéité, assez étendues pour conserver quelque force politique ou économique. Dans certaines parties de l’Italie, en Toscane, dans l’Emilie, dans l’Ombrie, dans les Marches et même dans les provinces méridionales, la fusion des petites communes a été faite tant bien que mal par les gouvernemens déchus; mais dans les anciennes provinces et dans la Lombardie l’étendue moyenne du territoire communal est restée trop petite. Cette partie du royaume, qui ne compte pas beaucoup plus de 7 millions d’habitans, est divisée en près de 4,500 communes; elle renferme plus de la moitié du nombre total des communes de l’Italie actuelle, tandis qu’elle ne comprend qu’un tiers de la population et de la superficie du royaume. On y compte près de 2,500 communes ayant moins de 1,000 habitans. Ces chiffres n’ont rien d’étonnant pour des Français, puisque sur 38,000 communes nous en avons 20,000 qui ne contiennent pas 500 âmes. Aussi observe-t-on généralement que la vie communale est en France frappée d’impuissance. Quoi qu’il en soit, tous les Italiens reconnaissent qu’il est désirable, surtout dans la partie septentrionale du royaume, d’augmenter la dimension moyenne des agglomérations communales; mais comment se fera ce travail d’agrégation? Le laissera-t-on se produire tout seul, en se bornant à montrer aux populations l’intérêt qu’elles y doivent trouver? On ne peut guère compter qu’ainsi livrées à elles-mêmes, les habitudes locales arrivent à se changer spontanément. En France par exemple, les communes ont des voies assez faciles pour s’agglomérer; il ne paraît pas qu’on leur refuse, quand elles en font la demande, le décret qui leur est nécessaire, si elles veulent s’agréger sans se disloquer, ou la loi qui doit intervenir dans le cas contraire; cependant depuis vingt années on n’a vu en France, sur les 38,000 communes, que 776 agrégations volontaires. Faudra-t-il donc forcer un peu la main aux paysans italiens pour les amener à se fondre dans des associations moins restreintes? C’est là une solution incompatible avec l’idée même de la liberté municipale. De bons esprits ont proposé un moyen terme, qui est de donner aux grandes communes des privilèges plus étendus qu’aux petites. Les premières ont en effet plus de ressources, plus de lumières pour régler elles-mêmes leurs affaires. On pourrait décider par exemple que les affaires des communes dont la population n’atteindrait pas un certain chiffre seraient seules soumises à un contrôle supérieur. Il faut dire que cette marche paraît contraire à la tendance générale des gouvernemens, qui se montrent disposés à refuser aux grandes communes les privilèges qu’ils accordent aux petites : elle trouverait néanmoins des précédons, et on peut citer à ce sujet la Belgique, où l’autorité administrative exerce une surveillance spéciale sur les communes dont la population est inférieure à 5,000 âmes, et où ces communes seules doivent faire approuver leurs marchés et leurs contrats par le conseil provincial. Beaucoup de publicistes italiens ont donc proposé qu’on entrât dans cette voie, et qu’on fixât à 2,500 ou 3,000 âmes la population de la commune vraiment émancipée et autonome. On a calculé que, pour amener à ce chiffre la population moyenne de leurs communes, la Lombardie et les anciennes provinces auraient à en remanier les neuf dixièmes; la Toscane aurait au contraire dès maintenant les trois quarts de ses communes dans les conditions normales, l’Emilie et la Sicile plus de la moitié, les provinces napolitaines un tiers, les Marches et l’Ombrie un quart. Quel que soit d’ailleurs le sort réservé à ces idées sur l’agrégation communale, un résultat est hors de doute : c’est que les franchises municipales seront libéralement distribuées aux communes, grandes et petites.

Après avoir indiqué, dans ses traits généraux, le mouvement qui s’est produit dans les esprits au sujet de l’organisation administrative du royaume, il reste à dire quelques mots des travaux du parlement italien sur cette matière. Dès la première réunion des députés italiens (18 février 1860), le roi, dans le discours de la couronne, déclara que de grandes libertés administratives étaient naturellement dans le programme du nouveau royaume. Tout le monde reconnaissait que l’organisation faite par M. Rattazzi à la fin de 1859 devait être plus ou moins profondément modifiée. Une loi du 24 juin 1860 adjoignit temporairement au conseil d’état une commission législative chargée de ce travail. M. Farini fut le membre le plus actif de cette commission. Au mois d’août 1860, M. Farini, alors ministre de l’intérieur, adressait à ses collègues une note qui indiquait les lignes principales de son projet. Il admettait les régions, tout en recommandant de ne pas faire coïncider les divisions administratives avec les frontières des anciens états. La région ne devait point être dotée d’un conseil électif, mais elle aurait un gouverneur muni de larges pouvoirs pour les nominations d’importance secondaire et l’expédition des affaires locales. Au-dessous de la région, la province était largement organisée. On lui confiait le soin des eaux et des routes, de l’hygiène publique, de l’instruction, des institutions de bienfaisance, le tout sous le contrôle de l’intendant, chargé de veiller à ce qu’elle remplît ses devoirs et n’en sortit pas. La tutelle des communes n’était point d’ailleurs confiée aux conseils provinciaux, mais bien aux fonctionnaires du gouvernement central, aux intendans et sous-intendans.

M. Minghetti succéda comme ministre de l’intérieur à M. Farini, et le 28 novembre 1860 il fournit à son tour à la commission législative une note destinée à donner une nouvelle impulsion à ses travaux. M. Minghetti se montrait décentralisateur résolu. Sa note insistait sur les réductions qu’on pouvait faire dans les attributions des quatre ministères de l’intérieur, de l’instruction publique, des travaux publics et du commerce. Au premier, on pouvait ôter tout ce qui regarde la bienfaisance, l’assistance publique, l’hygiène, les théâtres, les règlemens sur la chasse et la pêche, les monumens publics; au second, l’enseignement secondaire et professionnel, les universités, les académies des beaux-arts; au troisième, les eaux, les routes, les ports secondaires; au quatrième, l’agriculture, la sylviculture, la statistique. Le projet reportait toutes ces attributions, suivant les cas, à la région, à la province, à la commune. Tout le contentieux administratif allait aux tribunaux ordinaires. La note de M. Minghetti distinguait d’ailleurs très nettement les deux procédés ordinairement confondus sous le nom commun de décentralisation, quoique très différens dans leur principe, dont l’un consiste à déléguer aux fonctionnaires provinciaux une partie des privilèges du pouvoir central, et l’autre à rendre aux populations mêmes le soin d’une partie de leurs affaires. Les communes étaient divisées en trois classes : communes populeuses, communes moyennes, communes petites, celles-ci renfermant moins de 3,000 âmes. La tutelle administrative allait en s’amoindrissant et s’effaçant des dernières aux premières. L’assiette financière, disait le ministre, s’établirait sur ce principe, que les localités se suffiraient avec leurs propres revenus, les communes avec les taxes d’octroi, les provinces avec les taxes foncières. Le budget de la région devait être formé par les contributions des provinces. Pour ce qui intéresse l’autorité administrative, la commune et la province devaient avoir chacune un conseil délibérant et un conseil exécutif, élus tous deux. La région n’avait qu’une commission de délégués choisis dans le sein des conseils provinciaux, et qui ne se réunissait qu’une fois par an pour délibérer sur deux matières spéciales, les routes et les eaux d’une part, et de l’autre les établissemens d’instruction supérieure. Le pouvoir exécutif était concentré dans les mains du gouverneur, qui dirigeait tous les services publics de la région.

Cette note du ministre n’était qu’une sorte d’avant-projet. La commission législative, pour répondre à une demande de M. Minghetti, qui désirait un travail plus complet, nomma une sous-commission, dont le rapport, rédigé par M. San-Martino et livré à la publicité, forme un gros volume. C’est un traité complet de la matière : tous les aspects de la question y sont présentés et étudiés avec un soin scrupuleux; mais ce rapport même fut longuement discuté par la commission législative, qui publia à son tour les volumineux procès-verbaux de ses séances. Pour le coup, la question se perdait dans les détails. Toutes les pièces du mécanisme administratif étaient décrites, même les plus imperceptibles; le jeu de tous les rouages était analysé, tous les accidens possibles étaient prévus, les précautions à prendre indiquées, les remèdes énumérés. On ne saurait dire que tout ce labeur fût vraiment utile, car il importait plus de s’accorder sur les traits principaux du projet que d’en tracer par le menu toutes les particularités. Pour indiquer seulement par quelques exemples les tendances de la commission, nous dirons qu’elle voulait obliger le gouvernement à réunir aux communes voisines toutes celles qui avaient moins de 1,500 habitans, qu’elle se prononçait d’ailleurs contre l’idée de donner aux communes d’importance diverse des degrés divers d’indépendance, qu’elle supprimait les arrondissemens (circondarii) existant dans le système Rattazzi, qu’elle élargissait les cadres des cantons (mandamenti) existant dans le même système, de manière à en porter la population moyenne à 30,000 habitans environ, qu’elle donnait des pouvoirs spéciaux aux délégués cantonaux, et leur confiait notamment les opérations relatives à l’assiette de l’impôt et à l’établissement des listes électorales, qu’enfin, en constituant fortement la province, elle diminuait beaucoup l’importance des assemblées régionales, et ne leur laissait guère que le pouvoir d’émettre des vœux sur les changemens à introduire dans les lois relatives aux intérêts régionaux. On remarque aussi dans son projet un détail emprunté aux mœurs lombardes : la commune étant essentiellement à ses yeux une réunion d’intérêts, elle admet comme électeurs communaux toutes les personnes inscrites sur les rôles des contributions directes; les femmes et les corporations peuvent voter par procuration, les absens par acte authentique.

