Les Derniers Beaux Jours de l’alliance anglo-française

Les Derniers Beaux Jours de l’alliance anglo-française
Revue des Deux Mondes, 3e périodetome 36 (p. 611-645).
LES
DERNIERS BEAUX JOURS
DE L'ALLIANCE ANGLO-FRANCAISE

OSBORNE, CHERBOURG ET VILLAFRANGA

The Life of His Royal Highness the Prince Consort, by Theodore Martin tome IV, Londres, 1879.

Le quatrième volume de la Vie du Prince Consort, par M. Théodore Martin, qui a paru il y a peu de mois à Londres, mérite d’être lu avec attention par tous ceux qui s’occupent de politique et d’histoire contemporaine. L’intérêt de cette publication, entreprise et poursuivie sous un haut patronage, ne réside pas seulement dans le récit des faits et dans les appréciations du judicieux historien, mais aussi dans les documens qu’il a eus à sa disposition : documens dont les uns étaient inédits et dont les autres se trouvent pour la première fois réunis dans un même cadre. Forcé de faire un choix au milieu de matériaux extrêmement précieux, nous nous occuperons plus particulièrement de ceux qui concernent les relations du gouvernement anglais avec les diverses nations européennes et surtout avec la France, laissant au second plan ceux qui n’ont trait qu’à la vie intérieure de la Grande-Bretagne. Cette préférence se justifie d’autant mieux que le quatrième volume de M. Martin passe en revue les années 1857, 1858 et 1859, remplies de faits si importans pour l’histoire générale de l’Europe. C’est pendant ces trois années que l’alliance anglo-française, après avoir été aussi étroite que possible au moment de la guerre de Crimée, commence à se relâcher, puis se resserre une dernière fois pour se dénouer enfin peu à peu et faire place à une froideur marquée. C’est pendant ces trois années que la politique du second empire abandonne la défense de l’équilibre européen, qui lui avait si bien réussi, pour se jeter dans une voie tout opposée, au terme de laquelle elle devait rencontrer de si cruels mécomptes.

Personne peut-être, en Europe, n’a été plus au courant que le prince Albert, de toutes les intrigues diplomatiques qui se sont croisées et enchevêtrées pendant cette curieuse période. Non-seulement il possédait l’absolue confiance de la reine Victoria, qui avait trouvé dans le plus attentif des maris l’ami le plus sûr et le conseiller le plus sagace ; non-seulement il avait des relations de famille ou d’amitié avec toutes les cours de l’Europe, sauf toutefois avec celle de Russie, mais il avait fini par conquérir, malgré des résistances qui furent parfois très vives, un crédit presque sans bornes auprès des hommes d’état anglais que le jeu des institutions parlementaires portait tour à tour au pouvoir[1]. Si la discrétion et le tact, qui étaient les traits dominans de son caractère, l’engageaient à ne jamais faire montre de son influence, elle n’en était pas moins grande, bien au contraire. Rien ne se faisait, surtout dans la politique étrangère, sans qu’il fût averti, consulté et presque toujours écouté. Ses notes, ses lettres ses conversations, sont donc le miroir le plus fidèle des négociations secrètes de son temps.


I

L’année 1856 venait de finir. Qui de nous ne se souvient de la brillante situation qu’avaient alors l’empire et l’empereur ? La guerre d’Orient était terminée, le traité de Paris signé, l’équilibre de l’Europe raffermi. Imaginons un instant que Napoléon III, satisfait des résultats inespérés qu’il venait d’obtenir, eût évité toute guerre nouvelle et se fût contenté de développer tranquillement les ressources d’un empire vaste, prospère, redouté ; qui peut dire que les destinées de la France et celles de la dynastie napoléonienne n’auraient pas été changées ? Cependant, au milieu des joies du triomphe, au milieu des acclamations du peuple de Paris battant des mains au retour des troupes de Crimée, au milieu des caresses de toutes les vieilles cours, étonnées et charmées de trouver chez l’héritier du nom de Napoléon tant de modération dans la victoire, l’idée d’un remaniement général de la carte d’Europe couvait dans ce cerveau, que les méditations de l’exil avaient préparé au pouvoir, mais aussi aux aventures.

Déjà, pendant les négociations pour la conclusion de la paix, l’empereur avait offert à l’Autriche les Principautés danubiennes. Ses ouvertures ayant été immédiatement déclinées par la cour de Vienne, les pourparlers ne furent pas poussés bien loin, de telle sorte que Napoléon III n’eut probablement pas l’occasion de développer dans toutes ses parties le plan dont cette proposition n’était que le premier chapitre. Toutefois il n’existe plus guère de doutes aujourd’hui sur le but qu’il se proposait. Il ne voulait pas seulement opposer l’Autriche à la Russie dans l’orient de l’Europe, comme M. de Bismarck cherche à le faire en ce moment, il visait en outre à résoudre tout à la fois la question polonaise et la question italienne. C’est lui-même qui a fait plus tard cette confidence à lord Cowley et à lord Clarendon dans deux conversations rapportées par M. Martin. La déception causée par le refus du cabinet de Vienne paraît avoir été assez cuisante : elle fut suivie d’une brusque évolution de la politique française. On se tourna du côté de la Russie, qui, trop heureuse de sortir de son isolement, n’eut garde de repousser les avances qui lui étaient faites. L’empereur, après avoir été si près de donner les Principautés danubiennes à l’Autriche, s’était épris tout à coup d’un goût très vif pour l’indépendance de ces pays : il ne songeait plus qu’à les unir, à les fortifier, à les régénérer. La Russie était toute disposée à entrer dans cette voie. Le difficile était d’y entraîner l’Angleterre : car Napoléon III voulait bien rompre avec Vienne, mais point du tout avec Londres, ainsi que le prouve une lettre, en date du 18 mai 1857, adressée par lord Clarendon au prince Albert :


Je crois, comme votre altesse royale, que nous devons surveiller de très près l’empereur ; car je ne fais pas doute qu’il ne roule dans sa tête une foule de projets bizarres et qu’il ne rêve de s’immortaliser par une reconstitution de l’Europe… Il a, je ne sais pourquoi, une vieille hostilité contre l’Autriche, et il m’a proposé à Paris une alliance intime, à l’exclusion de cette puissance, entre la France, l’Angleterre et la Russie.


Le prince Albert connaissait bien le secret du mécontentement de l’empereur contre l’Autriche. Le 16 mai, il écrivait à son plus intime confident, le baron Stockmar : « A Paris, on est très monté contre nous et encore plus contre l’Autriche. Pour des remaniemens territoriaux, nous sommes des alliés gênans. L’Autriche surtout, par suite de sa situation en Italie et de son parti pris de ne pas laisser enlever les Principautés à la Turquie, est forcément dans le camp opposé à la France. » Le 18, il écrivait encore à Stockmar : « La politique française, après avoir été autrichienne jusqu’à l’absurde avant les conférences pour la paix, s’est brusquement jetée dans le sens opposé et favorise aujourd’hui la Russie avec une égale ardeur. Cela tient, dit-on, à ce que l’Autriche a refusé pour elle-même l’annexion des Principautés danubiennes, qui aurait pu être le point de départ d’un remaniement. »

Les tendances nouvelles de la politique française se manifestaient chaque jour par des démarches significatives. Non-seulement la Russie, mais son alliée séculaire, la Prusse, recevait des avances de la cour des Tuileries. Le prince Napoléon allait à Berlin rendre la visite que le prince Frédéric-Guillaume avait faite à l’empereur des Français, tandis qu’on ne se hâtait pas de répondre à une démarche analogue, mais plus ancienne, de l’archiduc Maximilien. Le prince Albert se demandait si le gouvernement français ne voulait pas s’assurer la neutralité de la Prusse en vue d’une guerre contre l’Autriche. Ce qui le préoccupait davantage encore, c’était le double projet d’un voyage du grand-duc Constantin en France et d’une entrevue entre le tzar et l’empereur des Français en Allemagne. Dès le mois d’avril, il avait jugé prudent de mettre la cour des Tuilerie en garde contre les tentations qui pourraient lui venir de Pétersbourg par le canal du grand-duc, et il avait écrit à Napoléon III, du palais de Buckingham, une longue lettre, que nous regrettons de ne pouvoir reproduire en entier, mais dont nous traduisons du moins les principaux passages, car elle montre admirablement l’état d’esprit dans lequel se trouvait le gouvernement anglais et les appréhensions que lui inspirait la pensée d’une alliance entre la France et la Russie.


L’alliance anglo-française est fondée sur un état de civilisation identique ; sur une émulation réciproque dans le développement des arts, des sciences, des lettres, du commerce ; sur le voisinage, qui rend le bon accord si nécessaire ; enfin sur le bien-être et la prospérité des deux pays, dont les intérêts sont si intimement liés.

Quand on se tourne d’un autre côté et qu’on se demande quelles seraient les bases d’une alliance franco-russe, que voit-on au contraire ? Une complète dissemblance de vues, de sentimens et d’idées. Aux yeux de la Russie, la civilisation occidentale, loin de mériter des encouragemens, est une ennemie qu’il faut combattre. Enfin il existe si peu d’intérêts communs entre la France et la Russie que l’une des deux nations pourrait cesser d’exister sans que l’autre se trouvât sérieusement atteinte.

Par conséquent, si malgré toutes ces différences fondamentales, on voit la France rechercher ou seulement envisager comme possible l’alliance russe, on se dit qu’elle ne peut poursuivre qu’un but purement politique. Immédiatement toute l’Europe se met à réfléchir et se demande ce qui peut motiver cette attitude ; l’Angleterre, naturellement, est la première à prendre l’alarme, et les autres nations ne tardent pas à partager ses inquiétudes. La reine et moi personnellement, nous sommes convaincus que votre majesté n’a aucune intention de ce genre, et en ce qui nous concerne, les assurances nouvelles que votre majesté a bien voulu nous donner à cet égard dans sa dernière lettre étaient superflues. Seulement je me suis cru obligé de vous expliquer l’état d’esprit de l’opinion publique et de la presse anglaise, dont la susceptibilité sur cette question a son origine dans l’idée qui est le fondement de notre alliance.

Votre Majesté trouvera dans le grand duc Constantin un homme extrêmement agréable. Il y a plusieurs années que je ne l’ai vu ; mais je l’ai dès lors considéré comme un homme habile, intelligent, profondément instruit, plein de zèle et d’ardeur dans tout ce qu’il entreprend. Toutefois ce qui m’a laissé la plus vive impression, c’est son caractère exclusivement et absolument russe. Pour lui, la sainte Russie, ses croyances, ses préjugés, ses erreurs et ses fautes, sa religion à demi païenne, ses populations presque barbares, sont des objets dignes de la plus profonde vénération. Il les adore avec une foi aveugle et ardente. En un mot, dans toutes les conversations que j’ai eues avec lui, il m’a paru si profondément oriental dans toutes ses vues et dans toutes ses aspirations, que je me demande comment il pourrait comprendre les idées et les sentimens de l’Occident, et surtout les apprécier et les aimer. Je serais curieux de savoir s’il est resté tel que je l’ai vu, et de connaître l’impression qu’il produira sur votre majesté.


