Les Femmes arabes en Algérie/L’Amour fait talisman

Société d’éditions littéraires (p. 186-188).


L’amour fait talisman




Parmi les amulettes des peuples naïfs, il en est de bien dignes d’inspirer le respect aux civilisés : telle l’amulette faite en terre pétrie de larmes qu’on porte sans cesse aux lèvres, pendant l’absence des voyageurs.

Quand les Arabes partent de chez eux pour une expédition, une guerre, un long voyage, ils ne disent adieu à aucune femme de leur famille, cela paraît-il, leur porterait malheur. Mais leurs mères, leurs épouses, leurs filles, accompagnées de parents et d’amis, les suivent furtivement, baignant de larmes la trace de leurs pas. Quand ils montent à cheval et disparaissent à l’horizon, celles qui les aiment sont courbées sur la route, pour recueillir précieusement la terre qu’ils ont foulée.

De cette terre mouillée de larmes, on fait des amulettes que tous ceux qui s’intéressent aux disparus portent sur leur cœur, comme des reliques avec la sainte croyance que ce témoignage d’affection ramènera sains et saufs les voyageurs au logis. Cet amour fait talisman, est bien suggestif. Nous n’avons pas, nous, civilisés, trouvé, pour prouver notre attachement, quelque chose d’aussi réellement touchant dans sa simplicité.

Quand un homme veut se faire aimer d’une femme indifférente, il doit porter sur lui une amulette qui a été écrite par un taleb nu, avec une plume taillée dans le bois du laurier-rose mâle, trempée dans l’encre jaune.

Un marabout renommé se fait parfois payer quatre ou cinq douros, pour écrire une amulette préservatrice des maladies ou des voleurs.

À côté des amulettes bienfaisantes, il y a des amulettes redoutables. Celles qui contiennent des poils de chacal, rendent le cœur lâche ; celles sur lesquelles on a craché trois fois, attirent la mort sur ceux qui les portent. Les Français se moquent volontiers des amulettes. Les petits sachets de cuir contenant les versets de Koran que l’on place sur le cœur, que l’on suspend au cou ou au bras, ne sont pas cependant plus ridicules que nos scapulaires et nos médailles.