Les Explorations sous-marines

Les Explorations sous-marines
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 94 (p. 177-204).
LES
EXPLORATIONS SOUS-MARINES

On the Temperature and animal life of the deep sea, by W. B. Carpenter, proceedings of the Royal Institution, voI. IV.

L’océan est un monde à côté du nôtre : il nous touche par ses bords, nous voguons à sa surface; en réalité, nous avons ignoré jusqu’ici ce que dérobent ses profondeurs. Là où le regard et l’effort le plus obstiné ne servent de rien, l’esprit doit replier son aile ou prendre celle de la rêverie. C’est ce qu’avait fait autrefois Platon, dont la pensée nous arrêtera un instant à cause de la beauté idéale dont il a su la revêtir. Le contraste n’en sera que plus vif avec les procédés méthodiques de la science moderne, que nous aborderons ensuite. Le philosophe fait dire à Socrate que la terre consiste en une réunion de cavités immenses, aux parois escarpées et inaccessibles, placées à des niveaux différens et remplies de fluides, les uns plus lourds, les autres moins denses et par conséquent superficiels. L’air, plus léger que l’eau, mais moins subtil que l’éther, tiendrait le milieu entre ces fluides; les hommes y seraient plongés sans communication possible avec le monde supérieur, c’est-à-dire avec la surface terrestre véritable. Dans ces hautes régions, des êtres plus parfaits que nous vivraient au sein de l’éther lumineux. Selon Platon, de pareils êtres voient s’étendre à leurs pieds l’atmosphère, comme nous les vagues de l’océan, sans se douter qu’il existe au-dessous d’eux des hommes, des animaux et des plantes. Si nous pouvions monter plus haut que les oiseaux, jusqu’aux dernières limites de l’atmosphère, nous apercevrions sur nos têtes cet autre univers, aux yeux duquel nous sommes une mer aérienne semblable à celle que forment les eaux. Dans ce rêve de Platon, les poissons représentent les oiseaux de l’atmosphère océanique ; ils s’élèvent seulement davantage et se laissent voir à nous. Au-dessous d’eux s’épaississent les couches de l’élément liquide. À travers ces couches, les astres passent, voilés, mais encore visibles ; ils répandent une lueur affaiblie et verdâtre qui éclaire sans doute des êtres adaptés à cette demi-obscurité, et qui nous ignorent, comme nous ignorons ceux que l’éther enveloppe de son essence.

Sous cette forme poétique affectionnée par Platon, et qui touche à l’allégorie mystique sans se dégager complètement de la réalité, on retrouve des idées que la vue de la mer impose nécessairement à l’âme humaine. Ces idées sont doubles, ou plutôt elles résultent de l’association de deux séries d’images contraires réunies au sein du même élément. Lorsque l’œil glisse sur l’onde calme et bleue, ou demeure fixé sur les myriades d’êtres que renferment les eaux ; lorsque l’on admire ces algues colorées, flottantes comme des chevelures, découpées en banderoles, en filamens délicats, et au milieu d’elles les poissons errans, les crustacés qui rôdent, les mollusques, les radiaires, les zoophytes immobiles, attendant l’arrivée de la vague qui les vivifie ; lorsque la vague elle-même s’avance aussi pure que le cristal, et que, malgré son bruit, elle balance à peine ces êtres qu’elle protège et qu’elle nourrit, la mer apparaît comme l’image de la fécondité. La vie, représentée par Vénus aphrodite, sort réellement de son écume ; la mer bienfaisante épanche des trésors et baigne ses plages pour y faire surabonder la joie et le mouvement. Rien de plus gracieux sous le ciel ; cependant est-ce là véritablement la mer ? n’est-ce pas plutôt un aspect qu’elle emprunte à la terre ? Cette lisière étroite, tour à tour envahie par le flot et délaissée par lui, ce n’est encore ni la profonde mer, ni l’élément terrible : mais, si la plage se resserre sous des bords à pic, si la nuit se fait, si les mugissemens de la vague soulevée retentissent, et surtout si la pensée humaine se plonge dans les gouffres béans, la mer se révèle alors sous un aspect bien différent du premier, et l’on peut dire le seul réel. L’homme, en lutte avec ce milieu formidable auquel il a dû se confier, mais qu’il ne maîtrisera jamais, a senti dès l’origine son infirmité et son ignorance en face de la mer. Il a cherché de bonne heure des expressions énergiques pour rendre sa pensée. Chez les Hébreux, la mer, c’était l’abîme, quelque chose d’insondable, de vague et d’obscur. Dans la langue des Aryens, l’idée de la mer se confond avec celle du désert morne que rien ne termine. Pour Homère, la mer est l’élément stérile[1] que la charrue n’a jamais sillonné. Chez les latins, c’est le vastum mare, la mer immense, l’image de l’infini et de la solitude, que les femmes troyennes considèrent en pleurant :

….. Cunctœque profundum
Pontum adtepectalbant fientes…..

En effet, quoi de plus triste que cet entassement d’eaux accumulées sur d’autres eaux? Tout ce qui charme ici-bas, la lumière et le son, s’efface rapidement à mesure que l’on s’enfonce dans l’océan, « Les teintes d’azur de la surface, dit un auteur récent, font bientôt place à une lumière douce et uniforme, on pénètre par degrés dans un crépuscule rougeâtre et terne; les couleurs se fondent, s’assombrissent, et l’on arrive finalement à la nuit[2]. » Quelle que soit la limpidité exceptionnelle de certaines mers, on convient généralement qu’à 300 mètres environ l’obscurité est complète. De tout temps, les hommes ont cependant essayé d’aborder ces ténèbres, poussés soit par le lucre, soit par esprit d’audace. Le métier de plongeur est un de ceux qui exigent le plus d’adresse et entraînent le plus de dangers; la cloche à plongeur permet cependant de séjourner assez longtemps sur un point donné du fond des eaux. De nos jours, on a inventé le scaphandre, sorte de vêtement imperméable qui laisse la liberté des mouvemens, tandis que les yeux perçoivent la lumière à travers des verres solidement enchâssés dans un masque, et que l’air est transmis au moyen d’un tube. Toutes ces manœuvres, efficaces lorsqu’il s’agit d’accomplir certains travaux d’exploration et de sauvetage, témoignent certainement de la hardiesse de l’homme; mais ce n’est point par elles que nous apprendrons quelque chose sur le monde qui se cache au fond de la mer. Rien n’autorise à supposer que l’homme réussisse jamais à s’y introduire, seulement il a su employer des procédés indirects pour y parvenir; la sonde et la drague ne sont que des mains prolongées obéissant à l’impulsion qu’ion leur imprime. Intelligemment dirigées, elles vont glaner des renseignemens, recueillir des objets vivans ou inanimés, et nous instruisent sur l’état de ces régions inaccessibles. Tous les navires se servent de la sonde pour savoir sur quelle nature de fond ils se trouvent; mais à côté de cet usage journalier il en est un autre auquel cet instrument a été plus rarement appliqué d’une façon suivie et sur une grande échelle, c’est à la recherche du monde sous-marin. Ce monde, comme le nôtre, possède des conditions de climat et de température, des particularités physiques et biologiques. Les lois qui le gouvernent à ces divers points de vue méritent d’autant plus notre attention qu’il s’agit d’un milieu très différent du nôtre. Nous ne saurions avoir la pensée de résumer tout ce qui a été fait dans ces derniers temps pour éclaircir cet ordre de questions, ce serait une tâche impossible; mais, en racontant simplement les résultats obtenus chez un peuple voisin à la suite de deux expéditions dont le but unique a été d’explorer l’océan, nous montrerons sans peine l’immense portée scientifique d’une pareille entreprise, et la fécondité des premières découvertes nous paraîtra un gage assuré de celles qui suivront inévitablement, si l’on persévère dans la même voie.


I.

Il est généralement admis que le fond de la mer est conformé comme la surface terrestre, qu’il renferme des plaines, des vallées, des montagnes, des lieux unis et plats, d’autres escarpés et accidentés. Cette notion ne saurait être contestée; seulement, pour rester dans le vrai, il convient de tenir compte des différences, qui sont énormes, et font qu’en définitive le sol terrestre et le sol sous-marin se ressemblent fort peu. En effet, l’air est un gaz dont la densité est très faible, la pression à peine sensible, comparée à celle de l’eau. Par lui-même, l’air n’agit sur la superficie solide qu’en soulevant et en accumulant les matières pulvérulentes; il attaque encore certaines roches à l’aide d’une action tantôt purement physique, tantôt hygrométrique et chimique. L’air contient de l’eau à l’état de vapeur et la fait se résoudre en pluie; c’est par ce dernier phénomène surtout que l’atmosphère agit sur la surface et entraîne finalement jusqu’à la mer les matériaux meubles soit en nature, soit tenus en dissolution. Ainsi dans ce mouvement le sol terrestre perd les particules que l’eau lui arrache, tandis que la mer les reçoit pour ne les rendre jamais. Il faut en excepter les dunes qu’elle entasse sur certaines plages; en revanche, elle en ronge beaucoup d’autres. Il faut aussi tenir compte des soulèvemens qui mettent à sec certaines portions du sol marin; mais le contraire se présente également, puisque des espaces de la surface terrestre peuvent s’affaisser et disparaître sous le niveau de l’océan.

