Les Femmes arabes en Algérie/Arts et industries des femmes arabes

Société d’éditions littéraires (p. 117-130).

Arts et Industries des Femmes Arabes




En savourant l’holocauste des exquises Oulad-Naïl, le polygame demande à grands cris que les musulmanes se régénèrent dans le travail.

Le labeur quotidien de ses épouses est pour lui une bonne source de revenus. Voilà pourquoi il fait sur le marché la rafle des travailleuses habiles. N’est-ce pas bien placer son argent, que de payer 300 francs une épouse-ouvrière qui lui en rapporte annuellement mille ?

Certainement, la beauté prime en Afrique comme partout, mais le savoir-faire féminin y est encore plus apprécié qu’en pays civilisé. Car s’il n’est point assez riche pour avoir des esclaves, l’arabe paresseux et contemplatif s’en remet à ses femmes du soin de tisser ses vêtements, de tisser sa maison mobile, la tente et de préparer ses aliments, ce qui ne consiste pas seulement à confectionner du couscous et des gâteaux de miel, mais à moudre péniblement dans un moulin primitif, formé de deux pierres serré par un écrou, l’orge et le blé, à faire le beurre, les fagots, les peaux de boucs, à aller chercher de l’eau, à soigner les chevaux et les chameaux ; enfin, à enlever et à poser la tente dans les migrations.

Ces moukères délicates, souvent exténuées, qui doivent même tenir l’étrier à leur époux fainéant, marchent à pied, la croupe chargée d’un enfant, les bras remplis de provisions ou d’ustensiles de ménage, pendant que celui-ci se prélasse sur un cheval.

De la capacité de ses femmes dépend pour le musulman le mal-être ou le bien-être relatif. Aussi, s’il repousse pour elles l’école émancipatrice qui les soustrairait à sa tyrannie, il est tout acquis à leur développement manuel. Ce barbare qui fait profession de contempler le soleil, aime bien qu’on initie ses femmes à des travaux dont le produit favorise son oisiveté.

Justement les métiers que les femmes arabes peuvent exercer exigent, pour être lucratifs, un certain développement intellectuel. L’intérêt de l’homme finira donc par modérer son effroi de l’école féminine.

C’est bien joli de fabriquer de la poterie, avec la fine terre si variée de couleurs qui abonde en Algérie, seulement, si la musulmane pouvait ajouter à la routine qui dirige sa main, quelques notions capables d’élargir son horizon intellectuel, la glaise qu’elle pétrit triplerait de valeur.

Actuellement, dans plusieurs région les femmes arabes fabriquent des tasses, des amphores, des réchauds, des plats à faire cuire le pain, le couscous ou la viande, des vases de toutes formes. Elles vernissent leur poterie d’un composé d’huile et de résine.

Les femmes kabyles ne traînent pas seulement la charrue à la place des bœufs ; elles confectionnent des cruches qui ont cinq pieds de haut ; l’une d’elles entre dans l’intérieur du vase, pétrit la terre et lui donne la forme voulue, tandis que les autres s’occupent de l’extérieur. On retire la femme quand le vase est achevé et on le fait cuire au soleil. Les habitantes de Tougourt fabriquent de la poterie faite au tour.

Quand elles recevront, en même temps qu’une instruction élémentaire, un enseignement professionnel, les femmes arabes utiliseront le kaolin, elles deviendront des porcelainières émérites et les Algériens n’auront plus la peine de faire venir de France leur vaisselle.

Presque sur tout le territoire algérien les femmes indigènes font mouvoir des milliers de métiers, qui ressemblent à nos anciens métiers de tisserands et sur lesquels elles tissent également la laine, la soie, le poil de chèvre et de chameau, l’alfa et les filaments de palmiers nains.

Avant de tisser, elles commencent par laver la laine, non avec leurs mains, avec leurs pieds, ensuite elles la filent et enfin elles la teignent à l’aide de végétaux qui croissent en Algérie et qui, comme l’indigo, l’asfar et la garance, donnent des couleurs aussi éclatantes que solides.

