Les Essayistes anglais/03
M. Sydney Smith a été l’un des fondateurs de la Revue d’Édimbourg, et c’est, de tous les écrivains qui appartiennent à la belle époque de ce célèbre recueil, celui dont le talent était le plus populaire. Membre du clergé anglican, M. Sydney Smith remplissait vers la fin du dernier siècle, comme il nous l’apprend lui-même, l’humble poste de curé dans la plaine de Salisbury, quand il l’échangea pour les fonctions non moins ingrates de précepteur auprès d’un jeune homme qui se rendait à l’université de Weimar. La guerre continentale lui ayant fermé le chemin de l’Allemagne au moment où il se préparait à passer la mer, il prit le parti de tenter la fortune à Édimbourg. Fixé dans cette ville savante, il s’y lia bientôt avec Jeffrey, Brougham, Murray et plusieurs autres membres de la Speculative Society, qui, alors inconnus comme lui, étaient destinés tous à se faire un nom dans les lettres et la politique. Il est fâcheux que M. Sydney Smith, dont la répugnance à parler de lui-même est grande, n’ait dit que quelques mots en passant sur cette époque si intéressante de sa vie. Sa spirituelle gaieté eût animé singulièrement un récit où il aurait raconté par quels degrés ces studieux jeunes hommes, dont l’amitié exerça une influence si grande sur leur avenir, en vinrent à vouloir examiner, dans une publication périodique, toutes les questions philosophiques et morales qui ont, dans tous les temps, attiré les grandes intelligences, et que, jusque-là, ils s’étaient contentés de débattre entre eux. M. Sydney Smith se borne à nous apprendre, avec le laconisme qui lui est ordinaire, que se trouvant un jour au huitième ou neuvième étage que Jeffrey, jeune et pauvre alors, habitait dans Buccleugh-Place, l’idée lui vint de proposer l’établissement d’une revue ; que cette idée fut accueillie par ses amis avec acclamation ; qu’il se trouva seulement en désaccord avec eux sur le choix de l’épigraphe latine à placer sous le titre, et qu’enfin, nommé editor ou directeur du nouveau recueil, il resta juste assez de temps à Édimbourg pour en faire paraître la première livraison.
Heureusement, les collaborateurs de M. Sydney Smith n’ont point imité sa réserve, ou plutôt son indifférence ; les mémoires de Francis Horner, publiés l’année dernière à Londres, contiennent de curieux détails sur l’histoire pour ainsi dire intime de la Revue d’Édimbourg. Ils font connaître les difficultés d’exécution, les obstacles très sérieux, quoique ignorés du public, que toute entreprise honnête et sérieuse de critique rencontre au dedans de soi, alors même qu’elle vient se placer au milieu des circonstances les plus favorables, entre une littérature féconde et de grandes choses à faire en politique, lorsque tout semble enfin appeler l’avènement des talens et des ambitions d’une certaine valeur. Avant d’arriver à l’examen des écrits de M. Sydney Smith, montrons les commencemens de l’œuvre à laquelle il devait prendre une part si active.
Dans les associations les plus libres, il y a toujours un homme qui finit par exercer sur ses égaux une autorité d’autant plus légitime, qu’il la doit seulement à l’irrésistible ascendant de sa supériorité. Telle paraît avoir été la position de Jeffrey au milieu de ses amis. C’est chez lui qu’ils se réunissaient, c’est à lui qu’ils confiaient leurs espérances et leurs projets ; il était l’ame, en un mot, de ce commerce charmant et délicat qui fit éclore tant d’esprits distingués ; il fut ensuite le lien commun qui les rapprocha dans l’absence, quand des fortunes diverses les forcèrent de se disperser et de choisir leurs chemins. Je ne veux pas contester à M. Sydney Smith l’honneur (et c’en est un assurément auquel il doit tenir) d’avoir le premier songé à créer la Revue d’Édimbourg ; mais quand même Jeffrey n’aurait pas un peu contribué à lui inspirer cette idée, il est évident que celui-ci seul avait la force et l’énergie qu’il fallait pour diriger une pareille publication, et même empêcher quelle échouât avant que de paraître. Horner le fait assez entendre dans ses mémoires, sans les efforts de Jeffrey, elle n’aurait jamais vu le jour. « C’est vers la fin de l’hiver dernier, écrit-il en 1802, que le plan de la Revue fut arrêté entre nous trois, Jeffrey, Sydney Smith et moi ; ce plan fut communiqué aussitôt à Murray, Allen, Hamilton. Quand à Brown, Brougham et les deux Thompson, ils donnèrent successivement leur adhésion. »
Dès-lors nous voyons Jeffrey occupé seul à recueillir les élémens de la première livraison. Au mois d’avril, cette livraison n’est guère avancée ; Jeffrey confie à Horner tous les embarras qu’il éprouve. « J’ai commencé ce matin l’article sur Mounier, lui mande-t-il ; malheureusement nous sommes en retard et nous laissons échapper quelques symptômes de découragement ; déjà l’on réclame contre la date fixée pour notre première apparition, et l’on semble à présent vouloir un délai qui pourrait bien nous être fatal. Cependant il y a quelque chose de fait, et plus encore, je l’espère, en voie d’exécution. Smith est parvenu à la seconde moitié de sa tâche ; Hamilton aussi. Allen a fait quelques progrès. Pour ce qui est de Murray et de moi, nous avons accordé nos instrumens, et nous sommes presque prêts à commencer. D’un autre côté, Thompson est malade ; Brown ne s’est engagé à examiner que les comédies de miss Baillie, et Timothée, loin de prendre aucun engagement, a déclaré l’autre jour qu’il croyait bien qu’il ne noircirait jamais de papier pour notre cause. Quant à Brougham, vous savez avec quel entraînement il accueillit d’abord notre idée et comme il nous promit, sans hésiter, de nous fournir au moins deux articles. Il y a quelques jours, je lui proposai deux ou trois ouvrages qui me semblaient devoir lui convenir ; il m’a répondu très gaiement que son opinion n’était plus tout-à-fait la même à l’égard de notre entreprise, et qu’il était plutôt éloigné maintenant d’y prendre part. » Ce fragment de la correspondance de Jeffrey contient la liste à peu près complète des premiers écrivains de la Revue d’Édimbourg. Dans le nombre se trouvent des noms qui nous sont familiers ; d’autres sont moins connus généralement hors de l’Angleterre. Jeffrey, Brougham, Horner, à qui ses travaux sur les questions financières ont fait une réputation méritée, et qui entra dans la chambre des communes dès 1806, à l’âge de vingt-huit ans ; Murray, devenu lord avocat d’Écosse en 1836, puis juge de la cour de session (court of session) dans le même royaume en 1839 ; Sydney Smith, enfin, sont les écrivains qui, par leur collaboration active, par l’union étroite de leur talent et de leurs efforts, par la généralité de leurs essays critiques, ont fait le caractère et la célébrité de la Revue d’Édimbourg. Les autres, savans d’un mérite solide, y ont représenté les branches diverses des connaissances humaines, toutes ces nobles études qui jetaient au commencement du siècle un si vif éclat sur l’Athènes du nord. Aux noms cités dans la lettre de Jeffrey il faut ajouter celui de Playfair. Brown a occupé la chaire de philosophie morale illustrée par Dugald Stewart ; le docteur Thompson a été professeur de pathologie dans la vieille université écossaise ; l’autre Thompson, (celui qui est désigné sous le nom de Timothée) était simple advocate ; Alexandre Hamilton est devenu depuis professeur de sanscrit à Heyleybury, et Allen enfin, alors chirurgien à Édimbourg, est maintenant directeur du collége de Dulwich.
