Les Essences forestières des Colonies anglaises à l’exposition de Londres

Les Essences forestières des Colonies anglaises à l’exposition de Londres
Revue des Deux Mondes, Nouvelle périodetome 42 (p. 647-676).
LES
ESSENCES FORESTIÈRES
DES COLONIES ANGLAISES
À L’EXPOSITION DE LONDRES

Les produits forestiers n’ont guère fixé l’attention des nombreux visiteurs qui se pressaient cette année dans le palais de Kensington, attirés de préférence par le spectacle des machines en mouvement, par les merveilles de l’industrie de luxe et par les chefs-d’œuvre de la peinture moderne. Il y avait dans cette indifférence une grave injustice, et ce n’est pas entreprendre assurément une tâche inutile que de montrer quelle part leur revient dans toutes les branches de la production. C’est bien le moins qu’après avoir glorifié sur tous les tons la puissance créatrice de l’homme, on dise aussi quelque chose de celle de la nature, qui fournit à la première les moyens de s’exercer. La moitié au moins des objets exposés, — meubles, voitures, vaisseaux, outils, etc., — étaient en bois ; de plus, les huiles essentielles, les résines, les matières tinctoriales, les écorces à tan sont des substances produites par les arbres et récoltées dans les forêts. À y regarder de près, il n’y a rien qui ne nous vienne de là. Pour ne pas ressembler au statuaire de la fable, qui se prosternait devant le dieu qu’il venait d’achever en oubliant le marbre dont il s’était servi, nous avons donc à nous demander de quelles matières sont faits tous ces chefs-d’œuvre qui frappaient nos yeux, et à nous enquérir des lieux où nous pouvons nous les procurer.

Si, pour faire connaître les différentes espèces de bois qu’on rencontre dans le monde, on avait pu, à côté de chaque échantillon, exposer l’arbre qui l’a produit, tel qu’on le rencontre dans les profondeurs des forêts, on eût eu sous les yeux un spectacle grandiose qui eût éclipsé de beaucoup les créations humaines les plus remarquables. Faute de semblables spécimens, on a dû se contenter de montrer des collections de morceaux de bois peu faites pour frapper l’imagination et pour attirer les regards du spectateur. Il fallait avoir un motif particulier pour s’en approcher, pour examiner la beauté des échantillons, pour feuilleter les herbiers contenant les feuilles, les fleurs, les rameaux de chaque espèce d’arbres, et pour chercher à se faire une idée de la physionomie de chacune d’elles. Malheureusement la comparaison des divers bois, au point de vue de leurs applications industrielles, était rendue à peu près impossible par la dissémination des collections dans les différentes cours des pays exposans. Cette dissémination, si fâcheuse à tous égards, puisqu’elle ne permet pas au public de juger de la supériorité relative des divers peuples, ni des procédés de fabrication employés par chacun d’eux, a plus d’inconvéniens encore pour les produits ligneux que pour tous les autres. La finesse du grain, l’épaisseur des couches sont choses si délicates qu’on ne peut les apprécier quand on ne trouve pas réunis sur un même point tous les échantillons qu’on veut comparer.

L’exposition des bois d’ailleurs était très incomplète. L’Europe n’y était représentée qu’imparfaitement, et les autres parties du monde ne l’étaient guère que par les colonies anglaises. Cependant les belles collections du Canada, de la Guyane, de l’Inde, de l’Australie, ne nous en ont pas moins dévoilé des richesses nouvelles et montré des produits sans nombre, encore inexploités, dont l’industrie saura bien quelque jour tirer un excellent parti. Qu’importe d’ailleurs si, pour les bois comme pour le reste, l’exposition a surtout été anglaise, puisqu’elle n’en résumait pas moins la production ligneuse du monde entier ? Ne nous plaignons pas trop de rencontrer partout notre ombrageuse voisine ; puisque son génie, peut-être son climat, la pousse à la conquête des terres inconnues, laissons-la, sans la jalouser, accomplir son rôle providentiel. Grâce au principe de la liberté commerciale, dont la première elle a arboré le drapeau et qu’elle emporte avec elle, ses conquêtes profitent à tous : c’est autant de gagné pour la civilisation et pour l’humanité[1].


I.

Les expositions des bois d’Europe n’étaient pas accompagnées de renseignemens sur les prix et les qualités de ces bois non plus que sur la puissance productive des différens pays. Tout le monde connaît les principales essences de nos contrées et les usages auxquels elles sont propres. Sous ce rapport, les échantillons plus ou moins nombreux, plus ou moins volumineux, envoyés par quelques exposans français, portugais, espagnols ou suédois, ne pouvaient pas nous apprendre grand’chose. Le point essentiel pour les produits de cette nature, c’est de savoir le parti qu’on peut en tirer et les prix auxquels on peut les obtenir. Ces renseignemens faisant défaut, il ne restait plus qu’une collection de morceaux de bois rangés en ordre, mais sans intérêt pour le public, sans utilité pour les hommes spéciaux. Il ne faudrait pas s’imaginer que, parce qu’un pays a exposé des échantillons de tous les bois qu’il possède sans y joindre d’autre indication qu’une étiquette constatant l’identité, il ait par cela même fait connaître les ressources qu’il peut offrir. Cela peut suffire pour les objets dont la fabrication au jour le jour est subordonnée à la demande, car alors on sait qu’on pourra toujours se procurer quand on le voudra les produits conformes aux spécimens exposés. Pour les produits ligneux, il n’en est pas de même à cause du temps qu’il leur faut pour acquérir les qualités qui les rendent propres aux divers usages. On aura beau grouper ensemble les plus beaux échantillons du monde : si l’on n’a pas soin d’indiquer en même temps et l’étendue des forêts et l’importance de la production annuelle de chacune d’elles, on aura peut-être ajouté à l’exposition un élément pittoresque de plus, mais on n’aura en réalité obtenu aucun résultat utile. Ainsi, à voir au palais de Kensington les collections envoyées par l’Espagne ou le Portugal, on se serait volontiers imaginé que ces pays sont couverts de forêts, et qu’on peut y trouver à volonté des bois conformes aux échantillons qu’on avait sous les yeux, et cependant ils sont les moins boisés de toute l’Europe, et le peu de forêts qu’ils possèdent encore sont d’une exploitation très difficile, faute de routes suffisantes. L’Allemagne au contraire, la vieille Allemagne, couverte encore des sombres massifs qui furent le berceau de notre race, n’était représentée que d’une manière très incomplète[2].

Les qualités des bois de chaque pays ne sont pas moins importantes à connaître que le chiffre de la production, car ces qualités varient pour la même essence d’une région à l’autre. Le climat, la nature du sol, le système d’exploitation sont autant de circonstances qui agissent sur la végétation des arbres, et qui par conséquent influent sur les usages auxquels ils sont propres. Le chêne est le premier des bois pour la force et la durée, mais la différence est grande suivant qu’il vient du nord ou du midi. Celui qui a poussé sous le ciel toujours bleu de la Provence, de l’Espagne ou de l’Italie est nerveux, élastique et particulièrement recherché pour les constructions navales. Celui qui a crû dans les régions septentrionales de la France et de l’Allemagne, où le soleil est plus avare de ses rayons, est beaucoup moins résistant ; mais en revanche il est moins disposé à se fendre, plus facile à travailler, et par cela même plus propre aux travaux de menuiserie. C’est en chêne que sont les vieilles boiseries qu’on retrouve encore dans nos vieilles églises gothiques ; c’est en chêne que sont les charpentes de ces églises, aussi saines aujourd’hui qu’il y a neuf siècles, quand la peur de la fin du monde, qu’on attendait en l’an 1000, les fit de tous côtés sortir de terre. Cette essence, si précieuse qu’elle pourrait remplacer toutes les autres, a toujours été l’emblème de la force et de la puissance, et chez tous les peuples elle a été l’objet d’une vénération particulière.


« Élève-toi, jeune chêne, dit le poète allemand, élève-toi au milieu des tempêtes, tu es le chêne !

« Étends tes rameaux touffus, les oiseaux du ciel les rempliront de leurs nids et de leurs chansons.

« Les enfans du village danseront à ton ombre, sous les regards de leurs aïeux, en échangeant de doux sermens.

« Les jeunes guerriers respireront le courage à tes pénétrantes émanations, et tes feuilles tresseront autour de leurs tempes la couronne des vainqueurs.

« Plus tard, car tout finit ici-bas, tu tomberas sous la cognée, mais tu tomberas pour revivre plus utile encore.

« Tu seras la lance qui donne la liberté, qui défend le foyer sacré contre les envahisseurs de la patrie.

« Tu seras la table où s’asseoit la famille, la poutre soutien du toit qui l’abrite, le lit des fortes générations.

« Tu seras le tonneau rempli du vin généreux qui nous fait oublier nos peines et ne nous laisse que le souvenir de nos joies..

« Tu seras aussi le lit où l’homme dort son dernier sommeil, et au-dessus de lui tu seras la croix.

« Tu seras la croix, splendide trait d’union qui unit la terre au ciel, dont tu es le glorieux présent, noble chêne ! »


D’un usage moins général que le chêne, avec lequel il forme souvent d’immenses forêts, le hêtre a pour limite septentrionale une ligne qui, partant de l’Ecosse, traverse le sud de la Norvège, passe à Kœnigsberg et vient, en faisant vers la Galicie une courbe rentrante, aboutir aux environs d’Odessa. Dans les Alpes, il s’élève jusqu’à la hauteur de 1,500 mètres ; dans les Pyrénées jusqu’à celle de 1,800, Excellent pour le chauffage, le bois de hêtre n’est pas propre à la charpente ; mais, depuis l’application des procédés de conservation imaginés par le docteur Boucherie, il est très employé pour traverses de chemins de fer. On en fait aussi des sabots, des rames, des colliers, des manches d’outils, des objets de boissellerie de toute nature.