Appuyé sur l’immense travail de la commission, M. Minghetti présenta au parlement, dans le mois de mars 1861, un ensemble imposant de lois qui réglaient tous les détails de l’administration. Quatre grands projets étaient en première ligne : loi sur la division du royaume et l’autorité centrale, loi sur l’administration communale et provinciale et sur les élections dans les communes et les provinces, loi sur les associations contractées entre particuliers, communes et provinces, pour cause d’utilité publique, loi sur l’administration régionale. Puis venait une suite de règlemens sur le contentieux administratif, sur la sûreté publique, sur les institutions de bienfaisance, etc. Dans les lois de M. Minghetti, le rôle de la région avait subi de nouveaux amoindrissemens. Au lieu d’avoir le droit d’émettre des vœux comme dans le projet de la commission, le conseil régional n’avait plus qu’à donner son avis quand il était consulté. En revanche, les conseils électifs des provinces étaient investis d’attributions plus importantes et chargés de la tutelle des communes. L’ensemble des lois Minghetti, après avoir été soumis au parlement, fut retiré par ce ministre avant la discussion; peut-être M. Minghetti eut-il peur de l’extrême complication de la machine qu’il avait imaginée.

Le 22 décembre 1861, un projet sommaire était présenté par le baron Ricasoli, alors président du conseil et ministre de l’intérieur. M. Ricasoli ne se pique pas d’être un idéologue : il est volontiers concis et va au plus pressé. Son projet ne contenait que seize articles, sous le titre de « modification à la loi du 23 octobre 1859 et application de cette loi à tout le royaume. » La région avait complètement disparu et la province était fortement constituée, mais surtout dans les mains de l’autorité administrative. La commission de la chambre ne trouva pas le projet assez détaillé : elle voulut rentrer dans l’examen de beaucoup de questions qui avaient été soulevées à propos des projets précédens; on ne s’entendit pas, et il fut convenu que la commission renverrait son rapport à l’année 1863 pour présenter un travail nouveau.

À cette époque, M. Peruzzi avait pris le portefeuille de l’intérieur, et dans le courant du mois de mars 1863 il présenta lui-même un projet sur les modifications que la loi du 23 octobre 1859 lui paraissait devoir subir pour devenir la loi organique du royaume. Le projet Peruzzi est assez éclectique; il touche aux divers programmes mis en avant par les ministres précédens. Des facilités sont données pour l’agrégation des petites communes, et, afin de ne pas effrayer les municipalités par des règles trop strictes, il est stipulé que, si un discord survient au sujet des propriétés des communes agrégées, des commissaires pourront être nommés par les parties dissidentes pour l’administration séparée des biens controversés. La question de la tutelle des communes est résolue par une sorte de compromis entre les solutions antérieures : le conseil de la province (deputatione provinciale) veille aux rapports des communes avec la province, le préfet est chargé de ce qui a rapport à la gestion des biens communaux et à l’annulation des actes de forme vicieuse ou contraires aux lois. Les juntes municipales et les députations provinciales sont renouvelables chaque année par moitié seulement, pour que la tradition des affaires puisse s’y conserver. Dans le projet Peruzzi, comme dans le projet Ricasoli, il n’est plus question de régions; la province, dotée de privilèges étendus, nomme une grande partie de ses employés et traite sur place un grand nombre d’affaires jusqu’à leur complet achèvement. M. Peruzzi élargit d’ailleurs les cadres électoraux ; il y inscrit tous les citoyens portés, à quelque titre que ce soit, sur les registres des contributions directes[2].

Ainsi les projets et les contre-projets s’étaient entassés les uns sur les autres, et, semblable à la toile de Pénélope, l’organisation administrative du royaume restait toujours au même point. Peu à peu d’ailleurs les esprits en étaient venus à être moins préoccupés de l’urgence d’une solution. Aux premiers jours du nouveau royaume, chacun avait cru qu’on ne pouvait se passer d’une réorganisation immédiate et générale. On avait remarqué ensuite que le pays vivait assez bien sous le régime auquel se rattachait le nom de M. Rattazzi, et qui avait été étendu tant bien que mal à la plus grande partie du royaume; on avait donc le temps d’étudier la question, et il n’était besoin de rien précipiter. Il faut le dire aussi, l’état des provinces méridionales rendait encore nécessaire la continuation d’un régime exceptionnel en quelques points : tant qu’il en serait ainsi, n’était-il pas prudent d’ajourner l’inauguration de changemens administratifs qu’on ne pourrait peut-être pas appliquer tout de suite à certaines parties du royaume? Pour ces divers motifs, le ministère, le parlement et le public semblent, d’un commun accord, avoir détourné leur attention de l’administration provinciale et communale; le projet Peruzzi repose dans les cartons de la chambre, et le silence s’est fait sur ce point.

On peut voir maintenant, après ce court exposé de la question, comment elle est dominée par les deux faits que nous avons signalés au début. C’est l’activité de la vie municipale qui a permis au pays de prospérer sous un régime administratif regardé comme provisoire, et d’autre part c’est l’organisation piémontaise, c’est l’esprit méthodique de l’ancienne administration sarde, qui ont donné jusqu’ici à ces institutions provisoires un jeu suffisamment régulier. En raison de ces deux causes on a pu jusqu’ici retarder l’établissement d’un système définitif. Ce retard profitera sans doute aux institutions de l’Italie. Des lois administratives faites trop rapidement, et sans une expérience suffisante des conditions dans lesquelles doit vivre l’Italie nouvelle, n’auraient sans doute pas répondu aux besoins de la pratique. Il est bon que de pareilles lois, au lieu de jaillir toutes faites du cerveau d’un législateur, puissent se modeler lentement sur les mœurs publiques. Ainsi les Italiens verront s’appliquer chez eux, nous l’espérons, dans son sens le plus favorable cette maxime, que les nations ont toujours les institutions qu’elles méritent.


II.

Si l’Italie pouvait se donner le temps de réfléchir en matière d’administration, on conçoit qu’elle n’avait pas un instant à perdre pour organiser son armée. « Soyez soldats aujourd’hui, si vous voulez être citoyens demain! » Cette parole domine encore la situation de la péninsule. Quelles sont donc les forces militaires au moyen desquelles l’Italie peut désormais défendre son autonomie? C’est là un des premiers objets sur lesquels se porte naturellement l’attention, quand on cherche à reconnaître quels sont les divers progrès que le nouveau royaume a pu réaliser depuis cinq ans.

Les Italiens deviennent-ils de bons soldats? Il ne manque pas de gens qui prétendent qu’ils n’ont point d’aptitude à l’état militaire. Ce fut du moins une opinion longtemps reçue dans toute l’Europe, et elle ne semble pas avoir encore perdu tout crédit. Il y a plusieurs siècles, un historien national de l’Italie qui avait été mêlé aux guerres de son temps aussi bien qu’aux affaires politiques, Guichardin, ne craignit pas d’affirmer que trois soldats italiens ne valaient pas un fantassin espagnol. On peut dire, pour expliquer ce jugement, que, dans les guerres auxquelles Guichardin avait assisté, les armées italiennes, composées de confédérés, s’étaient trouvées d’ordinaire paralysées par les dissentimens de leurs chefs : elles ne pouvaient donc que céder aux troupes espagnoles, aguerries et bien commandées. Guichardin, qui était, non un militaire, mais un homme d’état, ne jugeait de la valeur des troupes italiennes que par le résultat des guerres. Pendant longtemps, l’Europe dut nécessairement faire comme Guichardin. Cependant, lorsque sous Napoléon Ier on vit des régimens italiens sur les grands champs de bataille de l’Europe, on trouva qu’ils faisaient bonne contenance. Les Italiens ont enregistré avec orgueil le jugement que l’empereur porta sur eux dans une circonstance mémorable. Pendant les guerres d’Espagne, Macdonald et Suchet avaient demandé tous deux à avoir la division Palombini. « Deux de mes maréchaux, dit Napoléon dans le conseil des ministres, se disputent une division italienne; je la donne à Suchet, qui a de plus grandes choses à faire. Les Italiens seront un jour les premiers soldats de l’Europe. » Dans ce jugement, il faut sans doute faire une certaine part à la politesse qu’un souverain est tenu de montrer envers des troupes étrangères servant sous ses drapeaux; mais il est certain que dans beaucoup d’autres occasions les maréchaux français rendirent bon témoignage des troupes italiennes. Quoi qu’il en soit d’ailleurs du passé, c’est une question qui préoccupe beaucoup de gens que de savoir comment une grande armée italienne manœuvrerait dans une guerre contre l’Autriche. Qu’adviendrait-il si des Romagnols, des Napolitains, des Siciliens, combattaient un jour sous la croix de Savoie dans ces grandes batailles que nos temps comportent?

