Librairie de Tarride (p. 67-80).



CHAPITRE V.


À peu près à la même heure où Amabel mettait la dernière main à sa toilette, dans une autre maison de Londres, une autre jeune fille se revêtait aussi, mais lentement et comme à regret, de ses voiles blancs de mariée.

Elle était belle, mais d’une pâleur extrême ; d’imperceptibles fibrilles violettes marbraient ses paupières et accusaient des larmes récemment versées, dont le coin d’un mouchoir trempé dans l’eau fraîche n’avait pu faire disparaître complétement les traces ; sa bouche contractée essayait vainement un sourire ; les coins de ses lèvres remontés avec effort s’arquaient bientôt douloureusement. Une respiration saccadée et pénible soulevait son corsage, et quand la femme de chambre s’approcha d’elle pour poser sur son front la couronne de fleurs d’oranger, une légère rougeur couvrit ses joues décolorées.

Miss Edith Harley avait plutôt l’air d’une victime que l’on pare pour le sacrifice que d’une jeune vierge marchant à l’autel pour faire un libre serment d’amour et de fidélité. Pourtant Edith n’était pas opprimée par des parents féroces. Un père barbare, une mère acariâtre ne forçaient pas son choix. On ne mettait pas d’autorité sa main pure et fine dans les griffes tordues par la goutte d’un vieillard obscène et monstrueux. Celui qu’elle allait épouser était un jeune homme, M. de Volmerange, beau, charmant, et d’excellente famille, qui réunissait toutes les conditions faites pour plaire aux parents les plus positifs et aux jeunes filles les plus romanesques.

Elle avait même paru accepter volontairement les soins de M. de Volmerange, et dans les entrevues qui avaient précédé l’arrangement de leur mariage, souvent ses yeux se tournaient vers le jeune comte avec une indéfinissable expression de mélancolie et d’amour. Mais en général la présence de M. de Volmerange causait à Edith un malaise et une inquiétude visibles seulement pour l’observateur, qui ne s’accordaient pas avec certains regards pleins d’un feu étrange pour une jeune fille d’ailleurs si modeste en apparence.

Haïssait-elle, aimait-elle M. de Volmerange ? c’était un mystère difficile à pénétrer. Si elle ne l’aimait pas, pourquoi l’épousait-elle ? Si elle l’aimait, pourquoi cette pâleur, pourquoi ces larmes, pourquoi cet abattement ?

Edith, enfant unique adorée de son père et de sa mère, n’avait qu’un mot à dire pour rompre cet hymen s’il lui déplaisait. Qui l’empêchait de dire ce mot ? Tout autre mari proposé par elle eût été agréé de lord Harley et de sa femme, qui n’avaient d’autre but que le bonheur de leur fille chérie, et qu’aucun préjugé de caste n’eussent décidés à le contrarier dans ses inclinations. Ils eussent accepté même un poète.

Quand les femmes d’Edith se furent acquittées de leur service, rendu plus long par l’inertie et la préoccupation de la jeune fille, qui se prêtait à peine à leurs soins, elle leur fit signe qu’elle était fatiguée et désirait rester seule quelques instants.

Aussitôt qu’elles se furent retirées, un coup porté discrètement avec le doigt, et qu’on aurait pu prendre pour ce petit bruit que fait derrière les tentures en frappant la muraille de ses antennes, pour appeler sa femelle, cet insecte vulgairement nommé l’horloge de la mort, crépita dans l’angle de la chambre, à un endroit occupé par une porte condamnée.

En entendant ce bruit, qui devait être un signal, Edith tressaillit comme si elle n’eût pas été prévenue. Une vive expression d’anxiété se peignit sur sa figure, et elle se leva brusquement du fauteuil où elle s’était jetée.

Un second coup un peu plus fort, mais pourtant retenu, résonna au bout de quelques minutes.

La jeune fille fit quelques pas chancelants vers la porte, et appuya ses mains sur son cœur, dont les battements l’étouffaient.

Un troisième coup, sec, impérieux, et où le dépit semblait l’emporter sur la crainte d’être entendu d’une autre personne que d’Edith, annonça l’impatience du visiteur mystérieux.

La pauvre Edith déplaça un petit meuble qui masquait à moitié la fausse porte, et tira les verrous d’une main tremblante.

