Les Femmes arabes en Algérie/Durée de la gestation des musulmanes

Société d’éditions littéraires (p. 101-111).


La gestation des Musulmanes
est de cinq ans




Ayant si vif le sentiment de la liberté, la femme arabe se sent responsable. Pendant tout le temps de la gestation, elle se préoccupe de l’œuvre qui s’accomplit en elle. L’enfant qu’elle forme doit être beau ! Aussi, de même qu’un artiste qui veut reproduire un chef-d’œuvre, elle s’entoure de ce qu’il y a de plus charmant dans la création. Elle se fait apporter des gazelles qu’elle contemple tous les jours pendant des heures, elle leur lèche yeux et dents, afin que l’enfant qu’elle porte ait leurs dents blanches, leurs grands yeux caressants.

Le petit être qu’elle met au monde après ces efforts de volonté, est en général merveilleusement joli. Est-ce le soleil qui a aidé la maman à le si bien modeler ?

L’accoucheuse est en pays arabe la première venue. Quand on la voit courir à une tente on lui demande :

— Mra (femme) où vas-tu si vite ?

— Je vais, répond la musulmane interpellée, « je vais partager une existence en deux existences. » Ce qui veut dire : « Je vais accoucher une femme. »

Cette sage-femme d’occasion qui n’a reçu d’autres enseignements que ceux de la tradition et de l’expérience, complique le travail de l’enfantement au lieu de le faciliter. Elle triple, par des pratiques barbares, les douleurs des femmes qui subissent les épreuves de la maternité.

Afin d’enrayer la mortalité si grande parmi les nouvelles accouchées, on remplace, à la grande joie des indigènes, les matrones ignorantes, par des sage-femmes diplômées.

Les femmes qui donnent le jour à un fils reçoivent de leurs maris des bijoux. Celles qui mettent au monde une fille sont injuriées, maudites, battues !… Car, si l’on n’enterre plus toutes vives à leur naissance, sur le mont Abou-Doulamah, ou sur le mont Ben-Dalmate les filles, pour leur épargner les peines, attachés à la condition des femmes, comme au temps où l’aïeul du poète Farazdak les rachetait de la mort, en donnant par tête pour rançon à leurs parents deux chamelles et un chameau, la naissance des filles n’en est pas moins considérée comme un grand malheur, pour les familles pauvres.

Les femmes arabes ne consentent à devenir mères, que quand elles ont bien constaté qu’elles ne manquent de rien et peuvent vivre avec l’homme qu’elles ont épousé.[1]

À leur arrivée chez leur époux, elles se tournent, se retournent, dans la maison ou sous la tente des années. Si elles trouvent leur nid suffisamment duveteux et chaud, elles donnent le jour à un enfant, rarement à plusieurs.

Cette attente de la maternité est poétiquement interprétée. On croit que l’enfant sommeille longtemps dans le sein de sa mère avant de naître ; si bien, que la coutume attribue à un époux un enfant né cinq ans après sa mort.

En droit musulman, la grossesse d’une femme peut durer jusqu’à cinq ans. « C’est, disent les légistes, le terme maximum de la gestation indiqué par Dieu. » Cependant quelques-uns contestent ce terme et indiquent quatre ans comme le laps de temps le plus général.

Bien que le Koran soit muet à ce sujet, les cadis abondent dans ce sens ; ce qui donne lieu à beaucoup de procès.

La cour d’Alger étonne le monde arabe, chaque fois qu’elle déclare que la plus longue gestation d’une femme ne dépasse pas dix mois et déboute de leurs prétentions, les beaux-frères qui réclament de leurs belles-sœurs remariées depuis trois ou quatre ans, l’enfant qu’elles viennent de mettre au monde comme étant le fils de leur frère mort depuis cinq ans. Mais la cour d’Alger a aussi rendu des arrêts grotesques comme celui qui légitimait un enfant venu au monde plus de deux ans après la mort de son père putatif.

Les M’zabites qui émigrent pour travailler dans les villes du littoral et laissent leur femme dans leur pays d’origine, reconnaissent comme leurs, fût-ce après plusieurs années d’éloignement, les enfants qui naissent d’elles.

« L’assiégée est toujours vaincue » disent les arabes en parlant de la femme séduite.

Le Koran qui s’est souvenu que les arabes descendent d’Ismaël fils naturel d’Agar et d’Abraham (alors que leurs frères les juifs descendent d’Isaac fils légitime de Sarah et d’Abraham) n’a pas voulu qu’il puisse exister des enfants illégitimes. Les bébés que les filles Oulad-Naïl récoltent en leur vie d’aventure, sont reconnus par la tribu de leur mère et élevés par elle.

La femme arabe allaite son enfant avec des seins allongés à force d’être tirés, seins qui lui tombent jusque sur les cuisses quelquefois et qui servent autant à amuser, qu’à nourrir l’enfant.

Au lieu d’avoir comme en France leur bébé dans leurs bras, les mères marocaines les portent à califourchon sur leurs hanches, dans un pli du haïck.

