Les Forces éternelles/Quoi ! tu crains de mourir…

Comtesse de Noailles ()
Arthème Fayard & Cie, éditeurs (p. 272-273).

QUOI ! TU CRAINS DE MOURIR…


Quoi ! tu crains de mourir, tu souhaites rester,
Ayant été splendide et pareille à l’été,
Le témoin déclinant de ce qui recommence.
— Ô cœur toujours comblé et toujours dévasté,
Pourquoi perpétuer ta rêveuse démence ?

Va, ne t’attarde pas. Sache mourir. Comment
Pourrais-tu présenter, enfant lucide et sage,
À d’éternels printemps cet orgueilleux visage
Qui, lorsqu’il affrontait le soleil par moment,
Recevait de l’azur un tendre assentiment ?

L’on meurt, et c’est cela ton angoisse suprême.
L’on meurt ; tu le savais sans le croire, dis-tu ?
Tu n’avais pas compris, près des cadavres mêmes,
Que ce repos glacé, irascible, têtu.

Serait le tien aussi. Tu te répétais j’aime,
Universellement, à jamais, pour toujours,
Depuis les temps naissants jusqu’au terme des mondes ;
Et ton esprit, en qui tout l’univers abonde,
S’assurait de durer par ce prodigue amour !
— Pauvre être, le destin n’est pas digne des hommes ;
Ô vivant incendie il te faudra périr !
Mais déjà le futur te recueille et te nomme,
Et les cœurs turbulents sembleront économes
Auprès de ton ardeur léguée à l’avenir…