Cette lettre, avant d’être expédiée, avait été communiquée à lord Palmerston et à lord Clarendon, qui l’avaient trouvée « de tous points excellente. » C’est, en effet, un des plus habiles plaidoyers qu’on ait écrits en faveur de l’alliance anglo-française. Elle fit impression sur l’esprit de Napoléon III. M. de Persigny, grand partisan, comme on sait, de l’alliance anglaise, était alors notre ambassadeur à Londres. Il suggéra à son souverain, comme un bon moyen de raffermir l’entente cordiale, l’idée d’une visite à la reine Victoria. Lord Palmerston et lord Clarendon accueillirent d’assez mauvaise grâce une proposition qu’ils ne pouvaient évidemment pas décliner, mais dont ils ne se promettaient pas merveilles. Il fut convenu que l’empereur et l’impératrice des Français iraient passer quelques jours à Osborne, dans l’île de Wight, où ils pourraient voir la reine Victoria et le prince Albert tout à fait dans l’intimité.

La visite réussit-elle ? Oui et non, comme on le verra tout à l’heure. Pour le moment elle eut certainement de bons effets. Elle prévint peut-être une rupture entre les deux pays. L’empereur et l’impératrice arrivèrent à Osborne le 6 août, sur le yacht la Reine-Hortense, et y passèrent quatre jours. Lord Palmerston et lord Clarendon s’y étaient rendus de leur côté, pour traiter avec MM. Walewski et de Persigny les questions pendantes, surtout celle des Principautés, sur laquelle de sérieux dissentimens s’étaient élevés. On se mit d’accord, non pas pour bien longtemps, sans doute, car le système de l’union des deux principautés, abandonné par la France dans les conférences d’Osborne, fut repris par elle à la suite de la double élection du prince Couza, et finit par triompher.

Lord Clarendon craignait que la visite ne fût pas agréable à la reine Victoria ; c’était une des raisons pour lesquelles il avait si froidement accueilli l’idée de M. de Persigny. Pauvres diplomates ! comme les plus habiles d’entre eux se méprennent parfois ! La reine ne fut pas seulement satisfaite de ses hôtes : elle en fut littéralement enthousiasmée. Son admiration, pour l’impératrice surtout, déborde dans une lettre qu’elle écrit, le 12 août, au roi Léopold : et il est impossible d’être plus aimable, plus charmant, moins gênant que ne l’ont été les deux majestés. Ce sont les hôtes les plus agréables qu’on puisse imaginer. Nous sommes tous sous le charme de l’impératrice, et je désire bien vivement que vous la connaissiez… Albert, qui d’ordinaire se plaît si peu avec les dames et les princesses, a été tout à fait conquis par elle, et il est devenu son grand partisan. »

Quelle que fût pourtant l’impression produite sur le prince Albert par la grâce irrésistible de la jeune souveraine, il était trop politique pour oublier les graves questions alors pendantes entre les deux pays, et dès le premier jour, l’empereur ayant fait une promenade avec lui après le déjeuner, il s’engagea entre les deux interlocuteurs une conversation de la plus haute portée. Le 10 août, le jour du départ, nouvel entretien, continuant et complétant le premier. Lord Palmerston avait compté, non sans raison, sur l’intervention personnelle du prince pour éclaircir certains points auxquels les ministres et les diplomates ne pouvaient toucher qu’avec circonspection. Dès le début de la première conversation, l’empereur aborda la question pendante entre les deux gouvernemens : celle des principautés. Il exprima le regret de n’avoir pas été appuyé par lord Clarendon lorsqu’il avait demandé l’union de la Valachie et de la Moldavie sous un prince étranger. Il se plaignit surtout très vivement des manœuvres employées par les agens de la Porte pour altérer la sincérité des élections du premier degré en Moldavie. La France avait demandé l’annulation de ces opérations électorales, et là Porte y avait tout d’abord consenti. C’est plus tard seulement qu’elle était revenue sur sa promesse, sous l’influence de l’ambassadeur d’Angleterre à Constantinople, lord Stratford de Redcliffe. Un semblable procédé n’était pas tolérable pour un pays comme la France. Si les élections moldaves n’étaient pas annulées, l’empereur était décidé à rompre les relations diplomatiques avec la Turquie, et il était certain d’être suivi dans cette voie par la Russie, la Prusse et la Sardaigne. Le prince Albert ne pouvait répondre directement à la demande formulée par l’empereur. Il était obligé de laisser à lord Palmerston et à lord Clarendon le rôle actif dans une question déjà officiellement posée sur le terrain diplomatique ; mais il s’exprima de manière à faire comprendre que, s’il n’y avait pas entre les deux gouvernemens de question plus grave que celle des élections moldaves, on arriverait à s’entendre. Cette difficulté écartée, l’entretien, prenant un tour plus général, porta d’abord sur l’intégrité de la Turquie et ensuite sur la révision des traités de 1815.


Je demandai à l’empereur la permission de lui poser une question, à laquelle je le priai de me faire une réponse loyale et franche : « Votre intention est-elle de continuer à défendre l’intégrité de l’empire ottoman ? C’est là le principe fondamental de notre alliance avec vous ; c’est pour ce principe que nous avons fait tant de sacrifices de sang et d’argent, et nous sommes décidés à le défendre avec la dernière énergie. »

L’empereur me dit qu’il allait me répondre franchement et loyalement : « Si je parlais comme simple particulier, je vous avouerais que je n’ai aucune sympathie pour un aussi mauvais gouvernement que celui des Turcs. » Je l’interrompis pour lui dire que je pensais à cet égard comme lui. « Mais, reprit-il, si vous vous adressez à moi comme à un homme politique, c’est autre chose. Je ne suis nullement disposé à abandonner l’objet primitif de notre alliance, pour lequel la France, comme l’Angleterre, a fait de grands sacrifices. »

« — Eh bien, lui dis-je, si nous sommes décidés à maintenir l’empire ottoman, la Russie, elle, est décidée à le détruire. Seulement, comme elle a vu la faute qu’elle avait commise en laissant la France se mettre de notre côté, elle veut la prochaine fois vous avoir avec elle. Les deux adversaires en présence sont l’Angleterre et la Russie. La France est l’alliée que chacune d’entre elles désire. Or, j’ai le regret de le dire, depuis la conclusion de la paix, la Russie a fait un immense progrès en entraînant la France avec elle, et tout ce qui se passe à Constantinople est un triomphe complet pour l’influence russe. »

L’empereur reprit : « Je ne crois pas aux projets ambitieux que vous prêtez à la Russie. Bien que je ne prenne pas pour parole d’Évangile tout ce que m’a dit le grand-duc Constantin, j’ai confiance dans sa sincérité lorsqu’il m’affirme que la Russie ne veut pas prendre Constantinople.

« — Je suis de votre avis : ce que veut la Russie, c’est tout simplement le démembrement de l’empire ottoman, c’est la constitution en Orient d’un certain nombre de petits états qui formeront comme une sorte de confédération germanique, qu’elle gouvernera à son gré, sans dépense et sans responsabilité… »

L’empereur aborda ensuite un sujet qui lui tenait fort à cœur et qu’il aurait désiré voir traiter par le congrès de Paris, mais qu’il n’avait pas cru devoir lui soumettre, à raison des difficultés et des dangers de cette question : je veux parler de la révision des traités de 1815. Ces traités, disait-il, étaient mal faits ; ils avaient été fréquemment violés, et ils rappelaient d’une manière fâcheuse la coalition des puissances européennes contre la France.

Je lui représentais dans les termes les plus pressans le danger de toucher à cette question. Les traités de 1815 pouvaient être mal faits, mais ils n’étaient pas inspirés par une hostilité préconçue contre la France. Ils avaient été le résultat d’une guerre qui avait duré vingt-cinq ans, et ils étaient devenus la base sur laquelle la paix générale s’était maintenue pendant quarante ans. Ils n’avaient pas atteint uniquement la France ; ils avaient réglé les intérêts de tous les pays. Ils avaient fait disparaître certains états ; d’autres avaient été démembrés, diminués, remaniés. Si une puissance réclamait la révision, les autres avaient le droit d’en faire autant. Il pourrait résulter de là un réveil de toutes les mauvaises passions, une guerre sanglante et générale, dont personne ne verrait la fin, et dont les conséquences seraient peut-être bien différentes de celles que chacun attendait. Je le suppliai d’ouvrir le grand livre de l’histoire et de le consulter. Je ne connaissais, quant à moi, qu’une seule grande guerre dont le résultat eût été exactement celui qu’on avait poursuivi au début : c’était celle que nous venions de faire en commun pour défendre l’intégrité de l’empire ottoman. Mais quand, par exemple, le duc de Brunswick lançait sa fameuse proclamation lors de l’entrée des armées alliées en France pour porter secours au malheureux Louis XVI, qui aurait pu deviner que tout cela finirait par le congrès de Vienne ? et qui aurait pu prévoir les épouvantables catastrophes qui ont rempli l’espace intermédiaire ?

L’empereur me répondit que, si telles devaient être les conséquences de son idée, il serait le premier à l’abandonner, mais qu’il croyait possible d’introduire certaines améliorations dans l’état de l’Europe sans amener de pareils bouleversemens. Il ne voulait rien faire qui pût troubler l’Europe : il désirait s’entendre avec le gouvernement anglais sur toutes les éventualités, de telle sorte que, quoi qu’il arrivât, les deux pays ne se trouvassent ni surpris, ni exposés à un désaccord.

Je répliquai que les traités de 1815, bien qu’étant restés la base sur laquelle reposaient le droit international et l’état légal de l’Europe, n’en avaient pas moins subi, sur des points spéciaux, les modifications que le temps avait rendues nécessaires. Je citai l’exemple de la Belgique, l’exemple plus récent encore de Neufchâtel. La principale disposition des traités de 1815, en ce qui concernait la France, était celle qui excluait du trône la famille Bonaparte. La présence de l’empereur à Osborne était la meilleure preuve qu’il n’y avait aucune impossibilité de réviser ces traités sur les points qui appelaient des modifications ; mais demander une révision générale, c’était forcément provoquer une sorte de commotion.


Dans la conversation du 10 août, les questions furent serrées de plus près, et l’empereur indiqua avec plus de précision quelques-uns des points sur lesquels il désirait apporter des modifications à l’état territorial de l’Europe.


L’empereur revint à son sujet préféré, et m’exprima de nouveau sa conviction que la paix de l’Europe ne serait assurée qu’après une révision des traités de 1815.

— C’est là, dis-je, une question fort délicate et tellement grosse de dangers, qu’elle ne peut être traitée qu’avec la plus extrême prudence. En ce qui me concerne, je ne vois pas comment on pourrait l’aborder. Personne ne voudra courir le risque fort sérieux de toucher à l’état légal de l’Europe, à moins qu’il n’espère des avantages personnels d’un changement. Mais ces avantages, aux dépens de qui se les procurera-t-on ? Et si ceux qui croient être bien traités se prêtent à la révision, ceux qui devront en être les victimes ne se défendront-ils pas jusqu’à la dernière extrémité ?