Si l’on songe qu’aux hésitations inséparables de tout commencement vinrent se joindre des difficultés d’exécution matérielle, on ne sera pas étonné qu’il ait fallu plus de six mois pour la composition du premier numéro de la Revue d’Édimbourg, et qu’elle n’ait enfin paru qu’au commencement de novembre 1802. Parmi les promoteurs de ce recueil, il ne s’en trouvait aucun qui eût de la fortune et qui ne fût étranger en même temps, comme on l’est toujours avec des convictions, à tous ces vils calculs de l’intérêt qui perdent les entreprises de la pensée ; ils n’avaient qu’un but, c’était de communiquer avec le public ; cette passion triompha de tous les obstacles. Cependant leurs ressources étaient si restreintes, telle était la modestie de leurs espérances, qu’ils n’osèrent aventurer dans un premier essai plus de sept cent cinquante exemplaires. Ils eurent le bonheur de voir cette édition épuisée en moins de quinze jours. Ils avaient donc fait sensation, ils n’en pouvaient plus douter ; mais que pensait-on de la Revue et d’eux-mêmes ? Horner s’en préoccupe ; on retrouve la trace de cette inquiétude dans le journal où il consigne méthodiquement toutes ses réflexions à mesure qu’elles lui viennent : « Je dirai l’accueil que notre premier numéro a reçu à Édimbourg, car nous ignorons encore quelle aura été sa destinée à Londres. Au total, je ne crois pas qu’il nous ait fait beaucoup d’honneur (I do not think we have gained much character by it) : ce n’est pas qu’on l’ait trouvé sans mérite ; mais la sévérité des jugemens, l’esprit de dénigrement qui perce dans quelques articles, ont déplu à beaucoup de monde. Il faudra que nous adoucissions notre ton dans la prochaine livraison, et que nous montrions plus d’indulgence pour la sottise et le mauvais goût. Jeffrey est, de nous tous, celui que cette publication aura mis le plus en relief ; on sait généralement, dans le public, quelles sont les pages qui viennent de lui, et sans comparaison ce sont les meilleures de la Revue. » Ainsi, à peine la critique honnête venait de s’établir au milieu, je devrais dire au-dessus des journaux littéraires sans dignité, sans conscience, dont l’Angleterre et l’Écosse étaient inondées alors, à peine avait-elle prouvé par la hauteur de ses vues, par une élégance peu commune de style et de pensée, et surtout par un parti pris de franchise, qu’elle voulait se soustraite à la double tyrannie des auteurs et des libraires, que déjà les amours-propres blessés au vif et la spéculation alarmée criaient au public qu’elle allait trop loin, et réussissaient presque à la troubler elle-même. Jeffrey s’était attendu à cette première défaveur ; plus ferme que Horner, il ne perdit point son temps à tâter pas à pas le terrain de l’opinion ; il avait accepté bravement, avec les fonctions d’editor, les dégoûts, les faux jugemens, les calomnies même qui en tout temps ont rempli d’amertume la vie des hommes de cœur engagés dans les luttes de la critique : trop heureux quand il n’avait que de pareils ennuis à supporter ! Ses plus graves soucis lui venaient de ses collaborateurs mêmes, dont il avait à réveiller le zèle ou à gourmander la paresse. Quelques-uns quittèrent Édimbourg vers la fin de 1802 ; M. Sydney Smith retourna en Angleterre, où il reprit ses fonctions ecclésiastiques ; Horner se rendit à Londres pour y étudier de plus près les grandes question d’économie et de finances. Il fallut que Jeffrey entretînt une correspondance suivie avec ses amis dispersés, qu’il pressât de loin leurs travaux, et rassemblât non sans peine les matériaux incertains de chaque livraison. C’étaient là de petites misères dont le public ne se doutait point, mais qui mettaient souvent sa constance à de cruelles épreuves et avaient fini par nuire à ses travaux littéraires : « Vous dites, écrivait-il à Horner en 1804, que je ne produis pas assez. En peut-il être autrement ? Je perds tant de temps à stimuler mes fournisseurs retardataires, qu’il ne m’en reste guère pour faire quoi que ce soit. Je commence à croire qu’en ceci, comme dans bien d’autres cas, les fonctions d’editor sont incompatibles avec le métier d’auteur. Une autre raison de mon apparente paresse, c’est qu’en ma qualité de patron de la fête, je prends ma place le dernier, et il m’arrive souvent de trouver la table envahie par les convives sans que je m’en sois aperçu. » Ce ne sont pas là les seuls embarras que ses confidences révèlent. Jeffrey songe à une foule de sujets qu’il ne peut traiter lui-même ; il faut qu’il se mette en campagne pour trouver les écrivains les plus capables de les faire valoir. Il voudrait aussi amener les littérateurs et les poètes en réputation à lui prêter le concours de leur talent. Déjà sir Walter Scott s’était rendu à son appel, mais cette adjonction brillante ne lui suffisait point : « Quand viendront Wordsworth et Southey ? Demande-t-il dans la lettre dont je viens de parler. N’avez-vous pas vu Campbell ? Que fait-il ? »
Jeffrey cherchait ainsi, sans s’en douter, à se créer des obstacles bien plus grands que ceux qu’il avait rencontrés jusqu’alors ; il ignorait encore que les critiques et les poètes, que le juge et le patient (ce dernier mot soit dit sans antiphrase), ne sauraient s’accorder ensemble, et, qu’entre eux, tôt ou tard, la rupture est inévitable. De son côté, Walter Scott, trompé par son amitié pour Jeffrey, s’imagina de bonne foi qu’il vivrait toujours en bonne intelligence avec une Revue que sa propre fécondité forçait à parler souvent de lui, ou peut-être crut-il désarmer cette terrible ennemie en vivant côte à côte avec elle. Son illusion à cet égard alla si loin, qu’il engageait encore Southey, un an avant la création du Quarterly Review, à imiter son exemple. « Comme vous faites parfois des articles de Revue, écrivait le célèbre romancier au futur poète-lauréat en 1807, me permettrez-vous de vous soumettre une pensée qui m’est venue ? Vous en ferez, du reste, ce que vous voudrez. Je suis persuadé que Jeffrey s’estimerait à la fois heureux et honoré, si vous lui envoyiez des travaux sur des livres de votre choix, où vous exprimeriez librement, bien entendu, vos opinions personnelles. Chaque article de la Revue est payé dix guinées, et ce prix sera augmenté bientôt, etc. » Southey déclina l’offre de sir Walter Scott, s’excusant sur ce que ses opinions en politique différaient trop de celles de Jeffrey ; mais il avait sur le cœur la critique de Thalaba, et, barde anglais aussi rancunier que Byron, il ne pardonnait point au reviewer écossais d’avoir maltraité ses vers.
Depuis que les œuvres des poètes sont justiciables de la presse, la politique est le prétexte ordinaire des ressentimens qu’ils nourrissent contre elle. On fait bon marché de ses écrits ; on se soucie bien de ce qu’un critique peut dire : qu’il blâme à son aise, puisque tel est son droit ; mais l’on est citoyen avant d’être auteur, et si l’on se brouille avec un journal qui pense mal de vous, c’est tout simplement parce qu’il a choqué l’opinion de votre parti. Le torysme ne l’avait pas empêché de s’associer aux premiers travaux des fondateurs d’une Revue consacrée à la propagation des principes whigs ; mais quand il eut compris que cette familiarité n’apaisait pas leur justice, il s’avisa de penser qu’un écrivain loyaliste ne pouvait frayer plus long-temps avec les adversaires du régime existant. Il est vrai qu’il feignit de croire, et son biographe, M. Lockhart, l’a répété depuis, que la Revue d’Édimbourg était d’abord destinée à un terrain neutre où toutes les opinions devaient se donner la main ; il prétendit que Brougham avait manqué le premier à cette convention tacite. Un vieux tory cité par M. Lockhart va même jusqu’à attribuer ce changement aux dédains de Pitt, qui ne sut pas attirer à lui ces brillans jeunes hommes alors qu’ils n’étaient point passés encore dans le camp ennemi. Il fallait avoir bien mal lu les premiers articles qu’ils publièrent pour se tromper ainsi sur leurs tendances. Du reste, je ne veux point dire que Walter Scott ne fut pas vivement blessé dans ses sentimens de tory par le fameux article de Brougham sur l’Espagne ; mais croit-on que, si la critique de Marmion n’avait point paru auparavant il aurait fait un éclat, et qu’il fut bien fâché de voir arriver à point nommé une cause avouable de rupture ? L’anecdote suivante, rapportée dans les mémoires publiés par M. Lockhart, donne quelque vraisemblance à notre hypothèse. Jeffrey, dans l’examen de Marmion, avait montré un trop vif désir de ménager la susceptibilité du poète pour que celui-ci pût lui témoigner combien il était piqué de ce que son dernier livre n’avait pas eu l’heur de lui plaire, et pour mieux déguiser son dépit, il avait poussé l’héroïsme jusqu’à prier son critique de venir prendre à sa table sa place accoutumée. Le repas fut froid, la conversation languissante ; les deux amis qui allaient cesser de l’être, en tâchant de se cacher leur commune préoccupation, comme c’est l’ordinaire en pareil cas, la rendaient plus visible. Cependant Walter Scott avait fait bonne contenance jusqu’au bout, et Jeffrey serait sorti sans connaître les colères qu’il avait allumées, si Mme Scott, moins habile à feindre, et surtout moins faite aux usages du monde, n’eût trahi les secrets du ménage au moment même où Jeffrey prenait congé d’elle : « J’espère, lui dit-elle d’un ton d’aigreur que son accent écossais rendait plus désobligeant encore, j’espère que M. Constable (le libraire de la Revue) vous aura bien payé pour écrire l’article. » Depuis ce moment, il est presque superflu de le dire, Walter Scott et Jeffrey ne se revirent plus.
Ainsi, la querelle de la critique et de la poésie est éternelle ; il faut renoncer à les voir s’accorder jamais. Les empires peuvent disparaître, les sociétés se renouveler, l’influence des temps, des mœurs, du climat, modifier les penchans de l’art, des révolutions littéraires consacrer des poétiques nouvelles, l’amour-propre des poètes est plus immuable encore que le cœur humain. Depuis le premier vers qui a surnagé sur l’océan du passé jusqu’à la rime échappée de la veille, il n’est pas sorti une syllabe du cerveau des poètes sur laquelle la critique ait pu porter la main sans sacrilége. Les plus beaux génies et les plus médiocres écrivains semblent s’être donné le mot pour appeler sur leurs juges les foudres de la postérité ; dans notre siècle inventif, des artisans littéraires ont été jusqu’à invoquer contre eux la vengeance des lois. Et pourtant, depuis le temps qu’elle existe, les hommes de fantaisie et d’imagination devraient bien avoir pris leur parti sur les libertés de la critique ; ils devraient bien plutôt s’alarmer de son silence, de son abaissement, où, ce qui revient au même, de ses complaisances, car elle n’a jamais été vive et puissante qu’aux époques marquées par les plus belles productions de l’esprit humain, et quand la fatigue ou la corruption s’est glissée dans son sein, la décadence de la littérature contemporaine ne s’est pas fait attendre. Du reste, s’il est un exemple qui doive fortifier les hommes appelés à juger les œuvres de la poésie, c’est de voir un recueil comme la Revue d’Édimbourg, où la critique réunissait tous les élémens d’autorité, le talent, la chaleur des convictions, le désintéressement, la conscience, soulever contre elle la colère des plus grands écrivains de l’Angleterre, s’aliéner Walter Scott, répugner à Southey, inspirer la verve satirique de lord Byron, et cependant, impassible au milieu de ces orages, laisser sur tous ces hommes qui la détestaient, ou du moins la craignaient, des appréciations, presque exemptes de sentimens personnels, dont il n’est personne aujourd’hui qui ne reconnaisse la profondeur, la solidité, la justice.