Tout va donc à la mer. Les résidus charriés par les eaux courantes se répandent dans la masse océanique, qui en opère la distribution; de là des formations sédimentaires très diverses : ici des vases marneuses, là des sables ou des galets, plus loin des argiles. La ténuité de ces matières influe sur le mode de distribution. Les plus grossières se répandent non loin des côtes, tandis que les plus fines, entraînées par les courans, s’étendent plus loin et se déposent dans les parties profondes de chaque bassin. Ces dépôts ne sont pas les seuls; ils se combinent plus ou moins et dans des proportions qui varient singulièrement avec deux autres. — C’est d’abord celui des substances dissoutes, qui s’opère généralement au sein des eaux calmes et soumises à une haute pression. Ces sortes de dépôts sont souvent très faibles, la continuité seule leur donne de l’importance à la longue; mais ils peuvent se mêler aux autres matières organiques ou inorganiques, et servent alors à les cimenter et à les convertir en une véritable roche. A côté de ces dépôts chimiques, il faut enfin placer ceux qui sont formés des dépouilles accumulées de divers êtres marins, mollusques, échinodermes, coraux, spongiaires, microphytes et microzoaires, et qui donnent lieu à des bancs, à des lits, à des vases, soit exclusivement composés de pareils débris, soit mélangés de particules d’une autre nature.

On doit à M. Delesse de curieux détails sur l’état actuel des fonds de mer de l’ancien continent[3]. La Caspienne est en parfait rapport avec l’orographie de ses côtes; profonde dans sa partie méridionale, où la vase seule se dépose, elle est encombrée de sable et tend même à se combler dans la direction du nord, où le Volga charrie incessamment des matériaux empruntés au terrain des steppes, facilement désagrégeable. Il en est de même de la Mer-Noire, où les dépôts sableux s’accumulent au nord-ouest sous l’influence du Danube et d’autres fleuves, tandis que la partie profonde vers le sud-est en est presque entièrement dépourvue. Les bancs coquilliers dans les deux mers forment des îlots disposés de préférence sur les fonds de sable à égale distance des embouchures et des grandes profondeurs.

Dans la Méditerranée, les régions profondes sont situées à l’est vers la Syrie, à l’ouest entre l’Espagne, l’Afrique et l’Italie; la vase couvre partout le fond des bassins, tandis que le sable s’étend comme une ceinture le long des rivages, disparaissant lorsque les bords deviennent escarpés, s’accumulant au pied des plages basses et à portée des embouchures. L’argile se montre sur d’autres points; elle abonde dans l’Archipel, près de Malte, le long des côtes de l’Italie et de l’Espagne, les dépôts de mollusques y sont rares. En continuant cet examen, nous verrions le sable, la vase et l’argile se partager la Baltique, mer peu profonde et faiblement salée; une bande de sable entoure aussi la péninsule ibérique du côté de l’Océan, elle y fait place ensuite à une vase où l’élément calcaire domine d’autant plus que la profondeur est plus grande, et cette profondeur s’accroît avec rapidité.

Ces notions et bien d’autres que l’on multiplierait aisément prouvent que le sol sous-marin est placé sous l’influence directe des courans et des actions de toute sorte qui y entraînent les détritus arrachés au sol terrestre. Les argiles d’une part, les sables de l’autre., sont les plus abondantes de ces matières; les hauts-fonds, les bassins circonscrits, les golfes et les plages sont les parties les plus sujettes à les retenir et à s’encombrer. Peu à peu, à mesure que l’on gagne la baute mer, on ne rencontre plus qu’une vase fine provenant des particules les plus divisées, tantôt inconsistante, tantôt mêlée de résidus organiques, tantôt consolidée par un ciment calcaire dont le temps accroît la ténacité; mais, en même temps que la profondeur augmente, les notions deviennent moins précises, les tentatives d’exploration plus difficiles, les études plus rares, et nous touchons par cela même au vif de la question que nous voulons traiter. Avant de l’aborder directement, il faut dire quelques mots sur le rôle géologique attribué aux mers; on saisira mieux l’importance des découvertes que l’on espère réaliser.

Les dépôts si variés dont nous venons de parler doivent nécessairement constituer à la longue une succession de lits accumulés, et cette superposition ne cessera de se produire tant que les couches ainsi formées n’auront pas été mises à sec, c’est-à-dire reportées à un niveau supérieur à celui des eaux de l’océan par un effet des mouvemens lents ou brusques de l’écorce du globe.. Ainsi exondés, les dépôts prennent le nom de terrains ; ils renferment naturellement les dépouilles des êtres contemporains, et ce sont eux qui fournissent aux géologues la plupart des documens sur lesquels ils s’appuient pour reconstituer le passé. Les différences si grandes que l’on observe maintenant entre les dépôts côtiers et ceux des parties profondes se retrouvent lorsque l’on examine les formations dues aux anciens bassins maritimes. C’est ainsi que de grands amas sableux et calcaréo-marneux, mêlés de coquilles brisées par la lame et connus sous le nom de molasse, ont jadis encombré un étroit chenal de l’océan miocène qui suivait la vallée du Rhône, puis celle de l’Isère, et traversait la grande plaine suisse pour aller rejoindre la vallée actuelle du Danube. Ce canal tertiaire représentait une sorte d’Adriatique, plus longue et plus sinueuse que celle qui baigne Venise, et partageait obliquement l’Europe de l’embouchure du Rhône à celle du Danube. C’était là une mer peu profonde, et le sable s’y déposait avec abondance, comme fait maintenant l’argile dans l’Adriatique. Au contraire, nous verrons se confirmer plus loin l’idée, souvent exprimée par les géologues, que la craie, cette vase uniquement composée des dépouilles calcaires d’animaux marins, a dû se former dans un bassin maritime calme et profond, protégé contre tout apport de matière détritique entraînée du rivage.

Les mers, pas plus que les surfaces continentales, ne sont à l’abri des perturbations qui agitent l’écorce terrestre; sous l’impulsion des forces intérieures, elles occupent, délaissent ou envahissent de nouveau les régions dont le niveau relatif s’élève ou s’abaisse. Soumises à l’influence des fleuves, attaquant elles-mêmes les rochers qui les bordent partout où viennent se briser leurs vagues, elles reçoivent, elles tamisent, elles remanient, et coordonnent en lits, en assises, en bancs plus ou moins réguliers, les débris abandonnés à leur action ; mais ces dépôts diminuent à mesure que s’affaiblit la cause qui les engendre, le calme croît avec la profondeur. Au sein de ces régions où la pensée même a de la peine à se transporter, la vie s’agite pourtant. Inconsciente d’elle-même, poussée par je ne sais quel instinct, obscure et trouble comme un rêve inachevé, elle possède encore des êtres en qui se manifestent ses pulsations; elle sait encore remuer, se nourrir et se multiplier. Cantonnée dans des espaces en apparence inaccessibles, elle a réussi à les occuper. Dante, achevant de parcourir les cercles infernaux, rencontre dans les derniers des âmes dont la vie est si précaire que la mort elle-même se distingue à peine d’une semblable existence; les deux termes contradictoires par excellence finissent par se confondre en un état indécis qui n’est réellement ni tout l’un, ni tout l’autre. — Telles sont à peu près ces régions sous-marines, où, au sein d’une profonde obscurité, aucune influence venue du dehors ne s’exerce, sinon d’une manière sourde et avec une lenteur excessive. A la surface du sol ou même dans les régions aquatiques exposées à la lumière, toutes les productions de la vie se contiennent mutuellement; mieux encore, elles profitent des moindres perturbations pour réagir les unes sur les autres, elles s’amoindrissent ou se multiplient tour à tour. Aussi tout varie d’âge en âge sur le globe; que ce soit l’homme ou le cours seul du temps qui se mette à l’œuvre, l’aspect du sol, celui de la nature animée, celui de la végétation et de tous les êtres qui tirent leur nourriture des plantes, rien de tout cela ne demeure stable. Les formes se succèdent, les instincts se modifient, les combinaisons passent, et plus il s’agit d’êtres élevés en perfection, plus ces révolutions sont rapides et complètes. C’est une loi à laquelle toute vie est soumise, en même temps que tous les êtres sont forcément solidaires entre eux; mais au fond de la mer immense, au milieu d’animaux la plupart immobiles, d’où viendrait le changement, tant que le liquide ambiant reste le même? Les altérations qui peuvent atteindre ses propriétés ne sauraient être que partielles et limitées ; les organismes auxquels s’en ferait sentir le contre-coup n’en seraient d’ailleurs affectés que dans une faible mesure, à raison même de leur infériorité. Parmi les motifs qui poussent les savans à sonder le fond des mers, il faut ranger l’espoir d’y retrouver les derniers survivans de plusieurs des types marins dont les couches du globe conservent l’empreinte. C’est là un aiguillon ajouté à l’attrait des explorations sous-marines dont nous allons exposer les résultats en ayant soin, avant de parler des êtres eux-mêmes, de nous attacher aux particularités physiques des lieux qu’ils habitent.


II.

La plupart des marines des nations civilisées ont exécuté systématiquement des sondages multipliés, dans la double intention de vérifier la profondeur des eaux et la nature du fond dans une zone comprise entre la plage et la haute mer; mais c’est surtout lors du relevé des côtes de l’Union américaine dans le golfe du Mexique, et par les opérations de la marine suédoise le long des plages scandinaves, que la science a pu apprécier le parti qu’elle pouvait tirer des travaux de ce genre en les utilisant à son profit exclusif. Une semblable pensée devait trouver de l’écho en Angleterre, où ce qui concerne la mer a toujours le don de passionner les esprits. En effet, une première expédition, celle du Lightning, fut organisée en 1868 et envoyée dans la mer d’Ecosse; elle n’obtint qu’un demi-succès et fut surtout contrariée par le temps ; mais elle inspira une seconde tentative pour la réussite de laquelle rien ne fut épargné, ni de la part des savans qui s’y associèrent, ni de celle des marins qui firent les derniers efforts pour atteindre à des résultats décisifs.