Une clé manœuvrée du dehors grinça dans la serrure, et le battant entrebaillé et refermé aussitôt donna passage à un homme qui n’était pas M. de Volmerange.

Le personnage introduit d’une façon si singulière et si secrète chez une jeune fille, qui, dans quelques heures, devait être la femme d’un autre, avait une physionomie dont il eût été difficile de trouver d’abord le caractère. Son teint légèrement olivâtre, d’un ton mat, faisait ressortir deux yeux singulièrement mobiles et dont l’expression était amortie à dessein ; la bouche était bien coupée, mais les lèvres minces et serrées semblaient garder un secret, et la lèvre inférieure, fréquemment mordue, indiquait des élans comprimés et des soumissions nécessaires acceptées par la volonté, mais non par le sang. Le nez, trop fin dans son arête, trop pointu malgré sa correction, donnait au reste de la figure une expression d’astuce. C’était une de ces têtes auxquelles on ne saurait trop reprocher aucun défaut, que l’on est forcé d’avouer belles, et qui pourtant produisent un effet de répulsion dont on ne peut se rendre compte. Cette figure attirait et repoussait à la fois par une espèce de grâce dangereuse et de charme inquiétant. Les couleurs qui brillent gaîment sur l’aile de l’oiseau prennent, sans perdre de leur éclat, sur la peau tachetée du reptile une nuance malsaine et vénimeuse qui fait qu’on admire et qu’on est effrayé. L’homme à qui miss Edith venait d’ouvrir cette route condamnée pour tous était joli comme une vipère et charmant comme un tigre. Lui assigner un âge eût été difficile. Son front lisse n’offrait aucune de ces rides, aucun de ces plis au moyen desquels les dates s’écrivent sur la face humaine ; il aurait paru sorti à peine de l’adolescence sans cette froideur glaciale et cette absence de spontanéité, signe d’une longue dissimulation ; ce n’était pas un visage, c’était un masque.

Son vêtement était noir et brun d’une teinte neutre, et, quoique soigné dans un parti pris d’élégance austère, n’attirait l’œil par aucun détail visible et ne laissait dans la mémoire aucune trace.

Il y eut un moment de silence pénible : Edith, embarrassée, semblait attendre que l’inconnu prît la parole ; mais celui-ci ne paraissait pas disposé à lui éviter cette peine. Son attitude était respectueuse plutôt par habitude prise que par déférence réelle, et il laissait tomber d’aplomb sur la jeune fille un regard de maître.

— Vous persistez donc, dit Edith en faisant un effort sur elle-même, à vouloir que je sois la femme de M. de Volmerange ?

— Ce n’est pas à présent que je changerais d’avis ; ce mariage est plus que jamais nécessaire.

— Vous savez cependant qu’il est impossible.

— Si peu impossible que dans deux heures il sera fait.

— Écoutez, Xavier, il est temps encore ; ne me forcez pas à commettre un mensonge devant Dieu et les hommes ; je puis me jeter aux pieds de mes parents, leur avouer tout, obtenir mon pardon… et le vôtre : mon crime est grand, mais leur indulgence est sans bornes.

— Ne faites pas cela, je vous démentirai.

— Si je prenais toute la faute sur moi !

— Je soutiendrais que j’ai toujours été un étranger pour vous.

— Mais cependant j’ai là des preuves qui pourraient vous confondre, s’écria Edith avec indignation en courant vers un petit coffret dont elle souleva le double fond.

— Vous croyez, répondit Xavier, dont un sourire ironique crispa les lèvres minces.

De ses mains convulsives, Edith fouilla violemment le coffre, d’où elle retira quelques papiers que la façon dont ils étaient pliés indiquait avoir été des lettres.

Elle en déplia une feuille et la jeta à terre : elle était blanche. Elle en fit autant d’une seconde et d’une troisième.

Alors elle laissa tomber le paquet, et ses bras découragés s’affaissèrent le long de son corps.

Toute trace d’écriture avait disparu ! Les lettres étaient redevenues de simples feuilles de papier.

— Heureusement votre encre, miss Edith, était de meilleure composition que la mienne. Les menus caractères tracés par votre jolie main sont encore parfaitement visibles sur les billets que vous avez daigné m’écrire.