La critique politique de la Revue d’Édimbourg mérite les mêmes éloges. Qui ne sait pourtant combien, sur ce terrain où les questions se personnifient nécessairement dans les hommes, où les évènemens jettent sur les principes des ombres si mobiles, les écueils sont plus nombreux, la route de la vérité plus étroite et plus difficile à tenir ? Là aussi la Revue d’Édimbourg, sans avoir été exempte d’erreurs, a su éviter les grandes chutes. Cette bonne fortune, je l’attribue également au caractère de ses écrivains. Brougham, que sa fougue emportait quelquefois trop loin, n’avait pas encore montré cette versatilité qui l’a perdu plus tard, quand il est arrivé au faîte des honneurs : la vivacité de son imagination ne donnait que plus d’éclat à ses convictions ardentes. Chez tous les autres, il y avait un fonds de raison et un sentiment de la juste mesure qu’il convient de garder dans la discussion des intérêts publics qui tempéraient en eux la passion. Ainsi M. Sydney Smith, doué de facultés qui semblent s’exclure, a su maintenir entre elles un juste équilibre qu’on ne saurait trop admirer. Esprit moqueur et que l’on pourrait croire entraîné irrésistiblement vers la satire, il semble qu’il dût être l’homme le moins propre à toucher aux problèmes difficiles qui résultaient de la condition politique et sociale de sa patrie à l’époque où il a commencé à écrire. Cependant personne ne les a discutés plus sérieusement au fond ; personne, sous une apparence de légèreté, n’a montré plus de suite dans ses opinions, un jugement plus ferme et des croyances plus chaleureuses. C’est un écrivain si singulier, et par son excentricité même, et par le contraste que son sens droit et son inflexible honnêteté de cœur présentent avec la bizarrerie de sa forme, qu’il n’est aucun de nos publicistes, je devrais dire de nos pamphlétaires, si le mot n’était pas trop discrédité, avec qui je pourrais le comparer.
M. Sydney Smith appartient à la classe des écrivains qui ont reçu en Angleterre le nom d’humoristes. Il ne faudrait pas pourtant donner à cette désignation le sens que nous y attachons généralement. L’humour, par cela même que le mot est intraduisible en français, est un genre de talent dont nous ne nous rendons pas bien compte, et qui a une signification trop exclusive chez nous. Au fond, ce n’est pas tant une qualité de l’individu qu’une face du caractère national. De même qu’il y a des figures anglaises, il y a aussi un esprit anglais, qui n’est pas l’esprit de tout le monde, qu’un étranger peut comprendre, mais qu’il ne saurait s’assimiler comme il fait de l’esprit français. La physionomie indéfinissable de cet esprit, c’est l’humour. Tout Anglais est humoriste né, et M. Sydney Smith l’est en proportion de son esprit. Cette explication est nécessaire, parce qu’en prenant droit de bourgeoisie dans notre langue, le mot d’écrivain humoriste a dévié de son origine. Il représente à nos yeux un esprit plein de caprices et de lubies, un auteur qui a des nerfs comme une femme, sensible au froid et au chaud, voyant rose à présent et disant noir la seconde d’après ; un homme enfin chez qui le tempérament règle tout, les opinions, les préférences, les idées, c’est-à-dire ne règle rien. Je n’aime pas, je l’avoue, que ceux qui sont forcés par leur nature d’obéir à de soudaines et explicables influences, aux mille réactions du monde extérieur sur le cerveau, touchent aux choses sérieuses de la critique. Autant on prend plaisir à suivre le poète que la fantaisie emporte, dont la muse rêveuse bat les buissons de la fiction à la manière des écoliers qui n’ont jamais d’autre but que de ne pas arriver, autant on finit par trouver insupportable le juge qui s’empare d’un fait, d’un homme, ou d’une idée, pour nous parler de ses chimères, pour attirer sans cesse l’attention sur lui-même ; qui, ne connaissant d’autre loi que son humeur de l’instant, soit qu’il écrive de bonne foi ou qu’il plaisante, finit toujours par mystifier le lecteur. Telle est l’idée qu’on se fait communément des humoristes parmi nous. Or, personne ne ressemble moins à ce portrait que M. Sydney Smith. Avant tout, c’est un homme qui a des convictions, qui sait d’où il part et où il va, et personne n’est plus fermement attaché que lui à certains principes invariables. Il n’a d’un humoriste que l’esprit, de bizarre et de capricieux que la forme ; chez lui, le cœur est sympathique et chaleureux, l’ame est constante, et toutes ses facultés s’emploient au service de la cause que, de concert avec ses amis d’Édimbourg, il s’est promis de défendre. Et, ce qui est bien remarquable en lui, c’est la sûreté de son jugement, c’est la clarté pénétrante de sa raison ; l’esprit qu’il a n’est autre chose que le relief de son bon sens. Dans tout ce qui est injuste et mauvais, il découvre vivement le côté grotesque, et son art consiste à faire ressortir la relation constante de l’absurde et du faux, que nous n’apercevons pas toujours dans le monde moral, et que la passion nous cache plus souvent encore dans l’ordre des idées politiques.
Du reste, nous ne saurions mieux définir cette nature d’esprit, en apparence fantasque et railleuse, au fond très sérieusement appliquée à des objets sérieux, qu’en rappelant ici ce que M. Sydney Smith lui-même a dit de sir James Mackintosh, qui a passé à bon droit pour l’un des hommes les plus spirituels de l’Angleterre. « Sir James, a-t-il écrit quelque part, n’avait pas seulement de l’humour, il avait aussi de l’esprit (wit) ; du moins, dans ses raisonnemens, des rapports soudains et nouveaux d’idées illuminaient sa pensée, produisaient sur l’auditoire le même effet que l’esprit, et auraient passé pour tels, si le sentiment instantané de leur valeur et de leur utilité avait laissé le pouvoir d’admirer leur nouveauté, et ne leur avait mérité le nom plus élevé de sagesse (wisdom)… La justesse de la pensée était un des traits fortement accusés de son intelligence ; sa tête était de celles où la sottise et l’erreur ne peuvent prendre racine… Si le talent de conversation qui le distinguait lui avait servi seulement à soutenir de brillans paradoxes, il aurait bientôt fatigué ceux qui l’écoutaient ; mais personne ne pouvait vivre long-temps dans l’intimité de sir James sans trouver qu’il possédait l’art de dissiper le doute, de corriger l’erreur, enfin d’étendre les limites et de fortifier les fondemens de la vérité. »
Il semble que, pour dessiner ce portrait de sir James Mackintosh, M. Sydney Smith se soit étudié involontairement lui-même. Ces qualités utiles de l’esprit qu’il admirait dans l’homme célèbre dont il fut l’ami, ce sont précisément celles qui caractérisent son talent ; dans son intelligence non plus la sottise et l’erreur ne sauraient germer. Être utile en combattant l’erreur, voilà le but qu’il s’est proposé sans cesse, et il peut avoir l’orgueil d’y être parvenu plus d’une fois. N’est-il pas admirable qu’un homme d’esprit ait compris l’emploi sérieux qu’on peut faire d’un mérite qui paraît propre seulement à distraire et à divertir, et que, doué comme il l’était, au lieu de se laisser prendre au faux éclat des paradoxes, il ait regardé la raison et la vérité comme l’accompagnement indispensable de l’esprit, il se soit donné ce précepte pour guide, que l’esprit doit service à quelque chose ?
