Librairie internationale (p. 357-360).


XXXVIII


Cependant Robert, malgré sa promesse, n’était point allé voir Juliette.

Elle aussi commençait à expier ses fautes. Depuis son retour en France, elle avait subi une série d’humiliations et de déboires.

La première déception, la plus poignante, c’était l’abandon de Robert, dont elle avait appris enfin les relations avec la belle Toto. La seconde, c’était le silence d’Étienne, qui n’avait pas daigné répondre à ses lettres. Puis c’était l’amour de M. Rabourdet chaque jour plus explicite, plus pressant, et qu’elle ne pouvait repousser entièrement, sous peine de rester sans ressources. Enfin, une blessure plus récente avait achevé de l’abattre.

Ignorant le retentissement scandaleux qu’avait eu le procès de Bassou, elle avait cherché à renouer ses anciennes relations et envoyé des cartes ; mais ces cartes étaient restées sans réponse.

Elle fit des visites. On la reçut avec froideur. Dans certaines maisons même on l’éconduisit.

Que signifiait cet ostracisme ? Son retour en France était-il mal jugé ? Connaissait-on l’hospitalité que lui accordait M. Rabourdet ?

Abandonnée de tous, désespérée, elle se jeta dans les bras de Pierre Fromont, que pourtant elle n’aimait pas. Elle subit la cour de M. Rabourdet, qui lui faisait horreur.

Robert avait pris un appartement modeste, place de la Madeleine. Il commençait à accepter une pauvreté relative. De temps à autre, il recevait de l’argent d’une main inconnue. Qui lui adressait cet argent ? Il devina la main généreuse de Marcelle.

Pauvre Marcelle ! En pensant à lui, elle était prise de vagues terreurs. Qu’allait-il devenir ? Elle le savait, dans un besoin d’argent, capable de tout, et elle ne le voyait plus ; mais elle lui écrivait quelquefois. Elle croyait ne pas devoir l’abandonner entièrement, afin qu’il sût à qui recourir en cas d’extrême détresse.

Robert, lui, était toujours à peu près dans la même disposition d’esprit. Dégoûté de la vie quand sa bourse était vide, il reprenait goût à l’existence, dès qu’elle était remplie. Tantôt il gagnait au jeu, tantôt il perdait. Et, selon la perte ou le gain, il se voyait repoussé ou favorablement accueilli par Zoé Coulon.

Il avait aimé dans Nana la bonne fille gaie, un peu folle. Ce qui le subjuguait dans Toto, c’était sa perversité raffinée et couverte, son air royal, son regard impérieux et méchant. Plus elle le maltraitait, plus il semblait s’attacher à elle. Un soir pourtant, elle l’abreuva de tant d’outrages qu’il sortit de chez elle avec la résolution héroïque de n’y jamais rentrer.

Pour oublier cette fille, qui se jouait de ses souffrances, il se décida à revoir Juliette ; il tâcherait de ranimer cette ancienne passion.

Dès le lendemain soir, il se dirigea rue Caumartin.

Mais en route, prévoyant une scène de larmes, de reproches, prévoyant que Juliette allait se jeter à son cou, lui témoigner un amour que peut-être il ne partagerait plus, il faillit rebrousser chemin.

Juliette avait cessé de l’attendre.

Elle se tenait au salon, étendue sur un divan. Sa robe de velours noir faisait ressortir la pâleur délicate de son teint et le sombre éclat de ses yeux.

Quand on annonça M. de Luz, elle se dressa comme soulevée par un choc galvanique.

— Je n’y suis pas pour M. de Luz, dit-elle très-haut, de façon à être entendue de Robert.

Puis elle retomba, accablée par le sacrifice qu’elle venait de faire à son orgueil.

Mais Robert, forçant la consigne, entra et se précipita à ses pieds.

— Juliette ! Juliette ! s’écria-t-il, embrassant ses genoux.

La tête renversée, les yeux fermés, elle restait immobile, comme paralysée par une émotion qu’elle voulait cacher.

— Je ne vous aime plus, dit-elle enfin d’une voix étouffée. Depuis que je vous connais, je souffre par vous. Vous avez fait de moi la dernière des femmes. Savez-vous ce que je suis ? Savez-vous où m’a poussée votre abandon ? Je suis…

Elle s’arrêta, rejeta des deux mains ses cheveux en arrière. Elle se leva et s’éloigna de Robert.

— Non, n’achevez pas, Juliette. J’ai peur de comprendre, dit Robert en jetant un regard sur les splendeurs de l’appartement.

— Que comprenez-vous ? fit-elle en le toisant fièrement.

Il se rapprochait.

— N’avancez pas. Il n’y a plus rien de commun entre nous. Adieu !

Elle voulut se retirer ; mais des liens irrésistibles l’enchaînaient à sa place. Elle fit pourtant quelques pas, chancelante, alanguie.

Sa figure pâle, émue, était alors d’une beauté si souveraine, que Robert, lui aussi, invinciblement attiré, s’élança vers elle, la prit dans ses bras, la ramena au divan, se prosterna à ses pieds, couvrit ses mains de baisers violents.

Enveloppée, aveuglée par les flammes de cet amour, qu’elle ne pouvait vaincre, Juliette pardonna.