Les Forces éternelles/Tout nous fuit…

Comtesse de Noailles ()
Arthème Fayard & Cie, éditeurs (p. 7-8).
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TOUT NOUS FUIT…


Tout nous fuit, l’homme meurt, les âmes ont des ailes ;
Ainsi qu’une fumée active à l’horizon
Le souffle bondit hors des charnelles prisons ;
Aux terrestres désirs l’être n’est plus fidèle !
Se peut-il ? Respirer semble une trahison !
La vie a pour soi-même une haine mortelle.
— Reverrons-nous un jour une heureuse saison,
Avec son déploiement de minces hirondelles
Et son ciel bleu versé sur les toits des maisons ?
Reverrons-nous, avec de limpides prunelles.
L’étoile qui s’entr’ouvre à la chute du jour,
Dans le soir sensitif et pareil à l’amour ?
Percevrons-nous avec une oreille paisible
Le vaporeux tissu du doux chant des oiseaux
Étincelant ainsi qu’un rayon invisible,
Et la Nuit naviguant sur le calme des eaux ?

— Destin, nous rendrez-vous, après des heures telles
Que le globe à jamais semble hostile aux humains,
L’ineffable douceur de prendre une autre main
Quand les parfums du soir lentement s’amoncellent
Sur la rêveuse paix déserte des chemins ?
Nous rendrez-vous, malgré ce qui meurt et chancelle,
Le goût naïf et sûr des choses éternelles ?…



Mars 1915.