Il est inutile de faire remarquer quel solide noyau la petite armée piémontaise a offert pour la formation de l’armée italienne; mais il est intéressant d’étudier, avec les auteurs de l’Annuaire statistique quel fut le mouvement militaire qui se produisit dans les diverses parties de la péninsule, lorsqu’en 1848 et 1849, puis plus tard en 1859, l’Italie fut appelée à conquérir sa liberté. En 1848, Palerme donne le signal de l’insurrection, et la secousse se fait sentir tout de suite dans le royaume lombardo-vénitien. La Lombardie se soulève en masse, et 20,000 Autrichiens, qui occupaient Milan, sortent de la ville pendant la nuit, précipitant leur retraite à marches forcées. Venise oblige sa garnison à capituler, et le Piémont accourt sur le Tessin, prenant en main pour la première fois la cause de l’indépendance nationale. Le roi Charles-Albert avait à ce moment une armée de 45,000 hommes, qui monta à 60,000 à la fin de la campagne. Les états pontificaux, la Toscane, les duchés, lui fournirent environ 18,000 volontaires. Le gouvernement provisoire de Milan improvisa un ministère de la guerre, et essaya de créer un corps d’armée qui pût, sinon prendre une part active à la lutte, du moins servir de réserve à l’armée qui combattait sur le Mincio. Il faut avouer que ses efforts furent couronnés d’un médiocre succès. On trouve bien dans les récits du temps que le gouvernement milanais réunit trois régimens de ligne, un de chasseurs, qu’il forma le noyau de deux régimens de cavalerie (dragons et chevau-légers), qu’il eut même des détachemens de troupes d’artillerie et du génie; ce fut un effectif de 8,000 hommes environ qui ne paraît pas avoir rendu de grands services. Il y avait, il est vrai, dans le camp piémontais de 7 à 8,000 volontaires des différentes provinces de la Lombardie qui formaient des corps détaché sous des noms divers, «légion des étudians, bataillon de Côme, bataillon de la Mort, corps de Thannberg, bataillon bergamasque, volontaires de La Valteline, vélites lombards, etc. » Lorqu’en 1849, à l’expiration de l’armistice Salasco, la guerre recommença, Charles-Albert, après avoir incorporé tous les volontaires dans son armée, comptait 81,000 hommes en ligne avec 150 bouches à feu. On sait les fautes qui compromirent cette armée et qui aboutirent au désastre de Novare.

La défense de Venise fut, on le sait, un des épisodes les plus brillans de cette guerre. Dès les premiers jours de 1848, Venise, délivrée des Autrichiens, avait réparé ses fortifications, élevé de nouveaux forts, organisé une flotte et créé une petite armée; 17,000 hommes, venus de toutes les parties de l’Italie, reçurent une organisation régulière. Il n’y a pas à rappeler les prodiges de valeur que fit cette garnison, autour de laquelle, après la bataille de Novare, les Autrichiens purent concentrer une grosse armée de siège; elle ne se rendit que quand elle n’eut plus ni vivres, ni munitions, et tous les livres techniques qui ont été écrits par les officiers autrichiens signalent l’effroyable rigueur du bombardement qu’elle eut à supporter. — Il faut mentionner encore la petite armée que la république romaine mit sur pied après la fuite du pape. Quand le général Roselli en prit le commandement au mois de mai 1849, elle avait un effectif de 18,000 hommes. Cette troupe fit bonne contenance devant l’armée française, et nos officiers se sont accordés à dire que les cent pièces de canon qui défendirent Rome furent admirablement servies. À cette même époque, Bologne et Ancône, où s’étaient jetés 3 ou 4,000 hommes qui avaient d’abord essayé de tenir la campagne, résistèrent au général autrichien Wimpfen et soutinrent des sièges qui ne furent point sans gloire. — La Toscane de son côté avait armé et équipé 25,000 hommes; mais elle n’eut point à opposer de résistance au retour du grand-duc : ce prince rentra dans ses états sans bruit, comme il en était sorti.

De 1850 à 1859, le fait capital est la formation d’une nouvelle armée sarde, et ce fut l’œuvre du général Alphonse La Marmora. Il y introduisit cette discipline et cet esprit de solidarité entre officiers et soldats qui font la force de l’armée française. Tous les privilèges de l’ancien régime disparurent. Les soldats piémontais furent tenus en haleine par des exercices continuels. On ne se contenta pas de fortifier leur corps par la gymnastique, par l’escrime à la baïonnette; on mit un soin tout particulier à leur apprendre à lire et à écrire. En peu d’années, les écoles régimentaires réduisirent à un sixième de l’effectif la proportion des soldats illettrés, qui était précédemment considérable. Infatigable au travail, le ministre s’occupa sans relâche de tous les détails de l’organisation militaire. Tout le monde se rappelle quelle impression favorable fit sur l’Europe l’armée sarde qui prit part à la campagne de Crimée. Le général La Marmora avait quitté le ministère de la guerre pour prendre lui-même le commandement de ce corps expéditionnaire, qui était chargé d’apprendre à l’Europe que l’Italie songeait à son réveil. Il l’avait composé, avec un soin minutieux, de 20,000 hommes choisis parmi les meilleurs dans tous les régimens. A la Tchernaïa, à Traktir, les troupes répondirent à l’espoir de leur chef. Justement fier de cet essai, le général vint reprendre son travail avec une nouvelle ardeur, et quand éclata la guerre de 1859, le Piémont mettait en ligne une excellente armée de 48,000 hommes.

De cette campagne de 1859 nous ne dirons rien, sinon qu’à côté de l’armée piémontaise les volontaires italiens jouèrent un rôle qui ne fut pas sans éclat. Le corps des chasseurs des Alpes, créé par décret royal du 17 mars 1859 et commandé par Garibaldi, com- prenait au commencement de la campagne 3,500 hommes environ, et atteignit vers la fin de la guerre le chiffre de 5,000. Les combats de Varèse, de San-Fermo, de Seriate, de Treponti, promettaient de bonnes recrues à l’armée de l’Italie renaissante. L’Emilie et la Toscane s’étaient délivrées elles-mêmes pendant la guerre. Tout de suite elles formèrent de petites armées : la Toscane comptait 9,500 hommes; Parme, Modène et Bologne 18,000 hommes; les Romagnes 12,000. C’étaient en tout 40,000 hommes environ, qui furent réunis sous le nom d’armée de la ligue. Le général Fanti organisa ces forces en quelques mois, vêtit et arma les soldats, fortifia Rimini et Mirandola, fit des travaux de défense à Bologne et à Plaisance, créa une fonderie de canons à Parme. Dès la fin de 1859, les magasins de l’armée de la ligue étaient pleins, et elle avait des provisions de guerre en abondance. En 1860, la campagne faite dans les Marches et l’Ombrie amena la bataille de Castelfidardo et le siège d’Ancône, où la nouvelle marine italienne eut pour la première fois occasion de se signaler : on n’a pas oublié ce coup hardi de l’amiral Persano, qui vint détruire à bout portant les défenses maritimes d’Ancône. Enfin cette même année 1860 nous présente la campagne fabuleuse, légendaire, de Garibaldi, partant avec 1,000 hommes pour renverser le trône des Bourbons de Naples, et le siège de Gaëte, glorieux surtout pour les assiégés, vint clore dignement la période militante de la régénération italienne. A dater de la capitulation de Gaëte, le nouveau royaume comptait 22 millions d’habitans.

L’armée napolitaine, qui en 1859 était forte de 85,000 hommes, se trouva en grande partie licenciée, et une faible partie de cet effectif seulement entra dans l’armée italienne; mais un nouvel élément se présentait pour prendre place dans les rangs de cette armée: c’étaient les soldats et les officiers de Garibaldi qui avaient reçu pendant la campagne de 1860 le nom d’armée méridionale. Au moment où il livra sur le Vulturne la bataille du 1er et du 2 octobre, Garibaldi avait 20,000 hommes en ligne, avec 26 pièces de canon et 8 obusiers de campagne. Cette petite armée avait une organisation plus régulière et plus forte qu’on ne le pense généralement : il faut bien qu’il en ait été ainsi pour qu’elle ait pu soutenir pendant deux jours et gagner seule[3] contre des forces supérieures cette bataille du Vulturne; mais à partir de cette époque l’armée du nord continua seule les opérations militaires, et les troupes méridionales se replièrent derrière les lignes piémontaises. Les relations entre les deux armées furent dès lors assez difficiles. Les officiers de l’armée du nord regardaient de haut les garibaldiens, et ceux-ci trouvaient qu’on oubliait vite qu’ils venaient de conquérir un royaume. Dans les premiers jours de novembre 1860, Garibaldi quitta Naples pour retourner à Caprera; presque aussitôt un décret royal décida que l’armée méridionale serait convertie en un corps spécial qui ferait partie de l’armée régulière. Une commission composée de généraux de l’armée du nord et de généraux de l’armée méridionale fut chargée d’examiner les titres que pouvaient avoir pour entrer dans ce corps spécial tous ceux qui se donnaient pour officiers garibaldiens. On allouait six mois de solde aux officiers ou soldats qui voulaient retourner dans leurs foyers. Les soldats partirent presque tous ; il ne resta guère que les Vénitiens et les Romains, qui ne pouvaient rentrer chez eux. Quant aux officiers, les deux tiers environ demeurèrent. Beaucoup d’entre eux se plaignaient vivement d’être obligés de subir un scrutin alors que les officiers de l’Italie centrale, dont les états de service se bornaient à quelques mois de garnison, étaient reçus dans l’armée sans examen, alors qu’on y admettait d’emblée les officiers napolitains, qui avaient plus ou moins combattu contre le drapeau italien. Cependant les plus modérés étaient forcés d’avouer que le travail de la commission ne serait pas inutile, que la chancellerie militaire de Garibaldi n’avait pas toujours pu fonctionner bien régulièrement, qu’il y avait beaucoup de désordre dans les brevets, qu’il poussait derrière l’armée des officiers que personne n’avait jamais vus au feu, qu’enfin ceux qui avaient fait sérieusement la campagne n’avaient qu’à gagner à voir les titres de chacun soigneusement examinés. En écartant les amateurs, il devait rester deux mille candidats, et les officiers de l’armée régulière, naturellement préoccupés de leur avancement, ne laissaient pas de trouver que c’était là un fort contingent à introduire dans leurs cadres. Il y eut donc de la part de ceux-ci quelque résistance. Les restes de l’armée méridionale, officiers presque sans soldats, étaient allés tenir garnison dans les villes du Piémont. L’état-major général se trouvait à Turin. Des simulacres de régimens étaient à Mondovi, à Asti, à Biella, à Verceil, un peu de cavalerie à Pignerole, un peu d’artillerie à la Vénerie royale. La commission ne se hâtait pas de terminer son travail. Garibaldi sortit deux ou trois fois de Caprera, et vint au parlement pour élever la voix en faveur de ses anciens compagnons. Peu à peu les obstacles s’aplanirent, des concessions furent faites de part et d’autre, et les garibaldiens finirent par se fondre dans les rangs de l’armée italienne. Ils y ont apporté sans contredit des élémens utiles, beaucoup de bravoure personnelle, l’habitude des marches rapides, cette décision de caractère et ces ressources d’esprit qui s’acquièrent dans les guerres de partisans.