L’orme n’est pas moins précieux. Peu abondante dans les forêts, cette essence, dont Sully propagea la culture, borde en revanche presque toutes nos routes, décore presque toutes nos promenades, et dans bien des communes les ormes qui ornent les places publiques portent encore le nom de ce grand ministre. Après nous avoir prodigué leur ombrage pendant leur vie, ils nous donnent après leur mort un bois très dur, très estimé dans une foule d’industries, notamment dans le charronnage et la carrosserie. La très grande résistance de l’orme à la pression le fait choisir de préférence pour les objets qui ont à supporter une lourde charge ; mais, quoique d’une très grande durée, s’il est toujours ou sec ou toujours immergé, il ne résiste pas aux alternatives de sécheresse et d’humidité[3]. Les piles de l’ancien pont de Londres, l’endroit du monde où la circulation est le plus active, étaient en orme, et lors de la construction du pont actuel au commencement de ce siècle elles se trouvaient encore, après huit cents ans de séjour dans l’eau, aussi saines que le premier jour.

Comme le hêtre, le charme est excellent pour le chauffage, mais il a un grain serré, coriace, qui le fait rechercher surtout pour la fabrication des écrous, roues dentées et autres objets soumis à une très forte pression. Le bouleau sert à faire des sabots ; l’érable est très employé dans l’ébénisterie et la menuiserie ; il en est de même du merisier, du tilleul, du peuplier et de quelques autres essences moins importantes. Les arbres résineux, pins, sapins, épicéas, mélèzes, sont plus particulièrement réservés à la fabrication des planches et des charpentes ; mais, eux aussi, ils varient beaucoup suivant les contrées d’où ils viennent, suivant qu’ils ont végété au nord ou au midi, dans les plaines ou sur les hauteurs. Les cèdres et les mélèzes, qui donnent des bois très durs et très denses dans les régions élevées, croissent beaucoup plus vite dans les lieux bas, mais ils y deviennent moins durables et moins vigoureux. Le pin Weymouth, un des arbres les plus précieux de l’Amérique, a dans nos climats un tissu lâche et mou comparable à celui du saule. La supériorité des sapins du Nord sur ceux de notre pays est connue depuis longtemps, et cependant on constate, même entre les premiers, des différences sensibles. Ainsi les charpentes de Memel valent mieux que celles de la Suède, et les madriers de Riga ou de la côte norvégienne, tempérée par le gulf-stream, sont plus recherchés que ceux d’Arkhangel. Dans les contrées où la température présente des écarts peu sensibles, les arbres ont en général une structure régulière qui leur donne une grande élasticité, et les rend très précieux pour la mâture.

Cette rapide énumération des principales essences forestières de l’Europe et des qualités de chacune d’elles suffit à montrer combien il eût été désirable non-seulement que chaque pays eût pris part à l’exposition, mais qu’à la collection complète des bois qu’il produit il eût joint l’indication des usages auxquels ils peuvent être employés, et du prix auquel on peut les obtenir sur ses marchés. S’il y eût ajouté un herbier contenant les feuilles, fleurs et fruits de chaque arbre avec des détails spéciaux sur le lieu d’habitation et l’importance des massifs qu’il forme, on aurait eu sous les yeux le tableau complet des richesses forestières de l’Europe, ce qui, au point de vue scientifique comme au point de vue industriel, eût été une bonne fortune. Malheureusement la botanique pas plus que l’industrie n’ont rien à attendre de l’étude, si minutieuse qu’on la suppose, des collections européennes réunies au palais de Kensington. Les administrations publiques pouvaient seules réunir les élémens d’une exposition forestière en 1862, et y joindre les documens statistiques à l’appui[4]. C’est une tâche qu’elles n’ont qu’imparfaitement remplie.

Dans l’exposition française, je ne vois digne de mention que l’application d’un nouveau système d’élagage imaginé par M. de Courval. Tous les forestiers et propriétaires de bois savent que lorsqu’on laisse dans une coupe un certain nombre d’arbres de réserve, il convient de les élaguer jusqu’à une certaine hauteur, afin de forcer la sève à s’élever jusqu’à la cime au lieu de se perdre à nourrir sans profit les branches basses, qui nuisent au taillis. Pour empêcher la pluie de s’infiltrer entre l’écorce et le bois et de provoquer par là la carie des plus beaux arbres, M. de Courval, propriétaire de la magnifique terre de Pinon, imagina d’enduire la plaie d’une couche de coaltar. Cette substance peu coûteuse, produite par la distillation de la houille, forme un enduit qui s’oppose aux écoulemens séveux, met la plaie à l’abri des intempéries et des attaques des insectes, et permet à l’écorce de la recouvrir complètement après quelques années. C’est un procédé fort simple, dont M. de Courval a déjà obtenu les meilleurs résultats, et dont l’utilité peut se mesurer à ce fait que l’emploi de l’ancienne méthode, en viciant et déformant les arbres, lui avait personnellement occasionné une perte de plus de 100,000 francs. C’est donc par millions qu’il faudrait évaluer, pour la France entière, la plus-value que pourraient acquérir les coupes annuelles, si l’usage du coaltar se généralisait.

L’exposition des produits forestiers de l’Algérie était beaucoup plus importante que celle de la mère-patrie. Cela devait être, car les forêts constituent une des principales richesses de notre colonie, tandis qu’en France la production ligneuse est un peu éclipsée par toutes les autres, et n’entre que pour une faible part dans la masse totale des produits. En parlant des richesses forestières de l’Algérie, c’est surtout le liège que j’ai en vue ; il y est beau et abondant, du moins à en juger par les échantillons qu’on en voyait à l’exposition. L’exploitation du liège a été une des premières Industries qui aient pris pied sur le sol africain, une des premières qui y aient amené des capitaux et donné des bénéfices réels. Sur les 1,800,000 hectares de forêts que renferme l’Algérie, on a déjà reconnu plus de 200,000 hectares de forêts de chênes-lièges, et les concessions accordées s’étendent sur plus de la moitié de celles-ci ; mais le liège ne restera pas toujours le seul produit de ces forêts, et un jour viendra où l’on pourra utiliser une foule d’essences précieuses qu’elles renferment, et que le défaut de routes et le haut prix de la main-d’œuvre ont seuls empêché d’exploiter jusqu’ici. Telles sont le chêne zéen, le chêne à glands doux, le pin d’Alep, le cèdre, le thuya, l’olivier, etc. On a pu juger de la variété de ces espèces et de l’avenir qui leur est réservé par l’exposition que M. Lambert, inspecteur des forêts à Bone, a envoyée à Londres, et qui se composait de 104 échantillons de divers bois, d’une collection de lièges, d’un herbier en cinq volumes, renfermant les fleurs, feuilles, bois et fruits des 215 végétaux ligneux reconnus jusqu’aujourd’hui en Algérie, avec leurs noms vulgaires et botaniques, enfin d’un traité sur l’exploitation des forêts de chênes-lièges.

L’administration des colonies françaises avait également exposé une très belle collection de bois, dont il était malheureusement impossible, faute de renseignemens à l’appui, d’apprécier toute la valeur. Tout au moins pouvait-on constater la beauté des échantillons, la richesse des nuances, et se convaincre que beaucoup d’entre eux sont des bois d’ébénisterie de premier choix. On ne peut du reste que louer l’administration française de ses efforts pour faire connaître les ressources variées qu’offrent nos colonies. Cependant il est quelque chose qui plus que toutes les expositions du monde contribuerait à leur prospérité : ce serait d’avoir toujours présent à l’esprit ce précepte de Montesquieu, que « les pays sont cultivés non en raison de leur fertilité, mais en raison de leur liberté. » Nous allons trouver une remarquable confirmation de ce fait en passant en revue l’exposition ligneuse des principales colonies anglaises, qui sous ce rapport représentaient à elles seules toutes les parties du monde.


II.

Il n’est pas besoin d’un examen bien approfondi pour reconnaître qu’à étendue égale l’Amérique possède une beaucoup plus grande variété d’espèces végétales que l’Europe. Suivant les uns, ce fait, qu’un simple coup d’œil suffit à constater, est dû à la direction des chaînes de montagnes qui, s’étendant du nord au sud, offrent plus de variété dans les conditions climatériques, et permettent par conséquent à des plantes plus nombreuses de s’y développer ; suivant d’autres, ce continent, plus ancien que le nôtre, géologiquement parlant, malgré l’épithète de nouveau qu’on lui donne, est encore couvert aujourd’hui de la végétation des époques antérieures, beaucoup plus riche et plus abondante que celle de l’époque actuelle. Cette opinion, que M. de Candolle a récemment émise dans son bel ouvrage sur la Géographie botanique, s’accorde avec l’aspect général de l’Amérique du Nord, qui, d’après lui, a dû être un continent bien avant que la plus grande partie de l’Europe fût émergée du sein des mers. Certains phénomènes végétaux qu’on rencontre ne peuvent guère laisser de doute à cet égard. Ainsi il existe au Mexique un arbre connu sous le nom de taxodium de Santa-Maria de Ulcé auquel on donne au moins trois mille ans d’existence. Si celui qui l’a produit avait le même âge, il suffit de trois générations de ces arbres pour remonter au-delà des temps historiques. C’est à faire prendre en pitié notre pauvre humanité, même en la supposant douée de la longévité que lui attribue M. Flourens. On cite encore à l’appui de cette opinion l’existence d’un certain nombre de marais dont on n’a même pas trouvé le fond, et comblés d’arbres, tous de la même espèce, qui se sont entassés les uns sur les autres depuis une époque bien antérieure à celle des dernières convulsions géologiques. La plupart des espèces qui composent aujourd’hui les forêts d’Amérique paraissent correspondre à l’époque tertiaire. Faut-il s’étonner alors que ces massifs, contemporains des mastodontes, qui se sont succédé sur le même point pendant des milliers de siècles, aient une grandeur et une majesté dont ne sauraient approcher nos forêts d’Europe, encore si jeunes et cependant déjà si dévastées ? Où sont chez nous ces pins, communs en Floride et en Californie, de 100 mètres de long sur 10 mètres de tour, et âgés de plus de mille ans ? Malheureusement l’exposition ne nous montrait pas de spécimens de ces géans végétaux, et c’est seulement par les colonies anglaises du Canada et de la Guyane que nous avons pu juger des richesses forestières de l’Amérique.