Les mères arabes portent leurs enfants sur leur dos, mais seulement pour les transporter d’un endroit à un autre ; car dans la maison ou sous la tente, ils sont abandonnés à eux-mêmes nus sur la terre dénudée, ce qui les oblige à s’ingénier, à s’aider de leurs bras et de leurs jambes pour se mouvoir. Ce système d’éducation les rend vigoureux et audacieux c’est-à-dire aptes à marcher très tôt.

À Alger, dès que le petit arabe sait bien marcher, il doit rapporter à la maison des sous.

— Pourquoi, demandai-je un jour à un grand yaouled dont je me servais, pourquoi les petites filles ne sont-elles pas envoyées dans les marchés comme les petits garçons ?

— Parce que, me répondit-il, on les volerait au lieu de les acheter.

Si les petites filles ne vivent pas extérieurement comme les petits garçons, elles ne leur sont cependant pas inférieures en intelligence : une Yamina de quatre ans, possède déjà toutes les séductions d’une jeune fille. Quand un homme la taquine au lieu de pleurer comme ferait une petite européenne, elle riposte avec l’audace d’une femme.

Le chaouch d’un tribunal de la province d’Alger vint un jour, très ému, me faire cette confidence : « Croirais-tu, me dit-il, que le greffier me soutient que c’est ma femme et moi qui faisons nos enfants !… Ce n’est ni moi ni ma femme… C’est le bon Dieu ! Est-ce que l’on a jamais trouvé quelqu’un pouvant faire une bouche, un nez, des yeux ? Essaie donc, toi, ai-je répondu au greffier, essaie donc de faire une figure humaine. »

— Que t’a-t-il répliqué ?

— Le greffier ? Il s’est esclaffé de rire et tout le tribunal riait avec lui…

Ce fait seul servirait à prouver, que chez les musulmans naïfs, Malthus n’a pas d’adeptes.

Beaucoup de musulmanes trop peu formées, meurent en couches. Quant au nombre d’enfants d’époux trop jeunes qui succombent avant l’âge de six ans, il est incalculable.

En pays arabe, quand une femme stérile veut avoir un enfant elle touche du bout du doigt le lion que les marabouts promènent de douar en douar, de ville en ville, en recueillant des sous.

Ce lion dont l’attouchement a des effets si prolifiques n’est pas l’animal féroce que nous connaissons. C’est un lion doux, obéissant, bien élevé, qui a fait son éducation dans une kouba et qui remplit parfois l’Afrique du nord du bruit de ses miracles.

Les musulmanes stériles ont l’habitude de suspendre chaque mois, à un buisson bénit ou à un arbre isolé, un morceau d’étoffe imprégné de sang de leurs menstrues. C’est un moyen infaillible pour devenir féconde.

L’esclave nègre que son maître a rendue mère prend le nom d’Ouem-el-Ouled (la mère de l’enfant) et jouit des égards dus aux femmes légitimes. Son fils n’est pas bâtard mais l’égal de ses demi-frères ; comme eux il appartient à la tente, comme eux il hérite.

Quand les enfants nègres ont six ans leur mère leur grave sur la figure avec un couteau rougi au feu, des signes ineffaçables qui feront reconnaître toute sa vie à quelle peuplade il appartient.

Les traditions du matriarcat se sont conservées parmi les Touareg. Imouchar (hommes francs) chez eux l’enfant suit toujours le sang de sa mère. « C’est le ventre qui teint l’enfant dit une formule de leur droit traditionnel ». Le fils d’une mère noble et d’un père esclave est noble[2]. Le fils d’un père noble et d’une mère esclave, est esclave. Ce n’est point le fils du chef qui succède à son père mais le fils de la sœur aînée de celui-ci. C’est la loi salique renversée.

Sur la côte d’Ivoire, au Gabon, chez les Nigritiens, chez les Touareg du nord et du sud, le droit coutumier Beni-Oummia (fils de la mère) est fidèlement observé. À la mort du chef de famille, son avoir est divisé en deux parts, les « biens de justice » acquis par le labeur et les « biens d’injustice » conquis les armes à la main : Les premiers sont, disent les voyageurs, répartis également entre les enfants sans distinction de sexe. Les « biens d’injustice » reviennent en entier au fils aîné de la sœur aînée.

Quand un territoire conquis doit être distribué entre les tribus il est donné aux dames douairières de la noblesse.

Beaucoup de tribus Berbères sont Beni-Oummia (fils de la mère) ; à Rhat, le droit Berbère réserve aux femmes représentants des anciens maîtres du sol, l’administration de l’héritage ; elles seules disposent des maisons, sources, jardins et pour l’administration comme pour le commerce, elles ne sont nullement inférieures aux hommes, d’après M. Duveyrier[3]. C’est au fils de la sœur aînée que reviennent les droits de commandement sur les serfs et les redevances payées par les voyageurs.



  1. Sont-elles initiées à la méthode scientifique de M. Paul Robin ?
  2. La noblesse utérine exista en France, en la période féodale : La mère noble donnait le jour à un fils noble, le père fût-il roturier.
  3. M. Duveyrier a vécu longtemps parmi les Touareg.