Cette deuxième expédition, qui ne sera probablement pas la dernière, a eu lieu durant l’été de 1869; elle était placée sous la direction du capitaine Calver, commandant le Porcupine de la marine royale, et fut divisée en trois parties, qui ont été autant de croisières scientifiques. La première, partie de Gallway, port situé sur la côte occidentale d’Irlande, et terminée à Belfast, au nord-est de la même île, au commencement de juillet, fut dirigée d’abord vers le sud-ouest, ensuite vers l’ouest et enfin au nord-ouest jusqu’au banc de Rockall. La deuxième croisière eut pour objet l’exploration de l’extrémité septentrionale du golfe de Biscaye, à 250 milles environ à l’ouest d’Ushant; la troisième et la plus importante, commencée au milieu d’août et prolongée jusqu’à la mi-septembre, acheva l’œuvre précédemment ébauchée par le Lightning en complétant ses recherches dans la zone maritime comprise entre le nord de l’Ecosse et les Féroe. Un temps magnifique favorisa jusqu’au bout cette dernière course, qui doit avant tout fixer notre attention, tant les faits qu’elle permit de constater furent nombreux et décisifs, en sorte que par eux nous aurons bientôt la clé de tout le reste.

La région maritime qui commence avec les Orcades et se prolonge jusqu’à l’entrée du large canal séparant l’Islande de la Norvège sert pour ainsi dire de vestibule à l’Océan-Arctique, dont elle subit directement l’influence; mais une influence opposée, celle du gulf-stream, vaste courant d’eau chaude, le plus puissant de ceux qui partent de l’équateur, s’y fait sentir également, de manière qu’à l’entrée du canal islando-norvégien le chaud et le froid, l’humidité tiède et l’humidité glacée, les brumes épaisses et les tourmentes de neige, les vagues venues de la ligne et les glaces arrivées du pôle, les vents du sud et les vents du nord, se livrent d’épouvantables combats, comme dans une arène toujours ouverte. On sera surpris des effets que des phénomènes aussi grandioses engendrent au sein des eaux ; à la surface et dans l’atmosphère, ils ne sont pas moins saisissans, et tous les voyageurs en ont été vivement frappés. Un ciel bas et lourd, drapé d’un rideau de brumes flottantes, déchiré par des orages, ruisselant de pluies, battu par des tourmentes, — des archipels aux massifs hardiment découpés, aux roches abruptes, aux pentes noires plaquées d’une verdure métallique, mais sans arbres, sans chaleur, quelque chose de neutre, de profondément triste, un aspect partout désolé : tel est le fond du tableau et l’impression qui se dégage de la vue des Orcades, des Shetland et des Féroe. Cette impression, les habitans mêmes la portent sur leur visage : elle s’explique, si l’on précise certaines particularités.

Le climat accuse une moyenne annuelle d’environ 7°,5[4]; il est doux en hiver, puisque la moyenne de cette saison dépasse 3 degrés (3°,61 pour les Féroe); mais les étés y sont sans chaleur, les brumes, les orages, les tourmentes, occupent les trois quarts de l’année, et découvrent rarement le soleil. Les vents du sud et ceux du sud-ouest répondent à ceux du nord-ouest, et la lutte se prolonge presque sans aucune trêve; les marées y sont formidables : les tournans ou swelchin et les roust font bouillonner les flots et tourbillonner les navires. Sur les terres, le spectacle est singulier : malgré l’absence de froids rigoureux, malgré l’humidité constante de l’atmosphère, malgré l’incomparable verdure des pentes gazonnées, l’agriculture est chétive, les légumes sont rares et maigres, les fruits presque nuls. Aucun arbre, pas même le bouleau, n’y est indigène, et ce n’est qu’avec des soins infinis que l’on élève à l’abri des murs le sorbier des oiseleurs et le frêne. Le pin de Norvège lui-même, dit M. Martins, n’a jamais vécu plus d’un an aux Shetland; le chêne et le hêtre périssent encore plus vite. Cette nature, si peu féconde par défaut de chaleur, ne manque cependant ni de charme, ni de caractère. Partout ruissellent du haut des pentes rapides, à travers les tapis d’émeraude qui les recouvrent, d’innombrables filets d’argent, intarissables comme les pluies qui les alimentent, des sources limpides s’épanchent de tous côtés et vont se réunir dans le fond des vallées, occupées par des lacs poissonneux et de vastes tourbières. Ces tourbières, ressources précieuses dans un pays dépourvu de bois, recèlent le secret des anciens âges; les troncs de très grands arbres y abondent, et démontrent que le climat de ces îles n’a pas toujours été aussi défavorable à la végétation forestière. D’ailleurs d’innombrables troupes d’oiseaux, la plupart aquatiques, couvrent les roches de la plage, tandis que le hareng, la morue, le maquereau, les phoques et même les baleines peuplent la mer. La vie animale trouve dans ces régions, où languit l’autre règne, des conditions assez favorables; il est vrai qu’il n’existe pas dans toute l’Europe de climat dont les écarts soient moins prononcés. La température de la surface océanique se maintient partout sans variations bien sensibles à 52° F.[5] (11° c). Une élévation si constante aurait lieu de surprendre à une aussi faible distance des glaces polaires, si la cause n’en était pas maintenant bien connue. C’est vainement que pour trouver une explication on a été jusqu’à invoquer l’action des feux souterrains; le gulf-stream donne la clé du phénomène. C’est lui qui pousse sur les côtes de ces îles des fruits et des bois flottés venus des parties chaudes de l’Amérique. Les produits des Antilles se mêlent ainsi aux grandes algues des mers du nord, fucus et laminaires, que le mouvement des flots rejette sur la plage, et que les habitans recueillent sous le nom de varech et de goëmon pour en retirer de la soude par la combustion.

Le gulf-stream a été récemment l’objet d’une série de recherches spéciales, exécutées sous la direction du docteur A.-D. Bache, par le coast-survey ou commission chargée du relevé général des côtes de l’Union américaine[6]. Parti des régions équatoriales et dirigé d’abord vers l’ouest, le gulf-stream pénètre ensuite dans la mer du Mexique, où il continue à s’échauffer. Il en sort en longeant la Floride et rentre dans l’Atlantique; il remonte alors vers le nord en marchant parallèlement à la côte américaine, dont il ne commence à s’écarter qu’à la hauteur du New-Jersey, pour se détourner du côté de l’est; mais, depuis le détroit de la Floride, où il se trouve resserré entre cette presqu’île et l’archipel de Bahama, jusqu’au 36e parallèle, le gulf-stream est loin de présenter la même étendue. Large seulement de 64 kilomètres à son entrée dans l’Atlantique, il se déploie en avançant vers le nord; il mesure déjà 241 kilomètres à la hauteur de Charleston, plus loin il dépasse 500 kilomètres et s’élargit encore. Le gulf-stream est divisé en plusieurs zones ou courans partiels dont la température diffère sensiblement, ou plutôt il est entremêlé de parties chaudes et froides qui forment autant de couches distinctes, chacune ayant une température propre. Un courant d’eau froide parti de la baie de Baffin et coulant du nord au sud sépare le gulf-stream de la côte américaine; les deux courans opposés se touchent par les bords. La séparation est si bien tranchée, que cette limite a reçu le nom de cold-wall ou paroi froide. Le courant d’eau froide s’élargit peu à peu comme le gulf-stream; mais, tandis que celui-ci s’épanche à la surface, l’autre gagne les profondeurs, le gulf-stream conserve longtemps une température remarquablement élevée.. A la hauteur de Sandy-Hook, à 400 ou 600 kilomètres du littoral, cette température est de 23° à 27° c. Elle se maintient entre 18° et 22° c, jusqu’à une profondeur d’environ 200 mètres. A une moindre distance des côtes, entre 200 et 300 kilomètres, la chaleur est moindre à une profondeur correspondante; elle ne dépasse guère 18° c. à la surface, 10 ou 11 au-dessous de 50 mètres, et elle tombe brusquement à 2, 3 et 4, si l’on descend au-dessous de 600 mètres, parce qu’à ce niveau on atteint le courant froid répandu au-dessous de l’autre.