« — Sans doute, reprit l’empereur, c’est très difficile ; cependant… Il y a, par exemple, le duc de Brunswick, qui n’a pas d’enfans. À sa mort, que deviendra le duché ?

« — Mais, répliquai-je, la question est réglée par la loi successorale et par les traités. Le duché reviendra au Hanovre.

« — Aussi, dit l’empereur, ai-je toujours pensé que le meilleur moyen de rendre de grands services au monde serait de chercher des compensations hors de l’Europe. Il y a l’Afrique, par exemple. Je ne veux pas faire de la Méditerranée un lac français, comme le souhaitait Napoléon Ier : je veux en faire un lac européen. L’Espagne aurait le Maroc, la Sardaigne une partie de Tripoli, l’Angleterre l’Égypte, l’Autriche une partie de la Syrie, et que sais-je encore ? Toutes ces magnifiques contrées sont inutiles à la civilisation, grâce à leurs détestables gouvernements. La France elle-même trouverait là une soupape pour les esprits turbulens.

« — Je lui dis que je considérais cette nouvelle idée comme bien préférable à celle de refondre le vieux monde et la vieille société, mais que cependant je la regardais encore comme assez difficile à réaliser, attendu qu’elle était de nature à troubler jusqu’à un certain point, quoique d’une manière différente, la balance de l’Europe. Quant à la soupape que peut chercher la France, je crains que l’empereur ne s’en exagère l’utilité. La France possède depuis vingt-sept ans l’Algérie et je ne vois pas que cette possession, si vaste pourtant, ait absorbé les esprits turbulens de Paris. La France ne me paraît pas très propre à coloniser et à fonder de nouveaux états, par suite de son peu d’aptitude pour le self-government. »

L’empereur me dit qu’il ne pouvait partager mon avis sur ce point. Les Français, suivant lui, sont très capables d’émigrer, et l’on en rencontre en grand nombre dans toutes les villes importantes de l’Europe et de l’Amérique. Les véritables obstacles, ajouta-t-il, à toute amélioration sérieuse en Europe viennent des misérables jalousies qui existent entre les gouvernemens. C’est pour cela qu’une entente mutuelle serait si nécessaire. Toutefois il est très satisfait d’avoir obtenu, depuis qu’il est venu ici, quelques éclaircissemens de notre part, et il considère ce premier résultat comme très important. Il a abordé avec lord Palmerston la question Scandinave. Suivant lui, l’Union Scandinave est désirée par les peuples du Nord. Si le Danemarck s’unit à la Suède, l’empereur craint que l’Angleterre ne s’oppose à l’annexion du Holstein à la Prusse, à cause du splendide port de Kiel. Là-dessus cependant lord Palmerston lui a répondu : « Mais pas du tout. »

Je l’interrompis pour lui dire que nous ne verrions aucun inconvénient à ce que la Prusse devînt plus forte ; mais, ai-je ajouté, je suis certain que la population du Holstein ne désire pas devenir prussienne, et que le reste de l’Allemagne ne verrait pas non plus cette annexion avec plaisir. Le Holstein a toujours appartenu à l’Allemagne, et il n’a jamais réclamé qu’une chose, le maintien de son union avec le Schleswig, qui lui a été garanti. Là-dessus je me suis un peu étendu sur la question du Holstein, qui a paru ennuyer l’empereur comme très compliquée.


A la fin de l’entretien, le prince Albert donne à l’empereur un conseil fort sage, mais qui, dans la circonstance, a l’air d’une épigramme : il lui suggère l’idée d’emmener toujours un ministre avec lui, afin de n’être pas obligé de traiter seul des questions compliquées et importantes.


Il me répondit : « Je suis de votre avis, mais je ne peux pas correspondre avec tant de ministres différens, je ne peux pas non plus les emmener tous avec moi ; je sens donc la nécessité d’en choisir un pour lui confier le rôle de premier ministre, mais où trouver l’homme ?

« — Sans doute, c’est difficile, répliquai-je ; mais d’un autre côté il est bien indispensable à un souverain d’avoir un collaborateur en état de comprendre ses vues et de les mettre en pratique, de manière à en assurer le succès. Il n’y a jamais eu de grand monarque sans un grand ministre. »


Rien de plus curieux que ces deux conversations. On y voit l’empereur tel qu’il était, avec ce singulier mélange d’idées généreuses, de projets chimériques et d’ambitions vagues, qui le menaient tout doucement, sans qu’il s’en doutât, à des guerres sanglantes et à d’épouvantables catastrophes. Qui aurait pu croire par exemple, que dès 1857 il roulât dans sa tête l’idée de l’annexion du Holstein à la Prusse ? Et que dire de sa distraction au sujet du duché de Brunswick ? Voilà un héritage qui doit revenir au roi George de Hanovre, le propre cousin de la reine Victoria. Et l’empereur, dans l’ingénuité de son âme, vient dire au prince Albert : « Que pourrions-nous bien faire du duché de Brunswick ? » Dans sa pensée, cela est de toute évidence, le duché de Brunswick, comme le Holstein, devait faire partie du lot de la Prusse.

Et notre lot, à nous, quel était-il, dans toutes ces combinaisons qu’agitait l’esprit de Napoléon III ? Il ne paraît pas que sur ce point il se soit expliqué nettement avec son interlocuteur, et c’est bien regrettable. Le prince Albert avait plus de finesse et d’expérience qu’il n’en fallait pour comprendre que tous ces beaux cadeaux offerts aux diverses nations européennes ne pouvaient pas être purement gratuits ; que lorsque l’empereur insistait tant pour agrandir la Prusse d’un certain côté, il songeait certainement à lui demander d’un autre côté des compensations plus ou moins importantes ; et qu’enfin lorsqu’il disposait de l’Égypte en faveur de l’Angleterre, de la Syrie en faveur de l’Autriche, de Tripoli en faveur du Piémont, il réservait à la France, dans le secret de son cœur, la régence de Tunis. Napoléon III était donc sûr d’être à peu près complètement deviné. Dès lors, pourquoi ne pas mettre de côté tous les ménagemens ? Pourquoi ne pas dire nettement ce qu’il désirait ? Pourquoi ne pas obliger l’Angleterre à déclarer si, oui ou non, elle consentirait sous certaines conditions et moyennant certaines compensations, à des agrandissemens territoriaux au profit de la France ? La question aurait été vidée une fois pour toutes. De quelque manière que l’entretien eût tourné, on aurait su de part et d’autre sur quoi l’on pouvait compter.

Tout au contraire l’entrevue d’Osborne se termina Sans qu’aucune difficulté eût été coulée à fond. Cependant on se séparait fort content les uns des autres. En arrivant en France, l’empereur adressait à la reine Victoria une lettre fort bien tournée, extrêmement gracieuse, non-seulement pour elle, mais pour le prince Albert : « Il est si doux pour nous, disait-il, de penser qu’en dehors des intérêts de la politique votre majesté et sa famille ressentent quelque affection pour nous, que je mets au premier rang de mes préoccupations le désir de mériter toujours cette auguste amitié. Je crois que, lorsqu’on a passé quelques jours dans votre intimité, on en revient meilleur. De même, lorsqu’on a su apprécier les connaissances variées et le jugement du prince, on revient d’auprès de lui plus instruit et plus apte à faire le bien. »

Que devenait, au milieu de toutes ces effusions réciproques, la question des Principautés, cause première de l’entrevue d’Osborne ? Elle n’était même pas tranchée. Le 9 août, il est vrai, MM. Walewski et de Persigny s’étaient abouchés avec lord Palmerston et lord Clarendon, et ils étaient arrivés à se mettre d’accord verbalement sur une sorte de compromis. L’Angleterre consentait à l’annulation des élections qui venaient d’avoir lieu en Moldavie sous l’influence du gouvernement ottoman, tandis que la France s’engageait à combiner ses efforts avec ceux de son alliée pour maintenir efficacement la suzeraineté de la Porte sur les Principautés. Le prince Albert, fort satisfait de l’arrangement, mais ne comptant qu’à moitié sur la fixité de direction de la politique française, avait suggéré aux deux ministres anglais l’idée de donner à ce compromis la forme d’un memorandum qui serait signé par les parties intéressées. Le document en question fut rédigé immédiatement ; mais, quand il s’agit de le signer, M. Walewski refusa, sous un prétexte spécieux. En réalité on était beaucoup moins d’accord qu’on ne voulait se le persuader, la France poursuivant toujours l’union des Principautés que l’Angleterre combattait comme dangereuse pour l’intégrité de l’empire ottoman.

Encore bien moins s’était-on mis d’accord sur la question beaucoup plus vague, beaucoup plus complexe, beaucoup plus dangereuse, du remaniement général de la carte d’Europe. Sur ce point il n’y avait pas un commencement d’entente, pas même une apparence de concert. Lord Palmerston, questionné par le prince Albert sur l’accueil qu’il avait fait à la pensée de donner à la Prusse le duché de Holstein, protesta énergiquement contre la supposition qu’il aurait prêté les mains à un pareil projet : « Je n’ai nullement approuvé, dit-il, l’idée d’un démembrement du Danemarck. Au contraire, je me suis attaché à montrer à l’empereur toutes les difficultés de cette entreprise. Je lui ai seulement dit que nous n’étions pas jaloux de la Prusse et que nous n’éprouverions pas d’inquiétude en la voyant se fortifier. » Sur ce point donc, comme sur le chapitre des Principautés, on ne s’était pas entendu ou l’on s’était mal entendu. L’entrevue d’Osborne avait réussi à merveille, comme tentative de rapprochement entre les personnes ; elle était restée à peu près sans résultat, comme moyen de rapprochement et de fusion entre les deux politiques. Lord Clarendon s’était trompé lorsqu’il avait écrit au prince Albert le 20 mai : « Je crains qu’une semblable visite ne soit fort peu agréable à la reine. » Lord Palmerston, en revanche, avait vu juste, lorsqu’il avait dit : « Si telles sont les opinions de l’empereur, que va-t-il chercher à Osborne ? »


II

Huit jours après avoir reçu les adieux de l’empereur et de l’impératrice, la reine et le prince Albert eurent l’idée de faire inopinément et tout à fait incognito une excursion sur les côtes de France. Ce petit voyage est présenté dans le livre de M. Martin comme n’ayant eu qu’un but de pur agrément. Quoi qu’il en soit, le 19 août, le yacht Victoria and Albert, portant les augustes voyageurs et six de leurs enfans, apparaissait en vue de Cherbourg, Aussitôt l’éveil est donné aux autorités françaises. Le préfet maritime se rend à bord du yacht royal, où il est retenu à dîner. Le soir, présentation à la reine et au prince d’un certain nombre d’officiers des armées de terre et de mer. Puis, séjour de quarante-huit heures à Cherbourg, visite du port et des fortifications, promenades en char à bancs dans les environs de la ville, et finalement le 21 août, départ pour Alderney.

