Les Doïnas/Coutumes du pays roumain



COUTUMES DU PAYS ROUMAIN




UNE DEMANDE EN MARIAGE. — CÉRÉMONIE DE LA NOCE CHEZ LES HABITANTS DES CAMPAGNES.


…Lorsque la jeune fille du village a accueilli sa demande, le jeune homme envoie aussitôt des messagers précédés du joueur de cornemuse qui adresse aux parents l’allocution suivante :

« Les grands-pères et les ancêtres de nos pères, allant à la chasse et parcourant les bois, ont découvert le pays que nous habitons et qui nous procure la jouissance de son miel et de son lait. Or, poussé par cet exemple, l’honorable garçon N*** est aussi allé à la chasse, à travers les champs, les bois et les monts, et il a rencontré une biche qui, timide et réservée, a fui sa présence et s’est cachée. Mais nous autres, en suivant ses traces, nous avons été conduits jusqu’à cette maison. Or donc, il faut que vous la remettiez entre nos mains ou que vous nous montriez l’endroit où s’est cachée la biche que nous avons poursuivie avec tant de fatigues et de peines. »

Le joueur de cornemuse déploie alors toutes les ressources de son éloquence, et sème son discours d’autant de métaphores et d’allégories qu’il en peut trouver.

Les parents répondent que celle qu’ils poursuivent n’est pas entrée dans leur maison. Les messagers insistent ; alors les parents font venir la bisaïeule de la jeune fille. — Est-ce là celle que vous cherchez ? — Non. — La grand’mère vient à son tour. — Peut-être est-ce celle-ci ? — Même réponse. Vient la mère. — Non, non, ce n’est pas celle-ci non plus. — Après la mère, on fait venir une servante laide, vieille et couverte de haillons. — Eh bien, c’est donc celle-ci que vous cherchez ? — Non, non, car notre biche a les cheveux blonds comme l’or et les yeux de l’épervier ; ses dents sont comme une rangée de perles, et ses lèvres vermeilles comme une cerise ; elle a la taille d’une lionne, son sein est ferme et rond, et sa gorge a la blancheur du cygne, ses doigts sont plus délicats que la cire, son visage plus radieux que le soleil et la lune.

Forcés enfin par la menace d’en venir aux armes, les parents amènent leur fille parée aussi richement que possible. On célèbre les fiançailles et la jeune fille rentre dans sa chambre qu’elle ne doit plus quitter que le jour du mariage.

Ce jour-là, si le promis habite un autre village que celui de sa fiancée, il envoie d’avance, pour annoncer sa venue, quelques hommes à cheval que les parents de la jeune fille vont attendre sur la route. Dès qu’ils les voient approcher, ils se précipitent sur eux et les emmènent prisonniers dans leur maison. Aux questions qui leur sont adressées, les prisonniers répondent qu’ils étaient les hérauts envoyés pour déclarer la guerre : que le gros de l’armée est resté en arrière à peu de distance, qu’il s’avance pour prendre d’assaut la forteresse. Les parents s’en vont alors, avec les prisonniers, à la rencontre du promis qui se présente avec une suite plus ou moins nombreuse. Lorsque les deux partis réunis sont arrivés en face de la demeure de la fiancée, ils se livrent tous ensemble à l’exercice de la course qui simule un tournoi. Les cavaliers les mieux montés et qui arrivent les premiers au but reçoivent des mains de la fiancée un voile brodé d’or ou de soie.

Ces exercices finis, tout le monde se rend à l’église. Le jeune marié et sa fiancée se tiennent debout sur un tapis où l’on a jeté des pièces de monnaie, témoignant par là le peu de cas qu’ils font des richesses pour ne chercher que le bonheur domestique. Lorsque le prêtre dépose sur leur front la couronne nuptiale, un des assistants jette à droite et à gauche des noix et des noisettes pour montrer que les jeunes mariés renoncent à tout jamais aux jeux de l’enfance et que des objets plus sérieux occuperont désormais leur vie.

De retour à la maison, un dîner est servi. Les mariés occupent le haut bout de la table ; à droite et à gauche se placent les beaux-pères et les témoins. Alors un des frères, ou, en son absence, un des plus proches parents du jeune homme, se lève et lui adresse la parole en ces mots :

« Frère, vous voici arrivé à l’âge du mariage et de la joie ; notre père vous accorde une place à sa table et vous marie aujourd’hui en vous unissant à une autre famille. Gardez toujours néanmoins la mémoire de ceux à qui vous devez le jour et conservez toujours votre amour à vos frères. Continuez à demeurer soumis de cœur aux volontés de vos parents afin d’obtenir leur bénédiction. Honorez votre père et songez toujours à ce que votre mère a souffert pour vous ; car ce sont eux qui vous ont donné la vie. Puisse leur bénédiction et celle du Seigneur Dieu vous maintenir toujours dans la joie ! Amen. »

Après le repas, quand le jeune homme est sur le point de se retirer avec son épouse, le vatachel[1], qui porte un bâton orné de fleurs et de rubans et se tient derrière la fiancée, se lève et demande, au nom de celle-ci, pardon à ses parents en ces mots :