— Xavier, il y a dans tout ceci une énigme que je ne puis comprendre… Je suis jeune, je suis belle ; vous me l’avez dit sur plus de tons que le serpent n’en prit pour séduire Ève ; l’unique faute de ma vie a été commise pour vous. Seul vous avez le droit de me trouver innocente ; ma fortune est considérable ; le nom de ma famille compte parmi les plus honorables de l’Angleterre et n’a jamais été taché que par moi. Cette souillure inconnue, d’un mot vous la pouvez laver. Vous n’avez d’autres ressources que celles que vous donne votre instruction qui vous rend digne d’un rang supérieur à celui que vous occupez. En m’épousant, un monde nouveau s’ouvre devant vous ; de l’ombre, vous passez à la lumière ; votre existence s’agrandit ; vous pouvez déployer dans une vaste sphère les talents que vous possédez. Ce qui était chimère devient désir raisonnable. La politique et la diplomatie n’ont rien de trop haut pour vous.

À mesure qu’Edith parlait, la figure pâle de Xavier se colorait ; ses yeux, qu’il ne pensait plus à voiler, jetaient des étincelles. Il suivait en esprit la jeune fille dans les régions qu’elle lui montrait comme pour le tenter et obtenir de l’ambition ce qu’elle n’avait pu arracher à l’amour ; un moment même il saisit la main d’Edith et la serra avec force ; mais ce mouvement d’enthousiasme n’eut pas de durée ; l’éclair de ses yeux s’éteignit, il ramena sur ses traits ce voile morne qui dérobait les mouvements de son âme, et il reprit d’un ton glacé :

— Vous épouserez tout-à-l’heure M. de Volmerange.

— Votre inconcevable refus ne peut avoir qu’une cause : alors mon malheur n’a plus de remède ; peut-être avez-vous déjà une femme en France ?

— Non…, répondit Xavier d’un ton singulier, ni en France, ni ailleurs. Je suis célibataire.

Edith, qui jusque-là avait supplié, se releva, et, de l’air le plus digne et le plus majestueux, dit au jeune homme :

— Ce n’est pas par passion pour vous que j’ai mis tant d’insistance dans mes prières : j’ai été fascinée, mais non séduite ; vous avez produit sur moi l’effet d’un philtre ou d’un poison, et je ne suis pas plus coupable que si un breuvage m’eût rendue folle. Je ne vous ai jamais aimé. Dieu merci ! j’en suis fière, et ce m’est une consolation dans mon malheur. Mes yeux aveuglés un moment se sont bien vite dessillés. Quand j’ai entendu la vraie éloquence du cœur, quand je vis briller la flamme céleste dans un regard sincère, je compris aussitôt que j’avais été la proie et le jouet d’un démon, et j’aimai M. de Volmerange autant que je vous hais ; je l’estimai autant que je vous méprise ; oui, je l’aime éperdûment, de toutes les puissances de mon corps et de mon âme, ajouta miss Edith Harley avec une insistance cruelle en voyant verdir le visage blême de Xavier, et je voulais lui épargner cette honte d’épouser une fille souillée par vous ; mais je lui dirai tout, il me pardonnera et me vengera. Maintenant, monsieur, sortez, ou je sonne et je vous fais jeter par la fenêtre, s’écria-t-elle d’un ton où éclatait la révolte de son sang aristocratique.

En disant chaque mot, elle avançait d’un pas, et Xavier, comme foudroyé par les effluves d’indignation qui sortaient des yeux d’Edith, reculait en chancelant vers la porte, qu’elle referma violemment sur lui. Le dernier regard du misérable fut celui d’un serpent qui sent entrer dans son dos la griffe d’un lion.

Elle repoussa les verrous et remit le meuble en place, et le dernier pas de Xavier résonnait encore sur l’escalier que lord et lady Harley entrèrent dans la chambre.

La colère avait ramené les couleurs de la vie sur les joues d’Edith, et le feu de l’indignation cache toute trace de pleurs dans ses yeux brûlants : le calme des résolutions suprêmes rassérénait son front.