Voilà ce qui fait que Sydney Smith a pu rendre des services éminens au parti dont la Revue d’Édimbourg développait les nobles principes. Au lieu de se faire l’écho de ses propres caprices et de n’être qu’un de ces railleurs sans consistance et sans dignité qu’on n’écoute plus dès qu’ils cessent d’être plaisans, il a su élever la satire politique au-dessus des régions inférieures de la polémique et de l’invective, en lui donnant pour mission d’atteindre le mal par le ridicule, et comme on l’a dit pour la comédie de mœurs, de corriger l’erreur en riant. Cette comparaison peut sembler singulière, mais je ne l’aventure point. J’ai considéré l’ensemble des écrits de M. Sydney Smith, j’ai rapproché les différens travaux auxquels il s’est dévoué pendant le cours de son honorable carrière, ses plaidoyers en faveur de l’Irlande et pour l’émancipation catholique, ses réflexions sur les méthodistes, sur la réforme des lois pénales, etc., et de cet examen attentif il m’est resté cette impression qu’en effet ce mordant écrivain n’a été inspiré que par une pensée, de détruire l’erreur en politique dans toutes ses personnifications, sous tous ses déguisemens, en tant quelle lui a semblé être un obstacle aux progrès de la civilisation et à la prospérité de sa patrie. Et, pour la combattre avec plus de succès, il a surtout attaqué sa forme la plus vulnérable, la sottise. Boileau dit quelque part que ce qui détermina sa vocation pour la satire, ce fut la haine d’un sot livre. M. Sydney Smith dut éprouver de bonne heure une antipathie pareille, mais plus étendue et plus féconde, la haine de la sottise politique. On se rappelle le mot de M. Royer-Collard sur un orateur qui venait de descendre de la tribune. « C’est un sot, s’était écrié quelqu’un à côté de lui. — Non, c’est le sot, » répliqua finement le spirituel député. C’est précisément le sot dans ses rapports avec la politique qui a été l’objet des constantes attaques de M. Sydney Smith. Tout paradoxe à part, il faut bien en convenir, la sottise est en quelque sorte une puissance dans les pays libres. Les passions qui ont remué les multitudes, les idées qui les ont conduites vers un but, ne disparaissent pas aussitôt qu’elles ont cessé d’être utiles ; elles demeurent fixées dans les esprits médiocres, c’est-à-dire chez le plus grand nombre, long-temps après que d’autres besoins ont appelé des idées et des passions nouvelles, et y dégénèrent peu à peu en préjugés et en lieux communs. Les masses qui les ont recueillies et qui les conservent avec entêtement peuvent constituer, sous la discipline des gens habiles, une milice ennemie de toute innovation, forte de son inertie, capable même d’enthousiasme, qui compte dans les affaires humaines, pour beaucoup plus que l’on ne pense. En Angleterre, où les mystères du gouvernement constitutionnel ont été, par suite d’un plus long usage, bien plus approfondis que chez nous, la puissance politique des sots n’a jamais été mise en doute. Un homme d’état qui devait s’y connaître, Charles James Fox, avait coutume de dire, toutes les fois qu’il avait pris une résolution de quelque importance : « Je voudrais bien savoir ce que lord B… en pensera. » Ses amis, qui savaient que lord B… était un des hommes les plus nuls des trois royaumes, ayant fini par s’étonner qu’il tînt à connaître l’opinion d’un pareil personnage : « Son opinion, leur répondit Fox, a beaucoup plus de valeur que vous ne vous l’imaginez. Il est le représentant exact de tous les lieux-communs politiques et de tous les préjugés anglais. Ce que lord B… pense de cette mesure, soyez-en certain, la majorité du peuple anglais le pensera. » Ce sont les lord B… de tous les rangs et de toutes les professions qui ont exercé la verve de M. Smith et lui ont inspiré ses plus divertissantes boutades. Il a inventé tout un vocabulaire à leur intention : il les appelle des vieilles femmes en culottes ; leur corporation, c’est la respectable anilité (anilitas) du royaume ; leur empire grotesque, c’est le doodledom, néologisme plaisant qu’il est impossible de traduire. Il voudrait que chaque ministre eût auprès de lui, comme Fox, un foolometer (comme qui dirait sotomètre), une sorte d’éprouvette vivante qui permît de faire sur elle sans qu’elle s’en doutât, l’épreuve de l’espèce entière, dans toutes les grandes occasions. Sur ce chapitre, M. Smith est intarissable, et, à la vivacité de certains de ses traits, on devine l’usage dangereux qu’il aurait pu faire de son talent pour la satire, si la conscience n’arrêtait pas, si la raison ne mesurait pas ses coups.
À l’époque où M. Sydney Smith a débuté dans la Revue d’Édimbourg, cette puissance des sots que j’ai essayé de définir était représentée par les squires et les clergymen, les hobereaux et les gens d’église, par ceux-ci surtout, dont les autres suivaient les leçons. Les squires avaient bien quelques préjugés qui leur étaient propres : ils tenaient vertueusement à quelques lois barbares qui protégeaient la propriété aux dépens du menu peuple ; ils trouvaient tout simple que le malheureux qui avait tué un lièvre sur les terres fût déporté au-delà des mers, et que les clôtures de leurs parcs fussent hérissées d’armes à feu et d’embûches mortelles. À force de les tourner en ridicule, à force d’invoquer avec l’éloquence railleuse qui lui est particulière les plus simples principes de la charité chrétienne, M. Sydney Smith finit par faire honte aux législateurs de ces odieux priviléges, et l’on peut dire qu’il en a, plus que tout autre, hâté l’abolition. Les clergymen étaient des adversaires plus importans et plus forts ; aussi est-ce contre eux qu’il a dirigé ses plus vives satires. Il devait bien les connaître, puisque, étant lui-même dans les ordres, il avait pu voir de près l’influence que les membres de l’église établie exerçaient sur l’opinion des masses. Étroitement liés avec les tories par des intérêts communs de conservation, ils avaient été, depuis les premiers jours de la révolution française, les instrumens les plus actifs de la politique de Pitt. C’est ainsi qu’en 1802 ils déclamaient contre la paix d’Amiens et annonçaient du haut du pulpit que tout était perdu, si l’Angleterre ne recommençait la guerre au plus tôt. Les plus emportés formaient une espèce de coterie de prédicateurs que M. Sydney Smith a caractérisée d’un trait en la nommant la tribu des alarmistes. Ils vivaient des idées de Burke, qui était mort depuis cinq ans, et parlaient avec horreur de la paix régicide, comme si le règne sanglant de la terreur menaçait toujours les aristocraties et les trônes. S’ils s’étaient bornés à s’emporter en chaire contre la révolution et les révolutionnaires, M. Sydney Smith, qui leur avait répondu indirectement à Édimbourg par des sermons sur la véritable charité et sur le faux zèle, n’aurait pu les atteindre dans la Revue d’Édimbourg, mais ils avaient la faiblesse de vouloir être imprimés, et leurs homélies politiques, répandues en brochures, passaient dès-lors sur les terres de la critique. À peine la Revue établie, M. Sydney Smith se donna le plaisir de les arrêter au passage : il excella du premier coup à peindre la suffisance burlesque et les dangereux emportemens de ces prédicateurs boursouflés. De dignes clergymen, parfaitement oubliés aujourd’hui, un docteur Parr, un docteur Rennel, un archidiacre Nares, ont passé sucessivement sous son fouet satirique. Le second avait toujours à la bouche les mots de siècle mauvais, siècle adultère, siècle apostat, siècle de freluquets (foppish age). Le reviewer, s’arrêtant à cette dernière épithète, fait semblant de croire qu’il voulait parler de certains freluquets faciles à reconnaître malgré leur déguisement, « gens habillés de noir de la tête aux pieds, qui portent de longues cannes et des chapeaux de forme hybride, pleins d’emphase dans leurs paroles et de pédanterie dans leur maintien, grands citateurs de Platon, s’efforçant de paraître vieux, affectant de mépriser les femmes et tous les agrémens de la vie, fiers ennemis du bon sens, toujours prêts à injurier les vivans et ne faisant grace de leur blâme qu’aux morts, pourvu qu’un bon demi-siècle est passé sur leur tombe. » Un M. Bowles avait publié des réflexions sur la paix d’Amiens, où il traitait assez mal la France et le premier consul ; le critique, opposant l’absurde à l’absurde, d’après le procédé de Voltaire, rapprochait deux passages de ces réflexions, et s’écriait avec une feinte douleur : « En effet, qui peut répondre du salut de la constitution, quand on considère les progrès du jacobinisme et la transparence des jupes de nos femmes ! »
Ces attaques, spirituelles jusqu’à la cruauté, firent beaucoup d’ennemis à la Revue d’Édimbourg, et l’on a vu qu’Horner lui-même s’en était effarouché. Il est certain que, si M. Sydney Smith s’était borné à ce genre d’écrits, ses petits articles vifs et mordans, jetés au milieu des pages où se déployaient les manœuvres plus mesurées de l’analyse, auraient fini par faire disparate avec le reste de la publication. Il n’aurait pu long-temps continuer une polémique aussi personnelle, quelque excusable qu’elle fût, sans s’écarter de la ligne commune et nuire à la considération de ses amis. Heureusement, le talent de M. Sydney Smith s’éleva bientôt avec les sujets qu’il sut choisir. Il ne devait jamais être un reviewer comme on l’entend aujourd’hui en Angleterre, depuis que Jeffrey, Mackintosh, Brougham en ont réalisé le type, qualités qui consistent à resserrer la substance des idées répandues dans un livre, à les élaborer de nouveau, et à faire de nerveux résumés avec de faibles ouvrages. Il laissa toujours un peu dériver sa plume au gré de sa fantaisie ; mais, en s’attachant moins aux choses de l’instant, en se passionnant davantage pour les questions sociales, il évita bientôt de tomber dans les défauts du satirist.