Ancienne colonie française, peuplée encore de nos compatriotes, le Canada nous inspire peut-être moins de sympathie par ses souvenirs, pourtant si vivaces encore, que par l’idée poétique que nous nous en faisons. Nous avons si souvent, avec Cooper et Chateaubriand, erré dans ses forêts solitaires, chassé le daim dans ses prairies sans limites, descendu dans des barques d’écorce le cours torrentueux de ses fleuves, que notre imagination, à ce nom seul, nous ramène toujours à nos rêves de jeunesse ; mais, comme ces portraits qui, après quelques années, ne rappellent plus que les traits principaux des personnes chéries, le Canada n’est plus aujourd’hui tout à fait tel que ces grands peintres nous l’ont fait. Il est bien encore couvert de forêts, de lacs et de fleuves ; mais les forêts sont exploitées, les fleuves canalisés, les lacs couverts de bateaux à vapeur. S’il n’en est pas pour cela moins poétique qu’autrefois, ce n’est point la faute des Canadiens, dont c’est bien le moindre souci. Ils sont trop bons calculateurs pour s’amuser à ces misères, et ils ont trouvé que leurs forêts, débitées en bois de chauffage et de construction, leur rapporteraient plus en espèces monnayées que toutes ces rêveries sentimentales. Aussi les ont-ils bravement attaquées sans regarder derrière et sans craindre de troubler le Grand-Esprit dans ses sombres retraites. Comme leurs frères du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse, dont ils ne sont séparés que par le Saint-Laurent, ils ont fait de leur pays une vaste coupe en exploitation, coupe immense qui s’étend sur quatre cents lieues de long et sur cent lieues de large. Des milliers de lumberers abattent de tous côtés les arbres séculaires, qui s’en vont, flottés de fleuve en fleuve, jusqu’à Québec, où ils sont embarqués et expédiés en Europe. Ce qui s’exporte de cette façon est énorme. D’après une publication récente, émanant du bureau d’agriculture, l’exportation en 1860 s’est élevée à trente millions de pieds cubes de bois équarris et quatre cents millions de pieds carrés de planches, la plus grande partie à la destination de l’Angleterre, Les droits payés au trésor ont produit 500,000 dollars. Des cinquante ou soixante espèces de bois qui se rencontrent au Canada, il n’y en a cependant que cinq ou six qui soient l’objet d’un commerce important ; les autres sont brûlés sur place et convertis en potasse et en goudron.

Dès 1840, le parlement fit exécuter des travaux considérables pour faciliter la navigation du Saint-Laurent et de ses affluens, afin qu’on pût amener les bois, au moyen du flottage, depuis les profondeurs des forêts jusqu’à Québec. On s’occupa ensuite de réglementer le commerce, afin de garantir la bonne foi des transactions ; on institua un corps d’inspecteurs assermentés, ayant fourni un cautionnement, chargés de mesurer et d’examiner les diverses marchandises, et aussi de les marquer de lettres spéciales, suivant leurs qualités[5]. Pour se créer des débouchés, les Canadiens se sont empressés d’envoyer à toutes les expositions de nombreux et magnifiques échantillons de bois. On se souvient encore du gracieux trophée qui, formé de planches, de madriers, de billes, d’outils, faisait en 1855 le plus bel ornement de l’annexe de l’exposition parisienne. En 1862, c’était à peu près la même répétition, et l’on ne pouvait s’en plaindre, car rien n’était plus pittoresque que cette pyramide de bois divers et d’objets à peine dégrossis dont l’aspect réjouissait l’œil plus que tous les étalages des industries de luxe. Parmi les essences qui s’y trouvaient représentées, il faut mentionner, comme les plus utiles, différentes espèces de chênes qui, bien que plus grands que ceux d’Europe, paraissent cependant donner un bois plus gras et plus poreux ; puis vient l’épinette rouge ou tamarac (laryx americana), très remarquable non par ses dimensions, qui ne dépassent pas 30 mètres de hauteur et 1 mètre de diamètre, mais par son bois, qui est d’une extrême durée. Facile à travailler, prompt à se sécher, le tamarac est très employé dans les constructions navales pour quilles, genoux ou varangues ; on en fait aussi des pilotis, des conduites d’eau et des clôtures qui durent plus d’un siècle. Cet arbre pousse sur toute espèce de sol, dans les plaines marécageuses aussi bien que sur les rochers les plus stériles ; il mérite à ce titre toute l’attention des sylviculteurs. Après lui viennent un grand nombre d’essences très employées soit dans les constructions, soit dans l’ébénisterie : le pin rouge, le pin jaune, le hemlock ou sapin du Canada, le cèdre rouge ou genévrier de Virginie, l’orme, le bouleau, le noyer noir, dont le bois est d’un beau violet, enfin l’érable, qui est l’arbre national par excellence, l’emblème du Canada. On en compte plusieurs espèces : l’érable blanc, l’érable rouge, l’érable onde, l’érable œil d’oiseau (bird’s eye) et l’érable à sucre, le plus remarquable de tous par sa beauté. Propre aux constructions comme à la menuiserie, ce dernier a en outre la propriété de fournir une sève qui, par la distillation, donne un sucre très estimé. C’est à l’âge de vingt-cinq ans qu’on commence à le saigner, et, à partir de ce moment, chaque arbre produit annuellement environ 2 kilogrammes de sucre cristallisé. On estime à 20 millions de kilogrammes environ la production totale du Canada.

Les Canadiens ne se contentent pas d’exposer leurs bois et d’attendre que sur ces échantillons on vienne leur en acheter ; ils vont au-devant de la demande, et cherchent de tous côtés à nouer des relations commerciales. C’est ainsi qu’ils ont dernièrement adressé en France, par l’intermédiaire de M. Gauldrée-Boilleau, notre consul-général à Québec, une collection de bois, avec l’indication des prix auxquels ils pourraient les livrer. Cette collection a été pendant quelque temps tenue à la disposition du public au ministère du commerce et de l’agriculture. Jusqu’à présent ces efforts sont restés à peu près infructueux de ce côté, non que les objets d’échange manquent entre le Canada et son ancienne métropole, car si le premier a ses bois, celle-ci a ses vins, ses eaux-de-vie, ses étoffes et, proh pudor ! son tabac, qui trouveraient de nombreux amateurs sur les places de Montréal ou de Québec ; mais ce qui a empêché jusqu’ici un commerce régulier de s’établir, c’est l’élévation du fret, occasionné en partie par les droits différentiels dont étaient grevées les marchandises importées par navires étrangers. La nouvelle politique commerciale de la France va sans doute avoir pour résultat de changer cette situation au grand avantage des deux pays.

Si l’exposition du Canada nous a fait connaître les productions ligneuses des contrées tempérées du continent américain, celle de la Guyane nous montrait la végétation des pays équatoriaux, et ne présentait pas un moindre intérêt que la première. Il s’agit ici de la Guyane anglaise, bien autrement importante que la colonie française du même nom. Tandis que celle-ci, à peine peuplée de 20,000 âmes, ne rappelle que le triste souvenir de nos discordes civiles, la Guyane anglaise au contraire a 155,000 habitans et exporte annuellement pour 50 millions de marchandises. Elle n’est pas comme la nôtre un lieu d’expiation où l’exilé meurt les yeux tournés vers la patrie lointaine, elle est elle-même une patrie dont la prospérité dépend non de la métropole, mais de l’énergie individuelle de ceux qui l’habitent. Écoutez plutôt les belles paroles que le gouverneur, l’honorable M. Walker, adressait à ses concitoyens en inaugurant à Georgetown l’exposition des produits coloniaux qui devaient être envoyés à Londres. « Vous tous, dit-il dans son discours d’ouverture, dont le sort est de vivre dans ce pays, ayez toujours en vue l’accroissement de sa richesse et de sa prospérité. Que chacun fasse son possible pour arriver à ce résultat, et que personne ne dise : Je ne peux pas ! Personne en effet n’est assez dénué de talent qu’il ne puisse ajouter quelque chose au capital moral ou matériel de la société. Chez celui qui ne fait rien, c’est la volonté qui manque, et non le pouvoir. Nous ignorons quelles peuvent être nos destinées dans ce monde ou dans l’autre ; mais, qui que nous soyons, c’est un devoir pour nous de faire tous nos efforts pour augmenter le bien-être de tous. » — Quels mâles conseils ! quel respect de la liberté individuelle ! Eriger en devoir pour chacun l’accroissement de la richesse publique, n’est-ce point là tout le secret de l’aptitude de la race anglo-saxonne à dompter la nature ?

La Guyane anglaise, située entre la république vénézuélienne, le Brésil et la Guyane hollandaise, a une superficie d’environ 20 millions d’hectares. Autrefois à la Hollande, elle a été conquise par l’Angleterre en 1803, et lui a été abandonnée par les traités de 1814[6]. D’après l’aspect général et la constitution géologique du sol, ce pays devait être couvert autrefois d’une série de lacs qui, rompant un jour leurs digues, versèrent leurs eaux dans l’Océan. L’intérieur présente d’immenses savanes et des chaînes de montagnes qui s’abaissent à mesure qu’on s’approche de la côte, et qui, à quarante milles environ de celle-ci, ne sont plus que des collines de sable. Ces chaînes, dont les élémens minéralogiques sont le granit, le gneiss ou le grès, courent parallèlement à la côte en coupant presque à angle droit les nombreux cours d’eau qui se dirigent vers la mer. Il en résulte des cataractes d’un aspect grandiose, mais qui entravent la navigation et empêchent toute communication par eau entre la région de la plaine et celle des montagnes.

C’est sur la côte que se sont installés les Européens et qu’ils ont établi leurs cultures. Le sol, composé d’une couche d’alluvion et d’une argile blanchâtre, y est extrêmement fertile et peut donner pendant plus de cinquante ans de suite, sans engrais ni assolement, des produits considérables. Les plus importans sont le sucre, le café, le riz, certaines fécules, enfin le coton. La culture du coton surtout paraît destinée à prendre une grande extension en raison des événemens dont l’Amérique du Nord est le théâtre, et des compagnies se sont constituées pour reprendre l’exploitation de ce précieux textile[7]. Derrière cette lisière de terres cultivées sont des savanes étendues, puis viennent d’immenses forêts toujours vertes, qui couvrent les montagnes et s’étendent au loin dans l’intérieur. Elles renferment une foule d’arbres qui n’ont pas encore de nom dans la science, mais qui enchantent les regards par la beauté du feuillage, la variété des formes et la prodigieuse hauteur des fûts. Ornés de mousses et d’orchidées, ils sont reliés les uns aux autres par une multitude de flancs qui, après avoir escaladé les plus hautes branches, redescendent vers le sol pour y reprendre racine. Des oiseaux, des insectes, des reptiles sans nombre peuplent ces solitudes, arrosées par des ruisseaux couverts de fleurs, et dans lesquelles de rares tribus indiennes, restes des anciens maîtres du sol, viennent encore se réfugier, fuyant la civilisation qui s’avance.