Il est curieux de saisir sur le vif les impressions des deux augustes visiteurs au lendemain de leur excursion sur, la côte de Normandie. La reine se laisse d’abord aller à l’enthousiasme : « Le pays est superbe ; il rappelle tout à fait le Devonshire ; la population est simple et primitive ; elle est restée vraiment rustique ; les chemins de fer n’ont pas encore gâté cette ravissante contrée. » Bref, le Cotentin est une nouvelle Arcadie : les vertus de l’âge d’or, exilées du reste de la terre, ont trouvé asile entre la pointe de Barfleur et le cap de la Hague :

…….. Extremaper illos
Justitia excedens terris vestigia fecit.


Le prince Albert, lui, envisage les choses d’un œil un peu différent. Ce n’est pas l’ingénuité des mœurs de la basse Normandie qui le frappe le plus. Dès le 21 août, il écrit à son fidèle Stockmar : « Cherbourg est une œuvre gigantesque, qui doit nous donner singulièrement à réfléchir. En face de semblables fortifications, nos travaux d’Alderney ne sont qu’un jeu d’enfant. » Le point de vue du prince Albert ne devait pas tarder à devenir celui de la reine elle-même. À peine rentrée en Angleterre, elle demande rapports sur rapports au sujet de l’état des fortifications de Portsmouth, du nombre de navires prêts à prendre la mer, du temps qu’il faudrait pour en armer d’autres, en cas de besoin. Le premier résultat de l’entrevue d’Osborne et du voyage à Cherbourg est donc un redoublement de précautions du côté de l’Angleterre. On a été charmé par l’empereur, séduit par l’impératrice, mais on s’arme jusqu’aux dents. La reine Victoria et le prince Albert, au milieu de toutes les effusions de l’amitié, n’oublient jamais la sécurité de l’Angleterre, les intérêts anglais, la puissance anglaise. Ne les blâmons pas, au contraire, citons-les comme exemple, et souhaitons de trouver toujours chez ceux qui nous gouvernent un patriotisme aussi jaloux et une attention aussi inquiète pour tout ce qui touche à la défense du pays.

La fin de l’année 1857 n’amena aucune altération nouvelle dans les rapports entre les deux gouvernemens. L’empereur se montra extrêmement cordial pour ses alliés d’outre-Manche à l’occasion de l’insurrection des cipayes, qui venait de prendre un développement formidable. Il ne paraît même pas avoir eu la pensée de profiter des embarras de l’Angleterre dans l’Inde pour obtenir d’elle des concessions sur d’autres points. Il se prêta de très bonne grâce à la combinaison qui permit aux troupes anglaises de prendre la route d’Égypte pour arriver plus vite sur le théâtre de l’insurrection. Il félicita chaleureusement la reine Victoria de la prise de Delhi. Malgré tous ces témoignages d’amitié, le gouvernement anglais attendait avec une certaine inquiétude le résultat de l’entrevue projetée entre Napoléon III et le tzar Alexandre. Les deux empereurs se virent en effet à Stuttgart en septembre. Il se fit là un rapprochement, non-seulement entre les souverains, mais entre les gouvernemens ; il y eut des idées échangées sur la situation générale de l’Europe, mais il ne se conclut point d’alliance. Le prince Gortchakof cependant, qui accompagnait le tzar, avait raison de dire : « Nous sommes très contents ; » car ce n’était pas chose indifférente pour les deux nations, et particulièrement pour la Russie, que cette rencontre amicale entre les deux souverains, presque au lendemain de la guerre de Crimée. »

Pendant que la France se rapprochait de la Russie, l’Angleterre resserrait ses liens d’amitié avec la Prusse par un mariage princier. Le 25 janvier 1858, la princesse Victoire, fille aînée de la reine, épousait, dans la chapelle royale du palais de Saint-James, Frédéric-Guillaume, fils du prince régent de Prusse, destiné à occuper le trône après son oncle et son père. En voyant s’accomplir ce mariage, annoncé d’ailleurs depuis plusieurs mois, Napoléon III songeait-il aux conversations qu’il avait eues avec le prince Albert et lord Palmerston au sujet dû Schleswig-Holstein et du port de Kiel, à la crainte qu’il avait éprouvée de voir l’Angleterre envisager de mauvais œil un agrandissement éventuel de la Prusse ? Ce n’est pas à présumer. L’empereur à ce moment avait de bien autres préoccupations. Le 14 janvier avait eu lieu l’attentat d’Orsini.

L’émotion fut profonde en France. Un souffle de réaction passa sur le gouvernement et sur le pays. On demanda d’énergiques et promptes mesures de répression : demande sincère chez beaucoup, intéressée chez quelques-uns ; sentiment spontané dans la foule, mais entretenu, excité, exploité par les courtisans. L’empereur, malgré son calme habituel, se laissa gagner par cette fièvre. Coup sur coup et presque sans délibérer, il congédia M. Billault pour mettre un général au ministère de l’intérieur ; il fit voter la loi de sûreté générale, déporter d’anciens insurgés ou des hommes simplement suspects à son gouvernement, resserrer les freins de la presse, qui commençait à se donner une allure un peu plus libre. Enfin il demanda à l’Angleterre de prendre des mesures contre les réfugiés cosmopolites qui tenaient leurs conciliabules à Londres et qui de là préparaient en toute sécurité leurs projets coupables contre les gouvernemens du continent. Le cabinet anglais s’empressa de déférer à cette invitation. Il prépara en toute hâte et fit mettre immédiatement en discussion un bill punissant de cinq ans de servitude pénale le complot ayant pour objet un meurtre (conspiracy to murder). On se flattait que ce projet de loi passerait sans difficulté. Lord Palmerston avait dans la chambre des communes une majorité sur laquelle il croyait pouvoir faire fond d’une manière absolue.

La demande adressée au cabinet anglais par l’empereur n’avait rien d’excessif en elle-même ; malheureusement M. Walewski l’avait transmise dans une dépêche dont les termes n’étaient peut-être pas assez ménagés. Un incident fort inopportun se produisit sur ces entrefaites. Le Moniteur publiait chaque jour une foule d’adresses reçues par l’empereur à l’occasion de l’attentat auquel il venait d’échapper. Dans le nombre il y en avait qui venaient de l’armée ; elles se distinguaient naturellement par leur chaleur. Quelques-unes même, signées de colonels trop zélés, avaient un caractère provocateur et presque insultant pour l’Angleterre. Une de ces adresses contenait la phrase suivante : « Pour ne rien cacher enfin, il semblé impossible de considérer comme amis des gouvernemens capables de donner asile à des bandits auxquels on laisse proclamer impunément le régicide et qui terminent par jeter en défi à l’humanité et à la civilisation des massacres comme celui de la rue Le Peletier. » Une autre disait : « Que les misérables sicaires, agens subalternes de pareils forfaits, reçoivent le châtiment dû à leur crime abominable, mais aussi que le repaire infâme où s’ourdissent d’aussi infernales machinations soit détruit à tout jamais. Le pays le demande à grands cris, et l’armée saurait y dépenser jusqu’à la dernière goutte de son sang. » Rien ne pouvait être plus fâcheux que le retentissement donné à des documens semblables, au moment même où l’on demandait au cabinet anglais un acte de condescendance et d’amitié. L’empereur sentit la faute commise et désavoua officiellement les malencontreuses adresses. Il ne pouvait plus faire cependant qu’elles n’eussent paru et qu’elles ne fussent reproduites, commentées, envenimées par la presse anglaise. Il ne pouvait plus faire que la nouvelle loi contre les conspirateurs et le ministère qui l’avait présentée ne fussent violemment attaqués et sérieusement compromis. La popularité de lord Palmerston fondait à vue d’œil. Ce ministre, si exclusivement et si passionnément Anglais, qui avait fait tant de fois aux dépens de la France ses preuves de patriotisme, on l’accusait maintenant d’être aux ordres du cabinet des Tuileries. Il avait cependant traversé sans trop de difficulté la première lecture du Conspiracy Bill. À ce moment, l’orage ne faisait que s’amasser ; il éclata lors de la seconde lecture. Quand le premier ministre entra ce soir-là dans la chambre des communes et qu’il jeta un coup d’œil sur le terrain, avant d’engager le feu, il vit ses partisans hésitans et troublés, ses adversaires exultant déjà de la joie du triomphe, M. Mlnmer Gibson tenant à la main le texte d’un amendement rédigé de concert avec les principaux chefs de l’opposition pour blâmer le gouvernement de n’avoir pas répondu à la dépêche du comte Walewski avant de soumettre à la chambre son bill sur les conspirateurs. Il sentit que la bataille était perdue : n’importe, il fit tête à ses adversaires avec une énergie sans égale. Un vaillant jouteur comme l’était celui-là continue à se battre même quand il ne se bat plus pour la victoire.

L’Europe, la France surtout, attendaient l’issue de ce débat, d’où pouvait sortir un nouveau système d’alliances et qui sait ? peut-être une rupture entre les deux alliés de la guerre de Grimée. Quatre cent cinquante-neuf membres de la chambre des communes prirent part au vote sur l’amendement Milner Gibson. Deux cent trente-neuf voix se prononcèrent pour et deux cent vingt voix contre. La majorité était donc bien faible : ce n’était d’ailleurs qu’une coalition sur la durée de laquelle on ne pouvait pas se faire d’illusion. Conservateurs purs, comme M. Disraeli, whigs mécontens, comme lord John Russell, anciens amis de sir Robert Peel, comme sir James Graham et M. Gladstone, libéraux de l’école de Manchester, comme M. Milner Gibson, n’avaient été réunis que pour un jour, par leur haine commune contre lord Palmerston et devaient se retrouver le lendemain plus divisés que jamais. Dans cette situation, certains amis du cabinet se demandèrent s’il ne convenait pas de poser de nouveau à la chambre, sous une autre forme, la question de confiance. Lord Palmerston refusa sans hésitation de recourir à un pareil expédient. Si la majorité était petite dans la chambre, elle était grande dans le pays. Si elle était divisée, c’était une raison de plus pour lui laisser faire au pouvoir ses preuves d’impuissance et se donner à soi-même le temps et l’occasion de reconquérir la popularité.

Lord Derby fut appelé par la reine et chargé de former un nouveau cabinet. Il était le chef de la fraction la plus considérable et la plus compacte de l’opposition. Il n’avait pas pris part, comme lord John Russell et sir James Graham, à la rédaction de l’amendement Milner Gibson. La dignité de son caractère, la noblesse de sa parole, sa grande naissance (et sa grande fortune lui donnaient une autorité considérable, surtout dans la chambre des lords, où l’on peut dire qu’il fut jusqu’à sa mort maître de la majorité. Après des hésitations qui ne s’expliquaient que trop bien par les difficultés de la situation, il accepta la tâche ingrate de prendre le pouvoir sans majorité dans la chambre des communes, avec des manifestations tumultueuses dans la rue, avec une guerre européenne peut-être en perspective. Il eut cependant le bonheur de tirer la couronne et son pays de cette passe dangereuse. Il reprit pour chancelier de l’échiquier M. Disraeli, qui, comme leader de la chambre des communes, devait employer les ressources de son souple esprit et de sa parole facile à calmer l’irritation provoquée par la dépêche Walewski. Il mit à la tête du Foreign Office un ami personnel de Napoléon III, lord Malmesbury, pour atténuer le coup que recevrait l’empereur en apprenant le retrait du Conspiracy Bill par le nouveau cabinet. Enfin, après avoir exposé le programme du ministère, il demanda aux chambres de suspendre leurs séances pendant quelques jours, de manière à ne pas précipiter les événemens et à laisser se produire, des deux côtés de la Manche, de salutaires réflexions.