Telle est, résumée en quelques traits, l’histoire militaire de la péninsule pendant ces quinze dernières années : elle laisse, si nous ne nous trompons, cette impression, que ni les soldats ni les généraux n’ont manqué à l’Italie. Sur tous les points où les circonstances l’ont exigé, un mouvement militaire s’est produit, les populations ont pris les armes, des armées se sont organisées spontanément. Il faut compléter ce tableau par quelques détails sur les développemens que l’armée italienne a pris depuis la fin de la période des annexions.

Au commencement de l’année 1862, le nouveau royaume comptait 255,000 hommes sous les armes. Les contingens venus des diverses parties de la péninsule se présentaient dans les proportions suivantes : 110,000 hommes des anciennes provinces, 60,000 de la Lombardie, 17,000 de l’Emilie, 15,000 de la Toscane, 5,000 de l’Ombrie et des Marches, 48,000 des provinces napolitaines et de la Sicile. Peu à peu d’ailleurs la diversité d’origine s’efface dans ces troupes. Au moment de la création des régimens et des brigades, on leur a donné des noms qui indiquaient la provenance des soldats, « lanciers de Milan, chevau-légers de Lucques, hussards de Plaisance, grenadiers de Naples, brigades d’Ombrie, des Marches, des Abruzzes, etc.; » mais en même temps chaque régiment recevait son numéro : le nom tend à disparaître, le numéro à prévaloir, d’autant plus que les soldats des différentes provinces se mêlent de plus en plus dans un même régiment[4].

C’est dans le rapport présenté sur le budget de la guerre pour l’année 1863 par le général Petitti, alors ministre, qu’il faut chercher les dernières données qui aient été publiées sur l’effectif de l’armée italienne. Les chiffres mentionnés dans ce rapport peuvent être considérés comme applicables à l’état de choses actuel, car ils ont été admis par le général della Rovere, qui a succédé au comte Petitti. D’après les développemens présentés par le ministre au sujet du budget de 1863, l’armée italienne, sur le pied de paix, doit comprendre 244,000 hommes, dont 161,000 d’infanterie, répartis en quatre-vingt-quatre régimens, 19,000 de cavalerie, 18,000 d’artillerie, 6,500 du génie et du train, 22,000 hommes de troupes d’administration et carabiniers (gendarmes); le reste se compose de corps sédentaires et corps accessoires. Cette armée comprend 168 officiers-généraux. En passant du pied de paix au pied de guerre, sans augmenter le nombre des régimens, mais en grossissant seulement leur effectif, l’armée doit être portée à 378,000 hommes, dont 274,000 hommes d’infanterie de ligne, 30,000 bersaglieri, 25,000 cavaliers, 31,000 soldats d’artillerie, 6,000 du génie et 10,000 du train. A cet effectif, il faut ajouter les gardes nationales mobilisables en vertu d’une loi du à août 1861, et qui doivent former deux cent vingt bataillons d’infanterie de 625 hommes chacun environ, c’est-à-dire un supplément de 137,000 combattans. On doit remarquer que cette garde nationale, instituée à une époque où la guerre est dans les éventualités familières à l’opinion publique, est entretenue dans l’idée de fournir un service actif. Ceux de ces bataillons qui ont été mobilisés dans les provinces méridionales pour la répression du brigandage ont fait un véritable service de campagne. À cette ressource vient s’ajouter celle des douaniers, qui doivent, au nombre de 14,000, passer, en cas d’hostilités, sous les ordres du ministre de la guerre. Ce n’est pas là sans doute un million de fusils, mais c’est une armée fort respectable. Si on la compare, sous le rapport de l’effectif, aux armées de la France et de l’Autriche, on trouve que, sur le pied de guerre, l’effectif italien est compris entre celui de la France et celui de l’Autriche. Le pied de guerre comporte en effet 600,000 hommes pour la France, qui a 38 millions d’habitans, et 700,000 hommes pour l’Autriche, dont la population est de 35 millions d’âmes. L’effectif italien sur le pied de paix est très inférieur à celui qu’entretient l’Autriche ; il est à peu près égal, toutes proportions gardées, à celui qu’entretient la France, et qui est de 400,000 hommes.

La formation des contingens et des réserves est d’ailleurs régie par l’ancienne loi sarde du 24 mars 1854, appliquée à tout le royaume. On appelle chaque année deux conscrits par mille âmes de population ; cela fait pour le royaume, qui compte un peu plus de 22 millions d’habitans, un contingent annuel de 45,000 soldats ; c’est à peu près le cinquième du nombre des jeunes gens qui se présentent annuellement à la conscription. Les hommes compris dans cette première catégorie sont sujets pendant onze ans au service militaire ; les cinq premières années se passent au régiment ; pendant les six autres, les soldats restent dans leurs foyers, sous condition de rejoindre les drapeaux au premier appel. Ainsi, en temps de paix, l’armée se compose des cinq dernières levées, et en temps de guerre les six précédentes, provisoirement congédiées, peuvent être rappelées. À cette réserve de la première catégorie s’en ajoute une autre. Dans chaque tirage, le second cinquième des conscrits forme une levée dite de seconde catégorie. Ces hommes, en temps ordinaire, après avoir reçu pendant six semaines l’instruction nécessaire au fantassin, sont renvoyés dans leurs foyers, où ils restent pendant cinq ans à la disposition du ministre de la guerre : c’est donc là une nouvelle réserve presque égale en nombre à la première. Les corps spéciaux qui ont besoin de soldats exercés, les bersagliers, la cavalerie, l’artillerie, le génie, le train, n’ont pas de réserve dans la deuxième catégorie.

En examinant la proportion numérique qui existe dans l’armée italienne entre les différentes armes, en comparant ces résultats à ceux que donnent les armées étrangères, et notamment l’armée française, les auteurs de l’Annuaire statistique ont fait ressortir quelques particularités intéressantes pour les tacticiens[5]. C’est d’abord la très faible proportion de cavalerie que renferme l’armée italienne. Il faut dire que l’armée française est, dans toute l’Europe, celle qui compte la cavalerie la plus nombreuse, et que c’est une opinion qui paraît s’être accréditée parmi les militaires, à la suite des dernières campagnes, qu’on pourrait sans inconvénient en supprimer une partie. La facilité qu’un pays présente pour nourrir des chevaux, la configuration des contrées qu’on peut avoir à défendre en cas d’invasion étrangère, influent naturellement sur la quantité de cavalerie qu’une armée doit entretenir, et sous ce rapport on s’explique que la France et l’Italie ne soient pas dans les mêmes conditions ; mais les chiffres font ressortir une différence vraiment considérable, et c’est aux stratégistes à se demander si, en admettant que la France pèche par excès, l’Italie ne pèche pas par défaut. Il est bon de noter d’ailleurs qu’il ne s’agit pas là d’un fait transitoire, mais bien d’un état normal. On pourrait être tenté de croire en effet que l’Italie a été au plus pressé, qu’elle a formé des fantassins avant de dresser des cavaliers ; mais il n’en est pas ainsi : il s’agit d’une proportion établie de propos délibéré par le général Petitti et acceptée par son successeur. Une remarque du même genre se présente, si on regarde les chiffres relatifs à l’artillerie ; la proportion italienne est notablement inférieure à celle qui existe dans toutes les armées de l’Europe[6]. Les généraux italiens semblent donc penser que le perfectionnement du matériel et du tir permet de réduire le nombre des pièces. Il n’est pas inutile d’ajouter qu’à défaut de la quantité, l’armée italienne paraît pouvoir compter sur la qualité des troupes d’artillerie. Pendant les campagnes de 1848 et 1849, l’artillerie piémontaise rendit les services les plus signalés, et comme, d’après un usage que l’armée sarde a transmis à l’armée italienne, des médailles militaires étaient attachées aux drapeaux des régimens qui s’étaient le mieux montrés, le corps entier de l’artillerie reçut la médaille d’or pour sa conduite pendant la guerre. L’artillerie napolitaine s’était aussi acquis une certaine réputation. Enfin on a remarqué, dans toutes les circonstances, l’aptitude extraordinaire que les volontaires italiens ont montrée pour le maniement des canons.

Les établissemens militaires ne manquent pas à l’Italie. On compte trois arsenaux généraux pour la préparation du matériel de guerre, à Turin, à Florence et à Naples, trois fonderies de canons, à Turin, à Parme et à Naples, un laboratoire de pyrotechnie à Turin; trois fabriques d’armes à Turin, à Brescia, à Torre-Annunziata (province de Naples), deux poudreries à Fossano (Piémont) et à Scafati (principauté citérieure), une raffinerie de salpêtre à Gênes, une fabrique de pontons à Pavie. Une grande activité règne dans ces divers établissemens[7].