Les Anglais ne les refoulent cependant pas systématiquement devant eux, comme on l’a prétendu ; ils cherchent au contraire à les attirer, et, pour leur inspirer de la confiance, ils ont institué des magistrats spéciaux, appelés protecteurs des Indiens, chargés de défendre leurs droits et de les protéger contre toute oppression. Jusqu’à présent, ces efforts n’ont pas été suivis de succès, et la séparation subsiste entre les races, non par la faute des Anglais, mais par celle des Indiens, qui sont paresseux et répugnent à tout travail[8]. Si l’on pouvait les employer à l’exploitation des forêts, on y trouverait l’occasion de grands bénéfices. Depuis quelques années en effet, ces exploitations ont pris un grand développement, et en 1861 l’exportation des bois s’est élevée à 23,000 mètres cubes ; mais les colons n’ont pas tardé à comprendre qu’à couper toujours sans rien laisser derrière, un jour viendrait où il ne resterait plus rien, et ils n’ont pas attendu que leurs forêts aient disparu pour provoquer des mesures propres à les conserver. Voici le vœu qu’a formé à ce sujet le comité de l’exposition : « En raison des exportations croissantes de nos bois et des demandes de concessions toujours plus nombreuses de la part des exploitans (wood cutters), il y aurait lieu de créer des pépinières (nurseries) d’arbres les plus recherchés, et de préparer à l’avenir des richesses nouvelles pour le moment où les ressources présentes viendront à manquer. On imposerait alors aux concessionnaires l’obligation de planter sous la surveillance d’officiers spéciaux un certain nombre de ces arbres ; en attendant, il faudrait leur interdire l’exploitation des bois en croissance et les obliger à laisser sur pied les arbres au-dessous d’un diamètre déterminé. Il serait aussi à désirer que, soit par la presse, soit par des instructions orales, on fît connaître la meilleure manière d’exploiter les forêts, les diverses qualités des bois, les autres produits que peuvent donner les arbres, tels que le tanin, les gommes, les résines, etc., ainsi que les moyens de les recueillir. » Il n’est pas douteux que ces vœux, qui dénotent une vive préoccupation de l’avenir de la colonie, ne soient entendus, puisque dans ces pays de self government il ne dépend que des habitans eux-mêmes d’en assurer la réalisation.

Parmi les bois dont la Guyane a envoyé des échantillons à l’exposition, le plus précieux est le mora excelsa. Ce géant végétal, qui atteint jusqu’à 60 mètres de haut et qui, au dire du naturaliste Schomburgk, ressemble de loin à une colline de verdure, croît également sur le sable et sur l’argile, et pousse dans les terrains les plus rebelles à toute autre culture. Le bois du mora, dur, serré, à fibres entre-croisées, est très difficile à fendre, mais il est par cela même très résistant et très propre aux constructions navales. Bien supérieur au chêne, il n’est pas, comme lui, exposé à la pourriture sèche. Le tronc est excellent pour les quilles de navires, et les branches, qui ont une disposition naturelle à se contourner, fournissent des courbes précieuses. Aussi la compagnie anglaise du Lloyd le classe-t-elle parmi les huit meilleures espèces de bois pour la construction des vaisseaux. L’écorce du mora est propre à la tannerie, et dans les temps de disette les Indiens en mangent la graine, qui est considérée en même temps comme un remède contre la dyssenterie.

Vient ensuite se placer, par ordre de mérite, le green heart (cœur vert), actuellement très employé en Angleterre dans les arsenaux maritimes, où il ne jouit pas d’une moindre réputation que le mora. Il possède notamment, dit-on, l’inappréciable propriété de n’être pas exposé aux attaques des insectes terrestres et des mollusques marins. Cependant ce point est encore discuté, et dans un mémoire récent, lu à la Société royale des arts de Londres, M. Simmonds prétend avoir vu dans les docks des Indes occidentales des pièces endommagées par les insectes et perforées par le taret. C’en est assez pour commander une certaine prudence dans l’emploi de ce bois et pour provoquer des expériences, afin de constater un fait si important. Nos voisins n’y manqueront pas.

La même propriété n’est pas contestée au cèdre brun (cedrela odorata), que son odeur aromatique préserve de toute attaque de ce genre ; aussi l’emploie-t-on à faire les caisses dans lesquelles on envoie en Europe les cigares de La Havane. Les Indiens le préfèrent à tous les autres bois pour la construction de leurs pirogues, et Schomburgk raconte que le canot dont il se servit dans le voyage d’exploration qu’il fit au commencement de ce siècle, et qui avait quarante-deux pieds de long sur cinq pieds et demi de large, avait été creusé tout entier dans le tronc d’un seul arbre. Après quatre années de navigation dans les eaux douces et dans les eaux salées, sur les lacs et sur les cataractes, il était encore parfaitement sain, et ne laissait voir aucune trace d’usure ni de pourriture.

Les forêts de la Guyane renferment encore une grande quantité d’arbres pouvant donner les bois d’ébénisterie les plus précieux, tels que le purple heart (cœur de pourpre), le tiger wood (bois tigré), et une foule d’autres dont l’énumération serait fastidieuse ; il suffira de dire qu’on voyait à l’exposition une table fabriquée par M. André Hunter de Georgetown, dans laquelle entraient soixante-cinq espèces de bois différentes. De tous ceux-ci, le plus connu en Europe est l’acajou, bien que ce ne soit pas la Guyane qui produise le plus estimé. Le meilleur acajou vient de Saint-Domingue ; il est singulièrement dur, résistant et compacte. Le prix élevé de cet acajou (il ne coûte pas moins de 500 francs le mètre cube) n’en permet l’emploi ni dans les constructions, ni même dans la fabrication des meubles massifs ; aussi le plus souvent ne sert-il que comme placage. L’acajou de Cuba est un peu inférieur au précédent ; mais il n’est pas douteux qu’on ne le fasse souvent passer pour celui-ci. Le Honduras et la Guyane produisent une troisième qualité, moins belle que les précédentes, mais qui, plus légère, plus tenace et de plus grandes dimensions, est plus propre que celles-ci aux constructions navales. Elle est aussi beaucoup moins chère, et ne coûte guère plus que le chêne. En 1855, la France a importé 10,500,000 kilogrammes de ce bois, évalués à 3,157,000 francs. Dans ce chiffre, la Guyane anglaise figure pour 195,000 kilogrammes.

Un grand nombre d’arbres de la Guyane donnent aussi des produits spéciaux susceptibles d’être utilisés dans l’industrie ou employés dans la médecine. Les uns fournissent des matières tinctoriales, comme, le bois de Brésil, le bois de campêche, l’indigo ; d’autres, comme le balata, sécrètent des gommes et des résines semblables au caoutchouc ou à la gutta-percha ; beaucoup produisent des huiles parfumées et des substances médicinales ; quelques-uns, comme le dali ou muscadier sauvage, donnent un suif végétal avec lequel on fait d’excellentes chandelles, et qui, mêlé à de l’ammoniaque, forme un savon de première qualité, ou bien, comme l’ubudi, portent des fruits savoureux[9] ; la plupart enfin ont des écorces filamenteuses ou riches en tanin, qui pourraient devenir l’objet d’un commerce considérable. Il y a dans les forêts de la Guyane d’incalculables richesses, ignorées jusqu’ici, mais que l’exposition universelle a fait connaître au monde, et qui, grâce à elle, ne tarderont pas à entrer dans la circulation générale.


III.

C’est en 1770, lors de son premier voyage, que Cook découvrit l’Australie. L’aspect de la côte et des montagnes de l’intérieur, vues du port de l’Endeavour, lui rappelait la physionomie du pays de Galles ; aussi donna-t-il à cette terre le nom de Nouvelle-Galles-du-Sud. Il en prit possession au nom de la Grande-Bretagne, et le 26 janvier 1788 un premier convoi de 1,030 émigrans débarqua à Port-Jackson. Moins de quatre-vingts ans se sont écoulés depuis lors, et, devenue trop immense pour un seul gouvernement, la colonie s’est déjà divisée en cinq parties : la Tasmanie, l’Australie du sud, Victoria, Queensland et la Nouvelle-Galles-du-Sud, à qui, malgré ce partage, il reste encore une étendue de 83 millions d’hectares[10]. La population totale de ces diverses colonies est de l,124,477 habitans, leur revenu public de 129,264,000 francs, et leur commerce extérieur, importations et exportations réunies, de 1 milliard 184 millions de francs. Ce prodigieux développement a été considérablement favorisé par la découverte de l’or. Il faudrait toutefois se garder de l’attribuer à cette unique cause, car l’or n’est guère exploité que dans Victoria, et cependant toutes les colonies ont suivi la même progression. L’Australie a en effet d’autres élémens de prospérité que ses mines, et il faut citer tout d’abord l’agriculture. Je n’ai pas à faire ici l’histoire de ses progrès ; cependant je ne puis résister au désir de montrer ce que peut provoquer l’initiative individuelle. En 1797, le capitaine John Mac-Arthur, frappé de l’influence que le climat australien exerçait sur les toisons des moutons, fit venir du cap de Bonne-Espérance trois béliers et cinq brebis de la race mérinos espagnole et les croisa avec des moutons indigènes. Le résultat dépassa toutes ses espérances ; la laine produite fut si belle et si abondante que l’élève du mouton devint une industrie extrêmement lucrative, et que l’Australie est aujourd’hui le centre d’approvisionnement le plus important du monde entier. En 1861, l’exportation de la laine d’Australie a été de 34 millions de kilogrammes valant 137 millions de francs. En 1796, on ne comptait dans la colonie que 57 chevaux, 227 bêtes à cornes, 1531 moutons ; on y compte aujourd’hui 314,722 chevaux, près de 4 millions de bêtes à cornes et de 20 millions de moutons, qui trouvent dans des pâturages sans limites une nourriture abondante. L’agriculture proprement dite n’a pas fait moins de progrès que l’éducation du bétail, et c’est encore en grande partie à M. Mac-Arthur qu’on les doit, car le premier il introduisit la vigne et donna l’exemple de toutes les améliorations. D’un autre côté, M. Fraser, directeur du jardin botanique de Sydney, s’est appliqué à acclimater en Australie la plupart des végétaux utiles de l’Europe, et aujourd’hui plus de 400,000 hectares sont cultivés en blé, orge, maïs, fourrages, vignes, etc.