Le gulf-stream, avons-nous dit, se détourne à l’est vers le 36e degré parallèle; il traverse alors de nouveau l’Atlantique, toujours plus diffus, perdant insensiblement de sa chaleur à mesure qu’il s’éloigne de son foyer, mais gagnant en surface. C’est ainsi qu’il atteint les côtes occidentales de l’Europe, où, après avoir attiédi les parages de la Bretagne, au sud-ouest de l’Angleterre et de l’Irlande, il pénètre dans la mer d’Ecosse, et finit par baigner l’Islande et la Norvège. Ses dernières effluves se font sentir jusque dans l’extrême nord, à l’île de l’Ours et au Spitzberg, avant de se perdre tout à fait. L’élévation et l’uniformité constante de la température à la surface de l’Atlantique seraient donc un effet direct du gulf-stream ; mais il semblerait ressortir de l’ensemble des observations faites sur divers points de cet océan, que le gulf-stream lui-même, au lieu de constituer un phénomène isolé et d’une nature spéciale, ne serait qu’un accident plus marqué du mouvement général portant les eaux des pôles vers l’équateur, et celles de l’équateur vers les pôles. Admettons comme vrai cet échange, dont nous discuterons les preuves : deux faits d’une parfaite évidence en résulteront nécessairement. En premier lieu, les eaux froides des mers polaires, en s’avançant vers le tropique, finiront, à raison de leur poids spécifique, par gagner le fond et s’y accumuler, tandis que, par une marche opposée, les eaux tièdes, plus légères, occuperont naturellement la surface; cette disposition relative est forcée. Le second fait n’est pas moins explicite : la disposition géographique des continens et des îles exercera sur le phénomène une influence directe, tantôt en opposant une barrière au double courant, tantôt en lui livrant un libre cours. Les deux hémisphères présentent sous ce rapport de prodigieuses différences : l’Océan-Antarctique s’étend partout sans obstacle ; il envoie ses eaux et ses glaces vers le tropique du Capricorne sans que rien entrave ce mouvement. L’extrémité méridionale, amincie en pointe, de l’Amérique et de l’Afrique, l’Asie, située presque entièrement en-deçà de la ligne par rapport à nous, bornent seules cette action, à laquelle la mer des Indes, l’Atlantique et le Pacifique ouvrent leur large sein. Nul courant limité et rapide ne pourrait se former dans de pareilles conditions; le gulf-stream ne marche et ne se maintient que par suite des barrières continentales qu’il rencontre, il obéit ainsi à la fois à l’impulsion générale, qui le pousse vers le nord, et à la direction particulière qui lui est imprimée par l’orographie des côtes. Si le gulf-stream, après son entrée dans le golfe du Mexique, y rencontrait une mer ouverte au lieu d’une ligne de côtes fermées de toutes parts, s’il n’était pas pressé au nord-ouest par le courant du Mississipi à son embouchure, au sud par les grandes Antilles, qui l’obligent de se détourner et d’aboutir au détroit de la Floride, si l’on faisait disparaître tous ces obstacles qui le maintiennent dans une direction déterminée, il s’épancherait au sein de la masse océanique; mais, tout en s’effaçant comme courant particulier, les effets auxquels il donne lieu, et qui dépendent d’une cause générale, n’en subsisteraient pas moins, bien qu’il fût peut-être plus difficile d’en apprécier l’intensité.

Les eaux arctiques ne peuvent s’écouler librement vers le sud, comme celles de l’autre pôle. L’océan glacial du nord constitue un bassin intérieur presque entièrement fermé, sauf par le détroit de Behring, par les passes qui mènent dans la baie de Baffin et par la large ouverture qui sépare le Groenland de la Scandinavie, et dont le Spitzberg occupe la partie nord, tandis que l’Islande et les Féroe en occupent l’entrée méridionale. Or, cette ouverture étant de beaucoup la plus large et la plus profonde, on conçoit que presque toute la masse des eaux arctiques suive ce chemin pour pénétrer dans l’Atlantique et se diriger de là vers le sud. En réalité, le détroit de Behring est presque fermé. La baie de Baffin donne lieu au courant particulier dont nous avons parlé, la plus grande partie des eaux froides n’éprouve aucun obstacle dans sa marche entre le Groenland et l’Islande; mais entre l’Islande et les Féroe les hauts-fonds s’élèvent presque partout, et forment une terrasse sous-marine de l’Ecosse aux Shetland et des Shetland en Scandinavie. La profondeur sur ces points ne dépasse nulle part 300 brasses. Or, comme les eaux tièdes occupent nécessairement la surface, il ne reste aux eaux froides qu’un étroit conduit, situé au sud-est de l’Islande, qui soit assez profond pour leur livrer passage. Ainsi la mer d’Ecosse, où le Lightning et le Porcupine ont successivement relevé la température à divers niveaux, constitue un champ d’exploration des mieux choisis. Située aux abords immédiats de la mer polaire, elle n’en reçoit pourtant les eaux que dans une proportion limitée et dans des conditions d’orographie sous-marine qui permettent de déterminer parfaitement la marche, le mode d’action de ces eaux et leur situation vis-à-vis de celles qui viennent du sud.

Ces eaux, si distinctes par le milieu qu’elles constituent et les animaux qu’elles renferment, se rencontrent au sein de la mer d’Ecosse, comme dans une zone frontière, au moment où, sorties également de leur domaine respectif, elles s’engagent dans des régions entièrement séparées de celles dont elles sont originaires. Mises en contact, elles coulent sans se mêler que très imparfaitement; le rôle en diffère autant que la destinée. A la surface et plus encore un peu au-dessous, jusqu’à 70 ou 80 brasses, l’influence des eaux méridionales est évidente : la température se maintient à 11° c. (52° F.) presque sans variations, ou du moins les variations sont faibles, inconstantes, explicables soit par les vents, soit par l’influence des rayons solaires. Le degré de température de cette couche superficielle est bien supérieur à celui de l’isotherme de la latitude où on l’observe. Vers le 59e degré latitude, l’eau à 400 brasses de profondeur s’est montrée plus froide de 1°,3 c. seulement que dans la partie septentrionale du golfe de Biscaye, sous une latitude plus méridionale de 10 degrés et sur un point où la température de la surface marque 18°, 2 c. (62°,7 F.). Il est impossible de ne pas attribuer à l’influence des eaux venues du midi cette surélévation qu’aucune autre cause ne vient expliquer. Le gulf-stream même ne saurait en être à lui seul la raison déterminante; sans doute il ne fait que se combiner avec la masse des eaux amenées du tropique, masse énorme, tiède jusqu’à une profondeur considérable, dont la chaleur se dissipe peu à peu à mesure que sa marche vers le nord entraîne un mélange inévitable avec les eaux polaires. Malgré ce mélange partiel, les deux courans ont été parfaitement observés lors de l’expédition du Porcupine. Les divers sondages ont prouvé qu’il existait dans ces parages deux zones juxtaposées, deux régions sous-marines distinctes, l’une froide, l’autre tiède. Ce qui arrive là ressemble en quelque sorte à ce qui se passe sur la terre lorsque des courans atmosphériques uniformes et constans, les uns chauds, les autres froids, soufflent à travers certaines régions contiguës et soumises par eux à des influences contraires. Que de contrastes ne sortent pas d’une pareille disposition! Les cantons situés sur le revers méridional des grandes chaînes, comparés aux pays placés au pied des pentes septentrionales, en fourniraient au besoin de nombreux exemples; mais les profondes différences inhérentes aux milieux respectifs interdisent ile pousser plus loin l’assimilation. Ce sont bien cependant deux climats sous-marins dont on a constaté l’existence dans le canal situé entre l’Ecosse et les Féroe, deux climats résultant de deux courans contigus. Des sondages pratiqués par le Porcupine en trente-six stations différentes, concordant avec quinze observations analogues dues à l’expédition du Lightning, ont permis de les déterminer aussi sûrement que si on y avait pénétré. La masse chaude coule à l’ouest-sud-ouest, la masse froide à l’est-nord-est du canal. A mesure que l’on s’écarte de la surface, les deux zones se prononcent graduellement; elles sont d’abord peu marquées, mais le contraste ne tarde pas à se manifester.

Dans la zone chaude, l’abaissement de la température s’opère insensiblement; à 200 brasses, les eaux marquent 8°, 2 c. (47° F.); à 400 brasses et jusqu’à 500 ou 600, elles accusent encore un minimum de 7°, 5 c. (46° F.). À cette profondeur, le sol de la zone chaude se compose exclusivement de vase à globigérines, c’est-à-dire de petits animaux de la classe des foraminifères. A 767 brasses, point qui marque la plus grande profondeur qui ait été atteinte dans cette zone, le thermomètre se maintenait encore à 5°, 2 c. (41°’ F.), et cette température n’était inférieure que d’un demi-degré à celle que l’on a constatée à la même profondeur dans le nord du golfe de Biscaye. On le voit, la zone chaude se distingue surtout par une égalité relative très prononcée dans la température de la masse. Très nettement caractérisée entre 150 et 400 brasses, elle l’est déjà moins entre 500 et 700, et, ce que l’on pouvait prévoir, les parties les plus froides sont en même temps les plus basses. Cependant, même à ce minimum de puissance calorique, le contraste est encore, bien marqué avec la zone froide, puisque la température de celle-ci, au-dessous de 200 brasses, s’abaisse rapidement jusqu’à 0° c. (32" F.), et descend même encore plus bas, jusqu’à — 1°, 3 c. (29° F.) entre 300 et 640 brasses. Cette dernière profondeur est la plus grande où l’on soit parvenu dans la zone froide sur un point situé entre les Féroe et les Shetland. Du reste les deux zones s’étendent parallèlement dans le milieu du canal des Féroe. Une assez faible distance, réduite parfois à 20 milles, les sépare; mais la transition de l’une à l’autre peut être encore plus rapide et pour ainsi dire instantanée lorsque le niveau du fond changée brusquement. Il ne faut pas oublier en effet (ce doit être pour nous un fil conducteur) que la moindre densité des eaux tièdes les amène toujours au-dessus, tandis que la masse des froides tend à descendre. C’est ainsi que, près du bord méridional du canal, la température du fond marquait 9°, 2 c. (48°,7 F.) à 190 brasses, tandis que 6 milles plus loin, la profondeur s’étant accrue subitement jusqu’à 445 brasses, la température se trouvait réduite à — 1°,1 c. Dans le premier cas, le haut-fond constituait évidemment une digue infranchissable pour le courant froid, tandis que dans le second le sol sous-marin, en s’abaissant, lui fournissait un passage. La nature même du fond de la région froide est un indice de la provenance polaire de ses eaux; la vase à globigêrines disparaît, et à sa place on observe un sable quartzeux d’origine volcanique dont les particules ont été amenées de l’île Jean-Mayen ou du Spitzberg.