Le mouvement de mauvaise humeur qu’éprouva d’abord Napoléon III en recevant ces fâcheuses nouvelles fit bientôt place à une appréciation plus calme de la situation. Après un entretien particulier avec l’ambassadeur d’Angleterre à Paris, lord Cowley, dont il connaissait la sympathie pour la France et surtout pour sa personne, il demeura convaincu qu’il y aurait plus d’inconvéniens que d’avantages à poursuivre la campagne diplomatique engagée par la dépêche Walewski, et immédiatement il changea toutes ses batteries. Notre ministre des affaires étrangères fut chargé de déclarer verbalement à lord Cowley que le cabinet des Tuileries, en signalant à l’Angleterre les complots ourdis sous la protection de ses lois contre la vie de l’empereur, n’avait jamais eu la pensée de lui dicter les mesures à prendre en cette circonstance. C’était au gouvernement anglais et à la nation anglaise qu’il appartenait de déterminer de quelle manière et dans quelle mesure il convenait de remédier à l’état de choses signalé. Cette déclaration fut immédiatement consignée dans une dépêche adressée le 8 mars par lord Cowley à lord Malmesbury. Elle fut renouvelée sous une autre forme et d’une manière plus énergique encore, dans une dépêche de M. Walewski à M. de Persigny, en date du 11 mars, où il était dit : « En donnant ces assurances au principal secrétaire d’état, vous voudrez bien ajouter que, les intentions de l’empereur ayant été méconnues, le gouvernement de sa majesté s’abstiendra de continuer une discussion qui, en se poursuivant, pourrait porter atteinte à la dignité et à la bonne intelligence des deux pays, et qu’il s’en rapporte purement et simplement à la loyauté du peuple anglais. »

Cette dépêche si flatteuse pour l’amour-propre de la Grande-Bretagne arrivait à point pour produire son effet le jour de la réouverture du parlement, le 12 mars. M. Disraeli ne manqua pas d’en tirer parti ; le soir même, il la fit connaître en substance à la chambre des communes, et il en déposa immédiatement le texte sur le bureau. Depuis trois jours d’ailleurs, le cabinet était pleinement rassuré par la dépêche de lord Cowley. L’orage était apaisé, au moins pour le moment ; la presse anglaise s’adoucit, l’opinion se calma ; le cri : « A bas les Français ! » cessa de retentir dans Hyde-Park. La crise avait été à la fois si courte et si violente, il s’était produit en moins de deux mois de tels soubresauts politiques, que ceux qui avaient été mêlés aux événemens pouvaient se demander s’ils n’avaient pas fait un rêve. M. de Persigny cependant ne voulut pas garder l’ambassade de Londres. Il trouva mauvais que, connaissant son dévoûment à l’empereur et en même temps son goût très sincère et très décidé pour l’alliance anglaise, on ne l’eût pas chargé d’effectuer la réconciliation entre les deux pays. Il trouva mauvais surtout que, s’étant entendu directement avec lord Cowley le 8 mars, on ne lui eût fait connaître qu’après coup l’arrangement intervenu, de telle sorte qu’il eut la mortification d’en être informé par le gouvernement anglais. Sa démission pouvait créer un nouvel embarras, le choix d’un ambassadeur à Londres étant fort délicat après tout ce qui s’était passé. L’empereur se tira d’affaire par un de ces coups de théâtre qu’il affectionnait et qui, en ce temps-là, lui réussissaient : au lieu d’un diplomate, il choisit un militaire. C’était risqué, et cependant c’était habile. Un militaire quelconque envoyé à Londres dans le moment, cela pouvait avoir l’air d’une provocation. Aussi n’était-ce pas un militaire quelconque : c’était le maréchal Pélissier, le vainqueur de Malakof, le compagnon d’armes des Anglais en Crimée. Lord Cowley, toujours dévoué à l’empereur, ne manqua-pas de faire ressortir ce qu’un tel choix avait de flatteur pour l’Angleterre. Le 22 mars, il écrivait à lord Malmesbury : « Je vous prie de dire à la reine qu’il est impossible de douter de la sincérité avec laquelle l’empereur, malgré des dissentimens momentanés, reste attaché à l’alliance anglaise. Cette nomination en est une preuve. Le regrettable effet produit par les adresses des colonels ne pouvait être suivi d’une réparation plus éclatante que celle qui résulte du choix de l’homme le plus éminent de l’armée française pour maintenir les bonnes relations entre les deux pays. »

A mesure cependant qu’on apaisait certains dissentimens, il en naissait d’autres. La question de Principautés danubiennes, après avoir sommeillé pendant quelques mois, venait de se réveiller. L’empereur, malgré les conférences d’Osborne, restait favorable à l’union de la Valachie et de la Moldavie sous un prince étranger. On se souvient d’ailleurs que les arrangemens conclus à Osborne étaient restés à l’état vague, M. Walewski ayant refusé de signer le memorandum préparé par lord Palmerston et lord Clarendon. Les puissances signataires du traité de Paris se trouvaient donc profondément divisées sur cette question. L’Angleterre, ainsi qu’elle l’avait depuis longtemps annoncé, restait d’accord avec l’Autriche et la Porte pour maintenir la séparation. La France tenait pour l’union, avec la Russie et la Sardaigne. C’est dans ces conditions que la conférence se réunit à Paris le 22 mai. Elle siégea près de trois mois et faillit plus d’une fois se séparer sans avoir achevé son œuvre. On aboutit enfin, non sans peine, à un compromis où l’on retrouvait quelque chose des deux systèmes opposés. On établissait entre la Valachie et la Moldavie une demi-union, ce qu’on appelait une union administrative, et l’on se figurait qu’on pourrait éviter l’union politique ! On donnait aux deux pays des institutions identiques, une cour centrale de justice, un nom commun, celui de Principautés-Unies, et l’on se faisait l’illusion de croire qu’on les empêcherait d’avoir un gouvernement commun ! Pour se laisser arrêter par une barrière aussi fragile, il aurait fallu que les Roumains fussent bien naïfs, et ce n’est pas leur défaut. Ils avaient à élire deux hospodars ; ils procédèrent en effet, comme le voulait la conférence, à deux élections séparées ; mais, par le plus grand des hasards, chacune des deux élections donna le même résultat. Le colonel Alexandre Gouza fut élu en Moldavie ; le colonel Gouza (Alexandre) fut élu en Valachie. Il était impossible de se moquer plus spirituellement de la conférence et de la constitution bizarre qu’elle avait élaborée. L’union des deux principautés était faite. Il n’y manquait plus que le prince étranger. On prit la peine de le chercher quelques années plus tard, et c’est à Berlin qu’on le trouva.

Ce long débat diplomatique durait encore lorsqu’au mois de juin, l’empereur, voulant effacer ou atténuer tout au moins les dissentimens qui s’étaient produits entre les deux pays, invita la reine d’Angleterre et le prince Albert à venir visiter Cherbourg, non plus incognito, comme ils l’avaient fait l’année précédente, mais tout à fait officiellement. C’est ainsi qu’après chaque brouille survenue avec notre alliée nous faisions les premières avances ; il est vrai de dire aussi que le plus souvent la brouille venait de notre fait. Dans cette intimité si souvent troublée, l’Angleterre se montrait froide, mais correcte, la France capricieuse et versatile, mais expansive et chaleureuse. C’était la France qui avait proposé l’entrevue d’Osborne ; c’était elle qui, après avoir commis la faute de la dépêche Walewski, s’en était excusée en termes qu’on n’a pas oubliés ; c’était elle enfin qui, au milieu des difficultés soulevées par la question roumaine, émettait l’idée d’une nouvelle entrevue personnelle entre les souverains comme un moyen de dissiper tout nuage entre eux. L’invitation ne fut pas d’abord bien accueillie. La reine Victoria, malgré ses sympathies personnelles pour l’empereur et surtout pour l’impératrice, n’oubliait pas les mécomptes et les tiraillemens qui avaient suivi l’entrevue d’Osborne. L’empereur ne se découragea pas ; il tenait à son idée, et avec un amical entêtement il fit renouveler la proposition par notre ambassadeur à Londres. Lord Malmesbury insista pour que la reine acceptât l’invitation : « Rien, lui écrivait-il le 24 juin, n’exerce une influence plus favorable sur l’esprit de l’empereur que ces entrevues personnelles avec votre majesté. » Lord Cowley agissait dans le même sens : « Je crois, écrivait-il à lord Malmesbury le 28 juin, que de ce côté-ci de la Manche la visite de sa majesté aura un grand effet d’apaisement. Vous êtes mieux placé que moi pour juger s’il en sera de même de l’autre côté ; mais je puis vous affirmer une chose, c’est que rien ne fait moralement plus de bien à l’empereur que de voir la reine et le prince. Il a dans le jugement du prince une confiance sans limites. » Pressée de tous côtés, la reine finit par céder. Elle promit d’aller à Cherbourg au moment où l’empereur s’y rendrait pour l’inauguration du chemin de fer et l’ouverture du grand bassin.

Le 4 août 1858, en exécution de cette promesse, la reine et le prince s’embarquaient à Osborne sur leur yacht Victoria and Albert. En même temps on faisait prendre la mer à l’une de ces belles escadres que l’Angleterre sait montrer, quand elle veut, à ses amis comme à ses ennemis. Six vaisseaux de haut bord la composaient, sans parler d’un certain nombre de bâtimens moins importans. Elle était commandée par l’amiral Lyons, marin consommé et fin diplomate, que nous avions appris à connaître et à estimer pendant la guerre d’Orient. Atteint d’une maladie incurable et n’ayant plus que bien peu de temps à vivre, cet homme énergique n’avait pas voulu manquer cependant au rendez-vous des deux marines qui avaient coopéré à l’œuvre commune dans les eaux du Pirée, du Bosphore et de la Mer-Noire. À ce même rendez-vous accouraient plus de cent cinquante yachts de plaisance, portant les chefs ou les représentans des grandes familles anglaises et les membres les plus importans des principaux clubs de Londres. Le duc de Malakof était monté avec lord Lyons sur le vaisseau-amiral le Royal-Albert, L’empereur, de son côté, s’était fait accompagner à Cherbourg par les généraux Mac-Mahon et Niel. De part et d’autre, on mettait de la coquetterie à rappeler les souvenirs et à réunir les gloires de la guerre de Crimée.

L’escadre anglaise mouilla dans la soirée. La reine et le prince venaient de dîner lorsque l’empereur et l’impératrice montèrent à bord du yacht royal. Il y eut un premier moment d’embarras réciproque. L’impératrice était souffrante et de moins bonne humeur qu’à Osborne ; elle ne cachait pas l’irritation que lui causaient les attaques de la presse anglaise. L’empereur, plus maître de lui, mais cependant visiblement soucieux, demanda au bout de quelques instans si l’on était très animé en Angleterre contre la France et si l’on craignait toujours une invasion. La reine et le prince le rassurèrent en souriant sur ce point, mais sans lui cacher que l’impression produite par les fameuses adresses des colonels était loin d’être complètement effacée.