Aussi, lady Harley, en attirant sa fille sur son cœur, lui dit-elle d’une voix caressante :

— Edith, mon enfant, je suis charmée de te voir sortie de l’abattement où tu étais plongée. Je craignais que ce mariage ne te déplût et qu’une vaine crainte de revenir sur ta résolution au dernier moment ne t’engageât seule à l’accomplir. Je n’aurais pas voulu qu’une considération mondaine compromît le bonheur de ta vie. Lord Harley, bien qu’il trouve dans M. de Volmerange toutes les qualités qu’on peut souhaiter d’un gendre, était venu avec moi dans l’idée de t’engager à ne pas former une union qui te trouble et t’agite à ce point.

Au moment de serrer avec ton respectable père le lien qui nous rassemble, je n’éprouvai rien de pareil : une confiance inaltérable, une sérénité céleste, une joie calme et pénétrante emplissaient mon âme. Tel doit être le sentiment qui anime une jeune fille quand elle va s’unir à celui qu’elle accompagnera jusqu’au tombeau et qu’elle retrouvera dans l’éternité.

— Ma mère, répondit Edith en embrassant lady Harley, et vous, très cher et très honoré père, je vous remercie avec une gratitude profonde de ce que vous venez de dire, et je ne puis exprimer à quel point ces marques d’intérêt me touchent, mais vos inquiétudes ne sont point fondées. Rassurez-vous. Votre choix est le mien. Je trouve comme vous M. de Volmerange parfaitement né, plein de sentiments nobles et généreux, d’une élégance accomplie et d’une grâce parfaite. Je crois fermement que si un homme peut sur terre rendre une femme heureuse, c’est lui…

Ici, Edith ne put tout à fait comprimer un soupir en désaccord avec le sens des paroles qu’elle proférait, et qui indiquait plutôt un regret qu’une espérance.

— J’aime M. de Volmerange…, continua Edith ; je puis le dire devant vous, chers parents, et, au moment de marcher à l’autel, les larmes que j’ai pu verser, les tristesses auxquelles je me suis laissée aller n’étaient que des mélancolies de petite fille nerveuse, où il n’y avait de véritable que le chagrin de vous quitter.

— Tant mieux s’il en est ainsi, chère Edith, j’avais craint qu’une aversion secrète ne se cachât sous cette déférence à nos volontés.

— Donnez-moi un baiser, mon père, dit la jeune fille en présentant son front aux lèvres de lord Harley, qui l’attira sur sa poitrine.

Puis elle saisit la main de sa mère et se pencha dessus avec effusion. Quelques sanglots étouffés firent tressaillir son corps : mais lorsqu’elle se releva sa figure avait repris son expression de calme.

L’on annonça M. de Volmerange.

C’était un jeune homme de vingt-cinq à vingt-six ans, dont la physionomie charmante saisissait d’abord par un charme étrange. Il était né à Chandernagor d’un père français et d’une mère indienne, et mélangeait en lui les qualités des deux races. Ses yeux du bleu le plus pur, étaient entourés de cils très longs et très noirs, et surmontés de sourcils d’ébène nettement dessinés sur un front d’une pâleur mate. Ce contraste donnait à sa tête une grâce singulière. Le regard bleu nageant entre deux sombres franges avait une teinte triste et douce que la fermeté des tons voisins empêchait de devenir féminine. Lorsqu’une émotion vive agitait M. de Volmerange, ses prunelles ravivées par les teintes chaudes des paupières semblaient s’illuminer et passaient du saphir à la turquoise. Ce désaccord de ton, tout agréable qu’il fut et qu’un peintre coloriste eût étudié avec amour, était cause que cette belle figure avait quelque chose de fatal, de mystérieux, de surnaturel pour ainsi dire. Certains anges rêveurs et sinistres d’Albert Durer ont ce regard immense comme le ciel, profond comme la mer, où toutes les mélancolies semblent s’être fondues dans une goutte d’azur. Bien que la paix de l’âme, la franchise et la bonté respirassent sur cette figure, aucun artiste ayant à peindre le bonheur ne l’aurait prise pour modèle.

M. de Volmerange était grand, et, quoique svelte, annonçait une force plus qu’ordinaire. Malgré l’élégance patricienne de sa taille, la largeur de sa poitrine et les muscles de ses bras, visibles même sous le drap de ses manches, démontraient une vigueur d’athlète.

Cette nature robuste, assouplie par l’élégance et la parfaite tenue du gentilhomme, avait une grâce extrême, la grâce de la force.