En avançant vers le nord, on voit la couche tiède superficielle perdre graduellement de son épaisseur, pendant que la masse froide augmente de puissance aux dépens de la première; plus voisine de sa source, elle occupe un plus grand espace vertical. Dans la direction opposée au contraire, elle tend à se laisser recouvrir par la masse chaude venant de l’équateur. Les eaux froides versées dans le canal des Féroe se joignent à celles qui partent du Groenland et de la baie de Baffin; toutes affectent la même marche, gagnent le fond et s’y accumulent de telle façon, qu’à l’inverse de ce qui se produit au sein de l’atmosphère, le froid envahit les régions profondes de l’océan, comme il règne sur les hauteurs qui hérissent les surfaces continentales.

Les sondages du Porcupine dans la partie orientale de l’Atlantique du nord ont renversé l’opinion, souvent émise par les hydrographes, qu’au-dessous d’une certaine profondeur l’eau de la mer gardait une température invariable de 3°, 8 c. (39° F.). Ce degré marque effectivement le point de la plus grande densité de l’eau; celle-ci, comme chacun sait, se dilate insensiblement à partir de ce point jusqu’à celui de la congélation, où elle diminue en densité, tandis qu’elle augmente en volume par un brusque mouvement de dilatation. Le calme absolu qui règne dans les profondeurs, la composition chimique de l’eau de mer, et mieux encore l’énorme pression des couches supérieures, expliquent suffisamment comment l’eau peut demeurer liquide à un degré inférieur à celui de la congélation. A la faveur de certaines circonstances, on a vu l’eau pure se refroidir jusqu’à — 5° c. sans se solidifier, et un froid de — 2° à — 3° c. est presque toujours nécessaire pour glacer l’eau de mer. Au fond de la mer, les particules froides s’accumulent parce que le poids les entraîne; nulle cause ne saurait diminuer ce froid de la région inférieure, une fois établi, puisque les molécules relativement chaudes se tiennent toujours au-dessus des autres, et que celles qui s’attiédiraient parmi les froides iraient immédiatement rejoindre les premières. L’ensemble seul pourrait être réchauffé à la longue et de proche en proche ; mais il faudrait pour cela que la source d’où provient la masse froide cessât d’être alimentée, ou ne le fût que d’une façon insuffisante. Or, loin d’en être ainsi, les influences équatoriale et polaire se balancent, si la dernière ne l’emporte pas.

D’un grand nombre de sondages exécutés par le Porcupine dans trente-sept stations différentes et sur des points très divers de l’Atlantique, depuis le 47° degré latitude jusqu’au 55°, comprenant un total de quatre-vingt-quatre observations, il résulte en effet que la température, à partir de la couche immédiatement inférieure à la surface, s’abaisse régulièrement sans cesser de décroître jusqu’aux profondeurs les plus grandes que l’on ait pu atteindre. Vers 500 brasses (900 mètres), le thermomètre marque une température à peu près uniforme de 8° c. (47° F.); à 750 brasses (1,350 mètres), il descend à 5° c. (42° F.); à 1,000 brasses (1,800 mètres), il arrive à 3°, 3 c. (38° F.); à 2,000 brasses enfin, la température du fond se trouve réduite à 2°, 2 c, c’est-à-dire qu’elle excède de très peu le point de congélation. D’autres sondages, entre autres ceux qui ont été récemment exécutés par le commandant Schimmo et le lieutenant Johnson dans le même Océan-Atlantique, révèlent des faits absolument semblables, et amènent en définitive à conclure que toute la partie profonde de cet océan est occupée par une masse à peu près glacée.

Cette masse est certainement entretenue par les courans polaires; mais, si l’on en considère la puissance et surtout l’immense extension en superficie, il est permis de se demander avec M. W. Carpenter si l’Océan-Arctique, fermé comme il est, sauf dans une direction, peut fournir à lui seul une quantité d’eau suffisante pour refroidir tout le fond de l’Atlantique. L’influence combinée des deux pôles paraît ici de la plus grande probabilité en ce qui touche notre hémisphère. Rien ne limite, nous l’avons dit, l’action des eaux antarctiques, qui s’avancent jusqu’à la ligne et dépassent même le tropique du Cancer. Cette action devient visible, si l’on tient compte des sondages de sir J. Ross, dans son expédition aux mers australes, et surtout des opérations du même genre exécutées dernièrement par le vaisseau de la marine britannique l’Hydra dans la mer des Indes, entre Aden et Bombay. La couche froide a été retrouvée au fond de cette mer, et elle accusait absolument la Mme me température que dans le nord de l’Atlantique 2°,5 c. (36°,5 F.), température supérieure de très peu à la glace fondante. Le continent asiatique opposant ici une barrière insurmontable aux courans arctiques, c’est à l’influence seule du pôle austral que l’existence de la couche froide doit être rapportée, et cette influence s’étend sans doute au-delà des deux tropiques, jusque dans la partie boréale de notre hémisphère.

Il existe donc au sein des mers une vaste et double circulation dont l’activité ne se ralentit jamais. L’échange est perpétuel entre les pôles et l’équateur, et les courans grands et petits ne sont en réalité que les accidens du mouvement qui agite sans trêve le vaste océan. Ce n’est pas en vain, si l’on y regarde de près, ce n’est pas sans but déterminé que les flots succèdent aux flots. Partis du pôle, ils s’acheminent les uns après les autres, perdant la lumière de ces pâles régions, gagnant peu à peu le fond des abîmes. Ils s’y perdent enfin ; ils vont à la nuit, comme nous à la mort. Pendant que les vagues tièdes, venues des régions aimées du soleil, suivies dans leur course par une foule d’êtres vivans, étincellent et bruissent en plein soleil, les ondes froides s’enfoncent, comme celles du Léthé, dans le pays des ombres; mais, semblables en tout à celles du Léthé, une fois ensevelies, elles pourront renaître un jour à la vie et à la lumière.


III.

Dans ce milieu obscur, froid, éternellement calme, des êtres demeurent confinés, puisque la vie s’est répandue jusque dans de telles profondeurs. Vainement la réalité de leur existence a été longtemps et obstinément niée : d’heureuses découvertes, dont les plus anciennes paraissent dues aux célèbres navigateurs anglais sir John et sir James Ross, ont renversé de nos jours l’opinion scientifique qui transformait en un vaste désert le sol sous-marin au-dessous de 400 à 500 mètres à partir de la superficie; mais on peut dire que les draguages du Lightning et du Porcupine, en confirmant ces premières observations, ont amené des résultats qui nous initient aux plus intimes secrets de la vie océanique. Précisons d’abord à cet égard certaines généralités.

La distribution des êtres marins comme la distribution des animaux et des plantes terrestres en zones successives de la base au sommet des montagnes paraît frappante au premier abord. Les espèces s’arrêtent à divers niveaux à mesure qu’elles rencontrent la limite que le froid oppose à chacune d’elles : les plus capables de lui résister s’élèvent plus que les autres, les dernières finissent par disparaître vers 6,000 mètres dans les régions les plus favorisées. Au sein de la mer, des zones biologiques se succèdent aussi dans un ordre régulier et constant, mais, on peut le dire, en sens inverse, puisque la profondeur joue le rôle de l’altitude, et, comme celle-ci, amène le froid. Les êtres marins qui persistent au-dessous d’un niveau déterminé peuvent être justement comparés aux espèces qui remontent jusqu’au voisinage des neiges permanentes;, mais dans ce rapprochement il faut aussi tenir compte de différences qui sont trop marquées pour n’en pas altérer l’exactitude. Si le froid des hautes cimes arrête à la fin les animaux et les plantes, le froid du fond des mers est toujours assez modéré pour ne constituer qu’un obstacle relatif; les effets de la pression et de la rareté des gaz qui servent à la respiration n’ont rien d’insurmontable pour les animaux inférieurs, tandis que le défaut absolu de lumière affecte seulement l’un des deux règnes. De là des conséquences qui altèrent la vérité du parallèle qu’il serait si naturel d’établir entre les zones alpines et celles de la mer.

Quoi qu’il en soit, lorsque l’on quitte la plage pour s’enfoncer peu à peu dans l’océan, on observe effectivement plusieurs zones caractérisées chacune par des êtres spéciaux. Immédiatement après la zone littorale, que la marée occupe et délaisse tour à tour, vient celle des plantes marines, que peuplent également des algues, des poissons, des crustacés, des mollusques. La zone suivante, celle des corallines, aussi riche en animaux, comprend déjà moins de plantes; elle descend jusqu’à 50 mètres. Au-dessous d’elle s’étend jusqu’à 200 mètres une quatrième zone, celle des coraux des mers profondes.

