Les Enfants et les Mères/Un Nouveau-né

Les Enfants et les Mères
Lemerre (p. 185-188).



UN NOUVEAU-NÉ
à hippolyte


Bien venu, mon enfant, mon jeune, mon doux hôte !
Depuis une heure au monde ! Oh ! que je t’attendais !
Que j’achetais ta vie ! hélas ! Est-ce ta faute ?
Oh ! non, ce n’est pas toi qu’en pleurant je grondais.

Toi, ne souffrais-tu pas même avant que de naître ?
Ne m’as-tu pas aidée enfin à nous connaître ?
Oui, tu souffrais aussi, petite ombre de moi,
Enfant né de ma vie où je reste pour toi !
Du jour, par mes regards, je t’allumai la flamme ;
La nuit, je descendais au fond de ta prison.
Des mauvais souvenirs te sauvant le poison,
J’aurais voulu te faire un ciel de ma pauvre âme ;
J’aurais voulu voir Dieu pour te créer plus beau,
Pour imbiber ton cœur de sa grâce profonde,

Et pour faire couler un peu de son flambeau
Sur ta raison aveugle à ton entrée au monde !

Ne va pas l’oublier : je t’ai parlé de Dieu ;
Je t’ai fait de prière, enfant ! de tendres larmes ;
J’ai formé ton oreille aux échos du saint lieu ;
Je t’ai caché vivant à toutes nos alarmes,
Et j’allais au soleil couchant sécher mes pleurs,
Pour te rendre suave et pur comme les fleurs ;
Ou dans les roseaux verts je t’emportais pensive,
Pour t’abreuver du bruit de quelque source vive,
Qui, m’ouvrant son cristal comme à l’oiseau plongeur,
Sur notre double fièvre épanchait sa fraîcheur.

Souviens-toi que souvent, seuls au fond d’une église,
Nous regardions longtemps les anges aux fronts blancs,
Que je t’y promenais invisible, à pas lents,
Modelant leurs beaux traits sur ta forme indécise.
J’ai bien fait ! nul enfant n’a rapporté des cieux
Tant de ciel inondant sa profonde paupière,
Et l’on n’a vu jamais, d’un front si gracieux
Jaillir tant de rayons de vie et de lumière.
Qu’un si petit visage enferme de portraits !
De tout ce que j’aimai tu m’offres quelques traits :
Que d’anges envolés sans pouvoir les décrire,
Dans ton sourire errant reviennent me sourire ![1]


Et je l’avais prédit, quand je sentais ton cœur
Éclore et battre faible à mon flanc créateur,
Quand mes heures veillaient autour de ta défense,
Dans mon humble abandon qui m’eût fait une offense ?
Tout, c’était toi ! Mes yeux enfermés sous ma main
N’ont appelé personne en ce monde inhumain,
Personne ! pour calmer, pour soutenir ma tête
Et dérober mon fruit au vent de la tempête.
Oh ! mais, lorsqu’en ton nom je regardais les cieux,
Ton sourire passait dans les pleurs de mes yeux :
Dieu se montrait au loin sous cette ondée amère,
Dieu dans ma pauvreté me laissait être mère,
Et j’envoyais à Dieu mes baisers ou mes cris,
Les doux cris d’une femme à qui Dieu donne un fils.

Ton berceau, vide encor, peuplait ma solitude ;
Un ange respirait par moi sa nuit, son jour ;
Je couvais son destin, j’en étais le séjour !…
On ne meurt pas d’orgueil et de sollicitude !

Aussi j’ai cru tomber faible sur mes genoux
Quand on me leva seule et comme trop légère,
Cherchant le poids aimé d’une tête si chère ;
Car si près que tu sois l’air circule entre nous.

Des femmes me l’ont dit : oui ! la femme étonnée,
Quitte d’un doux fardeau, vacille consternée.
Nous n’osons pas le dire et nous pleurons tout bas.
Que de larmes l’enfant coûte à la mère, hélas !
D’hier nous sommes deux ! Le souffle de ta bouche
Se mêle à chaque souffle étranger qui te touche,

Et je pleure et… Pardon, mon jeune bien venu,
Au monde pour moi seule et du monde inconnu !

Adieu ! je ne suis plus l’heureuse chrysalide
Où l’âme de mon âme a palpité neuf mois ;
Mais à ta frêle fleur si j’ai servi d’égide,
Homme un jour, reviens-y t’appuyer quelquefois.

Je suis ta mère : un nœud nous a tenus ensemble ;
C’est l’aimant divisé que l’aimant cherchera ;
La terre ne rompt pas ce que le ciel assemble :
Dans la vie, hors la vie, il nous réunira !

  1. « T’is very strange, my little dove,
    That all I ever loved, or love,
    In wondrous visions still I trace
    Whyle gazing on thy guiltless face. »
    Robert Burns.