La jeunesse italienne afflue d’ailleurs dans les écoles militaires, dont les principales sont : l’académie de Turin, qui fournit des officiers aux armes spéciales; l’école d’application d’état-major; les deux écoles d’Ivrée et de Modène, où se recrutent les officiers d’infanterie; l’école de cavalerie de Pignerole. On peut encore citer l’école normale des bersagliers, placée à Livourne, et où s’instruisent des officiers et des sous-officiers; les collèges militaires d’Asti, de Milan, de Parme, de Florence, de Naples et de Palerme (ce dernier fondé par Garibaldi), qui forment des élèves pour l’académie de Turin; les deux bataillons de fils de militaires, placés l’un à Racconnigi (Piémont), l’autre à Maddaloni (province de Naples), et qui préparent des sous-officiers. Quant à la marine militaire de l’Italie, tout en se développant depuis l’époque des annexions, elle est restée jusqu’ici dans des proportions modestes. Il n’y a point en effet de motifs urgens pour lui donner actuellement une grande extension; l’Autriche n’est point une puissance navale de premier ordre, et le commerce maritime de l’Italie, fort restreint encore, ne réclame pas la protection de nombreux bâtimens de guerre. Pour le moment, la flotte italienne comprend une petite escadre cuirassée formée de 12 frégates et 3 corvettes portant ensemble 358 canons, — 14 bâtimens à hélice, dont un grand vaisseau de 64, le Re Galantuomo 9 frégates et 4 corvettes portant ensemble 510 canons, — 15 petites corvettes à aubes et 10 bâtimens à voiles de petites dimensions, — enfin 8 canonnières à hélice armées chacune de à pièces. Cet ensemble représente 1,220 canons. Puis viennent 39 transports et avisos. Le personnel de la flotte, officiers, matelots, machinistes, etc., ne comprend pas plus de 13,000 hommes. Il y faut ajouter deux régimens d’infanterie de marine, dont on ne voit pas bien la destination, et qu’il a été question plusieurs fois de supprimer. Si on cherche le rang que l’Italie occupe parmi les puissances maritimes de l’Europe, on trouve qu’elle vient en huitième ordre, après l’Angleterre, la France, le royaume de Suède et de Norvège, la Russie, l’Espagne, la Hollande et l’Autriche. Elle occuperait cependant un rang plus élevé si on ne tenait compte que des gros bâtimens[8]. Deux écoles de marine, établies l’une à Gênes, l’autre à Naples, sont chargées de fournir des officiers à la flotte; mais elles sont peu fréquentées : elles ne comptaient ensemble en 1863 qu’une quarantaine d’élèves.

Cet examen des forces militaires de l’Italie nous montre donc qu’elle s’est mise en état de faire face aux éventualités de sa situation. Le dieu des batailles peut se réjouir de voir sur la terre d’Europe une grande armée de plus; mais une consolation reste à ceux qui ne veulent point mesurer le progrès des peuples d’après le nombre de leurs soldats : c’est que cette armée, où domine jusqu’ici l’esprit de sagesse et de modération qui distingue la nation italienne, sent elle-même qu’elle devra être considérablement réduite dès que l’indépendance sera suffisamment assurée; dès que les réductions seront possibles, elle s’y prêtera sans résistance. Que cet esprit puisse changer, si un désarmement se fait trop attendre, cela est malheureusement certain, car c’est un fait trop évident que les grosses armées, à mesure que leur existence se prolonge, s’estiment de plus en plus nécessaires, et, par l’influence qu’elles acquièrent, trouvent des facilités toujours croissantes pour s’enfler encore. La pléthore des cadres militaires, outre qu’elle ruine les budgets, nourrit la passion des combats, et il arrive alors que ce ne sont plus les armées qui sont faites pour les guerres, mais les guerres qui sont faites pour les armées. Puisse la nécessité d’entretenir près de quatre cent mille soldats ne pas devenir pour l’Italie un mal chronique! C’est le vœu qu’on forme tout naturellement dès que l’on considère la situation économique du nouveau royaume, l’état de ses finances, de son commerce et de son industrie.


III.

Que les résultats politiques obtenus par l’Italie vaillent bien quelques milliards, on l’accordera sans doute, et qu’il y ait eu un grand désordre financier à l’époque de la constitution du nouveau royaume, personne ne s’en étonnera; le moment est venu cependant où il faut régler les dépenses d’après les recettes. Les anciens gouvernemens ont laissé des budgets modestes, mais assez bien équilibrés. Les gouvernemens provisoires qui précédèrent les annexions furent entraînés à augmenter les charges du trésor. Sans parler des taxes qui se trouvaient supprimées par le fait de l’unité italienne, comme par exemple les recettes des douanes intérieures, ils renoncèrent, pour flatter les populations, à plusieurs sources de revenus; ils se hâtèrent, pendant la période de transition, de mettre le plus possible à la charge du trésor les dépenses locales, et d’assigner au contraire aux provinces des revenus qui appartenaient précédemment à l’état : ils multiplièrent les emplois, ils augmentèrent les traitemens. Tous ces précédens ont créé de véritables difficultés pour l’avenir. En 1861, il y eut un budget général présenté pour l’Italie du nord et du centre, et deux budgets spéciaux, l’un pour les provinces méridionales, et l’autre pour la Sicile. En réunissant les élémens de ces divers budgets, on arrive à un résultat qui s’exprime facilement en chiffres ronds. Au commencement de l’année 1861, la dette du nouveau royaume était d’un peu plus de 2 milliards, dont 1 milliard seulement provenait des anciens gouvernemens, tandis que l’autre appartenait à la période de la guerre et des annexions. L’année 1861 donna par elle-même un demi-milliard de recettes et 1 milliard de dépenses. C’est, comme on voit, un compte aisé à établir; la dette s’accroissait d’un demi-milliard. Il fallut dès cette année faire un premier emprunt. En 1862, on fit un seul budget pour tout le royaume; la situation ne s’améliora pas; les recettes ne furent pas supérieures à celles de l’année précédente, les dépenses s’augmentèrent de 100 millions. A la fin de cet exercice, après avoir épuisé les ressources de l’emprunt (497 millions), aliéné 200 millions de biens domaniaux ou de rente, on laissait encore pour les deux années 1861 et 1862 un déficit de 375 millions.

Il fallait aviser. L’opinion demandait énergiquement qu’un plan fût tracé pour l’avenir. En tout pays, alors même que les budgets se soldent par un excédant de dépenses, ils se votent avec un excédant de recettes. L’Italie n’en était plus là, elle était réduite à voter des budgets où la dépense était à peu près double de la recette. On ne votait pas par année, mais par douzièmes provisoires, au jour le jour; le résultat n’en était pas moins clair pour tout le monde. C’est alors que fut mis au jour, avec une grande solennité, le plan financier de M. Minghetti. Le ministre des finances demanda un intervalle de quatre années, s’étendant de 1863 à 1866, pour faire rentrer dans son fit le torrent débordé. Les principaux traits de son projet sont les suivans. Les budgets italiens sont désormais divisés, à l’exemple de la France, en ordinaire et extraordinaire. Par une série d’économies soigneusement étudiées, le ministre diminue graduellement pendant les quatre années l’écart formidable qui existe entre les dépenses et les recettes ordinaires. Les dépenses extraordinaires sont limitées à 100 millions par an. D’après ces données, les ressources que le ministre doit se procurer, pendant la période transitoire des quatre années, en dehors des recettes prévues, se montent à 1 milliard 200 millions[9]. Il y pourvoit en faisant un second emprunt de 700 millions, en émettant 150 millions de bons du trésor, en aliénant 200 millions de biens domaniaux et 150 millions de biens appartenant à la caisse ecclésiastique. De semblables plans, en attendant qu’ils allègent les finances, soulagent l’anxiété publique; en marquant la gradation des économies à réaliser ou des ressources à créer, en montrant ainsi de loin le but qu’il faut atteindre, ils permettent à chacun de contrôler la marche des services publics et de vérifier les résultats obtenus. Il serait prématuré d’émettre un avis sur l’issue qui est réservée à la tentative de M. Minghetti. L’emprunt a réussi, c’était le principal.

Le ministre poursuit avec énergie l’exécution de ses desseins. Il est bien clair, quelques économies qu’il réalise, qu’il ne peut obtenir l’équilibre cherché sans créer de nouveaux impôts. On peut citer à ce titre, comme un de ceux qui ont le plus attiré l’attention, l’impôt qui vient d’être établi sur le revenu et qui doit produire 30 millions; il porte sur les rentes inscrites, les traitemens, pensions, bénéfices ecclésiastiques, etc.; il doit se payer sur la déclaration spontanée des contribuables, et, en cas de défaut ou d’insuffisance, sur l’avis d’une commission de cinq membres instituée dans chaque commune. Tout récemment, M. Minghetti vient de soutenir dans le parlement une lutte vigoureuse pour la loi sur la péréquation de l’impôt foncier, loi qui n’avait pas seulement pour but d’égaliser l’impôt, mais aussi d’en porter le produit de 90 à 110 millions. Ce n’est pas sans peine qu’il a triomphé de tous les intérêts conjurés contre cette loi. Pour la première fois peut-être, en cette circonstance on a vu les députés voter en masse par région. La répartition de l’impôt était des plus inégales : tandis que les Napolitains et les Lombards payaient plus de 30 pour 100 du revenu de la terre, les Toscans ne payaient que 10 et les Piémontais 7. Ceux-ci ont résisté de toutes leurs forces; M. Rattazzi a attaqué le projet de loi au nom des intérêts piémontais, le baron Ricasoli est accouru du fond de sa province pour défendre la Toscane. La péréquation est maintenant un fait accompli; mais il faut ajouter que l’inégalité de l’impôt était plus ou moins compensée par des mesures locales qui exigent à leur tour un nouveau remaniement.