Le lendemain, à midi, les augustes visiteurs débarquaient au milieu des saluts de la rade et des forts. Reçus par l’empereur et l’impératrice, ils montaient avec eux en voiture et parcouraient les principales rues de la ville au milieu de la haie formée par les troupes de ligne, l’infanterie de marine et les marins, sous les yeux d’une multitude accourue depuis quelques jours de tous les points de la Normandie et de la France entière pour contempler ce spectacle. Les cris de : Vive l’empereur ! vive l’impératrice ! vive la reine d’Angleterre ! retentissaient de tous côtés. La joie, l’ivresse étaient générales ; la foule devait croire et croyait en effet qu’une fête semblable était le gage d’une étroite, durable et féconde alliance. Pendant ce temps, les principaux acteurs de la pièce qui se jouait devant le public s’isolaient mentalement du spectacle pour suivre le cours de leurs pensées et se livrer à leurs préoccupations. Le prince Albert regardait de nouveau et plus anxieusement que jamais cette vaste place de guerre, ces grands travaux, ces forts, ces redoutes, cet arsenal. Le matin même, la reine et lui avaient eu avec lord Malmesbury et avec sir John Pakington, premier lord de l’amirauté, une conférence dans laquelle ils avaient appelé l’attention de ces deux ministres sur la nécessité de mettre les défenses de l’Angleterre sur un pied plus formidable que jamais. Voilà où en était l’un des deux alliés de la guerre de Grimée. L’empereur, de son côté, se montrait attentif et courtois pour ses hôtes, mais réservé et boutonné. Le temps était passé où il voulait s’ouvrir de tous ses projets au prince Albert. Il avait son secret, un secret que la France et l’Europe devaient bientôt connaître. Peu de jours auparavant, dans cette charmante vallée de Plombières, dont le nom, grâce à lui, allait devenir historique, à l’insu de tous, à l’insu même de son ministre des affaires étrangères, il avait vu le comte de Cavour. L’accord était fait, le pacte était conclu : la politique française ne s’appartenait plus.

Cependant les réjouissances se poursuivaient. Elles prenaient même, à mesure que la journée s’avançait, un caractère plus cordial et une chaleur plus entraînante. Le soir, il y eut un grand dîner à bord du vaisseau-amiral français la Bretagne. L’empereur y porta la santé de la reine et de la famille royale d’Angleterre avec la dignité de ton et le bonheur d’expression qu’il savait trouver en pareille circonstance. Il ne manqua pas de tirer de la présence de ses augustes visiteurs à bord du vaisseau-amiral français un argument contre les craintes de rupture ou de refroidissement entre les deux nations : « Les faits parlent d’eux-mêmes et ils prouvent que les passions hostiles, aidées par quelques incidens malheureux, n’ont pu altérer l’amitié qui existe entre les deux couronnes ni le désir des deux peuples de rester en paix. Aussi ai-je le ferme espoir que, si l’on voulait réveiller les rancunes et les passions d’une autre époque, elles viendraient échouer devant le bon sens public comme les vagues se brisent devant la digue qui protège en ce moment contre la violence de la mer les escadres des deux empires. » Le prince Albert répondit, au nom de la reine, avec une courtoisie et une présence d’esprit qui furent extrêmement appréciées. Tous les dissentimens semblaient oubliés. L’impératrice était redevenue plus gracieuse que jamais ; la reine Victoria oubliait un instant la politique pour ne songer qu’au bon accueil qui lui était fait et au succès personnel que venait d’obtenir le prince Albert.

La soirée se termina par un splendide feu d’artifice, pour lequel on avait réuni toutes les merveilles de la pyrotechnie. Le bouquet seul, disait-on, avait coûté 25,000 francs. Le lendemain, 6 août, un an jour pour jour après l’entrevue d’Osborne, la reine et le prince Albert prenaient congé de leurs hôtes et faisaient route pour l’Angleterre. La séparation fut touchante. L’impératrice pressa chaleureusement les mains de la reine. Le yacht royal était déjà en marche que l’empereur, debout sur le gaillard d’arrière de la Bretagne, continuait à échanger des saluts avec la reine et le prince. Combien cependant les adieux auraient été plus émouvans encore, s’il avait été donné à chacun de lire dans l’avenir ! Le yacht royal n’emportait pas seulement deux aimables et augustes visiteurs, il emportait tout un passé, toute une politique. L’alliance anglo-française venait de jeter son dernier éclat en même temps que ces feux de Bengale, dont les reflets, la veille, avaient éclairé la rade de Cherbourg.


III

Les paroles adressées par Napoléon III à M. de Hübner à la réception officielle du 1er janvier 1859 furent une révélation pour le public, mais non pas pour les cours européennes, qui étaient au courant, depuis plusieurs mois déjà, de l’antagonisme sans cesse croissant entre la politique française et la politique autrichienne. L’Angleterre, particulièrement, n’ignorait plus rien, non-seulement de cet antagonisme, mais de ses causes. On sait à quel point lord Cowley possédait la confiance de l’empereur. L’ambassadeur de la reine Victoria à Paris avait eu, dans l’automne de 1858, avec Napoléon III, une conversation extrêmement importante dont il n’avait pas manqué de rendre compte à son gouvernement. Malgré l’entrevue de Cherbourg, malgré le toast porté par le souverain de la France à la reine et à la famille royale d’Angleterre, l’opinion et la presse, de l’autre côté de la Manche, continuaient à voir nos arméniens avec une extrême défiance. On se demandait si l’héritier de Napoléon Ier ne songeait pas à reprendre les projets que le chef de la dynastie impériale avait caressés à l’époque de la formation du camp de Boulogne, et si quelque jour on ne le verrait pas jeter brusquement une armée française sur les côtes du comté de Kent ou du Devonshire. Des hommes importans, des membres du parlement partageaient ces inquiétudes et les exprimaient dans un langage dont l’aigreur n’était pas faite pour calmer les passions d’un côté comme de l’autre.

Lord Cowley, qui déplorait cet état des esprits, s’en expliqua franchement avec l’empereur, qui lui répondit en substance : « Je suis plus attaché que jamais à l’alliance anglaise, mais je ne dois pas vous cacher que le langage agressif d’une portion considérable de votre presse rend chaque jour plus difficiles les relations amicales que je m’attache à maintenir entre les deux pays, et finira peut-être par les compromettre d’une manière absolue. Je sais qu’on m’accuse d’avoir une politique tortueuse ; je sais qu’on me reproche de faire des coquetteries, tantôt à l’Autriche, tantôt à la Russie. Rien de plus simple cependant que ma politique. Quand je suis arrivé au pouvoir, j’ai vu que la France désirait la paix. J’ai donc pris la résolution de ne point chercher la guerre et de respecter les traités de 1815 aussi longtemps que la France elle-même serait respectée et conserverait dans les conseils de l’Europe la place à laquelle elle a droit. Mais j’ai également arrêté dans mon esprit que, si jamais je me trouvais contraint à la guerre, je ne la terminerais pas sans avoir donné à l’Europe un équilibre plus stable. Je n’ai pas d’ambition comme le premier empereur, mais, si les autres nations s’agrandissent, il est indispensable que la France s’agrandisse aussi. Eh bien ! quand nous avons commencé la guerre contre la Russie, j’ai pensé qu’il n’y aurait pas de paix satisfaisante sans la reconstitution de la Pologne, et j’ai sondé l’Autriche pour savoir si elle m’assisterait dans cette grande œuvre. Elle s’y est refusée. La paix faite, j’ai tourné mes vues vers l’amélioration du sort de l’Italie, et par conséquent je me suis rapproché de la Russie. Tout le secret de ma politique est là. » Lord Cowley, encouragé par la confiance que lui montrait l’empereur, voulut savoir s’il existait une alliance formelle entre le tzar et lui, en vue des éventualités qui se préparaient dans la péninsule italienne : « La Russie, lui répondit Napoléon III, ne m’a pas précisément promis son appui dans les affaires d’Italie ; elle m’a dit que sa conduite dépendrait des circonstances. » Pendant le séjour de la cour à Compiègne, l’empereur, recevant la visite de lord Palmerston et de lord Clarendon, leur avait fait des confidences non moins significatives.

Malgré ces renseignemens concordans, lord Malmesbury, rassuré par des déclarations officielles sans valeur, ne voulait pas admettre que l’empereur pût songer à la guerre. Il croyait sans doute qu’il s’agissait seulement de réformer les gouvernemens de la Péninsule, comme il en avait été question au congrès de Paris. Le prince Albert et la reine Victoria ne partageaient pas la confiance du chef du Foreign Office, Le 9 décembre, la reine adressait à son ministre des affaires étrangères une lettre écrite évidemment sur le conseil ou tout au moins avec l’approbation du prince consort. Nous y lisons : « La reine est fort alarmée de ce que lord Cowley écrit au sujet de l’intention qu’on prête à l’empereur Napoléon de faire la guerre en Italie… S’il donne suite à ce projet, la guerre peut gagner l’Allemagne d’abord et ensuite la Belgique : auquel cas nous serions obligés de faire honneur à la garantie que nous avons donnée à cet état, et la France finirait par avoir toute l’Europe contre elle, comme en 1814 et en 1815. » Le prince Albert, de son côté, écrivait le lendemain de la déclaration de Napoléon III à M. de Hübner : « Je suis très inquiet pour le printemps prochain, car personnellement je n’ai pas douté un seul instant, depuis ces derniers temps, que l’empereur ne voulût la guerre et qu’il ne la voulût contre l’Autriche. »

L’empereur avait donc abattu ses cartes devant l’Angleterre. Celle-ci ne voulait mettre au jeu ni avec la France, ni avec l’Autriche, encore moins avec la Russie. Saint-Pétersbourg lui était odieux à cause de la rivalité traditionnelle des deux pays en Orient ; Vienne lui était antipathique à cause de l’appui prêté par l’Autriche aux gouvernemens arriérés et despotiques de la péninsule italienne ; Paris lui était suspect à cause des projets impériaux de remaniement de la carte de l’Europe. La conséquence était forcée : un rapprochement devait se produire entre les cours de Londres et de Berlin. Il était rendu plus facile par le mariage de la princesse Victoire avec le fils du prince régent de Prusse, par l’avènement à Berlin d’un ministère libéral et constitutionnel, qui venait de remplacer le cabinet Manteuffel, et enfin par la situation, les relations et les sentimens du prince Albert, qui, tout en devenant très Anglais, n’avait pas cessé d’être un peu Allemand.