Une simple phrase suffira pour justifier l’estime singulière que doivent inspirer, selon moi, le caractère de M. Sydney Smith et le noble usage qu’il a su faire de son talent pour la satire politique : pendant plus de vingt ans, la cause de l’Irlande et du papisme a trouvé en lui un ardent et infatigable défenseur. Prêtre anglican, fermement attaché, quoi qu’on en ait pu dire, aux croyances protestantes, il a lutté de tout son pouvoir contre les préventions qui fermaient toutes les carrières publiques à ses compatriotes de la communion romaine, et l’on peut dire que ses généreux efforts n’ont pas été sans influence sur l’un des plus grands actes de la justice tardive de l’Angleterre, l’affranchissement des catholiques. M. Sydney Smith est un de ces hommes dont la raison a tant de rectitude, que toute injustice les révolte, un de ces esprits inflexibles qui ne sauraient concevoir que ce qui est inique et cruel soit jamais utile aux états, et n’ont point de repos qu’ils n’aient fait triompher le bon droit des opprimés. Ce sentiment de la justice a quelquefois chez lui toute la vivacité d’une passion. Il a beau être d’un tempérament rebelle à l’enthousiasme : la première fois qu’il lui est arrivé de peindre les longues infortunes endurées par le pauvre peuple d’Irlande et les folies sanguinaires dont il fut si souvent la victime, sa froide nature de critique s’est ébranlée malgré lui ; ému comme homme, comme chrétien, comme Anglais, il a trouvé l’éloquence de son indignation. Du reste, le premier transport passé, sa gaieté railleuse a repris le dessus, sans doute parce qu’il s’est dit que ni la colère ni la sensibilité n’avaient gagné le procès de l’Irlande. M. Sydney Smith prit une attitude toute nouvelle dans cette lutte qui avait duré si long-temps, et qui semblait ne devoir jamais finir. Il se réserva la tâche difficile de détruire les préventions que la masse du peuple anglais nourrissait contre les catholiques, et s’attaqua de préférence à cette puissante faction des sots, qui était le plus ferme appui des adversaires systématiques de l’Irlande. Si jamais l’esprit pouvait être utile, c’était dans une pareille question. Sans doute, il faut bien se garder de combattre avec des sarcasmes les sentimens sérieux de tout un peuple ; le dard de l’ironie s’émousse sur les fortes croyances et ne fait qu’irriter le véritable fanatisme : il ne fait pas bon de rire dans les révolutions ; mais lorsque les temps de trouble sont passés, lorsqu’aux grandes passions vite éteintes ont succédé de mesquines rancunes et des préjugés absurdes, quelle arme précieuse que le ridicule ! que de services une satire lancée à propos peut rendre dans une juste cause ! La logique simple et nue porte-t-elle des coups aussi certains ? Car la sottise publique (qu’on me permette le mot) est ainsi faite : l’entraînement du cœur, le feu de la conviction, la mettent en défiance ; elle se cuirasse d’insensibilité dès qu’elle s’aperçoit qu’on veut la prendre par les sentimens ; mais qu’on la poursuive de railleries, qu’on ne lui laisse point de relâche, elle finira par perdre contenance, et reculera en désordre sous le feu meurtrier de cette incessante moquerie, et quelquefois un mot qui aura rencontré le défaut de l’armure produira un effet plus merveilleux que vingt volumes de chaleureuses invectives et de démonstrations sans réplique n’auraient pu faire. C’est ce qui est arrivé pour la question catholique ; certes, jusqu’au jour où M. Sydney Smith intervint dans le débat avec sa raison satirique, l’Irlande et le papisme n’avaient pas manqué de nobles cœurs ni de voix éloquentes pour les défendre. Cependant je ne crois pas que, sans quelques pages signées de la manière de M. Sydney Smith dans la Revue d’Édimbourg, sans un pamphlet qu’il publia en 1808, et où il a présenté les mêmes pensées sous une forme plus plaisante, l’opinion publique en Angleterre eût été préparée aussi tôt, je ne dis pas à écouter, mais à comprendre O’Connell.
Ce pamphlet, le plus important de tous ses écrits sur l’Irlande, ce sont les Lettres de Plymley. Long-temps il s’est défendu d’en être l’auteur ; « mais voyant, a-t-il dit dans sa dernière préface, que je le nie en vain, j’ai pensé que je ferais tout aussi bien de les joindre à la collection de mes écrits. » Rappelons-nous ce que l’esprit peut accomplir en France, de combien d’années, par exemple, certaines phrases de Paul Louis Courier, qui allèrent au cœur de la branche aînée, quelques refrains de Béranger que la bourgeoisie et le peuple fredonnaient entre les verres, de combien de jours deux ou trois mots heureux que toute la France s’est répétés à l’oreille, ont avancé la révolution de 1830 ; eh bien ! ces dix lettres charmantes, répandues à vingt mille exemplaires par un autre Junius aussi insaisissable que le premier, ces feuilles à la main qui désolaient M. Perceval et lord Castlereagh, et vouaient toute une faction puissante à la risée de l’Angleterre, occupent une place aussi considérable dans l’histoire de l’émancipation catholique. Les Lettres de Plymley, pour tout dire, sont la Satire ménippée de la ligue anglicane.
De pareils pamphlets sont du petit nombre de ceux qui surnagent sur l’abîme où vont se perdre les journaux et les écrits de circonstance. C’est la forme qui les sauve ; malheureusement pour les lecteurs étrangers, ce mérite est le moins sensible. Les Lettres de Plymley, pétillantes d’esprit, mais d’un esprit tout-à-fait anglais, et remarquables surtout par le tour particulier du style de M. Sydney Smith, qui tranche même sur la manière habituelle des humoristes ; ces lettres, dis-je, perdraient tout à être traduites, et je ne tenterai pas d’en faire passer dans notre langue la désespérante originalité, certain que je suis que l’entreprise est impossible. Je me bornerai à dire, pour rappeler le point autour duquel j’ai cru pouvoir grouper tous les travaux du critique de la Revue d’Édimbourg, que, caché sous le pseudonyme de Peter Plymley, il adresse ces nouvelles provinciales à un révérend pasteur, qui est bien le parfait modèle de la sottise protestante, la quintessence des docteurs Bowles et des archidiacres Nares. Marié, père de famille, le plus honnête homme du monde, le révérend Abraham remplit scrupuleusement les devoirs de sa profession. Bon pour le pauvre anglican, charitable envers le prochain orthodoxe, il n’a qu’un travers, le digne pasteur, c’est de croire que le pape est l’ante-christ couronné, que Rome est la vieille dame écarlate qui siége sur les sept collines, que l’Irlande est un ramas d’infidèles et de bandits ; qu’il vaudrait mieux cent fois, pour le bonheur de l’Angleterre, que cette île maudite fût à cinq cents brasses au fond de la mer, et que ce qu’il y a de mieux à faire, puisqu’on ne peut s’en débarrasser, c’est de continuer les traditions du glorieux Guillaume III, c’est d’écraser l’idolâtrie papiste sous la vénérable fabrique de la constitution. Ainsi, M. Sydney Smith s’est donné pour adversaire le sot du temps dans toute la gloire de sa férocité et de son ineptie ; il l’a fait digne de représenter toute la famille. Tel est l’homme qu’il veut convaincre et ramener à des sentimens plus humains. Qu’il doit être malaisé de saper tant de préventions, de frayer un chemin au sens du juste et du vrai dans une intelligence ainsi faussée ! Ce sera l’affaire de dix lettres, mais de dix lettres si gaies, si spirituelles et si raisonnables en même temps, qu’après qu’on les a lues, on s’étonne d’une seule chose, c’est qu’il se soit écoulé un intervalle de plus de vingt années entre la publication de ce généreux pamphlet et l’affranchissement des catholiques. Tant l’éclair de la vérité pénètre avec lenteur jusques au fond des masses !
Depuis quinze ans, l’Angleterre protestante a enfin levé l’interdiction politique et civile qui pesait sur les catholiques ; les raisons alléguées alors en faveur de cette mesure, et que les Lettres de Plymley présentaient sous une forme si vive et si spirituelle, ont perdu leur plus grand intérêt. Il en est une cependant qui me semble avoir conservé toute sa force, si l’on songe aux exigences nouvelles de l’Irlande : c’est le point qui domine toute l’argumentation de M. Sydney Smith à savoir que, dans toute guerre entreprise par l’Angleterre contre une puissance européenne, le mécontentement de l’Irlande compromet la sécurité de l’empire. La situation du continent a bien changé depuis la paix de Tilsitt ; mais n’y a-t-il aucune éventualité de l’avenir à laquelle ne puisse s’appliquer encore ce que M. Sydney Smith écrivait à cette époque ? Loin de nous la pensée de caresser des idées impies d’agression contre un peuple avide autant que nous de repos, et de contribuer à faire envisager avec moins d’éloignement la perspective d’une lutte dont les conséquences seraient toujours funestes ; mais si l’Angleterre est à juste titre fière de sa force, il est bon de rappeler, en citant le témoignage même de ses écrivains, que nous n’ignorons pas où est sa faiblesse.
« Vous ne croyez pas, disait M. Sydney Smith en 1808 à ses compatriotes, vous ne croyez pas que les Français puissent entrer dans notre île sacrée ! Parce que leur armée ne peut plus être aperçue du haut des falaises de Douvres, parce que le Morning-Post ne peut plus annoncer, comme à l’époque du camp de Boulogne, la grande invasion pour lundi ou pour mardi sans faute, le danger vous semble à jamais éloigné ! Gardez-vous de cette funeste sécurité ; tant que nous aurons à côté de nous une population disposée à se jeter dans les bras du premier conquérant venu, il suffira d’un revers pour nous abattre. Vous vous reposez avec confiance sur les solides murailles de bois qui défendent notre indépendance. À quoi tient cette sécurité ? Au caprice des vents et de la mer. Dans la dernière guerre (celle de la république), les vents, ces vieux alliés de l’Angleterre qui la servent sans subsides, ces vents sur lesquels nos ministres comptent autant pour sauver les royaumes que les blanchisseuses pour sécher leur linge, nous demeurèrent fidèles, et les Français ne purent pénétrer qu’en petit nombre. Mais avez-vous oublié avec quelle facilité nos ennemis parvinrent parfois à déjouer la vigilance de nos croisières ?… Vous répondez à toutes mes raisons que l’Angleterre ne peut être conquise. Pourquoi ? parce qu’il vous semble étrange qu’elle pût l’être. Ainsi raisonnaient, dans leur temps, les Plymleys d’Autriche, de Prusse et de Russie. Si les Anglais sont braves, les autres peuples ne le sont-ils pas ? Vous ne pouvez vous faire à l’idée des suites terribles d’une invasion, parce qu’il y a trois siècles qu’on n’a vu maraudeur étranger tuer un pourceau anglais sur une terre anglaise, et puis, la vieille édition des Grands Hommes de Plutarque n’a pas peu contribué à vous persuader follement que nous saurons nous conduire en Romains. J’en accepte l’augure, mais j’aime autant que l’évènement ne vienne pas mettre à l’épreuve tous ces Romains de hasard dont il nous faudrait ensuite récompenser l’héroïsme par des pensions très peu romaines. Quoi qu’il en soit, l’invasion de l’Irlande suffirait pour nous perdre ; si les Français y mettent le pied, toute la population de cette terre opprimée se soulèvera contre vous jusqu’au dernier homme, et vous ne survivrez pas trois ans à cette révolution. Si vous tardez encore à écouter les justes griefs de l’Irlande, il ne me paraît pas impossible aujourd’hui que l’Angleterre succombe, et, sachez-le bien, nous périrons sans éveiller le moindre sentiment de pitié sympathique, au bruit des sifflets et des huées de l’Europe entière, comme une nation d’imbéciles, de méthodistes et de vieilles femmes. »
Ces prédictions sinistres, nous ne les prenons pas à la lettre, et même en 1808 il n’est pas probable qu’elles se fussent jamais réalisées. Pour forcer les tories à être justes envers l’Irlande, l’auteur des Lettres de Plymley usait d’une tactique permise ; il mettait en jeu un moyen qu’il faut croire infaillible, puisqu’il a réussi tant de fois en politique, la peur. Cependant les lignes qu’on vient de lire, toute exagération à part, ont encore une signification ; elles prouvent que, par bonheur pour le repos des peuples, tous les empires ont leur endroit vulnérable, et sont retenus par le sentiment secret de cette faiblesse dans la carrière illimitée de l’ambition. Si notre point douloueux est l’isolement, suite inévitable de nos révolutions et de notre gloire, celui de l’Angleterre, c’est l’Irlande : toujours mécontente, l’Irlande lui lie les mains, et ses exigences croissent avec les embarras de l’empire.