Quelle que soit d’ailleurs la sagesse des plans ministériels, la prospérité des budgets dépendra de l’accroissement que prendra la richesse nationale. Que l’unité politique doive féconder les germes de richesse que renfermaient les diverses parties de l’Italie, que les forces autrefois isolées s’accroissent par leur réunion, qu’il en résulte un développement industriel et commercial qui soit en rapport avec l’importance que le nouveau royaume a prise en Europe, c’est ce dont on ne saurait guère douter, et si l’on cherche dans les faits actuels les symptômes de ce développement, on n’y trouve rien que de rassurant.

Une des premières nécessités de l’Italie était de se construire sans délai un réseau de chemins de fer. La forme de son territoire exigeait que de grands sacrifices fussent faits immédiatement pour assurer la rapidité des communications entre les diverses parties du royaume. « La longueur de l’Italie, disait Napoléon à Sainte-Hélène, est trop grande pour sa largeur. Si l’Italie finissait au mont Velin, c’est-à-dire à peu près à la hauteur de Rome, et si tout le terrain compris entre le mont Velin et la Mer-Ionienne, y compris la Sicile, était transporté entre la Sardaigne, Gênes et la Toscane, on aurait un pays dont le centre serait convenablement placé par rapport au périmètre. » Napoléon en parlait, comme on voit, en homme habitué à manier facilement les territoires. C’est avec des chemins de fer, c’est avec des lignes de bateaux à vapeur, que l’Italie, devenue maîtresse de ses destinées, s’est tout de suite efforcée de remédier au défaut de sa configuration, aggravé par l’existence de l’enclave romaine. En 1859, on avait à peine achevé la grande ligne de Suse à Venise avec embranchement vers le sud sur Plaisance; il n’y avait en outre que le petit réseau toscan et quelques tronçons isolés : c’étaient en tout 1,472 kilomètres de voies ferrées. Depuis quatre ans, 1,287 kilomètres nouveaux ont été mis en exploitation. Il y a d’ailleurs 4,464 kilomètres de lignes en construction, ou décrétées et concédées. En 1868 au plus tard, le nombre des kilomètres en exploitation s’élèvera à plus de 8,000. Ce sera une moyenne de 24 kilomètres de voie ferrée par 1,000 kilomètres carrés de superficie, chiffre fort respectable, puisqu’en France cette moyenne n’est encore à peu près que de 17. Le système général du réseau italien est indiqué par la configuration de la péninsule. Plaisance d’une part, Bologne de l’autre, sont les deux têtes de ligne auxquelles aboutit tout le réseau septentrional. Deux lignes parallèles partent de ces deux villes, longeant, la première la Mer-Tyrrhénienne, la seconde la Mer-Adriatique; elles sont reliées entre elles par une dizaine de lignes transversales construites à travers les Apennins. Ce réseau ne se fait pas d’ailleurs sans que le trésor ne s’impose d’énormes sacrifices; la garantie de l’état porte sur plus d’un milliard de capital, et il est à craindre que, pendant plusieurs années, cette garantie ne soit en grande partie effective. Cependant l’initiative privée compte pour beaucoup dans le mouvement qui s’est produit. Les Italiens ont même mis une certaine coquetterie à se passer des étrangers. Dans maintes circonstances où le gouvernement, pressé d’agir, allait faire des concessions à des capitalistes français ou anglais, on a vu le parlement s’agiter, et, appliquant aux entreprises de chemins de fer l’ancienne maxime Italia fara da se, parvenir à substituer des compagnies nationales aux compagnies étrangères. A-t-il toujours eu raison de se priver ainsi d’un concours puissant? C’est ce qui ne sera prouvé que quand les œuvres commencées seront menées à bonne fin; en pareille matière, tout est bien qui finit bien. Quant aux ingénieurs italiens, ils sont à la hauteur des grands travaux qu’ils doivent conduire. Tandis qu’on a vu la Russie, l’Autriche, avoir besoin des ingénieurs français pour exécuter leurs chemins de fer, que les Espagnols, ordinairement si jaloux de tout faire chez eux par eux-mêmes, nous ont emprunté pour leur réseau un nombreux personnel, les Italiens se passent à peu près de nous. L’exécution du réseau de la péninsule présente en plusieurs points de grandes difficultés techniques. Le percement du Mont-Cenis, uniquement dirigé par des Italiens, excite la plus vive curiosité dans toute l’Europe. Il en est de même des études ou des travaux poursuivis dans les divers passages des Apennins. On ne s’étonnera point de ces résultats, si l’on réfléchit que l’art de l’ingénieur est ancien dans la péninsule : ces mêmes artistes du XVIe siècle, qui ont laissé des peintures ou des sculptures admirables, fortifiaient les villes, dressaient des cathédrales gigantesques, et modifiaient par des travaux habiles le régime des canaux ou des rivières.

En même temps que les chemins de fer, d’autres travaux se poursuivent. L’état fait beaucoup de routes : il en fait trop peut-être par lui-même, car la loi du 23 octobre 1859 a mis à la charge du trésor, dans le Piémont, dans la Lombardie et dans les duchés, les routes qui sont ordinairement laissées à l’initiative locale, et qui le sont en effet dans le reste du royaume. Les provinces du midi ont reçu, dans le cours de l’année 1863, 20 millions à titre de subvention pour construire des chemins. — Des soins intelligens ont été donnés à tout ce qui peut aider la navigation. La mer est en effet comme une grande route qui dessert une bonne partie des villes italiennes. On a amélioré non-seulement les grands ports. Gênes, La Spezzia, Livourne, Naples, Brindes, Ancône, mais encore une foule de ports secondaires et de havres inférieurs. On songe à perfectionner par de grands travaux le régime du Pô et de ses affluens. Le Pô sert en effet à une navigation intérieure qui, en se développant, peut rendre les plus grands services à la Haute-Italie : par cette voie, des bâtimens pontés remontent des rives de l’Adriatique jusqu’à Pavie et à Milan, où ils se rencontrent avec les barques venues des lacs alpestres. Parmi les travaux auxquels le Pô doit donner lieu, il faut citer en première ligne le canal Cavour. Ce grand canal, qui coûtera 53 millions et qui sera sans doute achevé dans deux ans, sortira du Pô près de Chivasso et répandra d’abondantes irrigations dans la grande plaine carrée qui est bornée au nord par les Alpes, au sud par le fleuve, à l’orient par le Tessin et à l’occident par la Dora-Baltea; il permettra en même temps de reverser sur la rive lombarde une partie des eaux du Tessin. On n’estime pas à moins de 10 millions la plus-value annuelle que cette immense entreprise doit donner aux terrains qui en bénéficieront.

La principale richesse de l’Italie a jusqu’ici consisté dans les produits naturels de son sol. Les agriculteurs italiens ont depuis longtemps une très bonne opinion de leurs travaux et de leurs méthodes. Sous l’ancien régime politique, ils étaient réduits à opérer isolément, et l’expérience acquise par les uns ne profitait guère aux autres. Ils s’éclairaient peu par l’étude des améliorations réalisées à l’étranger. Chaque territoire d’ailleurs, par suite de la division de la péninsule, était obligé de se plier à des cultures auxquelles il n’était pas propre. Aussi pouvait-on constater des résultats peu satisfaisans. La moitié environ du territoire cultivé était affectée à la production des céréales : c’est là une très forte proportion[10] ; cependant la récolte générale, comparée au chiffre de la population, ne donnait guère que 3 hectolitres par bouche. La récolte d’une année moyenne ne suffisait pas à la nourriture du pays; les meilleures ne surpassaient guère que de deux mois les besoins de la consommation. C’est encore là à peu près la situation de l’Italie; mais une répartition plus intelligente des cultures s’opère peu à peu depuis que les taxes intérieures ont disparu aux frontières des anciens états. En même temps se répandent l’habitude du drainage, l’étude de la chimie agricole, l’application de la vapeur aux travaux des champs. La statistique constate qu’un sixième de la superficie du sol est inculte. Il est vrai qu’il faut comprendre dans ce lot les Apennins, les Alpes, les lagunes, les sables; mais il n’est pas douteux qu’une notable partie de ce terrain ne puisse être restituée à la culture. Plusieurs sociétés privées se sont fondées à cet effet dans ces derniers temps. Des travaux sont entrepris dans les maremmes de la Toscane. Un particulier, le prince Torlonia, poursuit la dessiccation du lac Fucin, dans les Abruzzes, et s’il réussit, comme tout le fait croire, il aura conquis 16,000 hectares de très bon terrain d’alluvion. L’Italie a peu de prés et partant peu de bétail; surtout les races de ce bétail, dont quelques-unes étaient autrefois célèbres, comme les bœufs de l’Emilie, les races toscanes des maremmes, semblaient s’être abâtardies pour avoir été isolées ou confinées dans des espaces trop restreints. Des essais de croisement entre les races indigènes sont depuis quelques années poursuivis avec succès. Les provinces du midi renferment de nombreux troupeaux de jumens; on y amène des étalons hongrois et anglais.