Napoléon III ne fut pas longtemps sans savoir ce qui se passait entre Londres et Berlin. Il fut extrêmement ému de ce rapprochement. Il se persuada qu’on machinait contre lui une coalition entre l’Angleterre, la Prusse et l’Autriche, et que les meneurs de toute l’affaire étaient le prince Albert, le roi des Belges, son oncle, et le duc de Saxe-Cobourg, son frère. Il s’expliqua très vivement à cet égard avec un agent du roi Léopold. Il ajouta que la cour de Bruxelles ne lui paraissait pas se rendre un compte très exact de sa situation : « La Belgique, dit-il, ne peut exister qu’à la condition d’une union intime avec la France. D’ailleurs ce n’est pas seulement ma politique ; c’était aussi celle du roi Louis-Philippe lorsqu’il voulait l’union douanière : c’est la politique de la France. » Une conversation aussi grave et des déclarations aussi importantes ne pouvaient manquer d’être immédiatement transmises à Londres ; elles le furent tout à la fois par lord Cowley, qui en avait eu connaissance, et par le roi Léopold, qui envoya le rapport confidentiel de son agent au prince Albert. Aussitôt celui-ci prend la plume et adresse le 16 janvier à lord Malmersbury une lettre extrêmement ferme et même un peu passionnée : « L’empereur est né conspirateur et a été élevé en conspirateur. Ce n’est pas à son âge qu’il changera de caractère. Pour ses projets il a cherché et cherche encore un allié. L’alliance anglaise était la seule possible pour lui après son élévation au trône ; mais comme il ne peut la conserver qu’en maintenant le droit public et les traités, il s’en est lassé. Aujourd’hui il se tourne du côté de la Russie. C’est sur elle qu’il compte pour réaliser ses projets. Rien ne l’arrêtera, si ce n’est l’incertitude au sujet de l’Angleterre et la crainte de l’Allemagne. » Dans la même lettre, le prince prenait en plaisanterie le rôle qu’on attribuait au duc de Saxe-Cobourg dans la prétendue coalition : « Je n’ai reçu aucune communication de mon frère dans ces derniers temps, et j’ai tout lieu de le croire complètement absorbé par son nouvel opéra. » Deux jours après, dans une lettre au roi des Belges, il tient le même langage : « Ernest me paraît uniquement occupé de son nouvel opéra ; mais un conspirateur est toujours soupçonneux, et Louis-Napoléon est un conspirateur. Il est fort préoccupé, je le comprends, de l’état de l’Allemagne. La chute du cabinet Manteuffel lui a enlevé, juste au moment décisif, l’appui sur lequel il comptait du côté de Berlin. La politique nationale récemment adoptée par la Prusse est un grand bonheur pour l’Europe’, elle rend possible le rétablissement des bons rapports entre l’Allemagne et l’Angleterre, qui ont fait si malheureusement défaut dans ces dernières années. »

Les protestations du prince Albert contre la pensée d’une coalition anti-française étaient parfaitement sincères ; cela ne fait pas de doute en ce qui le concerne personnellement. Il est permis de supposer toutefois que le roi des Belges et surtout ses agens n’étaient pas absolument hostiles à un projet de ce genre. M. Nothomb, ministre plénipotentiaire de Belgique à Berlin, avait adressé à son gouvernement un rapport dans lequel il appuyait l’idée d’une alliance entre l’Autriche et la Prusse. Copie du document fut envoyée au prince Albert par le roi Léopold et probablement accompagnée par lui de réflexions qui ne se trouvent malheureusement pas reproduites dans le livre de M. Martin. Le prince répondit immédiatement à cet envoi par une lettre dans laquelle il combattait l’opinion de M. Nothomb par des argumens tirés moins du fond même de la question que des conditions dans lesquelles elle se-présentait devant les puissances européennes. « Jusqu’à présent, faisait-il remarquer, il n’y a eu aucun acte, aucune démarche, aucun document impliquant une violation du droit public ou un manquement aux stipulations des traités. Une alliance comme celle que l’on propose manquerait donc de base et n’aurait pas sa raison d’être. »

Il n’entre pas dans notre plan d’exposer les négociations et les pourparlers qui précédèrent la guerre d’Italie. Cette étude a été faite ici même avec une haute compétence et de la manière la plus intéressante par M. de Mazade. Nous ne voulons que mettre en lumière, d’après les documens dont quelques-uns sont révélés pour la première fois au public, l’attitude de l’Angleterre et spécialement le rôle personnel de la reine Victoria et du prince Albert dans ces circonstances critiques.

A mesure que les événemens se précipitaient et que la situation s’aggravait, l’intimité entre l’Angleterre et la Prusse devenait plus étroite. Le prince régent faisait une démarche significative. Il envoyait à Londres le comte Perponcher, porteur d’instructions confidentielles. En même temps il adressait au prince Albert une lettre longue et détaillée qui est à lire et à citer, aujourd’hui surtout que le prince régent est devenu l’empereur Guillaume Ier et que ses idées sur le droit international ont changé du tout au tout.


Le prétexte de la guerre qu’on projette est la forme de gouvernement des états italiens. La vraie cause est le désir d’agrandissement qu’éprouve la Sardaigne. Et les gouvernemens qui n’ont rien à voir dans cette affaire sont invités à y prendre parti Quel est le principe de droit international qui nous autorise à faire la guerre à un état, parce que nous ne sommes pas satisfaits de la forme de son gouvernement ? Et à quel titre serions-nous obligés de seconder l’injustifiable désir qu’éprouve un état de s’agrandir aux dépens d’un autre ?

Il y a une raison qui pousse Napoléon à la guerre : c’est cette idée qu’un Napoléonide est obligé de briser les traités de 1815, dès que l’occasion lui est offerte de le faire. A cela il n’y a qu’une chose à répondre, c’est que tous les autres gouvernemens sont tenus de défendre ces mêmes traités. Si la France était parfaitement convaincue de cette vérité, elle y regarderait à deux fois avant de faire la guerre.

Mais, d’un autre côté, il faut exhorter l’Autriche à s’abstenir de toute démarche provocatrice en Italie. « Quiconque provoquera à la légère, aura de la peine à trouver des alliés. » Voilà la phrase que je répète habituellement aux diplomates étrangers. Elle exprime ma ferme conviction.

Quant à la Prusse, voici la question qui se pose pour elle. Que doit-elle faire si la France appuie l’Italie dans une lutte contre l’Autriche ? L’opinion publique, depuis un mois, s’est prononcée en Allemagne avec une telle énergie contre la France, qu’il faudrait être aveugle pour méconnaître ce fait. La ligne de conduite de la Prusse paraît donc nettement indiquée : les guerres de la révolution nous ont montré que, dès que les armées françaises sont victorieuses, elles se tournent contre l’Allemagne et la Prusse, si ces dernières ont commis la faute de rester neutres et d’assister tranquillement aux désastres de l’Autriche.

Mais quelle sera notre position si l’Angleterre se déclare en faveur de la France et par conséquent de l’Italie ? et que ferons-nous si la Russie se joint à l’alliance anglo-française ? Une telle alliance n’obligerait-elle pas l’Allemagne à la neutralité (une neutralité armée, bien entendu) ?

D’un autre côté, supposons que l’Angleterre et la Russie restent neutres, et que l’Autriche soit victorieuse de la France et de l’Italie, pendant que l’Allemagne et la Prusse resteront paisibles spectatrices du conflit, quelle sera la position de la Prusse ?

Comment pouvons-nous échapper aux dangers de cette alternative ? Telle est la question que je vous pose. J’attends avec anxiété voire réponse, car elle sera décisive pour nous.


Cette lettre exprime sincèrement, presque naïvement, l’état d’esprit du gouvernement prussien et de son chef, qui ne voulaient se mettre du côté de l’Autriche que si elle avait de grandes chances d’être victorieuse et qui n’entendaient nullement la défendre contre une coalition aussi redoutable que l’aurait été celle de la France, de l’Angleterre et de la Russie. La réponse du prince Albert, concertée avec le cabinet anglais, est beaucoup plus diplomatique. Le prince commence par déclarer que les deux gouvernemens sont complètement d’accord. Partant de là, il donne au prince régent des conseils sur la politique qu’il devrait adopter. On s’attend peut-être qu’il va finir en annonçant que l’Angleterre suivra la même politique. Point du tout. « Quant à nous, dit-il, nous ne savons pas ce que nous ferons. » Cependant il rassure complètement le prince régent sur le point qui le préoccupait le plus : l’éventualité d’une alliance entre l’Angleterre, la France et l’Italie : « Si vous m’aviez demandé, il y a quinze jours, l’opinion de l’Angleterre, je n’aurais pas pu vous répondre en termes aussi décisifs qu’aujourd’hui, après le discours de la reine et la discussion de l’adresse. Je puis vous dire maintenant que l’Angleterre ne se mettra pas du côté de la France, quand même l’Autriche ferait les plus grosses fautes, ce qui n’est pas impossible. »

Ce que je viens de vous dire sur l’état des esprits en Angleterre prouve que la force et la sécurité des gouvernemens, dans le temps où nous vivons, réside surtout dans l’opinion publique, formée, éclairée par la libre discussion… Par conséquent, voici mon avis : Appelez en ligne ce pouvoir nouveau ; c’est lui qui tiendra en échec la France et la Russie, qui unira l’Allemagne et qui mettra finalement entre vos mains la décision de toute l’affaire. Libre discussion dans la presse sur les projets de Napoléon, accord de sentimens, par suite de cette liberté de discussion, avec la Suisse, la Belgique et l’Angleterre, résistance courtoise opposée à toute tentative venant de Paris, pour rendre votre gouvernement responsable du langage de la presse : voilà quels seraient les principaux points de mon programme.

C’est l’opinion publique de l’Angleterre que craint Napoléon ; c’est le mouvement national de l’Allemagne en 1814 qui est le cauchemar de la France. C’est le cri populaire de 1840 : Ils ne l’auront pas, notre Rhin allemand, qui a arrêté la France dans sa politique orientale. A votre place donc je tâcherais de rallier à moi cette redoutable puissance de l’opinion ; en même temps je continuerais à user d’une extrême modération, à négocier très peu, à entrer encore moins dans des explications ; mais par-dessus tout je m’attacherais énergiquement au maintien des traités existans et je presserais l’organisation des forces de la Confédération. Dans le cas où les hostilités éclateraient, je mettrais mon armée sur le pied de guerre, et j’occuperais les forteresses, en donnant les mêmes assurances amicales à tous les gouvernemens. L’Autriche fût-elle attaquée en Italie par la France, que la prudence conseillerait, suivant moi, de ne pas porter la guerre sur le Rhin, sauf le cas d’absolue nécessité.

La Prusse n’a jamais eu de possessions italiennes, et elle n’a pas suivi, pendant ces cinquante dernières années, la politique perverse qui a jeté ce pays dans le misérable état où il est aujourd’hui. En se mettant sur le pied ’de guerre, la Prusse tient la France en échec, et se montre prête à entrer en ligne, si la nécessité l’y oblige. Si l’Autriche subit un échec, sa position militaire est si forte, qu’il ne peut en résulter une déroute générale ; par conséquent, la Prusse et l’Allemagne, — en admettant qu’elles aient des motifs politiques de se mêler à la lutte, — ont tout le temps d’entrer en ligne avant que la France ait écrasé l’Autriche, de manière à pouvoir jeter toutes ses forces sur l’Allemagne.