Il était impossible que le spirituel membre de l’église établie, si impitoyable à l’égard des préjugés politiques de son ordre, montrât plus d’indulgence pour les travers des sectes dissidentes. Certes, celles-ci offraient encore plus de prise à ses railleries, et s’il avait voulu simplement se divertir aux dépens des mille formes bizarres que l’esprit religieux emprunte en Angleterre, les sujets ne lui auraient pas manqué. Cependant, fidèle à l’honnête principe qui l’a dirigé dans tous ses écrits, à savoir que la satire doit avoir l’utilité générale pour but suprême, M. Sydney Smith a épargné la sottise innocente, et n’est allé relancer, parmi les schismes protestans, que la sottise dangereuse. Tandis qu’il a montré presque du respect pour les puérilités des quakers, ces hommes de bien, volontaires parias de la société politique, il a été un des premiers à dénoncer les folies dangereuses du méthodisme. C’est surtout depuis le commencement du siècle que les disciples de Wesley et de Whitfield ont fixé sur eux l’attention de la presse et des hommes publics en Angleterre. M. Sydney Smith, dès les premières années de la Revue d’Édimbourg, a manifesté sa répugnance particulière pour cette secte entreprenante, très mystique dans ses dogmes, très profane dans sa propagande. Ce n’est pas, comme on le pense bien, les détracteurs du culte légal qu’il a poursuivis dans les nouveaux religionnaires : il lui a semblé que leur ardeur de prosélytisme, qui les jetait sur tous les rivages habités par la grande famille britannique, menaçait d’un double péril la tranquillité intérieure de l’Angleterre et la sécurité de ses possessions coloniales. Pénétré de cette pensée, il s’est hâté d’attaquer les méthodistes par le ridicule : il a fait ressortir avec sa vivacité ordinaire leurs rigueurs hypocrites, leurs graves momeries, leurs extases renouvelées des puritains du XVIIe siècle. À tout prendre, le fanatisme n’est qu’une variété de la sottise humaine ; c’est la sottise passionnée. Cette définition, fût-elle d’ailleurs trop absolue, convient du moins aux pratiques extravagantes du méthodisme. L’enthousiasme religieux, exalté jusqu’à la démence, a quelque chose de grand à une époque de luttes et de persécution, et nous admirons malgré nous le dévouement de ces religionnaires farouches qui, sous Cromwell et Charles II, vainqueurs ou vaincus, volaient au-devant du martyre ; mais, aujourd’hui que toutes les passions se sont amorties dans la réformation, que toutes les hérésies y vivent à l’ombre de la tolérance universelle, tenter de ranimer l’ascétisme sombre des protestans d’autrefois, leur réprobation brutale de toutes les joies innocentes, cette prétention à communiquer avec le ciel, intolérablement impie quand elle ne part pas d’un état d’hallucination constante, c’est entrer de gaieté de cœur dans le domaine légitime de la satire, et je ne suis pas surpris que les méthodistes y aient rencontré M. Sydney Smith armé de ses plus plaisans sarcasmes et de son plus cruel bon sens. Il a signalé à l’attention de l’Angleterre leur accroissement rapide, les manœuvres hypocrites qu’ils employaient pour se substituer partout aux ministres de l’église établie, leur mysticisme qui enveloppe les actions les plus communes de la vie journalière, leurs publications béates, leurs auberges évangéliques, ces paquebots sanctifiés qui ne peuvent aller d’un bord d’une rivière à l’autre sans l’intervention directe de la Providence, enfin tout le jargon impertinent par lequel le peuple élu cherche à se distinguer du peuple charnel. M. Sydney Smith a bien fait de jeter le ridicule à pleines mains sur cette secte morose, dont ce n’est pas le moindre crime à ses yeux d’étendre en Angleterre l’empire déjà si considérable de l’ennui : il a bien fait surtout, comme citoyen anglais, de démontrer que la présence d’une propagande aventureuse dans les présidences de l’Inde compromettait le repos, l’avenir même de ces possessions magnifiques, sans avantage réel pour le christianisme. Cependant cet esprit, si juste, si habile à découvrir l’utilité latente des hommes et des choses, avait-il bien jugé le méthodisme au vrai point de vue national, et sa pénétration habituelle ne lui a-t-elle point fait défaut en cette circonstance ? Ou bien, par l’interruption un peu brusque de ses attaques contre les wesleyens, n’a-t-il pas avoué tacitement plus tard qu’il avait mal envisagé d’abord les progrès de cette école, moitié religieuse, moitié politique, dans ses rapports avec les intérêts de l’empire ? Si les méthodistes sont ridicules et assez peu estimés dans leur patrie, comme l’a prouvé un exemple récent, s’il faut convenir avec M. Sydney Smith qu’il importait à l’Angleterre d’arrêter leurs tentatives dans la presqu’île de l’Inde et d’empêcher que par eux le dogme du fatalisme et la division par castes, qui ont façonné les disciples de Brahma et de Mahomet à l’obéissance absolue, disparussent devant la liberté chrétienne, partout ailleurs ces religionnaires remuans ne sont-ils pas les auxiliaires les plus actifs de l’ambition des Anglais et les pionniers les plus hardis de leur immense empire ? Il faut bien le dire, l’anglicanisme ne peut s’en prendre qu’à sa tiédeur du zèle emporté des sectes dissidentes et du rang qu’elles ont pris comme instrumens de la grandeur nationale. Un membre du clergé orthodoxe ne saurait avouer cela tout haut, mais il doit bien reconnaître au fond du cœur que l’anglicanisme s’est laissé devancer dans toutes les grandes entreprises de réforme, de charité et de propagande chrétienne par les quakers, les méthodistes, les anabaptistes. L’église établie compte-t-elle une mistriss Fry, un Wilberforce ? A-t-elle, comme les wesleyens, fondé six sociétés de missionnaires pour la conversion des païens, sans compter ici les missions américaines ? Est-elle animée de leur ardeur d’expansion patriotique et religieuse, dont nous pouvons avoir à nous plaindre, mais que nous aurions mauvaise grace à déprécier ? Cette vénérable église établie a épuisé tout son feu contre les catholiques, et sa puissance de propagation va bien jusqu’à édifier quelques évêchés grassement dotés, à l’abri du pavillon de la patrie, jamais à l’aller planter avec la croix sur des terres nouvelles. Le révérend Alexander venant se fixer à Jérusalem avec la vescova et une foule de vescovini, au grand ébahissement des Turcs et des catholiques d’Orient qui se figurent avec peine un pasteur sans autres ouailles que ses enfans, me semble représenter assez bien cette cérémonieuse et positive église anglicane, qui ne peut faire un pas sans son cortége de comfort, de bénéfices et de bagages domestiques. S’il fallait opposer à ce portrait l’activité politique, le patriotisme emporté, les rancunes anti-papistes des sectes dissidentes, je n’aurais pas de peine à en trouver dans Exeter Hall la vivante et trop célèbre personnification.
Il est difficile de croire que M. Sydney Smith n’ait pas reconnu l’affinité qu’il y a entre la propagande religieuse des méthodistes et la propagande coloniale de l’Angleterre. La réserve que lui imposait sa qualité de clergyman ne lui aura pas permis d’examiner ce côté de la question. Cela est fâcheux ; un esprit tourné comme le sien vers l’utile aurait tiré assurément meilleur parti d’un pareil sujet, s’il s’était cru libre de le faire ; il nous aurait montré comment on peut faire hausser les épaules aux gens de goût de la métropole, et à deux mille lieues de là aider au destin d’une grande nation. Peut-être même y aurait-il trouvé la matière d’une dissertation tout-à-fait piquante sur la sottise dans ses rapports avec la politique. Voilà un livre à faire qu’il semble que M. Sydney Smith aurait dû écrire. C’est aux chercheurs d’excentricités littéraires à ramasser cette pensée et ce titre, que suggère l’examen attentif des travaux du spirituel publiciste.
