Les Femmes arabes en Algérie/Les Caravansérails. — Le désert — Laghouat

Société d’éditions littéraires (p. 188-198).


Les Caravansérails. — Le Désert. — Laghouat




Les croyances qui bercent les êtres primitifs, éveillent une ardente curiosité chez les civilisés qui bâtissent sur les hypothèses. Aussitôt débarqués en Algérie, les européens rêvent de connaître le beau pays mystérieux et magique ; seulement ils voudraient pouvoir le visiter comme ils ont visité la France et l’Italie, c’est-à-dire commodément. Ils prennent le chemin de fer pour aller voir Oran, Constantine ; d’aucuns poussent une pointe jusqu’à Biskra, toujours en chemin de fer, mais quand il s’agit, et pour cause, de quitter ce mode de locomotion usuelle dans les pays civilisés, beaucoup hésitent et finalement, renoncent à parcourir le petit désert, plutôt que de monter dans les guimbardes antédiluviennes, où les entrepreneurs de transports entassent les voyageurs.

La diligence est déjà remplie de paniers, ballots, couffins et d’arabes leurs propriétaires quand les Européens s’y empilent au point de ne pouvoir faire un mouvement, de ne pouvoir remuer un pied, pendant des heures et des heures. Ce supplice d’être ainsi pressé et forcé à la plus complète immobilité, rompt le corps et brise les nerfs.

Dans les solitudes immenses aux horizons sans fin, au silence effrayant, où l’on ne voit pas voler un oiseau, où l’on ne rencontre ni humains, ni animaux, ni arbres, où l’on a sur la tête l’éblouissant ciel bleu et l’ardent soleil et sous les yeux le sable ou le roc, on a disposé de distance en distance, pour assurer les relais des chevaux et la subsistance des voyageurs, des auberges du désert appelées caravansérails.

On ne les aperçoit pas de loin, tant ils semblent prendre soin de se dissimuler.

Ils sont formés de quatre bâtiments, parfois fortifiés, qui renferment une vaste cour au milieu de laquelle coule une fontaine ombragée de verdure. Des murs bas enclosent les bâtiments plus bas encore.

Le soir arrivent de tous côtés les diligences remplies de voyageurs, les caravanes et les convoyeurs, les longues files de chameaux chargés de marchandises et de produits précieux, les cavaliers de race et de costumes différents. Les auberges du désert qui logent toutes les nations, entendent, comme à la tour de Babel, parler toutes les langues.

Un vieil indigène, assis à l’entrée du caravansérail, accueille gracieusement tout le monde, aussi bien les pauvres fellahs, que les riches convoyeurs des régions lointaines.

Les détenteurs des caravansérails sont surveillés, inspectés, l’abri et les repas qu’ils fournissent sont taxés. C’est pour cette raison sans doute qu’ils servent à trente personnes le dîner de trois.

Ce ne sont cependant pas leurs approvisionnements qui sont coûteux. Nous avons vu le cocher de la diligence, acheter pour eux à un berger, après prix débattu, un mouton de son immense troupeau pour un franc cinquante centimes.

Tout ce qui est pris en dehors de la table d’hôte, échappe au tarif, et est par conséquent, coté un gros prix par ces hôteliers rapaces ; mais la faim et la soif, sont dans le désert trop violentes, pour pouvoir marchander.

Bien avant d’arriver au Rocher-de-Sel, le sol est saupoudré de matières blanches et étincelantes. Sur les bords des ruisselets, des ruisseaux et des rivières, se trouve aussi du sel. Enfin les yeux sont éblouis par ce spectacle féerique, une montagne de sel que le soleil dore, argente, drape des plus riantes couleurs. Le rocher de sel émerveille les voyageurs auxquels il apparaît comme un bloc de diamants et de pierres précieuses.

Après les cuvettes superposées qui se succèdent, en éveillant chez le voyageur l’idée de lacs, de mers disparus, viennent les mamelons de poussière rose, lilas, dorée, argentée, que le vent soulève en tourbillons, en faisant retentir l’air d’une musique dont vos oreilles sont émerveillées. Le phénomène des sables sonores, simule en même temps qu’un bruit de vagues, le son du tambour.

On fait des lieues et des lieues sans voir un homme. On passe une demi-journée sans apercevoir un oiseau. Solitude effrayante, silence lugubre, tel est le petit désert. On le traverse en cuisant le jour et en gelant la nuit.

L’air que l’on respire dans ces espaces immenses, est par exemple absolument salubre et fortifiant. On serait malade ailleurs, si l’on était soumis aux fatigues et aux privations de sommeil et de nourriture qu’on y endure. Là, malgré toutes les souffrances, l’énergie vitale est augmentée. Comment se fait-il, qu’un médecin entreprenant n’ait pas déjà établi dans le petit désert, un sanatorium pour anémiques ?

La diligence ayant été dans le précédent voyage attaquée, une petite troupe de gens d’armes nous escorta au mauvais passage, d’un relais à un autre des spahis galopaient à la portière et coupaient de leur brillant uniforme, la monotonie du paysage et de leurs gais lazzis, l’épouvantable silence du désert.