Cette étonnante prospérité, malgré les tristes élémens dont la colonie était d’abord composée, est due pour beaucoup à la grande liberté dont jouissent les colons, liberté qui leur permet de donner à leurs facultés toute l’expansion possible. Ce qu’il faut surtout dans les pays neufs, ce sont des hommes énergiques, car ce sont les seuls qui soient en état de lutter contre les obstacles qu’ils rencontrent. Si à ces obstacles naturels viennent s’en ajouter d’artificiels, si des règlemens trop minutieux paralysent leurs forces et amortissent l’effet de leurs efforts, il abandonnent la partie et s’en vont ailleurs chercher un emploi plus fructueux de leur activité. Sous ce rapport, l’Australie a été admirablement servie, car ses premiers colons ont été des convicts, et les mineurs qui plus tard sont venus les rejoindre étaient des hommes pour le moins aussi vigoureusement trempés qu’eux, puisqu’ils abandonnaient leurs foyers pour venir tenter la fortune. Cependant, chose remarquable, au milieu de tous ces individus d’une moralité douteuse, la loi n’a jamais perdu son empire, et quand la force publique faisait défaut, ils se rendaient entre eux une justice aussi prompte qu’impitoyable. Cette énergique population, qui jusqu’ici s’était surtout portée vers les mines, commence à revenir à l’exploitation du sol, qu’elle avait négligée en vue de bénéfices plus immédiats, et tout d’abord elle cherche à tirer parti des produits naturels, tels que les pâturages et les forêts.

Dans les colonies de Queensland et de la Nouvelle-Galles-du-Sud, les forêts ont le caractère équatorial, tandis que dans la Tasmanie et dans Victoria elles ont jusqu’à un certain point l’aspect européen. D’après l’intéressant catalogue dont les exposans de la Nouvelle-Galles ont accompagné leur envoi, le sol forestier peut y être partagé en trois régions distinctes. L’une, ne renfermant que des broussailles et des arbrisseaux, est périodiquement dévastée par les incendies et dépourvue d’arbres de grandes dimensions ; la seconde est couverte de forêts claires, mais formées d’arbres très élevés, peu branchus, garnis de feuilles épaisses, dures, persistantes et très riches en huiles essentielles. Différentes espèces d’eucalyptus, l’angophoni, le mélaleuca, le callistémon, sont les principales essences de ces massifs, qui approvisionnent de bois de charpente Sydney et tous ses environs. Rarement ces arbres ont le cœur sain, et quand ils l’ont, il n’en faut pas moins le rejeter à cause de l’extrême fragilité. Un autre caractère fort curieux de ces bois, c’est qu’ils se fendent, non comme ceux d’Europe de la circonférence au centre, mais suivant des couches concentriques. Cette disposition en atténue beaucoup la force et en diminue la qualité. Ils sont très denses, doués d’une grande puissance calorifique, quoique très difficiles à allumer. C’est à cette circonstance qu’on attribue le petit nombre d’incendies qu’on voit dans les villes de ce pays.

Enfin la troisième région, qui est aussi la moins connue, s’étend dans les profondeurs du continent en couvrant d’une multitude d’essences diverses les plaines, les vallées et les montagnes. On ne peut se faire une idée de la beauté de ces forêts d’arbres de toute espèce, reliés les uns aux autres par des flancs sans nombre, et dont le feuillage épais, d’un vert brillant, projette sur le sol une ombre que le soleil ne peut percer. La plupart de ces essences sont encore inconnues, car les arbres sont si élevés, leurs cimes si difficiles à distinguer au milieu des cimes voisines, leurs troncs tellement couverts de plantes parasites, que le plus souvent on ne peut en constater l’identité qu’en les abattant. On ignore l’époque de la floraison et de la fructification de la plupart d’entre eux, non qu’on ait négligé de les observer, mais parce qu’on n’en a jamais trouvé qu’un très petit nombre en état de fertilité. On suppose que ce phénomène ne se reproduit qu’à de longs intervalles. Les espèces sont si variées que, sur moins d’un kilomètre de long, on en a compté plus de soixante, et qu’à chaque pas on voit changer la physionomie des massifs. C’est là qu’on rencontre la fougère arborescente, l’hortie géante (urtica gigas), qui atteint jusqu’à 12 mètres de tour et 70 mètres de hauteur, le figuier géant (ficus gigantea), qui n’a pas moins de 30 mètres de tour, et dont la cime, en forme de coupole, domine au loin tous les arbres voisins ; mais l’essence qui paraît la plus abondante dans ces massifs est le cèdre rouge (cedrela australis) : on le rencontre surtout dans les vallées et le long des cours d’eau, où il atteint jusqu’à 50 mètres de hauteur sur 2 mètres de diamètre. Le tronc est droit, couvert d’une écorce brune et écailleuse ; il donne un bois très dur, d’un grain très fin et d’une grande beauté. Employé surtout dans l’ébénisterie, il fait l’objet d’un commerce d’exportation assez important.

À cette région appartiennent encore deux espèces d’araucarias, connus dans le pays, l’un sous le nom de bunya bunya, l’autre sous celui de pin de la baie de Moreton (Moreton bay pine). Ce sont des arbres gigantesques, de 75 à 80 mètres de haut sur 3 mètres de diamètre, qui peuplent de vastes étendues le long des côtes. Ils donnent un excellent bois pour l’ébénisterie, et laissent couler une résine pure comme du cristal. Le premier produit en outre des fruits très estimés par les indigènes. Ce sont des cônes d’un pied de long qui croissent à l’extrémité des branches, et qui, arrivés à maturité, laissent échapper leurs graines enfermées deux à deux. Celles-ci ont à peu près les dimensions et le goût des châtaignes grillées ; aussi la récolte est-elle une occasion de réjouissances publiques pour les indigènes, qui viennent de fort loin pour y participer. Chaque tribu, chaque famille possède un certain nombre de ces arbres, toujours les mêmes, qui se transmettent de génération en génération. C’est la seule propriété héréditaire qu’on leur connaisse, et jusqu’ici elle a été respectée par les colons. Malgré ce respect de leur propriété, les malheureux Indiens semblent condamnés à s’éteindre dans l’Australie comme à la Guyane. Il semble que le contact des blancs soit mortel aux Indiens et qu’il les use comme fait le diamant du caillou le plus dur. C’est un fait contre lequel il paraît difficile de lutter et que constate à regret, mais avec une conviction justifiée par des preuves entièrement satisfaisantes (quite satisfactory to my mind), le gouverneur de l’Australie du sud.

Dans les colonies méridionales, les essences forestières ne sont plus les mêmes. Abritées par les montagnes de la Tasmanie contre les vents froids du pôle austral, par une chaîne de montagnes neigeuses qui s’étend au nord-est de Victoria, et que leur aspect a fait appeler les Alpes australiennes, contre le souffle brûlant de l’équateur, les forêts présentent la végétation des pays tempérés. Elles ont bien un peu le caractère tropical vers le sud-est, où l’on rencontre encore certains palmiers ; mais elles le perdent peu à peu à mesure qu’on s’élève. Sur les montagnes, l’eucalyptus se montre jusqu’à une hauteur de 2,000 mètres ; mais bien avant d’arriver a cette limite, où il cesse d’exister, la rigueur de la température en ralentit la croissance. Plus haut, on ne voit guère que des plantes alpestres, dont beaucoup sont d’une grande beauté. Les sommets neigeux des montagnes sont déserts ; mais les plateaux inférieurs, couverts d’un gazon épais, seront bientôt envahis par d’innombrables troupeaux qui feront de cette région une Écosse australienne, tandis que les vallées et les pentes livreront à l’exploitation leurs forêts épaisses. Sur quelques points aussi apparaissent de vastes déserts sans végétation, semblables à l’immense dépression de terrain qui constitue l’intérieur du continent.

Parmi les arbres de cette région, qui sont également ceux de la Tasmanie, île voisine de Victoria, il faut mentionner d’abord l’acacia melanoxylon (blackwood) dont le bois noir, d’une grande beauté, a quelque analogie avec le noyer. Puis viennent les eucalyptus, dont les nombreuses variétés ont souvent été prises pour des espèces particulières[11]. À ce genre appartiennent le gommier rouge (red gum), le gommier bleu (blue gum), l’écorce de fer (iron bark), et une foule d’autres qui donnent des bois très précieux pour les constructions. Lorsqu’ils sont exposés à l’air quelque temps après la coupe, ces arbres se durcissent considérablement et deviennent très difficiles à travailler. Cette propriété, que n’ont pas ceux de la Nouvelle-Galles, est due à la solidification des gommes et résines contenues dans le tissu ligneux en si grande abondance que celui-ci en paraît inondé. Elles donnent à ces bois une durée remarquable et les rendent particulièrement propres aux constructions hydrauliques. Grâce à elles, les piles des quais et des jetées, dont la solidité est si souvent compromise par les ravages du taret, paraissent à l’abri de ces attaques. Ces ouvrages, dont la construction est extrêmement coûteuse (le quai de la baie de Hobson a coûté 4,500,000 francs), et qui nécessitent des vérifications fréquentes et dispendieuses, duraient en moyenne vingt années. Construits avec le red gum ou le stringy bark, ils auraient une durée presque indéfinie, le capitaine Ferguson ayant constaté que les piles des quais de Melbourne, qui datent de 1842 et 1846, sont encore intactes[12].

Ces précieuses essences fournissent encore des écorces très riches en tanin qui sont déjà l’objet d’un commerce considérable, puisque Victoria seule en a exporté en 1860 pour une somme de 134,000 fr. Elles produisent en outre des résines et des huiles essentielles dont on tire un grand parti. Ces huiles, employées soit pour l’éclairage, soit pour la fabrication du vernis, soit dans la parfumerie ou même dans la médecine, sont obtenues par la distillation des feuilles, dont la récolte, ordinairement faite par des femmes et des enfans, constitue pour ainsi dire les seuls frais de production. On évalue le rendement à 3 litres 1/2 d’huile par 100 kilogrammes de feuilles. Une des propriétés des huiles essentielles d’Australie est de dissoudre la Comme fossile de Kauri, qu’on trouve en grande abondance dans le pays, qu’on peut se procurer à très bas prix, mais dont on n’avait jusqu’ici pu tirer aucun parti, faute de substance capable de la dissoudre.