L’étoffe que l’on tisse est d’autant plus forte, qu’en filant la laine, on y a mêlé plus de poils de chèvre ou de chameau.

Dans le felidg qui fait les tentes, il entre autant de poils que de laine.

La plus grande largeur des étoffes tissées par les musulmanes est de deux mètres, leur longueur moyenne est de six mètres.

Les femmes du Soûf ont sans cesse en mouvement cinq mille métiers ; elles fabriquent des haïcks, des tapis, 70.000 haouli par an qui, en moyenne, se vendent vingt-cinq francs pièce. On comprend que, dans ces conditions, l’homme ait imaginé d’avoir des troupeaux de femmes, qui lui produisent de beaux bénéfices pendant qu’il fume des cigarettes et se délecte de moka.

Les femmes de Figuig sont aussi des ouvrières habiles qui tissent le coton, la laine, et brodent les haïcks.

Les femmes Chambaa tissent et brodent également les étoffes.

Mais, les plus beaux haïcks blancs à trame de laine fine et à chaîne de soie, sont tissés par les marocaines.

Les femmes arabes n’ont pas d’ateliers pour travailler ; très ingénieuses, comme toutes les filles de la nature, elles enfoncent dans la terre quatre grands piquets, sur lesquels elles attachent des traverses en bois destinées à supporter un plafond de branches de lauriers-roses, de lentisques ou de chênes nains, les mêmes branches abritent le fond et les côtés de ce gourbi fleuri sous lequel est installé le métier à laine.

Elles ne se servent pour travailler que de leurs mains et d’un petit instrument en fer, qu’elles promènent vivement sur la trame pour régulariser le tissage.

Avec les laines mérinos, les laines fines, les musulmanes fabriquent des haïcks et des burnous, elles joignent des laines communes aux poils de chameaux, aux filaments de palmiers, et elles en tissent des toiles à tentes imperméables, d’un demi-centimètre d’épaisseur.

Le grand plaisir des femmes arabes est de fabriquer des tapis sur lesquels jouent d’éclatantes couleurs. Les Raïra et les Yamina, qui ont un tapis sur le métier, triomphent dans la tribu et sous la tente ; on vient de loin pour admirer l’œuvre et l’estimer.

Il paraît que les charmantes tisseuses musulmanes sont les ancêtres des tisseurs d’Aubusson. L’industrie et la fabrication des tapis aurait, dit-on, été importée en Europe par les Arabes qui s’emparèrent de l’Espagne et envahirent la France.

La création de la fabrique d’Aubusson serait due à une des tribus arabes battues par Charles-Martel en 739, aux environs de Poitiers.

Il y a des femmes qui savent seulement tisser, d’autres qui savent faire les dessins ; alors, les premières s’assurent les talents des secondes moyennant un franc par jour pendant les trois semaines que le tapis demeure sur le métier.

La fabrication des tapis et burnous souffre présentement de la concurrence de la métropole. Lyon et Nîmes produisent ces articles.

Les tapis arabes de haute laine de la région des plateaux sont, malgré cela, si recherchés, qu’une école professionnelle indigène pour leur fabrication a été créée à Alger par Mme Delfau. Cette école, qui reçoit de l’autorité encouragements et subventions, forme des monitrices qui vont ensuite enseigner aux femmes de leurs tribus à fabriquer des tapis au goût des Européens en leur conservant leur cachet original.

Pour que les tapis mauresques soient demandés sur les marchés européens comme les tapis indiens et persans, il suffira de diriger le sens artistique des femmes qui les fabriquent, de leur apprendre à mettre en relief leur originalité, de leur donner, par un développement intellectuel, la clef pour mieux saisir et reproduire les emblèmes et les symboles constituant l’art arabe.

Dans le Fezzan, les femmes de Gatroûn font de jolies corbeilles qui sont exportées dans toutes les oasis environnantes.

Les Ghadamésiennes brodent le cuir avec un talent inimitable.

Les femmes d’Agadès tissent les nattes et fabriquent des objets en cuir curieux.