On partit pour l’église…

Cette église se trouvait être celle de Sainte-Margareth, dans Palace-Yard, et sous le porche de laquelle miss Amabel Vyvyan, pâle comme une statue d’albâtre sur un tombeau, attendait son fiancé.

Les voiles d’Edith frôlèrent en passant l’épaule d’Amabel.

Quant à Volmerange, tout entier à son bonheur, il ne jeta pas même un regard sur cette jeune fille inquiète arrêtée au seuil du temple et cherchant à percer le brouillard de sa vie.

Et cependant deux destinées venaient à passer l’une à côté de l’autre.

Amabel ne fit pas la moindre attention à cet incident. Tout entière à la pensée de Benedict, aux angoisses de l’anxiété, à l’embarras de cette situation gênante, elle ne remarqua ni Edith, ni Volmerange, aucun tressaillement ne les avertit.

Ceux-ci entrèrent dans la noire église, et la cérémonie s’acheva au son des rafales qui faisaient battre les portes et gémissaient dans les nefs encombrées d’ombres ; le brouillard se résolvait en pluie, et de larges gouttes chassées par le vent cinglaient les vitres jaunes des grandes vitrines protestantes.

Une lueur blafarde éteinte à chaque instant par les tourbillons de la tempête éclairait de reflets sinistres les fiancés, le prêtre et les assistants. Le surplis prenait des aspects de suaire et le ministre des lividités de spectre ou de nécroman faisant une conjuration. Les gestes sacrés ressemblaient à des signes cabalistiques, les époux inclinés paraissaient plutôt prier sur des tombes que se pencher, heureux et ravis, sous la bénédiction nuptiale.

Près de la porte, au loin, l’on entrevoyait une ombre blanche entourée d’habits noirs et qu’on eût dit fixée au seuil de l’église par une puissance infernale, âme malheureuse qu’un ange repousse du paradis.

Un sentiment de tristesse invincible s’était emparé de l’assistance : une vague idée de malheur secouait ses ailes de chauve-souris sur tous les fronts ; un froid glacial, pénétrant, qui figeait la moelle dans les os, froid de cave, de sépulcre ou de prison, transissait les invités et ajoutait à l’impression pénible. Les moins superstitieux, malgré leur incrédulité, ne purent s’empêcher de dire en eux-mêmes : Voilà un mariage qui ne s’annonce guère bien ; s’il est heureux, il faut avouer que le bonheur a de tristes auspices.

Le seul qui fût insensible à toute impression extérieure, c’était Volmerange ; il adorait Edith, et le jour où il recevait sa main eût-il été plein de foudres et d’éclairs, de nuages et de trombes, lui eût paru le plus pur et le plus serein. Qu’importent les nuages du ciel et les brouillards de la terre, quand on a le soleil dans le cœur et l’azur dans l’âme !

Quand le couple sortit de l’église, un homme d’un costume délabré et d’une mine humble, qu’on pouvait prendre pour un pauvre honteux ou un solliciteur spéculant sur le contentement qui porte un heureux à en faire d’autres, tendit à M. de Volmerange une enveloppe cachetée qui paraissait contenir quelques papiers, une supplique probablement et des certificats à l’appui.

Volmerange prit le pli d’une main distraite et le mit dans sa poche sans regarder l’individu qui le lui tendait.

Edith, à l’aspect de cet homme, tressaillit, mais ne fit aucune observation.

Il était écrit là-haut que l’église de Sainte-Margareth ne verrait ce jour-là s’accomplir heureusement aucun mariage.

Benedict Arundell avait disparu.

Et vers le milieu de la nuit, dans la chambre nuptiale de Volmerange et d’Edith, un gémissement profond et douloureux avait retenti à travers le silence de la maison. Quelques domestiques l’avaient entendu ; mais nul n’avait osé pénétrer sans appel dans les mystères du thalamus. Était-ce le cri de la pudeur effrayée, la dernière résistance de la vierge à l’époux ?

C’est ce que nul ne put résoudre.

Seulement, le matin, comme aucun bruit ne se faisait entendre dans la chambre, qu’aucun coup de sonnette ne retentissait et qu’il était déjà plus de midi, l’on se hasarda à ouvrir la porte.

La chambre était vide !!!