Les Femmes arabes en Algérie/L’autorité

Société d’éditions littéraires (p. 36-39).

L’autorité


Si au lieu d’interdire à tout le monde de tondre les Arabes, l’autorité algérienne tient la balance égale entre les tondeurs juifs et algériens, elle n’entend pas néanmoins refouler les indigènes ; ils sont nécessaires à son existence ; elle veut les regarder vivre, toujours parqués à part des Français.

Elle flatte leur fanatisme en les aidant à élever des mosquées ; elle met en relief leurs industries, elle fait parader dans les fêtes leurs grands chefs ; seulement, son goût pour la tradition l’empêche de ne rien changer à leurs habitudes. Son intérêt propre lui défend de songer qu’ils pourraient marcher sans lisière.

Les Arabes sont pour ces amateurs de curiosités, des jolis bibelots qu’il ne faut point remuer ; la francisation leur semble une horreur qui détruirait le pittoresque algérien.

Cette arabophilie d’artiste est fort appréciée ; aussi, colons et travailleurs ont beau demander que l’Algérie devienne hospitalière aux Français-Arabes ses propriétaires, comme elle l’est aux Italiens, Espagnols, Maltais, Anglais, Allemands, qui leur parlent en maîtres et obtiennent de préférence à eux, emplois et travaux d’État.

Les journaux porte-voix de la colonie ont beau clamer : « Nous voulons vivre libres sans tuteur et sans maître ! »

La mère-patrie, avec la cruauté d’une marâtre, continue à soumettre à des lois d’exception sa chère colonie et à l’enserrer dans des rouages administratifs inutiles, afin de faciliter de tondre les Arabes. On les tond ras ; si l’on pouvait tirer profit de leur peau, on les scalperait, tant sont mauvais les vainqueurs pour les êtres sous leur joug.

Dès qu’on ne peut pas rétrograder, réformer en Algérie le corps électoral pour le diminuer en excluant les juifs, on sera bien forcé d’étendre aux Arabes les droits civiques. Ainsi, on pacifiera la colonie et l’on obligera fonctionnaires et politiciens, qui ne sont préoccupés que d’une poignée d’individus à s’intéresser à la grosse majorité de la population.

Les Arabes francisés auront leur liberté garantie ; ils ne seront plus menacés de la matraque, du silos, du dépouillement de leurs biens et de l’exil.

Actuellement, ils ne peuvent voyager pour leurs affaires, ni aller embrasser père et mère mourants, sans l’agrément de l’autorité.

J’ai vu une musulmane perdre un important procès, parce qu’elle n’avait pu obtenir de l’administrateur la permission de se déplacer, pour aller défendre ses intérêts. Une femme ne pouvait pourtant pas être soupçonnée de voyager pour exciter à l’insurrection !