L’industrie de l’Italie, l’industrie manufacturière particulièrement, est tout à fait à sa naissance. Aussi, dans le commerce avec l’étranger, les exportations ne consistent guère qu’en produits naturels, soit tout à fait bruts, soit du moins fort peu travaillés. On y voit figurer comme articles principaux les soies et chanvres grèges du Piémont et de la Lombardie, les riz des provinces voisines du Pô, les pailles de Florence, les bois de construction des Alpes et des Apennins, les huiles de Naples, les fruits, les vins, le soufre, le sumac, la garance, le borax des provinces napolitaines et siciliennes. Non-seulement l’Italie a besoin de se créer une industrie manufacturière, mais elle a même besoin de perfectionner les opérations simples et primitives que demandent les produits naturels qu’elle exporte. Quand l’Italien a donné à la terre les soins nécessaires pour en obtenir le produit, il semble que tout soit terminé, et il néglige trop de donner à son travail la dernière main. La culture du riz, fort importante dans la Haute-Italie, offre un exemple de ce défaut. Ce n’est que par des combinaisons ingénieuses et un peu factices qu’on a pu faire prospérer presque au pied des Alpes cette culture des pays chauds; il faut de grands soins pour laisser l’eau trop froide des torrens se réchauffer dans des réservoirs artificiels, pour empêcher les infiltrations de cette eau attiédie et bienfaisante, pour en tirer tout le parti possible en la promenant, suivant les besoins, d’une rizière à l’autre. Quand par ces opérations l’Italien a obtenu un riz d’excellente qualité, il néglige ou il ignore les moyens de le monder, et il laisse ainsi sa marchandise se présenter dans de mauvaises conditions sur les marchés étrangers. Une remarque analogue peut se faire au sujet des soufres naturels de Sicile, contre lesquels luttent avec avantage les soufres fabriqués à Marseille au moyen des pyrites de fer. Beaucoup d’autres faits de ce genre pourraient être cités pour montrer que des perfectionnemens, souvent faciles, dans la production intérieure donneraient au commerce italien un rapide développement.

Ce commerce compte de glorieux ancêtres, si l’on veut remonter jusqu’aux temps où les pavillons de Gênes et de Venise sillonnaient victorieusement la Méditerranée et s’aventuraient dans les parages inexplorés des deux mondes. Il est vrai qu’il est bien déchu de son ancienne splendeur et qu’il a dormi d’un long sommeil. On remarquera cependant que l’Italie compte parmi les premières puissances qui sont entrées dans les voies de la liberté commerciale : dès 1851, M. de Cavour, qui personnifiait alors l’Italie nouvelle, commençait avec les diverses nations une série de traités de commerce dont les stipulations libérales étaient faites pour plaire aux économistes. Les traités, conclus d’abord au nom du Piémont, se sont trouvés naturellement étendus à toute la péninsule, quand le royaume d’Italie a été reconnu par les diverses puissances. Il en est sans doute résulté une crise pour le commerce du nouveau royaume. Si l’on excepte la Toscane, où les théories de liberté commerciale étaient déjà appliquées, les taxes d’entrée ou de sortie des marchandises se sont trouvées brusquement abaissées dans une proportion considérable, souvent des quatre cinquièmes. Cette mesure coïncidait d’ailleurs avec la suppression de toutes les douanes intérieures. Le malaise passager qui a pu en résulter dans quelques endroits s’est perdu dans le tumulte des événemens, et l’Italie se trouve maintenant placée pour l’avenir dans de saines conditions économiques. Elle persévère naturellement dans la voie où elle est entrée, et le traité franco-italien, récemment inauguré, présente dans son ensemble la tarification la plus libérale qui ait encore été adoptée en Europe. Il est à noter que la marine marchande de l’Italie est dès maintenant très supérieure aux besoins de son commerce. Son matériel naval se compose de plus de 16,000 bâtimens à voiles jaugeant plus de 650,000 tonneaux; les pyroscaphes sont en très petit nombre, 50 peut-être, de construction toute récente, et d’assez forte contenance. Il y a, comme on voit, grande disproportion entre le nombre des bâtimens à voiles et celui des bâtimens à vapeur : c’est que le feu coûte cher à l’Italie, qui manque de houille. Outre ses relations avec l’Angleterre et la France, qui sont de beaucoup les plus importantes, et qui comprennent à peu près la moitié des échanges avec l’étranger[11], l’Italie a des rapports fréquens avec l’Orient. La langue qu’on parle le plus généralement dans les Échelles du Levant est une sorte de patois italien. Les marins de l’Italie sont estimés et recherchés, pour la composition des équipages, par tous les capitaines qui fréquentent la Méditerranée. L’Italie est une des puissances à qui, toute proportion gardée, profitera le plus l’ouverture de l’isthme de Suez; elle s’y prépare, elle noue des relations avec l’Egypte : un décret du 3 août 1862 a institué un grand service maritime entre Ancône et Alexandrie. Le pavillon italien se montre aussi d’ailleurs hors de l’Europe : des relations commerciales existent avec l’Amérique, surtout avec les républiques du Sud, et le nom de Garibaldi rappelle ces colonies italiennes que l’on peut voir établies à Buenos-Ayres et à Montevideo.

Pour en revenir au mouvement industriel qui commence à se développer sur le territoire italien, on peut dire qu’il est né dans d’heureuses circonstances, au moment où les économistes voyaient partout triompher leurs idées. Le comte de Cavour d’abord, ses successeurs ensuite, ont laissé à ce mouvement le plus de liberté possible, ils lui ont épargné la dangereuse tutelle d’une réglementation étroite. Si donc depuis quatre ou cinq années bien des tentatives infructueuses ont été faites, si un assez grand nombre de sociétés industrielles sont nées et mortes librement, le terrain se trouve comme déblayé et l’industrie commence à marcher d’un pas plus sûr. Les auteurs de l’Annuaire statistique comptent actuellement dans le royaume 377 sociétés industrielles, dont 181 anonymes et 96 en commandite, qui réunissent ensemble un capital de 1 milliard 1/2. Dans cette somme, les compagnies de chemins de fer entrent pour 1 milliard, les institutions de crédit pour 225 millions.

Ne disposant jusqu’ici que d’un capital assez restreint, l’industrie italienne doit se préoccuper d’en tirer le meilleur parti possible en perfectionnant ses institutions de crédit. Le bruit qui se fait aujourd’hui en Europe au sujet des questions de ce genre a son écho dans la péninsule, et rien ne serait plus intéressant que d’examiner, avec plus de détails que nous ne pouvons le faire ici, comment les Italiens, placés entre les séductions de la théorie et les nécessités de la pratique, ont résolu ces problèmes.

La Banque nationale est en Italie, comme en France, la pierre angulaire de l’édifice du crédit. Elle se forma d’abord par la fusion des banques de Turin et de Gênes; elle établit des sièges secondaires, à Milan en 1859, à Naples et à Palerme en 1861, et fonda successivement dix-neuf succursales dans différentes villes. Enfin en ce moment même[12] elle se réunit avec la banque toscane pour former, sous le nom de Banque d’Italie, un grand établissement privilégié. La Banque d’Italie se constitue avec un capital de 100 millions divisé en cent mille actions de 1,000 livres, dont soixante mille sont données aux anciens actionnaires de la banque sarde, quinze mille à ceux de la banque toscane; vingt mille actions doivent être offertes à la souscription publique dans l’Emilie, les Marches et les provinces méridionales; les cinq mille dernières sont mises en réserve pour le moment où a les derniers tronçons de l’Italie seront réunis au corps commun. » La banque doit avoir son centre dans « la capitale » du royaume; elle a d’ailleurs onze sièges (sedi) principaux, dont chacun régit plusieurs succursales. Le gouverneur et les deux vice-gouverneurs sont nommés par le roi. La banque a le privilège d’émettre des billets, aucune autre société ne pouvant y être autorisée que par une nouvelle loi. Ces billets sont reçus par les caisses de l’état dans les villes où il y a des sièges ou des succursales, La banque ne peut employer en fonds publics, outre son fonds de réserve, plus du cinquième de son capital. La somme des billets en circulation, jointe à celle des comptes courans payables à vue et des mandats à ordre, ne peut excéder le triple de l’encaisse métallique. Dans tous les cas, cette somme ne peut excéder le quintuple du capital, à moins que l’excédant en billets ou mandats ne soit représenté par un pareil excédant dans l’encaisse. L’état se réserve d’ailleurs le droit de demander à la banque des avances de numéraire jusqu’à concurrence de 40 millions contre dépôts de titres de fonds publics ou de bons du trésor; 15 millions sont exigibles à la première requête, le reste après avis préalable.

La banque des Deux-Siciles, désignée ordinairement sous le nom de banco di Napoli, vieil établissement qui date du XVIe siècle, a été d’abord réorganisée en 1860 par un décret de la lieutenance. Aux termes de ce décret, qui ne faisait guère que maintenir l’état existant, elle continuait à fonctionner comme banque de dépôt et d’escompte, et aussi comme banque de circulation, car elle émettait, pour les dépôts reçus, des titres qui, sous le nom de fedi di credito, circulaient comme de véritables billets de banque. Elle était chargée de certaines fonctions administratives, comme par exemple d’enregistrer tous les contrats relatifs à la propriété. Elle opérait en même temps comme trésorerie générale de l’état, des villes, des communes, des hospices, des établissemens de bienfaisance, et il y avait là une ingérence assez mal définie des divers pouvoirs publics. C’était, comme on le voit, une institution d’un caractère mixte, privée à la fois et gouvernementale. C’était surtout, dit-on, sous les anciens rois, une sorte de bouteille à l’encre; ses statuts mêmes étaient aussi obscurs que ses comptes. Tout le monde cependant s’accorde à dire que, si elle a été utile à ceux qui en tenaient les clés, elle a aussi rendu des services au public. Depuis le décret de la lieutenance, son organisation a été modifiée. Au commencement de l’année 1862, on étendit aux provinces méridionales les règlemens généraux de la comptabilité publique; alors cessèrent les opérations de trésorerie dont le banco di Napoli était chargé. Enfin un décret du 27 avril 1863 lui a ôté tout caractère officiel et en a fait un établissement privé simplement soumis à la surveillance de l’état. Après quelques réformes indispensables, cette institution a même acquis une grande importance, et les billets privilégiés de la Banque d’Italie auront à compter, dans le midi du moins, avec les fedi di credito.