Les fromages confectionnés par les femmes de l’Aïr sont renommés par tout le Sahara.

Les habitantes de Ouargla, des négresses pour la plupart, fabriquent les médol, grands chapeaux de paille, garnis de petits carrés de soie de toutes couleurs, que les arabes placent par-dessus turbans et chéchia.

Encore une spécialité algérienne, la broderie, sur soie ou sur batiste dite orientale.

Quand, à Alger, Mme  Luce, créatrice d’une des premières écoles arabes-françaises de filles, fut, sur l’injonction du Conseil général, forcée de transformer son institution en ouvroir, elle apprit aux jeunes mauresques à faire une broderie originale tantôt pleine, tantôt ajourée comme une dentelle et dont la régularité paraît ne pouvoir s’obtenir que mécaniquement.

Les hiverneurs étrangers paient bien cette broderie qu’ils emportent comme un souvenir de l’industrie africaine. Les expositions anglaises et américaines aiment à la faire admirer à leurs visiteurs. Des expositions françaises lui donnent la médaille d’or. Mais combien de Français et d’Algériens ignorent l’existence de cette broderie artistique, dont tous les sujets sont arabes ?

De 1862 à 1878 l’école professionnelle Luce fut soutenue par l’assistance musulmane, qui lui donnait une subvention de dix-huit cents francs par an et une maison mauresque vaste et curieuse pour logement.

En 1878, maison et subvention furent supprimés ; Mme  Luce Ben-Aben, petite-fille de Mme  Luce et sa continuatrice, dut enfermer dans son appartement — où il lui fut impossible de recevoir beaucoup d’élèves — son enseignement si profitable à l’art et à la patrie française.

Mme  Luce a le grand mérite d’aérer l’esprit de ses élèves, en même temps qu’elle dirige leurs mains. Si elle leur fait pénétrer les délicatesses que la broderie artistique comporte, si elle leur apprend à suivre, à tracer un dessin, un chiffre, un signe cabalistique, elle leur enseigne, aussi secrètement, à parler et à écrire en français. J’ai eu entre les mains des lettres de ces jeunes mauresques, qu’une écolière parisienne ne rougirait pas de signer.

Aussitôt instruites et initiées à nos mœurs, les mauresques deviennent réfractaires à la polygamie. Elles aiment mieux se prostituer que d’épouser un polygame.

Cette répulsion instinctive prouve simplement que la polygamie ne fait pas le bonheur du sexe féminin.

Bête de rapport, condamnée au labeur productif incessant d’une mercenaire ; ou bête de luxe, vouée à la perpétuelle immobilité d’une momie étendue sur des coussins ; la femme arabe, quelle que soit sa condition, est dans la maison comme sous la tente, assez indifférente aux détails de la vie intérieure. Elle n’est ni ne se sent chez elle, chez le mari.

Quelques mauresques ont cependant, parfois, comme les Européennes, des petits talents culinaires. Elles font des pâtisseries feuilletées, des gâteaux au miel, vraies feuilles de papier dorées, sucrées, transparentes, dont les autorités se délectent.

En manipulant avec méthode la farine d’orge, elles obtiennent des granules qui, cuites à la vapeur d’un consommé de volaille ou de mouton et arrosé largement d’un jus substantiel très épicé, constituent le célèbre couscous.

Le plus souvent, ce couscous, c’est l’homme qui l’apprête, les épouses qui n’ont point de serviteurs pour le préparer ne sachant cuisiner, ou ne devant point être arrachées à leur travail qui serait rémunérateur si, au lieu d’être accompli sans initiation, il était fait avec la méthode que leur inculquerait une instruction rudimentaire.

La femme arabe, dont l’industrie est le tissage, la poterie usuelle, la vannerie, la broderie du cuir, du velours, de la soie et la broderie d’art, réclame pour pouvoir gagner sa vie en travaillant, un certain développement intellectuel. Ce développement l’empêcherait-il de se ployer aux usages de sa race, aux caprices des polygames, qu’il faudrait encore le lui donner, car, en Algérie comme en France, on vit de couscous ou de pain, non de préjugés.