Je ne prolongerai pas davantage cet examen. S’il y a une entreprise difficile au monde, c’est la critique des critiques. Qu’il me suffise de dire au sujet des autres écrits de M. Sydney Smith, qu’il s’y est presque toujours attaché à détruire un abus ou un préjugé, et presque tous ses efforts ont été heureux, tant l’esprit est un levier puissant quand il a pour appui la raison, pour mobile la conscience. M. Smith partage avec sir James Mackintosh et sir Samuel Romilly l’honneur d’avoir fait disparaître des codes anglais quelques anomalies barbares que le respect des traditions y avait laissé subsister au commencement de ce siècle. Son opinion sur la législation du paupérisme en a certainement hâté la réforme ; l’acte récent du parlement qui a interdit l’emploi des enfans dans le nettoyage des cheminées n’est qu’une conséquence des pages éloquentes écrites par lui sur ce sujet. En un mot, la mission de la Revue d’Édimbourg était de défendre les principes whigs et de préparer tous les progrès que réclamait l’état social et politique de l’Angleterre : cette pensée n’a cessé de guider M. Sydney Smith dans toute sa carrière de publiciste. Il a vengé la mémoire de Fox, que poursuivait encore dans son tombeau la haine de ses ennemis ; quand a sonné l’heure de la réforme parlementaire, il est venu se ranger sous le drapeau de sa jeunesse ; enfin (et cette preuve de son impartialité doit augmenter l’estime qu’il nous inspire), quoique possédé de cet amour exclusif de la patrie que tous les fils de la vieille Angleterre, citoyens d’une autre Rome, puisent aux mamelles de cette louve superbe, il n’en a pas moins su être juste envers la France, envers la révolution, envers Bonaparte, consul ou empereur, à une époque où c’était un crime de ne pas insulter à ces noms abhorrés. Aussi, plus je regarde de près le simple et honnête écrivain dont j’ai cherché à peindre le talent, plus il me semble voir en lui l’image complète de l’Anglais tel qu’il s’est personnifié lui-même dans le type de John Bull, si reconnaissable à sa franche bonhomie, son humeur railleuse, son bon sens un peu prosaïque, mais impitoyablement juste, et ce génie solide et pratique qui fait avec la volonté ce que d’autres font avec la passion, mais John Bull sans ses défauts, c’est-à-dire sans ses rogues préjugés et sa maussade sauvagerie.
La vie de M. Sydney Smith est tout entière dans ses écrits ; depuis le moment où il quitta l’Écosse, elle ne fut traversée d’aucun évènement qui mérite d’être rapporté. L’adoption du bill de réforme a mis fin au rôle politique de la Revue d’Édimbourg, à celui du moins que, trente ans auparavant, lui avaient assigné ses fondateurs. M. Sydney Smith y a cessé dès-lors toute collaboration. Appelé par le comte Grey, son excellent patron, ainsi qu’il le nomme lui-même, à un canonicat dans l’église de Saint-Paul, à Londres, il a reçu ainsi la juste récompense de son dévouement généreux à la cause des whigs. Depuis cette époque, il n’a guère rompu le silence qu’il semble s’être imposé que dans deux occasions : une fois à propos d’une commission de réforme ecclésiastique instituée sous l’administration de lord John Russell, une autre fois pour se moquer, dans le Times, des répudiateurs pensylyaniens (on sait que c’est le nom par lequel les Américains qui refusent de servir les intérêts des dettes des états se désignent eux-mêmes). Dans cette dernière circonstance, M. Sydney Smith s’est livré à un simple jeu d’esprit ; dans l’autre, par un retour singulier des choses d’ici-bas dont il s’est étonné lui-même, il s’est trouvé défendre contre ses propres amis cette église établie à laquelle il avait fait jadis une si rude guerre. Son plaidoyer porte sur des détails d’innovations intérieures qui sont sans intérêt pour nous, quoique M. Sydney Smith ne s’y soit pas montré médiocrement spirituel. J’en rapporterai pourtant un passage qui concerne l’un des hommes d’état les plus éminens de l’Angleterre, lord John Russell. Peut-être ne sera-t-on pas fâché de savoir comment un critique whig juge le chef actuel du parti : « Il n’y a pas, dit-il, de meilleur homme que lord John Russell ; mais il a un grand défaut, c’est de ne pas connaître la crainte morale. Il n’est rien qu’il ne se fît fort d’entreprendre : il ferait, je crois, l’opération de la pierre ; il s’offrirait à bâtir la basilique de Rome ; il n’hésiterait pas (pourvu qu’on lui donnât dix minutes pour se préparer, et encore !) à prendre le commandement de la flotte de la Manche, et personne, à le voir ensuite, ne se douterait que le patient est mort, que l’église a croulé, que la flotte a été réduite en atomes. Les intentions de lord John sont toujours pures, ses vues dénotent souvent une grande capacité ; mais il projette sans fin et n’exécute pas avec cette prudence d’allure et d’esprit dont aucun réformateur sage et vertueux ne doit se départir. Il tient sans cesse en alarme les libéraux modérés, et il n’est pas possible de dormir tranquille quand c’est lui qui est de quart. Une autre particularité des Russells, ajoute M. Sydney Smith, c’est que jamais ils ne modifient leurs opinions ; il faut les trépaner avant de parvenir à les convaincre. » La critique est gaie ; mais, comme esquisse de l’homme d’état intrépide et qui ne doute de rien, elle ne paraît pas invraisemblable. On se prend involontairement à regretter, quand on a lu ce passage, que M. Sydney Smith ne se soit pas appliqué à des portraits politiques. Il y aurait assurément réussi, car, lorsqu’il peint un personnage en passant, il saisit bien sa physionomie, il en accuse vivement les défauts, et quelquefois les caractérise d’un seul coup de pinceau, comme dans ce mot sur un théoricien qui peut s’appliquer à toute l’espèce : « M. Grote est un très digne, très honnête et très habile homme, et, si le monde était un échiquier, ce serait un politique d’importance. »
Il y avait sept ans que le nouveau chanoine de Saint-Paul avait résigné cette fonction de reviewer qu’il s’était créée pour lui-même (self created office), comme il le rappelle avec un légitime orgueil, quand il prit le parti de rassembler ses écrits détachés et de les réunir en volumes. Il semble qu’en cette occasion il ait plutôt accompli un devoir que cédé à l’ambition de publier un livre. Forcé de se relire une dernière fois, de se placer en face de lui-même, il a donné à ses propres dépens un bel exemple d’impartialité qui ne trouvera guère d’imitateurs. L’homme d’aujourd’hui a jugé l’homme d’autrefois, et plus rigoureux pour ses propres fautes qu’il ne l’avait été pour les erreurs d’autrui, contemplant de sang-froid les opinions et les idées qu’il n’avait vues jadis que dans la chaleur de la lutte, il a jeté dans quelques notes des aveux qui touchent, et, le dirai-je ? qui surprennent comme tout ce qui est simple, naturel et honnête. Quoi de plus fréquent, lorsqu’on fut mêlé aux débats de la politiqué (et il ne faut pas l’avoir été beaucoup pour avoir attaqué vivement quelqu’un ou quelque chose), que de se dire au fond du cœur, l’heure de l’agitation passée : « J’ai été trop loin, ceci n’était pas vrai, ceci était injuste, » mais quoi de plus rare que de l’imprimer ? Voilà ce que M. Sidney Smith a noblement fait. Ainsi il avait vivement raillé M. Sturges Bourne (qui fit plus tard, si je ne me trompe, partie de l’administration de Canning) ; lorsque, trente ans après, ses regards rencontrent une plaisanterie qu’un juge moins sévère de ses propres fautes aurait pu croire innocente, il ne peut s’empêcher de dire : « Il n’y a rien qui dépare plus les Lettres de Plymley que cette attaque dirigée contre M. Bourne, qui est une personne d’honneur et de talent ; mais voilà où mènent les mauvaises passions de l’esprit de parti. » Castlereagh n’était pas un homme vénal, cependant M. Smith l’avait représenté comme capable de recevoir de toutes mains. « Je l’ai injustement accusé, » avoue-t-il franchement. Il est beau d’étendre de la sorte un mot fameux et de reconnaître, en se condamnant soi-même, qu’on doit surtout la vérité à son ennemi mort.