Malheureusement la plupart des espèces végétales de l’Australie sont encore bien peu connues, ce qu’il faut attribuer surtout à la confusion des noms. Les mêmes espèces sont, suivant les localités, désignées par des noms différens, ou bien les mêmes noms sont appliqués à des espèces différentes. D’autres fois la ressemblance plus ou moins bien caractérisée qu’elles peuvent avoir avec les arbres de nos contrées leur a fait donner un nom européen. Tels sont le frêne des montagnes (mountain ash), le hêtre toujours vert (evergreen beech), etc., qui n’ont rien de commun avec le frêne ou le hêtre d’Europe. Il en résulte que des observations suivies deviennent impossibles, et que les naturalistes de profession eux-mêmes finissent par ne plus s’y reconnaître. Un homme tout dévoué à la science, M. Müller, l’un des commissaires de l’exposition, s’est assigné la tâche de débrouiller ce chaos, et s’occupe en ce moment d’étudier à fond le genre eucalyptus, d’en examiner les caractères, d’en déterminer les usages, et de fixer les règles d’une exploitation profitable et régulière. C’étaient là des détails dont on s’était peu inquiété jusqu’ici. Tous les efforts des colons s’étant portés vers les mines, on se bornait à couper les arbres au fur et à mesure des besoins, sans s’inquiéter du meilleur moment pour mener à bien cette opération, ni des moyens d’utiliser les diverses substances qu’ils peuvent fournir. Aujourd’hui que la fièvre de l’or est un peu calmée, que des routes nombreuses donnent accès dans l’intérieur du pays, que le prix du travail est retombé à un taux modéré, on s’aperçoit que les forêts, d’abord négligées, peuvent devenir la source de bénéfices qu’on n’avait pas soupçonnés.

La grande variété d’essences qu’on rencontre en Australie a fait penser à M. de Candolle qu’elle est, comme l’Amérique, beaucoup plus ancienne que l’Europe. Cette hypothèse est confirmée par l’existence d’animaux de formes bizarres, tels que le kanguroo, qui certainement n’appartiennent pas à la dernière création, ou d’arbres tels que les araucarias, dont on retrouve chez nous des spécimens dans les terrains jurassiques, c’est-à-dire bien antérieurs à la révolution qui a donné au globe son relief actuel. Il semble que, comme un artiste qui change sa manière à chaque époque de son existence, la nature, à chaque bouleversement nouveau, modifie ses types en les perfectionnant sans cesse.


IV.

Si l’Australie appartient à une formation géologique fort ancienne, l’Inde au contraire paraît d’origine beaucoup plus récente en raison du nombre relativement restreint des espèces végétales qu’elle renferme. Une pareille conclusion brouille un peu les idées que nous nous étions faites à ce sujet, car nous avons peine à nous imaginer que les contrées qui ont été le berceau de l’humanité, celles où notre espèce a pris pied dans ce monde sublunaire, soient postérieures à celles qui n’ont été découvertes que plus tard. Cela s’explique pourtant, pour peu que nous fassions abstraction de notre orgueil et que nous ne nous imaginions pas que le monde a été créé pour nous seuls. Puisqu’à chaque révolution géologique nouvelle les espèces animales et végétales vont en se perfectionnant, il est naturel que l’homme, qui est actuellement le type le plus parfait, se soit montré d’abord sur les continens de la dernière formation, l’Asie et l’Europe. Les continens les plus anciens, l’Amérique et l’Australie, encore peuplés des espèces produites par les créations antérieures, n’ont donc pu être connus de lui que bien après son installation sur le globe.

La production végétale de l’Inde est assez connue pour que je n’aie pas à m’y arrêter ; il me suffira de dire que la culture du coton et celle du thé paraissent y avoir fait depuis quelques années des progrès prodigieux, puisqu’à l’exposition de Londres on ne comptait pas moins de cent échantillons du premier et trois cents du second. L’Angleterre est donc rassurée sur son avenir. Que l’insurrection des Taï-pings triomphe du Fils du ciel, ou que la guerre fratricide des États-Unis anéantisse les plantations, elle trouvera dans l’Inde les deux produits d’où dépend son existence, et qui lui sont aussi indispensables l’un que l’autre.

L’Inde est extrêmement boisée. Outre ses jungles, qui, comme les maquis en Corse, sont la végétation spontanée du pays, et qui se composent d’arbustes et d’arbrisseaux de toute espèce formant des fourrés inextricables, elle possède encore de vastes forêts, dont la physionomie change à mesure qu’on s’avance des rivages équatoriaux de la Mer des Indes vers les croupes neigeuses de l’Himalaya. Les premiers arbres qu’on rencontre sont les palétuviers, qui s’avancent jusque sur les plages sablonneuses baignées par la marée montante, et les cocotiers, qui, à Ceylan et sur la côte du Malabar, couvrent presque tout le littoral ; viennent ensuite d’immenses forêts de teck, de bois de santal, d’ébéniers, de bambousiers, de mangos, etc., dont quelques-unes ne peuvent être traversées qu’en plusieurs jours de marche. Plus au nord, les essences se rapprochent de celles de nos climats ; ce sont les platanes, les marronniers, les chênes, les plus de diverses espèces, qui forment alors la plupart des massifs. Enfin sur l’Himalaya, la végétation prend peu à peu le caractère alpestre qui a frappé Jacquemont dans son voyage. D’après cet illustre et si regrettable naturaliste, la végétation de ces montagnes est monotone comme elles. Il ne saurait en être autrement, puisque c’est la diversité des sites qui produit celle des plantes, et qu’ici presque tous les sites se ressemblent. Il est des montagnes élevées qui, de leur base au sommet, ne sont revêtues que d’un terne mélange d’herbes et de rochers. Plus souvent sur ce fond plat et monotone se montrent quelques arbres disséminés. Au-dessous de 2,500 mètres, ce sont presque toujours des plus aux expositions chaudes, des chênes et des rhododendrons aux expositions froides ; mais ce n’est guère qu’à la base des montagnes qu’il y a des forêts dignes de ce nom, et le caractère en est entièrement européen. À mesure qu’on s’élève, les essences disparaissent les unes après les autres jusqu’à ce que la rigueur du climat empêche la végétation même des plus robustes.

Ces forêts, à peu près abandonnées jusqu’ici aux dévastations des natifs, sont depuis quelque temps l’objet de la sollicitude du gouvernement de l’Inde, qui se propose d’y introduire un système d’exploitation régulier. Il y trouvera dans l’avenir une source de revenus considérables, tout en faisant profiter le pays de richesses aujourd’hui perdues. Et ces richesses sont immenses, à en juger par les divers produits qu’on voyait à l’exposition. Parmi ceux-ci figuraient la gutta-terbole, espèce de gutta-percha, qui paraît supérieure à cette dernière et la remplacera peut-être, des gommes élastiques, des résines, des huiles, des substances tinctoriales, des matières textiles, des produits pharmaceutiques, etc. Quant aux bois, ils étaient fort nombreux et d’une grande variété. Beaucoup servent aux constructions, mais la plupart sont surtout précieux pour l’ébénisterie. De ce nombre est l’ébène, que tout le monde connaît, et qui a donné son nom à la fabrication des meubles de luxe. La belle couleur noire de ce bois, le poli brillant qu’il est susceptible de prendre, lui donnent une valeur inappréciable, car la finesse de son grain, semblable à celui de l’ivoire, permet de le travailler dans tous les sens et de toute manière sans qu’il se fende ou se gauchisse jamais. On a pu en juger à l’exposition, où l’on voyait des meubles d’ébène massif sculptés à jour et couverts d’arabesques telles que les Indiens seuls savent en faire.

Un autre bois également employé dans l’ébénisterie est le bois de sandal ou santal (santalum album), qui est en même temps un des plus odorans que l’on connaisse. Il exhale un parfum, dû à la présence de l’huile volatile qu’il renferme, qui ressemble à la fois à ceux du citron, du musc et de la rose, et qui lui vaut d’être employé en Chine comme encens dans les temples de Bouddha. Extrêmement recherché à cause de cette précieuse qualité, le santal commence à devenir rare dans l’Inde et dans le royaume de Siam, d’où on le tirait presque exclusivement jusqu’ici ; mais on vient de le retrouver en assez grande abondance dans quelques îles de l’Océan-Pacifique, notamment aux Sandwich et dans la Nouvelle-Calédonie. Les chefs insulaires s’en réservent personnellement l’exploitation, car les indigènes eux-mêmes en font grand cas et s’en servent pour parfumer l’huile de coco, dont ils s’enduisent le corps et les cheveux. C’est le cœur de l’arbre qui produit le bois jaune et odorant qu’on livre au commerce en bûches de 1 à 2 mètres de long sur 10 ou 15 centimètres d’équarrissage. On estime à vingt-cinq le nombre des navires annuellement équipés à Sydney pour aller récolter dans ces îles le bois de santal, qu’ils achètent aux chefs indigènes en échange d’armes, d’instrumens de fer, de tissus de calicot, etc. La plus grande partie est consommée en Chine, où il se vend de 50 à 75 francs les 100 kilogrammes. Depuis quelques années, les progrès de l’insurrection ont un peu ralenti ce commerce.

