Librairie de Achille Faure (p. 332-333).


CINQUANTE-NEUVIÈME LETTRE.

GILBERT À WILLIAM.

12 janvier 1847.

Ta lettre m’a rendu heureux pour toi ; mais, mon cher ami, tous les bonheurs ne sont pas les mêmes. Tu aimes, c’est bien, et tant que cela durera, tu seras charmé de ton sort ; mais moi je n’aime plus et même franchement je suis las de ce métier, métier de dupe. Il est douteux que je puisse aimer désormais ; et quand ? et qui ? Puis, il faudrait toujours pourvoir aux réalités de la vie, fort nécessaires, même pour un amoureux. Elles me sont offertes, mon cher, et je les accepte. Je sais que tu vas me blâmer, mais ma foi, je n’y puis rien. J’épouse le 20 de ce mois, tu vois que le jour est fixé, — Mlle Graeboffen. Elle n’est, j’en conviens, ni belle ni aimable ; mais depuis deux ans elle m’aime, ce qui de sa part est fort gracieux, et elle a six cent mille francs. Je t’avoue que pour moi ce dernier trait est indispensable. Il vaut donc beaucoup mieux que j’épouse une femme qui possède cela que de risquer d’en aimer une autre qui n’ait rien.

Tu te crois heureux pour l’éternité ; mais on le croit toujours, mon cher. Et qui assure, que tu ne te lasseras pas de ta belle Édith, comme tu t’es lassé de Blanche ? L’amour passe toujours ; l’indépendance et les plaisirs que donne la fortune restent. Je ne veux pas te désenchanter. Je me défends un peu par avance, et voilà tout.

J’espère que tu voudras bien être mon témoin, et je t’attends au plus tard le 19 au soir. Nous partons aussitôt après le mariage pour une terre que ma future possède en Westphalie.

À toi,
Gilbert de Valencin.