À part ces fautes, inévitables peut-être et bien rachetées du reste par une franchise si peu commune, la conscience du publiciste est satisfaite : ce qu’il a fait, il le referait encore ; ce qu’il pensait alors, il le pensera toujours. Quand il a pris la plume pour éclaircir quelques questions sociales et politiques, l’état de l’Angleterre réclamait de nombreuses et radicales réformes Il ose se flatter que la noble hardiesse de la Revue d’Édimbourg n’a pas été sans influence sur la solution de ces vastes problèmes. Quant à lui, il a fait son devoir ; il ne voit rien dans ses travaux dont il ait à se repentir. Si l’émancipation des catholiques n’a point produit tous les heureux résultats qu’on en attendait, il ne rétracte pas une seule syllabe de ce qu’il a dit ou écrit en faveur de cette grande mesure. Toutes les blessures de l’Irlande ne sont pas fermées ; des agitations nouvelles qu’il n’avait pas prévues ont prouvé qu’il reste d’autres maux à guérir. Est-ce une raison pour regretter d’avoir été juste ? À présent, il n’est plus que difficile de pacifier l’Irlande ; avant l’émancipation, c’était impossible. Les suites de la réforme le troublent davantage ; il a toujours été partisan de ce grand acte constitutionnel ; mais de quelque nom qu’on le nomme, c’est une révolution dont on ne connaît pas encore le dernier mot, et, malgré lui, l’avenir l’inquiète. Le vieux reviewer, qu’irritaient autrefois les lenteurs de l’opinion, craint aujourd’hui qu’elle ne se jette avec une ardeur irréfléchie dans la carrière brûlante des innovations. « Voilà comme nous sommes, s’écrie-t-il avec quelque amertume ; nous ne gardons jamais les milieux. Depuis l’adoption du bill de réforme, nous n’attendons plus rien d’un progrès prudent et graduel. La sagesse à grande vitesse et à haute pression, tel est notre unique moteur. » Il ne faut pas prendre tout-à-fait à la lettre les craintes manifestées ainsi par M. Sydney Smith. Il subit, sans s’en rendre compte, la réaction insensible qui s’opère sur les opinions et sur les sentimens chez les hommes les plus forts, aussitôt leur tâche finie, leurs désirs une fois réalisés. Sans doute la situation de l’Angleterre peut, jusqu’à un certain point, justifier ces vagues alarmes, mais il est dans la nature des hommes que toute génération qui se retire de la scène du monde se méfie de celle qui l’y remplace. En peut-il être autrement ? L’une est pleine d’espoir, impatiente de marcher, entraînée vers l’inconnu ; l’autre n’aspire plus qu’au repos, et l’on sait que le dégoût de toute chose accompagne presque toujours les grandes lassitudes. L’expérience est soupçonneuse et chagrine, et, en politique surtout (j’en excepte quelques rares mortels), comme l’individu est toujours plus petit que l’œuvre à laquelle il a contribué dans la mesure limitée de sa puissance, il s’en effraie aussitôt qu’il la voit s’élever sur sa tête. Parmi les esprits distingués d’une génération, il en est qui s’éloignent, comme M. Sydney Smith, comme quelques-uns des amis de sa jeunesse, après avoir apporté leur pierre à l’édifice commun, qui savent comprendre à temps que dans un siècle où les changemens sont si complets, si tranchés, si rapides, chaque époque veut ses hommes, et qu’il faut s’en aller avec les évènemens qui vous ont porté. Les autres n’aperçoivent pas le moment précis de la retraite, ils emploient le plus souvent les années qui leur restent à démentir la première partie de leur carrière, à défaire tristement leur ouvrage, plutôt que de s’avouer qu’ils ont cessé d’être utiles, et pourtant l’amour-propre ne devrait-il point être satisfait, quand on peut se dire, suivant une expression tout anglaise, et qui est de mise ici : J’ai eu mon jour ?
M. Sydney Smith a eu le sien, et depuis, pour rappeler un de ses mots, ses amis de la Revue d’Édimbourg et lui, tous, sont bien morts. Il a noirci du papier dans son temps, il a fait crier la presse, il a été reviewer, pamphlétaire ; maintenant il est membre du chapitre de Saint-Paul. Que fait-il de son canonicat et des 3 à 4,000 livres sterling qu’il lui rapporte ? On n’est guère embarrassé d’un pareil otium cum dignitate quand on est chanoine et philosophe. Mais laissons-le répondre lui-même : « J’ai soixante-quatorze ans, m’écrivait dernièrement l’aimable vieillard, et comme je suis à la fois chanoine de Saint-Paul à Londres et recteur d’une paroisse de campagne, mon temps est également partagé entre la ville et les champs. Je vis au milieu de la meilleure société de la métropole ; ma fortune est honnête, ma santé passable ; whig modéré, homme d’église tolérant, je suis très adonné à la causerie, à la gaieté et au bruit. Je dîne avec la bonne compagnie à Londres et traite les pauvres malades à la campagne, passant ainsi de la table du riche au chevet de Lazare. Je suis au total un homme heureux ; j’ai trouvé ce monde un agréable monde, et je remercie du fond du cœur la Providence du lot qu’elle m’y a réservé[1]. »
M. Sydney Smith fait bien de remercier la Providence : ab Jove principium ; mais, après le ciel, c’est à lui-même qu’il doit ce bonheur paisible dont il sent si bien tout le prix. Homme de parti, il a connu sa mission, et il a pu l’accomplir ; homme d’esprit et de caprice, il a su imposer à son talent le frein des principes et des convictions. Sa vie a été pure, son nom est honoré, son ambition satisfaite, et, retiré à temps des luttes de l’opinion publique, il a mis entre la fin de sa carrière et la tombe cet intervalle d’années tranquilles et sereines que tous les hommes publics devraient se réserver toujours, afin de ne pas mourir sans s’être connus, ce crépuscule rempli de la contemplation du monde et de soi-même, où, pendant que les nouveaux venus parlent, agissent, se fatiguent et s’égarent, on n’a plus autre chose à faire qu’à refeuilleter sans cesse sa conscience et sa vie.
Cette carrière de publiciste, qui commence par le combat éternel de l’homme obscur et pauvre avec sa mauvaise fortune, et que couronne, après trente ans de généreux travaux, un sort digne d’envie, ramène naturellement la pensée vers les autres fondateurs de la Revue d’Édimbourg, aussi inconnus que M. Sydney Smith en 1802. Tous, comme lui, ont réussi à conquérir la réputation et le repos, tous ont su atteindre l’objet de leur légitime ambition, à des distances diverses de leur point de départ, et l’on peut dire d’eux ce que M. de Talleyrand disait d’un homme célèbre de notre temps, qu’ils ne sont point parvenus, mais arrivés. L’un d’eux a été frappé par la mort au moment où s’ouvrait devant lui le plus brillant avenir : treize ans plus tard, Horner, déjà membre du parlement, Horner, dont l’opinion faisait loi déjà dans toutes les questions d’économie financière et politique, serait entré assurément dans le cabinet du comte Grey. L’on sait ce que sont devenus Jeffrey et Murray, aujourd’hui revêtus du titre de lords, qui, en Écosse comme en Angleterre, accompagne les premières fonctions de la magistrature. Quant à Henri Brougham, ce jeune lawyer spirituel et insouciant de 1802, qui hésitait tant à entrer dans l’arène des partis par la porte de la presse, il est aujourd’hui baron de Brougham et Vaux, pair du royaume d’Angleterre, et il s’est assis sur le sac de laine. D’où vient que tous ces jeunes gens ont eu une égale destinée ? Tous étaient-ils donc nés heureux qui se seraient rencontrés par hasard ? Leurs talens, distingués à tous égards, étaient-ils aussi de ceux qui attirent irrésistiblement la lumière ? Non, quelque réel que soit le mérite de chacun, là n’est point la raison première du succès de tous. Animés d’un même courage, aspirant au même but, ces jeunes hommes ont su combiner leurs efforts ; ils ont formé entre eux une association étroite, non pas à la manière des coteries, où l’on s’imagine toujours que plusieurs médiocrités réunies bout à bout peuvent faire un génie collectif, mais dans des vues d’utilité générale et pour se prémunir, en se servant les uns aux autres de conseil et d’appui, contre leur faiblesse individuelle. Isolés, ils ne seraient peut-être point sortis de la foule, ou se seraient épuisés long-temps en tentatives vaines ; réunis, ils ont accompli quelque chose, ils ont éclairé des questions qui intéressaient leurs contemporains, ils ont poussé devant eux des opinions et des idées, ils ont mis en mouvement cette masse si difficile à ébranler, le public, qui n’est jamais plus immobile que quand on l’attaque, comme font les intelligences dispersées, par tous les côtés à la fois ; et de l’œuvre commune, chaque jour plus éclatante, la réputation est descendue peu à peu sur les ouvriers. Ainsi, les fondateurs de la Revue d’Édimbourg ont donné jusqu’à l’époque du bill de réforme la preuve de ce que peut obtenir l’union des talens et des volontés : c’est là un spectacle qu’on ne saurait trop méditer dans un temps de dissolution politique et littéraire comme est le nôtre. Et cependant n’avons-nous pas vu quelque chose de semblable en France dans les dernières années du régime précédent ? Combien d’hommes, éminens aujourd’hui dans les carrières politiques, sont sortis de ce Globe de la restauration, dont le souvenir est si vivant, quoiqu’il ait duré si peu ! On s’étonne à présent que les talens n’arrivent plus par la presse ; n’est-ce point parce qu’ils y sont isolés, parce qu’ils ne veulent accepter aucune direction, et n’y apportent chacun qu’une valeur et qu’une ambition personnelle ? Ce n’est pas l’ardeur de se produire qui manque, ce n’est pas la publicité qui fait défaut ; mais on ne songe qu’à soi, on ne compte que sur soi, on n’écoute qu’une intraitable vanité, on est dévoré enfin de la soif du lucre, et l’on ne veut point voir qu’à une époque de discussion universelle, au milieu de tant de tribunes, toutes les voix solitaires se perdent dans le bruit, les meilleures forces se consument en de stériles excentricités. Aussi le secret pour attirer l’attention et se faire écouter est bien simple : il suffit que quelques esprits se serrent autour d’un centre commun de convictions et d’idées ; toujours les groupes attirent la foule. Organisée de la sorte, opérant avec ensemble, la critique peut tout accomplir, car c’est la critique (je l’entends ici dans le sens le plus vaste) qui, de nos jours, est la reine du monde ; l’opinion publique n’est que sa vassale.
- ↑ Je ne crois pas commettre une indiscrétion en publiant quelques lignes de la réponse que M. Sydney Smith a bien voulu faire à une lettre que j’avais pris la liberté de lui adresser il y a quelque temps. Je reproduis ici le texte même, dont j’ai donné plus haut la traduction : « … I am seventy-four years old and being canon of Saint-Paul’s in London and a rector of a parish in the country, my time is divided equally between town and country. I am living amidst the best society in the metropolis, am at ease in my circumstances, in tolerable health, a mild whig, a tolerating churchman and much given to talking, laughing and noise. I dine, with the rich in London and physic the poor in the country passing from the sauces of Dives to the sores of Lazarus. I am upon the whole an happy man, have found the world an entertaining world and am hearily thankful to Providence, for the part allotted to me in it… »