Les collections de l’Inde et de Ceylan renfermaient aussi des échantillons de teck (tectonia grandis). Le teck passe pour être le meilleur de tous les bois de marine, et pour ce motif fait l’objet d’un immense commerce avec l’Angleterre. Peut-être s’étonnera-t-on de nous voir insister de préférence sur les bois propres aux constructions navales. Il semble en effet qu’après les événemens récens qui viennent de démontrer l’impuissance des bâtimens en bois dans une lutte contre des bâtimens en fer, il faille renoncer absolument aux premiers et opérer le plus tôt possible la transformation complète de tout le matériel flottant. Bien que le Monitor et le Merrimac fussent tout en fer, il n’est pas probable cependant que le bois soit jamais abandonné dans les constructions navales, car les bâtimens cuirassés eux-mêmes en réclament pour la charpente et la muraille intérieure. D’ailleurs, ainsi que l’a parfaitement montré M. Xavier Raymond[13], ces sortes de navires sont tellement coûteux qu’ils resteront l’apanage de quelques-unes des plus grandes puissances, et que celles-ci elles-mêmes seront forcées d’en limiter le nombre à leurs ressources. Il ne faut pas non plus négliger une considération importante : c’est que tous ces nouveaux engins, qui rendent la guerre de plus en plus ruineuse et meurtrière, tendent par cela même à la rendre aussi de plus en plus rare. Quand le jour sera venu où la moindre expédition pourra suffire à ruiner les finances d’un pays et à détruire des armées entières, on aime à croire que les marines militaires n’auront plus d’autre objet que la police des mers, et ne seront plus destinées au combat ; elles pourront alors sans inconvénient se composer exclusivement de bâtimens en bois, préférables à tous égards. On aura donc toujours besoin de bois pour la construction des vaisseaux, et lors même qu’il n’en faudrait plus pour la marine militaire, il n’en resterait pas moins la marine marchande à pourvoir. Bien que celle-ci ne réclame pas d’aussi fortes pièces que la première, elle n’en est pas moins intéressée à donner à ses navires la plus longue durée et la plus grande solidité possibles. C’est d’après les bois dont ils sont construits que le Lloyd classe les bâtimens qu’il assure. D’ailleurs, dire qu’un bois est propre aux constructions navales, c’est dire qu’il est à la fois léger, nerveux, résistant et durable, c’est lui reconnaître par conséquent des qualités qui le rendent précieux pour une foule d’autres usages. C’est précisément le cas du teck, qui est également très employé dans les constructions civiles, la menuiserie, la carrosserie, l’ébénisterie, etc. Ce qui le rend supérieur au chêne, c’est non-seulement une plus grande ténacité et une incorruptibilité presque absolue, mais encore l’avantage qu’il a sur celui-ci de ne pas attaquer le fer avec lequel il est en contact. L’acide gallique que contient le chêne agit en effet si énergiquement sur ce métal, qu’on a vu en Angleterre en très peu de temps les plaques des bâtimens cuirassés profondément altérées. Les forêts de teck sont nombreuses dans l’Inde ; mais les plus beaux bois viennent de la Birmanie anglaise et du royaume de Siam. Les arbres y sont plus grands et d’un port plus régulier ; on en a mesuré qui avaient près de 40 mètres jusqu’aux premières branches, et il n’est pas rare de voir arriver dans les chantiers des billes de 25 mètres de long sur 80 centimètres d’équarrissage, dimensions que les chênes n’atteignent que bien rarement. Seulement, comme les arbres sont exposés pendant leur vie aux attaques de nombreux insectes, il faut vérifier soigneusement toutes les pièces qu’on emploie pour en reconnaître les défauts. Le teck croît très rapidement dans sa jeunesse ; on en voyait à l’exposition deux plants âgés de deux ans et ayant 10 mètres de haut sur 30 centimètres de tour. Il lui faut cent soixante ans pour atteindre un mètre de diamètre. Les principaux marchés de ce bois sont Malabar, Java, Siam, Moulmein et Rangoon.


V.

Grâce à l’Angleterre, dont les colonies sont disséminées sur tous les points du globe, nous avons pu voir en quelque sorte réunis les échantillons de tous les produits ligneux du monde entier, et nous faire une idée des services qu’ils sont appelés à nous rendre. Quoique bien confuse encore, cette idée suffit pour nous faire apprécier l’importance de ces produits, pour nous montrer qu’ils alimentent, soit comme combustibles, soit comme matières premières, la plupart de nos industries, et pour nous faire considérer enfin l’arbre comme le plus précieux de tous les végétaux que la nature ait mis à notre disposition ; mais combien sur ce point ce que nous connaissons est peu de chose à côté de ce que nous ignorons ! Qui sait ce que nous pourrions retirer des 1,200 ou 1,500 espèces qui vivent sur la terre, et dont beaucoup n’ont pas encore d’existence botanique bien constatée ? Il n’en est pas une qui, à côté de son bois, ne puisse nous fournir quelque autre produit non moins précieux : des fruits, des écorces, des fibres textiles, des substances tinctoriales ou pharmaceutiques, des huiles, des gommes, des résines, et une foule d’autres matières que nous ne soupçonnons pas. L’ailanthe et le mûrier servent à nourrir l’insecte qui nous donne la soie, source d’une industrie immense qui fait vivre des millions d’hommes ; mais combien d’autres espèces pourraient nous rendre des services analogues ! Le quinquina, le quassia, sont employés par nous comme fébrifuges ; mais connaissons-nous seulement la dixième partie des remèdes que les Indiens tirent de leurs arbres, et avec lesquels ils guérissent des maladies où toute notre science reste impuissante ? Il y a donc dans cette voie d’immenses progrès à faire, et l’exposition aurait pu y contribuer puissamment, si, comme je l’ai dit au début de cette étude, les collections avaient été rangées avec plus de méthode, si, réunies dans une même salle, elles avaient permis à l’industriel comme au savant d’en faire l’examen détaillé.

À défaut de ce résultat positif, l’exposition en a du moins eu un négatif, celui de nous montrer combien nos connaissances sur ce point sont encore peu étendues. Ce ne sont pas seulement les qualités des différens bois et les produits variés qu’on pourrait tirer des arbres qui nous sont inconnus ; ce sont parfois les caractères botaniques des espèces, et même de celles qui depuis longtemps déjà sont entrées dans la consommation. Le plus souvent, dans le commerce, les bois exotiques sont désignés par des noms usuels qui n’ont rien de scientifique. C’est sous ces noms divers que les marchands les font venir de l’étranger, et qu’ils vendent aux consommateurs les meubles et objets qu’ils en font fabriquer. Quant à ces derniers, ils achètent ces objets de confiance, sans se préoccuper autrement de leur origine. C’est ainsi par exemple que les noms de bois de rose, bois de violette, bois de citron, bois de jasmin, etc., servent à désigner des bois qui n’ont rien de commun avec la rose, la violette, le citronnier ou le jasmin. Quelques-uns, même parmi les plus usuels, tels que le palissandre, nous sont expédiés de certains ports de l’Amérique méridionale, sans qu’on sache encore exactement dans quelle région de l’intérieur ils croissent. On conçoit cependant combien il serait utile de connaître tous ces détails, et surtout les ressources que chaque pays peut présenter ; mais, pour être fixé sur ce dernier point, il faudrait que l’exploitation de ces bois ne fût pas abandonnée au hasard, et qu’on n’attendît pas la ruine des forêts pour prendre des mesures de conservation. Les colonies anglaises ont déjà donné l’exemple de cette sage prudence, et presque toutes ont senti la nécessité d’assurer l’avenir en réglant les exploitations. D’un autre côté, leurs catalogues de l’exposition ont été rédigés avec un soin et une abondance de détails qui en font de véritables traités de la force productive de chacune d’elles. Depuis le professeur jusqu’à l’officier, depuis le gouverneur jusqu’au colon, chacun s’est mis à l’œuvre, chacun a fourni les renseignemens qu’il possédait et qu’il pensait pouvoir contribuer à la prospérité commune. Il semble que, tout pénétrés de l’idée que c’est un devoir pour chacun d’accroître le capital commun, ils fassent individuellement tous leurs efforts, suivant la recommandation du gouverneur de la Guyane que je rappelais tout à l’heure, pour augmenter la richesse de leur nation et la puissance de leur race. England for ever !

Que parmi les nombreuses espèces d’arbres qui croissent sur notre globe il y en ait beaucoup qu’il soit possible d’acclimater chez nous, c’est chose qui n’est pas douteuse ; mais que cette acclimatation soit toujours profitable, c’est une autre question. Il ne faudrait pas s’imaginer en effet que, parce qu’on est parvenu à introduire et à perpétuer dans un pays une plante qui n’y existait pas précédemment, on ait fait une bien précieuse conquête. Pour qu’il en soit ainsi, il faut deux conditions : d’abord que la plante nouvelle ne prenne pas la place d’une plante indigène plus utile, en second lieu qu’il soit moins cher de la produire soi-même que de la faire venir des lieux où elle croît spontanément. Ce sont là des vérités qui sautent aux yeux, mais qu’il était fort difficile, il y a peu d’années encore, de faire comprendre à certains esprits. Il n’y a pas bien longtemps en effet qu’il était officiellement admis qu’une nation courait à sa ruine, si elle ne produisait pas elle-même tous les objets de première nécessité dont elle avait besoin, et si elle était pour quoi que ce soit tributaire de l’étranger (c’était le mot consacré). C’était le temps où, pour avoir du sucre, du café, du coton, on se disputait les colonies capables d’en produire. C’était le beau temps de l’acclimatation, puisque, pour ne pas être au dépourvu, il fallait bien alors chercher à cultiver chez soi les plantes, à y élever les animaux qui jusqu’alors étaient l’apanage des autres nations. Les principes de la liberté commerciale, à peu près universellement acceptés aujourd’hui, ont un peu ébranlé cette doctrine exclusive du chacun chez soi ; ils nous ont appris qu’il y a duperie à fabriquer nous-mêmes ce que d’autres font mieux que nous, et ils nous enseignent que chaque pays, ayant à sa disposition une certaine somme de capitaux et une étendue déterminée de terre cultivable, doit les consacrer à la production qui convient le mieux à son climat, aux aptitudes de ses habitans, et se procurer par l’échange les objets qu’il peut trouver ailleurs à meilleur compte. Quel avantage, je vous prie, aurions-nous à introduire chez nous l’érable à sucre ou l’arbre à caoutchouc, si en fabriquant des meubles ou des tissus nous pouvons nous procurer à moins de frais le caoutchouc et le sucre dont nous avons besoin ? Je ne repousse pas systématiquement l’acclimatation ; je la crois, dans un grand nombre de cas, capable de créer des richesses nouvelles, comme elle l’a fait pour le ver à soie ou la pomme de terre : elle est surtout très désirable quand il s’agit de produits dont le commerce n’est pas encore bien établi, et sur lesquels on ne peut pas compter d’une manière assurée ; mais ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est qu’une telle question touche au moins autant à l’économie politique qu’à l’histoire naturelle, et qu’à ne pas tenir compte de la première on risque de faire beaucoup d’efforts pour arriver à un résultat négatif. Avant de rien entreprendre dans ce genre, il importe donc de connaître exactement les ressources du pays producteur, et c’est là, si je ne me trompe, une des conséquences les plus heureuses qu’on puisse attendre des expositions universelles.