Déjà rares à 50 mètres, les algues se montrent encore exceptionnellement au-dessous de ce niveau. Une algue richement colorée en vert (Udotea vitifolia) a été retirée aux Canaries d’un fond de 75 mètres p.ir M. Bory de Saint-Vincent, et d’autres espèces plus ou moins brillantes ont été recueillies par MM. Pérou et Maugé à 170 mètres. Le varec turbiné (Sargassum turbinatum) existerait même, d’après M. Bory, jusqu’à 225 mètres; il est difficile que des algues puissent se maintenir au-dessous de cette limite. Ces plantes, sous le rapport de la couleur dont elles sont revêtues, se partagent en trois groupes : celles qui sont rouges, teintées de rose ou violacées, vivent dans des eaux transparentes, à portée de la lumière, — les vertes flottent encore plus près de la surface, — les brunes, les olivâtres et les noires s’enfoncent davantage au sein de l’abîme; mais aucune algue, selon le témoignage de M. Wallich, ne s’avance au-delà de 300 à 350 mètres. Les seules diatomées, qui sont à peine: des végétaux, accumulent jusqu’à 700, peut-être jusqu’à 900 mètres, leurs enveloppes siliceuses; mais nous touchons par elles aux protophytes, c’est-à-dire à des organismes ambigus dont la véritable nature ne sera peut-être jamais fixée, tant leur structure simple les rapproche des derniers termes de la série animale. D’ailleurs il est même douteux que les diatomées puissent vivre à de telles profondeurs, où leurs dépouilles seulement se trouvent peut-être entraînées. C’est entre 300 et 400 mètres, surtout aux abords des estuaires et sous l’influence de certains courans, qu’elles se multiplient de façon à composer à elles seules des bancs entiers. Il convient d’ajouter ici une remarque due à MM. Ed. Forbes et Loven et confirmée par M. Wallich; elle est relative à l’extension en profondeur des êtres organisés, plus grande dans les mers reculées vers le nord que dans celles du midi. Non-seulement les zones successives à partir du rivage se prolongent beaucoup plus loin au sein des eaux sur les plages du Labrador et du Groenland, mais le développement de la vie ne s’y manifeste qu’à un niveau bien inférieur à celui où il atteint son maximum dans les régions plus méridionales. Les algues en particulier ne se multiplient qu’à la profondeur où elles commencent à diminuer sous d’autres latitudes. On peut fournir une explication satisfaisante de ce phénomène : en effet, s’il est vrai que beaucoup d’êtres marins paraissent indifférens à l’abaissement de la température, ou fréquentent de préférence les eaux froides, presque tous cependant périssent au contact immédiat de la glace. Or la couche superficielle des mers polaires est tellement modifiée par les eaux douces, qui s’y déversent en abondance, surtout le long des fiords et des estuaires, dans les baies et les passes où se pressent les glaces flottantes, qu’elles accusent un degré de salure très faible, ou même nul. Les eaux douces, à cause de leur moindre densité relative, tendent à se maintenir à la surface ou ne se mélangent qu’imparfaitement avec la couche des eaux salées inférieures. Dès lors on conçoit très bien que les divers organismes désertent une zone non-seulement dépourvue des principes chimiques qui constituent l’eau de mer ordinaire, mais qui par cela même est sujette à se congeler plus rapidement, — double inconvénient que ces êtres évitent en se tenant à un niveau plus bas. L’admirable limpidité des eaux polaires, souvent remarquée des voyageurs, permet à la lumière affaiblie de ces régions de faire encore sentir son influence entre 27 et 182 mètres aux puissantes laminaires qui revêtent les fonds de véritables forêts sous-marines.

Quelle que soit la limite exacte où il s’arrête, le règne végétal cesse bien avant l’autre. On rencontre encore certains poissons à 900 et jusqu’à 1,100 mètres. Ces animaux sont sans contredit les plus élevés en organisation de tous les êtres sous-marins, puisque les phoques et les cétacés sont obligés de venir respirer à la surface; ce sont eux par conséquent que les effets de la pression devraient affecter davantage. M. d’Archiac affirme effectivement, d’après des expériences récentes, l’impossibilité où seraient les poissons de supporter sans périr une pression égale à celle qui existe à 3,620 mètres de profondeur ; mais, s’il est à peu près certain que les poissons disparaissent bien avant cette limite extrême, les mollusques, les radiaires, les éponges et une foule d’organismes inférieurs persistent même au-dessous sans éprouver aucune gêne. La pression énorme supportée par ces animaux, et qui équivaut à plus de 400 atmosphères par pouce carré pour une profondeur inférieure à 4,000 mètres, reste malgré tout un grand sujet d’étonnement, puisque l’homme résiste à peine, sous la cloche à plongeur, à un accroissement de pression de 2 ou 3 atmosphères ; il faut se souvenir toutefois qu’il n’en est pas des organismes inférieurs comme des vertébrés terrestres, de l’homme en particulier. Leur corps ne renferme pas des gaz et des liquides de densité inégale. Un liquide homogène les imbibe, leur porte l’air dissous, et établit un parfait équilibre entre le fluide ambiant et le fluide circulant. On conçoit par là l’innocuité d’une pression énorme relativement à nos organes, construits pour la vie aérienne, mais sans inconvénient pour des êtres appropriés au milieu aquatique dans lequel ils demeurent plongés. La vive coloration de beaucoup de ces êtres constitue une autre sorte d’énigme qui excitait ici même, il y a quelques mois, la surprise d’un savant naturaliste[7].

Les êtres les plus curieux des eaux profondes, parce qu’ils semblent y avoir été oubliés et comme perdus, sont ceux qui se rattachent directement à des types dont on ne soupçonnait pas même l’existence, parce qu’ils passaient pour éteints. Retirés au fond des solitudes sous-marines, ces types, grâce à un isolement relatif, ont pu survivre à tous les événemens. Il en est ainsi de la famille des crinoïdes ou encrines, qui constituent un des types les plus singuliers de tout le règne animal. Tout ce que l’imagination peut rêver de plus gracieux et de plus paradoxal par l’association des deux règnes se trouve ici réalisé comme à plaisir : une tige longue, mince, flexible, articulée, attachée au sol par une base fixe, mais susceptible de balancement et surmontée d’une couronne de rameaux contractiles, disposés en étoile autour d’une cavité qui contient la bouche et les viscères, telle est la plante animée et fleurie que l’on a comparée à un lis vivant[8], et qui peuplait de ses colonies innombrables le fond des mers primitives. Les crinoïdes, expression transitoire d’un monde encore voisin de son berceau, ont disparu peu à peu devant des types plus jeunes et plus parfaits, dont aucun cependant ne les surpasse en élégance. Aux derniers représentans de ce groupe, aujourd’hui très rares et dispersés çà et là de la mer des Antilles à l’Océan-Pacifique et jusque le long des côtes de Norvège, les draguages du Porcupine ont ajouté une nouvelle espèce qui se rattache à la tribu jurassique des apiocriniens, et séjourne au-dessous de 2,400 brasses (4,320 mètres). Les fonds bas et froids se sont encore trouvés habités par un spongiaire dont l’axe, ferme à l’intérieur, mou et coloré en vert pâle à l’extérieur, se divise dans le haut en plusieurs branches comme un arbuste. Il est singulier qu’une espèce à peu près semblable ait été découverte par M. le comte Pourtalès dans le golfe du Mexique, et fournisse une nouvelle preuve de la diffusion des êtres au fond de l’océan, où les conditions tendent partout à s’égaliser.

Mais comment s’arrêter à considérer un à un les habitans, si divers, si mêlés, si singulièrement associés, qui couvrent les régions sous-marines ? Les pages succéderaient aux pages, les questions surgiraient à l’envi, tant le passé et le présent se coudoient au sein de ces populations, que tantôt des courans, tantôt des conditions de milieu, ou des natures de fonds variées comme leurs aptitudes, ou bien encore des révolutions dont le secret est à jamais perdu, ont entraînées sur les points où on les observe. Plus tard, l’homme, avec son ardente curiosité, qui sait à l’aiguillon qui la presse ajouter encore la patience des générations et l’emploi d’une méthode sûre, débrouillera ces populations confuses, saisira leur caractère, et, déchiffrant leur histoire, remontera par elle à des événemens dont l’antiquité est incalculable. La liaison intime des phénomènes actuels et des phénomènes anciens éclate à chaque exploration nouvelle. C’est l’espoir de percer les voiles du temps passé qui a constamment soutenu les efforts des Agassiz, des Pourtalès, des Carpenter, dirigé leurs sondages à travers le gulf-stream et l’Atlantique, et ce qu’on n’avait fait qu’entrevoir jusqu’ici s’est trouvé subitement éclairé.

