Groza le Brigand (première édition 1853)
Traduction par J.-E. Voïnesco.
Les DoïnasJoël CherbuliezLittérature roumaine (p. 47-48).




VIII

GROZA LE BRIGAND


Pâle comme le cierge qui brûlait à sa tête, Groza le brigand gisait sur une vieille planche au seuil de la prison ; il dormait du sommeil éternel et personne au monde ne versait une larme sur sa mort.

La foule rassemblée autour de lui regardait son cadavre avec un sentiment de tristesse ; parfois des frissons de terreur semblaient parcourir cette foule ; d’aucuns faisaient le signe de la croix ; d’autres frappés de surprise, la main collée sur leurs joues, murmuraient :

« Est-ce bien là ce Groza si célèbre dans tout le pays, ce brigand si altéré de sang ? Est-ce bien lui, Groza, cette bête féroce qui, sans peur pour le noir péché, a détruit tant et de si belles existences ; lui qui a foulé aux pieds jusqu’à la religion ?… »

Voilà que du sein de cette foule sort un vieillard à longue barbe qui s’avance vers Groza ; il tire de sa bourse deux pièces de monnaie, et après avoir baisé la main glacée du brigand, après avoir fait un nouveau signe de croix, il laissa couler quelques larmes sur ses joues et parla ainsi à la foule :

« Braves gens ! l’hiver dernier ma pauvre et chétive maison devint la proie des flammes, ma femme et mes enfants restés sans asile tremblaient de froid au milieu des champs, je n’avais ni de quoi les nourrir, ni de quoi les mettre à l’abri. Hélas ! j’étais dans le désespoir, je me sentais mourir.

« Je n’attendais plus rien de la miséricorde du ciel et j’appelais la mort à mon secours, lorsque soudain cet homme-ci (que Dieu veuille avoir son âme), ce chrétien apparut au sommet de la colline sur un cheval blanc comme l’hiver, et, s’arrêtant devant moi :

« Ne pleure pas, Roumain, me dit-il, sois sans inquiétude et ranime ton cœur. Tiens, voici de quoi acheter du pain et des vêtements pour les tiens ; voici de quoi t’acheter aussi une maison ! À dater de ce jour, braves gens ! mes enfants ne cessent de bénir son nom, car à dater de ce jour ils vivent à l’abri de la misère. »

À ces mots, le vieillard déposa un nouveau baiser sur le front du brigand, et appuyé sur son bâton noueux il s’éloigna en soupirant, tandis que la foule pénétrée d’un sentiment de regret s’écria tumultueusement : « Que Dieu remette ses péchés au brigand Groza ! »