Nous n’avons en Europe qu’un petit nombre d’espèces d’arbres ; mais elles n’en sont pas moins précieuses, et elles ont des exigences culturales assez variées pour nous permettre d’exploiter avantageusement les sols les plus divers et les plus rebelles à toute autre végétation. Avant d’avoir recours à une essence étrangère, étudions-en bien le tempérament, sachons quels services elle peut nous rendre, ne nous décidons à la cultiver sur une grande échelle qu’autant qu’elle aura été réellement reconnue plus utile que celle qu’elle doit remplacer. Si nous n’avons eu qu’à nous féliciter de l’acclimatation de l’ailanthe et de l’épicéa, en revanche celle du pin Weymouth ou du paulownia a été sans résultat sérieux.

Mais, pour savoir ce que les pays étrangers ont à nous offrir en fait de produits ligneux et les prix auxquels on peut les obtenir, il faudrait un ensemble de renseignemens qu’il est fort difficile à un particulier de se procurer. On ne peut guère les demander qu’à une exposition permanente dans laquelle une salle entière serait consacrée aux bois et aux substances si diverses qui s’y rattachent. Si une pareille exposition devenait un centre d’informations commerciales où les intéressés pourraient à tout moment se renseigner sur le cours des marchandises et sur la situation des principales places du monde, elle contribuerait prodigieusement à l’accroissement des relations internationales. La mise à la portée de tous de tant de produits nouveaux provoquerait sans nul doute une foule d’applications industrielles, à peine soupçonnées, qui augmenteraient la richesse sociale dans une proportion considérable. Quand on voit les nombreux services que nous rendent les vingt ou vingt-cinq espèces d’arbres que nous possédons, on peut juger de ceux que nous devons attendre de toutes les autres le jour où nous saurons le parti qu’on peut en tirer. Arracher à la nature ses secrets, créer des valeurs nouvelles, satisfaire, par des produits de plus en plus nombreux, à des besoins toujours croissans, tel est en ce moment le rôle de la science et celui de l’industrie. Il y a dans cette voie, pour ceux que tourmente l’attrait de l’inconnu, encore bien des conquêtes à faire, conquêtes fécondes et bienfaisantes, qui n’ont rien de commun avec celles qu’on fait par la guerre, ce long gémissement, car elles n’apportent aux sociétés humaines ni troubles ni souffrances ; mais elles les laissent plus grandes et plus heureuses.


J. CLAVE.

  1. Dans son ensemble, l’exposition était anglaise plutôt qu’universelle, moins, comme on l’a dit, parce que la place avait été refusée aux autres nations que parce qu’un grand nombre d’industriels ont négligé d’y prendre part. D’un autre côté, le nombre des visiteurs a été moindre, dit-on, qu’en 1851 et 1855, et l’on prétend que l’entreprise n’a pas fait ses frais. Que conclure de là ? Que, si l’on considère les expositions universelles comme devant avoir un résultat pratique en permettant de constater les progrès industriels accomplis, cette dernière a suivi de trop près les deux autres ; que, si au contraire on se borne à y voir un prétexte pour les peuples de se voir et de se connaître, Londres n’est pas la ville qu’il faut choisir, car, ville d’affaires avant tout, elle n’offre qu’un médiocre attrait, qu’une médiocre distraction à la foule des curieux pour qui l’exposition n’est qu’une occasion de voyage. Je crois que la vraie solution du problème des expositions est celle qu’on trouve développée dans un rapport du prince Napoléon sur l’exposition de 1855. Au lieu d’entasser, comme on le fait aujourd’hui, dans des palais toujours trop étroits tous les produits du monde entier, et de fatiguer le public et les exposans en leur montrant tous les trois ou quatre ans la même chosa, on diviserait en quatre branches les productions de l’activité humaine, — beaux-arts, machines, produits manufacturés, agriculture et produits bruts. — On ferait tous les trois ans, dans des villes différentes, une exposition spéciale pour chacune de ces branches.
  2. Il faut mentionner cependant certains tissus fabriqués avec une laine obtenue par la décomposition des aiguilles de pins. Cette laine, dont on fait des tapis, des couvertures, etc., a une odeur aromatique qui la met à l’abri des attaques des insectes. Le résidu liquide que laisse la coction des feuilles est en outre employé avec succès, sous forme de baius, contre les douleurs rhumatismales.
  3. Le défaut d’aptitude de l’orme à supporter ces alternatives a été confirmé récemment par un fait singulier dont lord Paget a fait l’aveu à la chambre des communes. Lors de la construction des fameuses chaloupes canonnières dont on a tant parlé il y a quelques années, on s’est servi, faute de chêne, de madriers d’orme pour faire les bordages. Après quelques mois, ces chaloupes étant hors de service, il fallut les remettre en chantier pour les refaire à neuf.
  4. A l’exposition agricole qui eut lieu à Paris en 1860, l’école forestière de Nancy avait envoyé sa magnifique collection de bois indigènes, réunie par les soins de M. Mathieu, professeur d’histoire naturelle, et présentant tout à la fois le caractère scientifique et pratique qui est indispensable pour arriver à un résultat utile. Cette collection comprenait environ neuf cents échantillons de bois, divisés en cinq grandes séries. La première était destinée à faire connaître les caractères botaniques de nos arbres, tandis que les autres, groupant les essences en bois de marine, bois de construction, bois de travail et bois de feu, nous montraient à quoi elles sont propres. Il est très regrettable que cette collection n’ait pas été envoyée à Londres, où elle eût pu servir de modèle aux autres pays pour les expositions futures.
  5. Les bois du Canada sont divisés en quatre classes : 1o  les bois d’équarrissage, 2o  les douves, 3o  les mâts, esparts, beauprés, rames, anspects, 4o  les madriers, planches, bordages et lattes. Tout inspecteur est tenu de fournir au propriétaire la spécification du bois inspecté, et c’est sur cette spécification que sont basés les droits à payer à la couronne. Les marques apposées sur les pièces sont les suivantes : M pour désigner un bois marchand ayant les qualités et les dimensions requises, V pour les bois de bonne qualité, mais au-dessous des dimensions réglementaires, S pour les bois de deuxième qualité, T pour ceux de troisième, R pour les pièces de rebut.
  6. Les premiers établissemens européens sur la côte de la Guyane datent de 1580. Ils furent créés par quelques habitans de la Zélande, une des provinces de la Hollande, qui vinrent s’établir sur les bords du Poméron et de l’Esséquebo. En 1613, on y amena des esclaves d’Afrique, et peu après de nouveaux établissemens furent créés sur deux autres fleuves, le Berbice et le Demerary. En 1781, l’Angleterre s’empara de toutes les colonies hollandaises des Indes occidentales. Restituée à la Hollande en 1783, la Guyane tomba ensuite entre les mains des Français, à qui elle fut reprise en 1796. Elle acquit en peu d’années une prospérité remarquable, car en 1802 elle exportait 10 millions de livres de café et 36 millions de livres de sucre. Prise par les Anglais en 1803, elle fut démembrée en 1814, et une partie seulement fit retour à la Hollande. L’esclavage, à peu près aboli en 1808, le fut définitivement en 1834.
  7. On lit dans le rapport des commissaires de l’exposition, auquel j’emprunte la plus grande partie de ces détails, que le coton était avant 1820 le principal objet d’exportation de la Guyane anglaise. En 1803, elle expédiait 46,435 balles de 300 livres. Plus tard, la culture du coton fut peu à peu abandonnée, parce qu’en raison des droits qui frappaient cette matière à son entrée en Angleterre, elle devint moins profitable que la culture de la canne à sucre ou du café. De 1819 à 1823, les deux tiers des bras employés jusqu’alors à cultiver le coton passèrent aux deux autres produits. Le développement de cette culture aux États-Unis et le bas prix auquel le travail esclave permettait de le livrer achevèrent de lui donner le coup de mort en Guyane. De 20 deniers la livre, prix de 1817, le coton était tombé en 1821 à 8 deniers 1/2, prix qui n’était plus rémunérateur. Depuis plusieurs années, il n’en a plus été exporté une seule balle : frappant exemple des résultats auxquels peuvent conduire les erreurs économiques !
  8. D’après M. M’Clintock, le surintendant des fleuves et rivières, qui vit au milieu des Indiens, leur nombre est d’environ 22,000 dans la Guyane anglaise. Sur les frontières du Brésil, qui ne sont pas encore bien déterminées, ils sont quelquefois exposés à des razzias de la part des habitans de cet empire, qui les réduisent en esclavage.
  9. « Il est étonnant, dit le docteur Hancock, que le fruit de l’ubudi soit encore inconnu en Europe, car c’est sans contredit le meilleur de tous les fruits du continent américain. On en fait aussi un vin délicieux, »
  10. Il y a bien encore la colonie de l’Australie de l’ouest (West-Australia), qui comprend toute la partie occidentale du continent, environ le tiers de l’étendue totale, et dont la capitale est Perth, sur le Swan-River ; mais elle est trop peu importante pour entrer en ligne avec les autres : elle n’a que 13,000 habitans.
  11. Ce qui a sans doute contribué à cette confusion, c’est que les feuilles de ces arbres, qui sont persistantes et d’un bleu vert, changent de forme tous les trois ou quatre ans. Il existe dans les jardins de la ville de Paris, à La Muette, un eucalyptus globulus qui, du mois de juin dernier au mois d’octobre, s’est accru de près de 4 mètres. Selon toute probabilité, ces arbres pourraient facilement s’acclimater dans le midi de la France et en Algérie.
  12. Le capitaine Ferguson a fait de curieuses expériences sur la durée des diverses espèces de bois employés dans l’eau. Il a reconnu qu’avec la plupart des autres essences les attaques du taret diminuaient chaque année d’environ un quart de pouce le diamètre des piles. Une pile d’un pied de diamètre n’a donc plus au bout de vingt ans qu’une épaisseur de sept pouces, et n’offre plus la solidité nécessaire.
  13. Voyez dans la Revue (1er  et 15 juin, 1er  et 15 juillet 1862) les Marines comparées de France et d’Angleterre.