Le Brigand et la Nonne (première édition 1853)
Traduction par J.-E. Voïnesco.
Les DoïnasJoël CherbuliezLittérature roumaine (p. 32-34).




III

LE BRIGAND ET LA NONNE


Là-haut, sur la montagne, dans le jardin du couvent, certaine jolie nonne pleure et soupire chaque nuit après les bonheurs de ce monde :

« Depuis ma plus tendre enfance, dit-elle, je suis oubliée de tous les miens ; et mes parents m’ont abandonnée sans pitié dans un désert !

« Innocente ! je fus condamnée et punie dès le jour de ma naissance, hélas ! et je me sentis privée pour toujours des joies de ce monde !

« Passant ma vie dans une éternelle amertume, mes yeux pleurent, mon âme gémit sans cesse, et, pareille au fruit qui tombe de l’arbre, je sens ma vie s’éteindre dans sa fleur.

« Ah ! puissé-je voir à l’heure même le terme de ces jours de douleur ! Vienne la mort que j’attends comme une douce consolation !

— Qu’oses-tu souhaiter, ô ma sœur chérie ? dit tout à coup le brigand de la forêt. Comment ! toi, dont les yeux ressemblent à la mûre de nos montagnes ; toi, charmante fleur de muguet…

« Toi, mourir, ô douce merveille de mon pays !… Mais ne crains-tu pas le Seigneur Dieu ?… Allons, ma chère et jolie sœur, fais trois fois le signe de la croix, et adresse-lui une courte prière pour implorer son pardon.

« Maintenant, si tu veux que tes yeux étincellent comme un paradis plein de joies divines ; si tu veux que ton cœur s’anime et s’ouvre comme la fleur des champs ;

« Viens avec moi au sein de la verte forêt, viens entendre la doïna du regret quand mes braves compagnons descendent dans la vallée par les sentiers perdus ;

« Viens voir l’oiseau de proie s’élancer du haut des rochers sur le corbeau qui croasse au fond du précipice ;

« Viens voir surtout comment le Ciocoï se plie en deux quand il m’aperçoit, et comment il oublie son arrogance pour tomber humblement à mes genoux.

« J’ai deux coursiers, deux dragons rapides… deux !… Même le vent ne peut les dépasser ; j’ai douze compagnons d’armes, et quatre pistolets à ma ceinture.

« Je porte sur ma poitrine une petite croix qui contient du bois de la sainte croix et de saintes reliques ; et, dans ma poitrine, je porte un cœur brûlant comme tes lèvres brûlantes.

« Je possède une pierre précieuse qui reluit pendant la nuit, de même que tes yeux quand ils guettent le bonheur éloigné.

« Abandonne tout : cellule, calotte, chapelets, mantille, et, si tu désires être joyeuse comme un jour de bravoure,

« Suis l’homme brave qui t’appelle au sein des bonheurs de ce monde ; car, une fois sa compagne, tu ne courras plus risque de prendre jamais le voile. »

. . . . . . . . . . . . . . . . . .

On ne sait si la nonne a suivi le brigand ; mais, depuis, on n’entend plus des soupirs et des sanglots dans le jardin du couvent, là-haut sur la montagne.