L’océan par le fait est un livre au moyen duquel la plupart des questions géologiques peuvent être commentées avec fruit. Les terrains et les couches que nous étudions avec tant de labeur se sont formés au fond des mers d’autrefois, souvent sous de hauts niveaux, et par conséquent ce n’est pas uniquement par l’observation des zones côtières, ni même des petits bassins, que l’on apprendra comment ont vécu les êtres dont les dépouilles nous ont été transmises. C’est à ce point de vue surtout que doit être appréciée l’importance des foraminifères ou rhizopodes, qui sont les êtres les plus nombreux des régions inférieures, sauf sur les points où la température s’abaisse jusqu’à se rapprocher du point de congélation, et qui y foisonnent de manière à composer à eux seuls une sorte de boue vivante. On a souvent décrit ces petits êtres. rangés parmi les protozoaires, c’est-à-dire à l’extrême base de l’animalité. Il suffira de rappeler ici qu’ils ne possèdent ni ouverture extérieure, ni aucun viscère, qu’ils sont formés d’une masse homogène ayant la consistance d’une gelée semi-fluide et que l’on nomme sarcode. Leur corps, réduit aux élémens les plus simples, ne possède d’autre organe que des prolongemens ciliaires ou pseudopodes, qui servent à entretenir le mouvement et la vie. Ces filamens, transparens comme du verre, passent par les ouvertures dont est criblé le tégument calcaire ou siliceux que ces animaux sécrètent, soit à la façon des coquilles de mollusques, soit par l’agglutination des particules sableuses au moyen d’une humeur visqueuse. La diversité, l’abondance, la petitesse de ces animaux, sont extrêmes, et leurs dépouilles s’accumulent partout au fond des mers. Leur polymorphie est si grande qu’il est impossible chez eux d’arrêter les limites des genres et des espèces, si toutefois il en existe ; il semblerait que dans ce groupe les caractères, devenus plus mobiles, perdent leur importance relative et opèrent des transitions tellement multiples qu’elles échappent à l’analyse. Le rôle des foraminifères, si saillant dans l’ordre actuel, où leurs dépouilles existent par myriades dans le sable des mers, a été plus considérable encore dans le passé du globe. Des formations entières, comme celles du coral-rag, du grès vert et surtout de la craie, dont la blancheur tranche de si loin au flanc déchiré des buttes de la Champagne, sont dues aux accumulations de ces animaux. Presque toujours invisibles à l’œil nu, les coquilles des foraminifères sont d’une finesse et d’une transparence excessives. Les plus petites échappent à la destruction par leur faible dimension ; placées sur le porte-objet du microscope, elles étalent leurs formes élégantes, indéfiniment variées, et les ciselures de leur surface. Quelquefois le même type se répète à satiété, de façon que la vase entière ne soit qu’un assemblage d’individus pareils amoncelés sans terme. D’autres coquilles, relativement plus grandes, mesurent 2 à 3 millimètres de longueur ; les géans du groupe excèdent parfois un diamètre de 2 à 4 centimètres ; la plupart sont fossiles, comme les goniolines et les nummulites. Celles-ci sont tellement répandues qu’elles ont donné leur nom à une formation dont la puissance est énorme, puisque à partir des Pyrénées et des Alpes on la suit jusqu’en Orient et en Égypte, pour la retrouver plus loin dans le fond de l’Asie, en Chine et sur les contre-forts de l’Himalaya. Les trois principales pyramides ont été taillées dans une roche pétrie de nummulites. À l’époque où ces foraminifères se sont ainsi multipliés dans une proportion infinie, un océan s’étendait sur la plus grande partie de l’ancien continent et leur ouvrait son large sein ; c’était l’océan éocène, et avant l’océan éocène celui de la craie avait occupé à peu près les mêmes régions : il avait aussi renfermé des populations innombrables de foraminifères, mais d’un aspect et dans des conditions bien différentes, puisque les roches nummulitiques affectent des teintes variées et surtout le gris jaunâtre, tandis que les vases à foraminifères qui ont donné lieu à la craie étaient d’un blanc laiteux dont rien n’altère la pureté. Avant d’avoir eu la pensée de soumettre la craie à l’examen microscopique, on se perdait en conjectures touchant l’origine et la vraie nature de cette substance à la fois pulvérulente et onctueuse au toucher, susceptible pourtant d’acquérir une certaine cohésion, parfois d’être taillée et polie; comment les débris triturés des coraux et des mollusques seulement avaient-ils pu subir l’action des vagues en mouvement, être réduits à l’état de résidus impalpables et devenir une bouillie homogène sans qu’aucun élément étranger fût venu s’y mêler? Ces singularités et bien d’autres sont tombées dès que l’étude des foraminifères actuels, inaugurée par M. Alcide d’Orbigny, eût conduit à les retrouver dans les anciens dépôts. Dès lors plus d’étonnement à concevoir sur le mode de formation de la craie, engendrée autrefois sous des eaux calmes et profondes et due au développement d’une multitude de foraminifères, surtout de globigèrines. Ce dernier genre, dont la coquille est formée, ainsi que l’annonce le mot lui-même, de plusieurs loges sphériques, vit encore dans les mers actuelles; mais on était loin de supposer, avant les dernières découvertes, que l’on retrouverait de nos jours la craie elle-même en voie de dépôt, et accompagnée des mêmes formes animales qui la caractérisaient autrefois.

Les boues à globigérines qui occupent une grande partie du fond de l’Atlantique, et paraissent en relation avec le gulf-stream, ne diffèrent en rien de la craie. C’est la même nature de sédiment et aussi la même apparence, celle d’une bouillie laiteuse, comparée par M. W. King à de la laitance de poisson. Ces boues ont été retirées en grande abondance, en même temps que des mollusques, des échinides et des radiaires très ressemblans aux espèces fossiles de la craie, d’une profondeur de 767 brasses. La liaison paraît tellement évidente à M. W. Carpenter, qu’il n’hésite pas à reconnaître dans les espèces des boues à globigérines la descendance directe de celles de la craie. Selon lui, à l’émersion des anciens dépôts crétacés européens aurait sans doute correspondu l’affaissement d’une partie de l’Atlantique, et les mêmes animaux n’auraient eu qu’à se réfugier dans le nouveau bassin pour y continuer leur existence et y demeurer associés à peu près dans les mêmes proportions. Aux yeux des géologues, et ce sont maintenant les plus nombreux, pour qui la continuité des phénomènes de la vie est une vérité incontestable, pour tous ceux en un mot qui repoussent et les destructions en masse et les rénovations subites et générales, les conclusions de M. W. Carpenter paraîtront ne pas manquer de vraisemblance, bien qu’il y ait selon nous quelque chose de trop absolu dans la manière dont l’auteur les a énoncées. Les polycistinés ou radiolés, sortes de foraminifères à test siliceux, ne jouent pas un moindre rôle que les foraminifères proprement dits. Leur coquille présente des prolongemens épineux qui leur donnent un aspect singulier; leur petitesse est extrême; ils constituent des bancs entiers dans les mers froides des deux hémisphères, et se retrouvent jusque dans la Méditerranée. Les diatomées, végétaux microscopiques unicellulaires, pourvus d’un tégument siliceux, rigide, à deux valves plates et exactement conniventes, peuplent aussi le sol sous-marin de leurs dépouilles. On a retiré des diatomées de grandes profondeurs dans les parages du Kamtschatka; elles foisonnent dans les mers australes, sur le parcours du gulf-stream et dans la Baltique. L’inaltérabilité de leur tégument assure partout leur conservation. On a vu cependant que les diatomées ne s’enfonçaient pas au-dessous d’un certain niveau; plus bas, leurs dépouilles peuvent être entraînées, sans que pour cela on doive conclure que ces organismes aient vécu sur place. Les sondages du Porcupine ont constaté l’absence ou du moins l’extrême rareté des diatomées au milieu des boues à globigérines. M. Wallich a prétendu que les diatomées qui persistaient au-delà de 900 mètres de profondeur affectaient une structure moléculaire différente de celle des individus soumis à l’influence de la lumière; s’il en était ainsi, ces végétaux, les plus inférieurs de tous, chez qui l’on remarque même des mouvemens, cesseraient d’agir à la façon des plantes, et participaient de la nature animale. C’est là une opinion singulière qui n’a pas été assez nettement formulée pour qu’on l’adopte sans nouvel examen; mais, dans tous les cas, elle n’est pas en désaccord avec la rareté croissante et l’existence de plus en plus difficile des végétaux, même les plus imparfaits, lorsque l’on pénètre dans les grandes profondeurs. Il est certain que les animaux persistent seuls dans les basses régions; cependant, comme les deux règnes, partout ailleurs en contact, remplissent des fonctions inverses et se suppléent par un échange incessant des élémens de nutrition et de respiration, il est naturel de rechercher avec M. W. Carpenter comment se comportent à ces deux points de vue les animaux des mers profondes entièrement livrés à eux-mêmes.

Le rôle des végétaux, dans l’économie générale du monde organique, consiste d’une part à élaborer la matière brute, puisée directement dans l’eau absorbée par eux, d’autre part à décomposer l’acide carbonique pour en fixer le carbone et en rejeter l’oxygène. Cette dernière opération n’a lieu que sous l’influence de la lumière; elle s’arrête quand celle-ci est absente, elle se ralentit à mesure que celle-ci s’affaiblit; elle est de plus nécessaire pour produire la chlorophylle, c’est-à-dire la matière généralement verte, plus rarement rouge, qui colore les plantes. La cellulose et le glycose, les matières sucrées et amylacées, huileuses, résineuses, gommeuses et albuminoïdes, les parties succulentes des végétaux, les tissus, sécrétions et tégumens de toute sorte, sont le résultat des opérations que nous venons d’indiquer, et ces substances constituent une nourriture toute préparée[9], destinée à l’alimentation de l’autre règne. Les animaux en effet ne puisent pas dans le régime inorganique les substances dont ils se nourrissent; leurs alimens sont empruntés soit au règne végétal, soit à leur propre règne. Les végétaux ne se mangent pas, les animaux au contraire se dévorent entre eux lorsque leur régime n’est pas exclusivement végétal. Dans les deux cas, la vie animale ne s’entretient qu’aux dépens mêmes de la vie, loi fatale et universelle, bien qu’elle demeure incompréhensible.

Les animaux respirent comme les plantes, mais, au lieu de fixer le carbone, ils le brûlent en s’emparant de l’oxygène de l’air, et ils exhalent l’acide carbonique et l’azote. L’opération est donc inverse de celle qu’accomplissent les végétaux, et ceux-ci fournissent aux animaux non-seulement des élémens nutritifs, mais encore de l’oxygène. Cette harmonieuse combinaison cesse au fond de la mer; sans plantes, plus de phytophages; l’alimentation devient forcément animale. Bien que la plupart des êtres des basses régions soient dans l’impossibilité de poursuivre une proie vivante, la multitude des protozoaires procure aux grandes espèces un aliment assuré. Le flot marin fourmille tellement d’organismes inférieurs qu’en baignant les animaux d’un rang un peu plus élevé, il leur dispense une nourriture abondante, puisée à une source vraiment intarissable.