« Quand nous nous demandons, honorables parents, quel est le véritable bonheur de la vie, nous trouvons qu’il n’en est pas de plus grand ni de plus solide que celui que nous procurent les enfants. En effet, ce bonheur est, ainsi que le disent les philosophes, proprium naturæ, c’est-à-dire un bonheur réel et conforme à la nature ; car ils sont notre sang, ils sont d’autres nous-mêmes. Ce bonheur, la Sainte Écriture l’atteste aussi : « Votre femme dans l’intérieur de votre maison sera comme une vigne fertile et abondante ; vos enfants, comme de nouveaux plants d’oliviers, environneront votre table. Vous voilà donc aujourd’hui, vous, honorable père, ainsi que votre épouse, au comble de la joie. Contemplez tous deux le bonheur pur, réel et sans mélange de votre fille, et jouissez de la joie intarissable des parents. Car voici que, d’abord par votre volonté et ensuite par vos bénédictions, votre bien-aimée fille devient, pour toute sa vie, la compagne de notre frère N***. Parvenue à cet âge heureux, votre enfant en quittant votre maison pour aller dans celle que Dieu lui a choisie, doit, de concert avec son compagnon, vous remercier et implorer vos bénédictions ; car la bénédiction des parents est un rempart inébranlable autour de sa maison. Il est temps que votre fille implore votre pardon pour tout ce qu’elle n’a pu faire afin d’accomplir vos volontés et les désirs de ses frères. Que son bon naturel et son âme pure la poussent à vous remercier de la sagesse avec laquelle vous l’avez élevée dans votre maison. Qu’elle s’étonne de ne pouvoir trouver assez de soupirs et de larmes pour implorer son pardon. Qu’elle s’étonne de ne pouvoir trouver assez de douces paroles de reconnaissance pour tous vos soins pleins de tendresse et de bonté paternelle. Aussi en appelle-t-elle de toute son âme à l’inépuisable bonté du Très-Haut, et le prie de faire que vos enfants et les enfants de vos enfants jusqu’à la quatrième génération vous comblent de joie. Elle vous conjure aussi, conjointement avec son mari, de leur conserver votre tendresse à l’avenir. »

Cette allocution terminée, les mariés font leurs adieux et vont baiser la main des parents.

Ceux-ci, les yeux baignés de larmes, répondent à leur tour :

« En vous accordant aujourd’hui, jeune homme, la main de notre bien-aimée fille, nous ne faisons que nous soumettre aux décrets de la divine Providence qui a permis cette union. Et, bien que la plus parfaite bénédiction soit celle du Très-Haut, cependant, de même que nos pères nous ont bénits, de même aujourd’hui nous vous bénissons. Fasse le Seigneur Dieu qu’en vous unissant il vous affermisse dans l’amour et répande ses bénédictions sur vos têtes. Jeune homme, n’oubliez pas d’observer fidèlement le précepte de l’Église : « Tu aimeras ta femme et ne lui causeras point de chagrin, et tu vivras avec elle dans la paix du Seigneur. » Et toi, notre fille chérie, toi que nous avons élevée dans nos bras, que nous avons entourée de notre amour et de notre sollicitude paternelle, toi que nous avons nourrie du lait de notre tendresse et fortifiée de nos enseignements, voici l’heure de la séparation ; nous accomplissons aujourd’hui un devoir bien doux mais bien douloureux à la fois, en te laissant arracher de nos bras pour suivre celui que ton cœur a choisi. Vivez en paix ; quant à nous, nous ne cesserons de vous bénir et de prier le Seigneur qu’il vous accorde de longues et heureuses années, qu’il vous dirige dans sa sagesse et vous affermisse dans l’union et l’amour, afin que notre âme se réjouisse de votre bonheur, car vous êtes le seul soutien de notre faiblesse et la seule consolation des douleurs de notre vieillesse. Que le Seigneur Dieu daigne envoyer aussi ses bénédictions sur vos fils. »

La jeune fille se jette alors dans les bras tremblants de ses parents. Le marié se dispose enfin à emmener sa femme ; mais les frères de cette dernière se mettent en travers de la porte, la hache à la main — jadis c’était le sabre nu — et ne le laissent sortir que lorsqu’il a consenti à racheter son épouse par un don. Sa fiancée monte alors sur un chariot qui porte sa dot, ayant à ses côtés sa belle-sœur ou sa belle-mère. Le marié suit à cheval en compagnie des assistants, ses amis, qui, tout le long de la route, poussent des cris de joie et déchargent des pistolets.

Cependant le marié n’est pas encore au bout de ses tribulations. À peine est-on arrivé à la maison que les parents de la fiancée s’emparent d’elle et l’enferment dans une chambre. Les amis du jeune homme vont la demander à grands cris, et, n’obtenant aucune réponse, ils enfoncent la porte. L’heureux époux se précipite alors dans la chambre et arrache son épouse des bras de ses parents ; sur le point de franchir le seuil, en commémoration de l’enlèvement des Sabines par les Romains, il prend sa femme dans ses bras et l’emporte dans la chambre nuptiale.


  1. Espèce de substitut-maire.