Il suffit de mentionner en passant la caisse du commerce et de l’industrie, qui vit à Turin sans grand éclat. Un plus grand intérêt s’attache aux caisses d’épargne de l’Italie, à l’une surtout, celle de Milan, qui fonctionne comme une grande institution de crédit. Cette caisse a eu des commencemens modestes. Une commission centrale de bienfaisance, s’étant formée en Lombardie pour parer à une disette en 1817, se trouva avoir un excédant de fonds lorsque le fléau eut disparu. Elle fonda en 1823 la caisse d’épargne de Milan avec diverses succursales en Lombardie. Le capital qui servait à garantir les dépôts était alors de 300,000 francs. Les livrets de cette caisse, au lieu d’être nominaux, formaient de véritables titres au porteur, et tout était combiné pour en faciliter la circulation. La prospérité de cet établissement alla toujours croissant; en 1859, il avait en dépôt 50 millions; au commencement de 1863, il en comptait plus de 100. Avec ces fonds, la caisse milanaise opère à peu près comme une banque. Elle les emploie surtout en prêts sur hypothèque; sur les 100 millions dont elle peut disposer actuellement, les trois quarts ont cette destination. Ces prêts, qui étaient faits autrefois à courte échéance, sont maintenant remboursables par annuités, et de grandes facilités sont données aux emprunteurs pour combiner les conditions de leur libération. La caisse milanaise devient donc une sorte de crédit foncier, et rend à la propriété des services signalés. Elle est restée d’ailleurs une institution de bienfaisance; elle n’a pas d’actionnaires, et ses administrateurs ne reçoivent aucun traitement. Comme elle donne ordinairement 3 1/2 pour 100 à ses déposans, et qu’elle retire 4 1/2 de son argent, elle emploie un cinquième de ses bénéfices en œuvres de bienfaisance; le reste accroît le fonds de réserve appliqué à la garantie des dépôts. Dans quelques cas cependant l’administration de la caisse grossit le budget de la bienfaisance ou l’intérêt servi aux déposans[13]. La caisse d’épargne de Milan, qui dispose, comme on vient de le voir, d’un capital considérable, est de beaucoup la plus importante du royaume. On en compte d’ailleurs cent cinquante autres, dont un tiers établi depuis les annexions; celles de Toscane, des Romagnes, de l’Ombrie, des Marches, sont, comme la caisse lombarde, des institutions privées et opèrent d’une façon analogue; celles des duchés appartiennent aux communes.

Arrivé au terme de cette étude, nous ne pouvons qu’applaudir à cet esprit d’initiative individuelle et municipale qui donne à la nation italienne un de ses caractères distinctifs. Pour nous rendre compte des progrès que cette nation a réalisés depuis la guerre de l’indépendance, nous avons pris quelques exemples choisis surtout parmi les faits qui sont du domaine de la statistique. Nous avons vu quelles bases les Italiens ont cherché à donner à leur édifice administratif, comment ils ont formé leur armée, quelles sont leurs premières tentatives pour accroître la richesse nationale. En regard de ces exemples du développement matériel, il a paru inutile de placer quelques indications sur le développement intellectuel du pays, sur le mouvement des lettres, des arts, des sciences[14]. Les lettres, les arts, les sciences, l’Italie n’est-elle pas leur terre classique? Ce n’est point à cette ancienne éducatrice de l’Europe, ce n’est point à )a patrie de tant d’écrivains, de tant d’artistes, de tant de savans dont les œuvres sont devenues le patrimoine commun de l’humanité, qu’il faut demander si elle conserve encore des forces pour les productions de l’esprit et la culture des hautes études. Personne ne s’étonnera d’ailleurs qu’en ce moment l’activité intellectuelle des Italiens soit principalement absorbée par l’organisation des forces politiques et économiques du pays : à chaque jour suffit sa tâche; mais nous n’en sommes plus à penser que le développement matériel d’une société doive en étouffer le développement intellectuel. Si l’on considère dans l’histoire des nations européennes d’une part les améliorations de la vie politique et civile, ainsi que la production croissante des moyens de bien-être, et d’autre part l’accroissement des connaissances, l’épanouissement de la pensée, on reconnaît que les progrès qui sont de l’ordre des faits et les progrès qui sont de l’ordre des idées ont entre eux une relation tellement intime qu’ils s’appellent et se complètent nécessairement. De ces deux élémens de la civilisation, tantôt l’un, tantôt l’autre prédomine; mais ce que l’un gagne profite à l’autre, et c’est un caractère de notre époque que les conquêtes sociales et les conquêtes intellectuelles y ont entre elles des rapports de plus en plus étroits et immédiats. Si l’Italie, après de longs siècles d’attente, a pu enfin commencer à régler plus heureusement son existence intérieure, ne le doit-elle pas en grande partie aux sympathies, à la gloire qu’elle s’est acquises par son éclatante aptitude pour les travaux de la pensée et les arts qui embellissent la vie? Cette aptitude séculaire, favorisée par les conditions nouvelles où se trouve placée la société italienne, lui assure dans les destinées intellectuelles de l’Europe un rôle digne de son passé.


EDGAR SAVENEY.

  1. Il y a maintenant en Italie cinquante-neuf provinces, assez inégales sous le rapport de la population et de la superficie : elles ont été instituées successivement, au jour le jour, sans plan d’ensemble; peut-être faudra-t-il procéder à un remaniement général des limites de ces provinces, mais ce n’est là qu’une question secondaire.
  2. La loi électorale qui régit encore le royaume est celle du 28 novembre 1859. Les conditions requises pour être électeur sont d’être âgé de vingt-cinq ans accomplis, de savoir lire et écrire (on mitigé cet article dans l’application), de payer un cens annuel de 40 livres italiennes au moins. La loi confère d’ailleurs les droits électoraux aux professeurs des académies, universités et établissemens d’instruction secondaire, aux fonctionnaires et employés civils et militaires, aux membres des ordres de chevalerie, aux gradés des académies, aux notaires et autres officiers ministériels, etc.
  3. Le colonel Rüstow, officier au service de la Suisse, après avoir suivi comme délégué de son gouvernement dans le camp autrichien les événemens de la guerre de 1859, prit une part active à la campagne de 1860 comme colonel, puis comme général garibaldien. Il a publié en langue allemande une histoire très détaillée de tous les événemens militaires dont il fut témoin ou acteur. Cette relation, précise, minutieusement stratégique, appuyée de cartes et de plans, jouit d’une grande autorité. De l’exposé complet que le colonel Rüstow présente de la bataille du Vulturne, il résulte qu’un seul bataillon piémontais prit part à l’action vers la fin de la journée du 2 octobre.
  4. Cette armée se trouve répartie dans sept grands commandemens militaires, dont les sièges sont à Turin, à Milan, à Parme, à Bologne, à Florence, à Naples et à Palerme, l’île de Sardaigne formant un commandement accessoire. Ces grandes circonscriptions territoriales ont chacune à leur tête un général d’année, dont le grade correspond à celui de nos maréchaux de France. La hiérarchie est d’ailleurs eu tout semblable à celle de l’armée française.
  5. Si l’on exprime en centièmes la composition de l’armée italienne, on trouve que l’infanterie y entre pour 83e,8, — la cavalerie pour 6e,9, — l’artillerie pour 7e, — le génie et le train pour 2e,3. Et si l’on prend pour terme de comparaison l’organisation militaire de la France, on reconnaît que dans l’armée française l’infanterie entre pour 71e — la cavalerie pour 16e,6, — l’artillerie pour 10e, 8, — le génie et le train pour 1e,6.
  6. Le projet Petitti compte, comme artillerie de campagne, par 1,000 hommes 1 bouche à feu 3/4, tandis que l’Autriche a, pour le même nombre de soldats, 2 canons 1/8e’, la Prusse 2 canons 1/2, la France à peu près autant.
  7. On peut en juger par le travail des fonderies. Celle de Turin, dans les cinq années qui se sont écoulées de 1859 à 1863, a fondu 1,200 canons et en a rayé 1,300; celle de Naples, dans les quatre années 1860-1863, en a fondu 650; celle de Parme, établie en 1860 par le gouvernement provisoire de l’Emilie, a, depuis son origine, fondu 450 pièces et en a rayé 375.
  8. Les forces navales de l’Italie ont été réparties, par un décret du 22 février 1863, entre trois arrondissemens maritimes, dont le premier, ayant son siège à Gênes, comprend le littoral qui s’étend de la frontière française à la frontière romaine; le second, qui a Naples pour chef-lieu, s’étend de la frontière romaine au cap Sainte-Marie de Leuca et comprend la Sicile; Ancône est le siège du troisième, qui vu du cap Sainte-Marie de Leuca aux bouches du Po.
  9. Ce sont les 375 millions qui constituent, comme on l’a vu, le déficit restant à la fin de 1862, 400 millions de dépenses extraordinaires à raison de 100 millions par an, enfin 425 millions représentant, toutes moyennes faites, la somme des écarts décroissans entre les recettes et les dépenses ordinaires.
  10. Cette proportion n’est que du tiers en France.
  11. En 1861, le commerce de l’Italie avec la France a été de 318 millions à peu près, répartis également entre l’importation et l’exportation. Le commerce avec l’Angleterre pendant la même année a été de 230 millions, dont les cinq septièmes environ représentent des importations faites en Italie. Les chiffres de 1862 sont à peu près les mêmes.
  12. La loi est votée par le sénat, elle ne l’est point encore par la chambre des députés; mais le consentement de cette dernière paraît certain.
  13. C’est ainsi qu’au 1er janvier 1864 cet intérêt vient d’être porté à 4 pour 100.
  14. On trouvera d’intéressans détails sur les institutions scientifiques et universitaires de l’Italie dans l’étude d’un juge bien compétent en cette matière, M. Matteucci. Voyez la Revue du 1er octobre 1863.