La question se réduit en définitive à savoir comment se nourrit le protozoaire dès qu’il paraît établi que les végétaux d’un degré correspondant ou protophytes n’habitent pas près de lui. On s’est demandé d’abord s’il ne pouvait se faire que le protozoaire eût la propriété d’élaborer directement la matière brute pour la transformer en albumine, de même qu’il exsude le calcaire et la silice dont il forme sa coquille; mais on peut répondre avec M. W. Carpenter que le calcaire et la silice existent à l’état de dissolution dans l’eau qui pénètre le protozoaire, et que celui-ci ne fait que retenir ces substances et les déposer au dehors, tandis que, pour produire de toutes pièces une substance albumineuse ou simplement protoplasmique, il faut nécessairement une décomposition chimique suivie d’une recomposition d’une nature spéciale, et jusqu’ici aucun fait n’autorise à croire que cette opération soit possible en dehors de l’influence de la lumière, c’est-à-dire autrement qu’à la façon des végétaux. Si donc il était concevable, ce qui n’est pas démontré, que les protozoaires les plus imparfaits fussent parfois susceptibles d’élaborer directement des composés organiques, ils deviendraient par cela même de véritables végétaux, et dès lors se trouveraient soumis aux lois qui gouvernent cette partie du domaine de la vie. Ici heureusement les recherches de l’expédition anglaise laissent entrevoir une solution qui dissipe presque entièrement les obscurités de la question. Déjà M. Wallich, et plus tard le professeur Wyville Thompson, s’étaient attachés à démontrer qu’au sein de la mer il n’y avait, à proprement parler, ni putréfaction, ni destruction immédiate des corps abandonnés par la vie. Imbibés par l’eau, qui fait partout équilibre, leur désagrégation s’opère d’une façon insensible. Chez eux, point de fermens propres à dissoudre la trame élémentaire; l’eau pénètre et remplit les moindres interstices : c’est elle qui reçoit et qui garde la matière organique, délayée et diffluente, mais encore atomiquement combinée, susceptible par conséquent de nourrir les êtres vivans chez qui elle est introduite. Une dilution de ce genre se trouve en voie de formation perpétuelle au sein de la mer; elle résulte du résidu flottant de tous les organismes aquatiques, de ceux que charrient les fleuves et particulièrement de ceux de la zone littorale, si richement peuplée dans un espace continu dont la largeur est évaluée à plus d’un mille. L’analyse des eaux de l’Atlantique, puisées à des hauteurs différentes, a permis d’y constater la présence d’une proportion sensible de matière organique fortement azotée jusqu’au-delà de 1,300 mètres. C’est sans doute à l’aide de cette dilution que se nourrissent les protozoaires. Ces animaux, sans ouverture buccale ni cavité intérieure régulière, retiennent par imbibition les principes tout formés contenus dans l’eau qui les baigne, de même qu’ils sécrètent au dehors le test calcaire ou siliceux de leur coquille.

Il ne suffit pas aux animaux sous-marins de pouvoir se nourrir, il leur faut encore respirer, et l’on comprend difficilement au premier abord d’où peut leur arriver l’oxygène dont ils ne sauraient se passer. Il est vrai que la respiration des animaux inférieurs est peu active, une faible proportion d’oxygène leur suffit; mais d’autre part l’acide carbonique constamment exhalé par eux devrait à la longue, en s’accumulant, leur rendre l’entretien de la vie impossible. Les sondages du Porcupine et l’analyse des gaz que renferment les eaux de l’Atlantique ont effectivement démontré que la proportion de l’oxygène était d’autant moindre que l’on descendait plus bas dans la mer; la quantité d’azote diminue également, tandis que celle de l’acide carbonique augmente de plus en plus. La proportion de ce dernier gaz, inférieure à la surface à celle de l’oxygène, la dépasse dans la zone intermédiaire, et à 800 ou 900 brasses le changement est tel, que la quantité d’acide carbonique égale presque la somme de l’oxygène et de l’azote réunis. L’oxygène ne compte plus alors que pour moins d’un cinquième dans l’ensemble[10]. L’acide carbonique, ainsi qu’on pouvait le présumer, abonde toujours plus dans l’eau des fonds, surtout de ceux où la vie se trouve richement représentée, que dans les zones purement aquatiques, fussent-elles situées plus profondément. Il est certain que l’acide carbonique, à force d’être exhalé, étoufferait la vie sous-marine, si, par un double mouvement, ce gaz ne remontait peu à peu à la surface, tandis que les courans et l’impulsion générale des flots, dont nous avons tracé la marche, amènent sans cesse des eaux saturées d’oxygène qui renouvellent la précieuse provision. C’est donc en définitive à l’agitation des eaux superficielles qu’est due l’introduction incessante de l’oxygène au fond de la mer. Les vagues, en se soulevant et faisant bouillonner leurs flots, contribuent puissamment à l’aération des eaux, et ces eaux, en suivant l’impulsion qui les entraîne vers les profondeurs, vont ensuite vivifier les êtres qui y restent plongés.

Telle est la solution plausible et le dernier mot d’un état de choses dont l’existence ne se comprend qu’à peine au premier abord. L’air et la nourriture se trouvent par le fait libéralement dispensés à des populations que leur extrême éloignement avait jusqu’ici soustraites à notre attention. Les animaux que nous venons de signaler n’offrent pourtant rien d’étrange, de tout à fait spécial dans leur structure, ni dans leur forme. La plupart diffèrent peu de ceux-là mêmes qui fréquentent nos côtes; d’autres, il est vrai, sont des types d’une époque antérieure disparus ou devenus très rares partout ailleurs, et qui semblent avoir cherché un refuge au fond des mers. Tous ces êtres, si singulièrement associés, les uns venus de l’extrême nord, les autres remontés du midi, ou se rattachant au passé le plus reculé, aucune loi générale bien précise n’a dirigé leur marche ni présidé à leur distribution; nulle finalité déterminée ne les gouverne. Dans des temps très divers et à travers bien des événemens, ils ont rencontré des conditions d’existence supportables, et s’y sont adaptés. Malgré l’absence de la lumière, malgré la pression, malgré la distance où ils se trouvent de l’atmosphère, ils pouvaient vivre, et ils ont vécu. Cette vie si bornée et si sombre est d’ailleurs celle de tous les animaux inférieurs. Chez eux, l’instinct est tellement court qu’il se confond avec l’irritabilité, et se limite aux seuls actes indispensables. L’équilibre de l’ensemble, dans ces sortes de catégories, se maintient par la mise en jeu des seules forces nécessairement inhérentes à tout ce qui est organisé, sans que les individualités y concourent par aucune volition personnelle de nature à distinguer chacune d’elles en particulier. Dans les profondeurs, aucun être n’est conscient de ce qui se passe près de lui; parqués dans un monde clos, tous se dévorent sans même parvenir à se connaître ou à s’apercevoir. C’est là pourtant un des plus vastes domaines que la vie ait su conquérir; elle y a poussé de fortes racines : aucune perturbation, à moins d’être totale, ne saurait l’en chasser. Les siècles passent, les périodes se succèdent et renouvellent la surface ; mais le fond des mers persiste dans son isolement. Tout au plus reçoit-il par intervalles de nouveaux colons ou des voyageurs égarés. L’abîme ne cesse jamais d’étendre sur lui son impénétrable linceul, sous lequel toute lueur s’éteint, tout bruit s’amortit : l’existence à ce prix n’est plus, il faut le dire, qu’un secret perdu dans le silence et dans la nuit.


GASTON DE SAPORTA.

  1. ἄλς ἀτρύγετος (als atrugetos).
  2. Le Monde de la Mer, par M. Alfred Frédol.
  3. Les précieux documens réunis par M. Delesse, après dix années de recherches, donneront lieu à un grand ouvrage actuellement en voie de publication, et qui sera le résumé le plus complet de toutes les notions relatives à la lithologie des mers, ainsi qu’aux lois qui président à la distribution des diverses zones d’animaux et de plantes.
  4. Orcades, 7°, 71; — Shetland, 7°,07; — Féroe, 7°,31. — Ces chiffres sont extraits des Voyages en Scandinavie, en Laponie et au Spitzberg, de la corvette la Recherche. -Géographie physique, par M. Martibs, t. II, p. 553 et suiv.
  5. Le thermomètre de Fahrenheit, dont se servent les Anglais, s’écarte totalement de notre thermomètre centigrade; il a été gradué d’après des bases différentes. Le point correspondant à la glace fondante équivaut au 32° degré de Fahrenheit-, c’est le degré de l’échelle centigrade. Nous avons eu soin, en mentionnant les degrés Fahrenheit, de les convertir en degrés centigrades et de placer ceux-ci entre parenthèses.
  6. Les résultats en ont été consignés dans l’immense travail hydrographique intitulé United States coast-survey Report, 1800. — Plusieurs mémoires importans de MM. Pourtalès et Louis Agassiz se rapportent au même sujet.
  7. Voyez la Vie dans les profondeurs de la mer, par M. Émile Blanchard, dans la Revue du 15 janvier.
  8. Κρινὸν (Krinon).
  9. Ce sont des composés, les uns ternaires ou à trois élémens (carbone, oxygène, hydrogène, les autres quaternaires, ou plus compliqués encore, l’azote se joignant aux premiers élémens, soit seul, soit accompagné de soufre et de phosphore. Ils diffèrent beaucoup plus par les propriétés physiques que par la proportion atomique de leurs élémens, qui varie assez peu chez les composés d’une même classe.
  10. La proportion sur 100 parties est la suivante : oxygène, 17,2; — azote, 34,5; — acide carbonique, 48,3.