L’un de ces spahis enlevait une mauresque. Pour mieux dérouter son mari et les arabes partis à sa recherche, il l’avait affublée d’un costume européen ce qui la rendait disgracieuse, sans cacher son origine écrite sur sa figure et sur ses mains par le tatouage.

Cette mauresque aussi bonne mère qu’infidèle épouse, n’avait pas voulu se séparer d’une mignonnette de trois ans qu’elle mangeait de baisers. Tous les voyageurs, cela va sans dire, s’intéressaient aux amoureux.

La pauvre humanité sent si bien que dans cette triste vie, la seule chose bonne est l’amour, que son cœur va d’instinct, à ceux qui en souffrent ou qui en jouissent !

Nous eûmes bientôt à essuyer une vraie fusillade, ce n’étaient point les brigands qui avaient surgi ; mais le mari outragé qui réclamait son bien.

C’est au son de la trompe que la diligence franchit triomphalement la porte de Laghouat, tout le monde est sur le seuil pour la regarder passer. Quand on l’a vue, on la suit, on se transporte en foule au lieu où elle s’arrête. L’arrivée de cette diligence est un événement, n’apporte-t-elle pas dans ses flancs le courrier ! C’est-à-dire des nouvelles d’Alger et de la métropole ?

Laghouat est un pays étrange où rien ne ressemble à ce que l’on a vu ailleurs. Les femmes de Laghouat ont un costume de coupe théâtrale, qu’il soit fait de brocart ou de haillons, toutes, elles portent élégamment le péplum antique.

Le matin, les habitants sont réveillés par les fifres des bergers qui conduisent aux champs les immenses troupeaux de chèvres et de moutons de tous les indigènes ; ces bêtes ont suspendue au cou une clochette qui carillonne gaiement.

Puis viennent les turcos à l’uniforme pittoresque, aux musettes qui dans ces sites sauvages jouent des airs que l’on n’a jamais entendus.

On est surpris de trouver aussi bien, ce poste avancé, cette avant-garde du désert qui ne compte pas 4.000 habitants. Les rues sont larges, les maisons bien alignées construites en briques rouges sont toutes à arcades. Des jardins partout, d’où déborde la verdure, et, si ce n’étaient les carrés d’habitations arabes construites en terre séchée au soleil, sans fenêtres, sans jour extérieur, on pourrait se croire dans une ville du littoral.

La mosquée placée sur une hauteur est joliment ornée de faïences vertes.

Le lendemain de notre arrivée, on nous donna dans un jardin une branche de cerisier chargée de fruits. C’est que les arbres d’Europe croissent là-bas à l’égal des palmiers et que les jardins de légumes et d’arbres fruitiers font à Laghouat une ceinture.

En creusant le sol, on ne trouve ni sable, ni roc, ni pierres ; mais l’humus noir à la profondeur de plus d’un mètre ; aussi, avec quelle vigueur tout croît, légumes, fleurs, fruits. Il est vrai que dans ce pays brûlant, l’humidité est soigneusement entretenue autour des plantes. Les arrosements se font administrativement, à jour et heure fixe, par un ruisseau intelligemment détourné de la M’zi.

Un jour, je vis un arabe grimpé sur un palmier de notre jardin qui chantait à tue-tête. Intriguée je m’informe. On me répond que le chanteur est en train de féconder les palmiers femelles en semant sur leur tête en fleur du pollen de palmiers mâles. L’acte accompli on donne une pièce de monnaie à l’opérateur.

L’exubérance de vie qui se manifeste dans l’oasis de Laghouat, se traduit parfois désagréablement pour les habitants. Non seulement les plantes croissent et se multiplient rapidement, mais aussi les insectes, mais aussi les reptiles.

En se levant le matin, il n’est pas rare que l’on sente en mettant ses pantoufles, un obstacle froid et mou qui remue sous le pied. C’est un crapaud.

Les souris bâtissent des nids dans le sommier de votre lit, ce qui ne trouble pas peu le sommeil. Le soir quand vous lisez votre journal elles viennent par couple sur votre épaule, vous regardant curieusement en agitant la queue.

Quant aux serpents, ils sont si nombreux, qu’ils pénètrent chez vous sans façon, entrant par la fenêtre quand la porte est fermée.

Je ne parle que pour mémoire des poux que l’on trouve, en dépit de la propreté la plus méticuleuse, journellement dans ses vêtements ou dans son lit.

Malgré ces petits désagréments, Laghouat impose son souvenir, on rêve de la revoir quand on l’a déjà vue. Y sera-t-on autant attiré, quand on pourra, grâce au chemin de fer, plus facilement la visiter ?

Oui, car on voudra regarder de nouveau les étoiles qui sont à Laghouat lumineuses comme des soleils et aspirer la brise salubre du large de la mer de sable, autrement pure et tonifiante que celle des océans.