L’homme qui écrit en ces termes au prince régent de Prusse a évidemment abandonné sans retour l’idée de l’alliance française. Il n’est pas encore notre ennemi : il n’est déjà plus notre ami. Le prince Albert n’avait jamais cru beaucoup à l’empereur : maintenant il n’y croyait plus du tout. La reine n’avait peut-être pas pris si délibérément son parti. En dépit de la politique, il lui en coûtait de renoncer à une amitié dont elle faisait grand cas et dont elle ne parlait jamais qu’en excellens termes. Et puis était-il absolument impossible que par de bons procédés, par de bons conseils, par des démarches amicales, on ne ramenât l’empereur à des sentimens plus pacifiques ? Ou essaya. La reine lui adressa, le 4 février, une lettre dont le contenu avait été arrêté de concert avec lord Derby et lord Malmesbury. L’empereur répondit avec sa courtoisie et sa grâce habituelles protestant de son amour pour la paix, de son respect pour les traités, se plaignant qu’on eût interprété inexactement les paroles conciliantes qu’il avait adressées à M. de Hübner, mais déclarant en même temps qu’il se croirait tenu de défendre le Piémont si ce petit état était attaqué par l’Autriche ou s’il se trouvait engagé avec cette puissance dans une guerre juste et légitime.

La lettre de la reine n’avait pas laissé pourtant de produire une certaine impression sur l’esprit de Napoléon III. Il se prêta plus ou moins sincèrement à une tentative de rapprochement avec l’Autriche. Il demanda même dans cette circonstance les bons offices de l’Angleterre. De là le voyage de lord Cowley à Vienne. On sait comment échoua la mission confiée à ce diplomate. A cet égard le livre de M. Martin, sauf quelques détails purement anecdotiques, n’ajoute rien à ce que l’on trouve dans les remarquables études de M. de Mazade. Après l’échec de la mission de lord Cowley, la guerre était inévitable. L’Autriche, au lieu de l’attendre, se donna, au moins en apparence, le tort de la provoquer. Cette faute, que le prince Albert avait prévue et annoncée avec une rare clairvoyance, fit un peu de bien à l’empereur par l’irritation qu’elle provoqua dans l’opinion et dans la presse anglaises, contre la cour de Vienne.

Cependant Napoléon III n’était pas complètement rassuré sur les dispositions du cabinet de Londres. Il n’avait, dans le ministère anglais, qu’un ami véritable, et cet ami, lord Malmesbury, malgré le poste important qu’il occupait, n’avait pas une très grande influence sur ses collègues. Qui ne sait, d’ailleurs, que l’alliance autrichienne était dans les traditions du parti tory ? Et qui ne comprend que, pour ses projets en Italie, la France avait tout intérêt à-voir les whigs revenir aux affaires ? Le difficile était de mettre un terme aux divisions qui existaient depuis plusieurs années dans le parti libéral et qui avaient amené successivement la chute du cabinet Russell en 1852 et celle du cabinet Palmerston en 1858. Sur le conseil du prince Napoléon, l’empereur fît faire des démarches personnelles auprès des chefs de l’école de Manchester pour amener une réconciliation entre eux et lord Palmerston. La négociation fut conduite si discrètement qu’aujourd’hui encore M. Martin, si bien renseigné cependant, n’y fait aucune allusion et paraît l’ignorer. Peut-être un jour sera-t-elle connue dans tous ses détails. Quant au résultat, il fut aussi considérable qu’inattendu. Le cabinet tory, qui n’avait pas la majorité dans la chambre des communes, ne comptait, pour se maintenir au pouvoir, que sur l’hostilité bien connue de l’école de Manchester contre lord Palmerston et les palmerstoniens. Quelle surprise, lorsque cette hostilité s’apaisa comme par enchantement, lorsque MM. Cobden, Bright, Milner Gibson votèrent avec lord Palmerston, lorsqu’enfin cet homme d’état, ayant renversé le cabinet Derby-Disraeli, forma un nouveau ministère dans lequel il fit une place à M. Milner Gibson, le plus acharné de ses adversaires dans l’affaire du Conspiracy Bill !

Le retour des libéraux au pouvoir donnait à Napoléon III quelques chances d’engager l’Angleterre dans sa politique italienne. Lord Palmerston était pour lui un vieux complice. En 1851, il avait encouragé, approuvé le coup d’état. Deux fois il était tombé du pouvoir à cause de ses complaisances pour la politique napoléonienne. Il s’en fallait de beaucoup que son collègue des affaires étrangères, lord John Russell, partageât sa sympathie pour Napoléon III ; mais on le tenait par un autre sentiment, par son hostilité contre la papauté. Tout aurait donc marché au gré de Napoléon III si, à côté du ministère, il n’y avait eu la couronne, dont le rôle en Angleterre est loin d’être aussi nul que le croient les observateurs superficiels. A dater du jour de la formation du cabinet libéral, la reine Victoria, évidemment conseillée par le prince Albert, n’est occupée qu’à tenir en bride lord Palmerston et lord John Russell, toujours prêts à prendre le galop dans la question italienne[2]. Après Solferino, l’empereur veut faire la paix. Il s’adresse à l’Angleterre, à la Prusse, à la Russie, leur communique les propositions qu’il compte faire à l’Autriche et leur demande de les appuyer au moins moralement auprès de cette puissance. — Excellente idée ! disent tout de suite lord Palmerston et lord John Russell. — Idée inacceptable, répond la reine. Son opinion prévaut : l’Angleterre refuse. La Prusse fait comme l’Angleterre : la Russie seule paraît disposée à se charger du rôle qu’on lui offre. Napoléon III finit par trouver plus simple de s’entendre directement avec l’empereur François-Joseph, et il lui fait de bien meilleures conditions que celles qu’il voulait lui offrir par l’entremise des trois puissances. Cette fois lord Palmerston et lord John se fâchent. Le 7 juillet, à la nouvelle de l’armistice, le fougueux chef du Foreign Office écrit à la reine : « Si l’empereur ne donne pas à l’Italie son indépendance, il sera flétri comme traître au peuple italien. » Le 13 juillet, en apprenant la signature des préliminaires de Villafranca, lord Palmerston prend la plume à son tour, et, plus imprudent encore que son collègue des affaires étrangères, il épanche sa mauvaise humeur dans le sein de M. de Persigny, redevenu depuis quelques mois ambassadeur de France à Londres : « En entrant dans la confédération italienne, lui dit-il, l’Autriche acquiert une situation plus forte que celle qu’elle vient de perdre. Il faudrait au contraire qu’elle fût exclue de toute ingérence politique et militaire en dehors de ses frontières. Sinon rien n’est fait et tout sera bientôt à recommencer. »

Bien que ce fût une lettre privée, n’engageant pas l’opinion du cabinet, la démarche du premier ministre était singulièrement inconsidérée. La reine le lui fit sentir dans une lettre fort sèche, où il faut noter les lignes suivantes : « Nous n’avons pas protesté contre la guerre, et personnellement lord Palmerston a souhaité le succès de la France. Nous ne pouvons pas maintenant protester contre la paix, et la reine ne doute pas que lord Palmerston ne comprenne combien il serait fâcheux que le premier ministre de la couronne d’Angleterre semblât se donner pour but de persécuter l’Autriche. La reine est moins désappointée que ne paraît l’être lord Palmerston, car elle ne s’est jamais flattée de l’espoir que le coup d’état et l’empire auraient pour conséquence l’établissement de nationalités indépendantes et la diffusion du régime constitutionnel et de la liberté. » Les derniers mots, qui durent être fort désagréables à lord Palmerston, contenaient une allusion très claire à la conduite qu’il avait tenue en 1851 lorsqu’il approuva le coup d’état sans consulter ses collègues et sans demander au préalable l’assentiment de la couronne, ce qui le força de quitter le ministère.

Si l’empereur n’avait pas obtenu la médiation de l’Angleterre au moment de la signature des préliminaires de paix, il espérait du moins l’appui de son ancienne alliée pour la réunion d’un congrès qui lui permettrait de sortir honorablement des difficultés que lui créaient les stipulations de Villafranca. Lord Palmerston et lord John Russell se lancent avec ardeur sur cette nouvelle piste. C’est encore la reine qui les arrête : « L’empereur, écrit-elle au chef du Foreign Office, traite l’Autriche comme il a traité la Russie à la suite du siège de Sébastopol. Et après s’être donné le rôle d’un vainqueur généreux, il viendrait nous laisser, à nous, celui de persécuteurs de l’Autriche ! Il faut nous féliciter doublement de n’être pas tombés dans le piège qu’il nous tendait en nous chargeant de demander à la cour de Vienne, comme amis et comme neutres, des conditions qu’il était décidé à ne pas exiger d’elle. » Là-dessus la question est discutée en conseil des ministres, et lord John est obligé d’écrire à la reine : « Le cabinet s’est énergiquement prononcé en faveur de l’opinion émise par votre majesté. » Toutefois il ne se tient pas encore pour battu. Au moment où l’on s’occupe de transformer les préliminaires de Villafranca en un traité de paix définitive, il a l’idée de soumettre au gouvernement français un plan d’ensemble pour le règlement des affaires italiennes. Tout son programme était fait, son projet de dépêche était prêt, lorsqu’il se heurta de nouveau à la résistance de la reine : « La communication projetée, écrit-elle le 24 août, ne peut amener qu’un résultat, c’est de fournir à la France le moyen de violer à Zurich les engagemens qu’elle a pris à Villafranca… Si l’Autriche, en présence de ce manque de foi, se croit obligée de reprendre les armes, ne serons-nous pas responsables de cette nouvelle guerre ? Et alors quelle sera l’alternative pour nous ? Faudra-t-il laisser la France seule sur le champ de bataille ? Ce serait humiliant et dangereux pour nous. Faudra-t-il au contraire nous jeter dans une guerre contre l’Autriche ? C’est là un autre danger et un autre malheur que la reine se croit également obligée d’épargner à l’Angleterre. « Le cabinet, consulté, donna encore une fois raison à la couronne contre le ministre des affaires étrangères. Le fameux plan resta en projet. Il en avait cependant transpiré quelque chose par une nouvelle imprudence de lord Palmerston. Le 23 août, il avait écrit à M. de Persigny, qui continuait à être son confident de prédilection, que la clause des préliminaires de Villafranca relative aux duchés ne devrait pas être maintenue dans le traité de Zurich, et que l’intérêt de la France était de voir les duchés annexés au Piémont. En un certain sens, il disait plus vrai qu’il ne croyait, et voici comment : à Plombières, il avait été convenu entre l’empereur et M. de Cavour qu’il serait formé dans le nord de l’Italie un état de dix à onze millions d’âmes en faveur du Piémont, et qu’à titre de compensation la France aurait la Savoie. La première condition n’ayant pas été réalisée par les préliminaires de Villafranca, l’empereur n’avait pas réclamé la compensation stipulée. La lettre de lord Palmerston lui fournissait l’occasion de revenir à la combinaison de Plombières. Il ne manqua pas d’en tirer parti. « Nous ne désirons pas l’annexion des duchés au Piémont, dit fil. Walewski à lord Cowley, mais, si nous ne pouvons pas l’éviter, nous considérerons comme absolument indispensable de réclamer l’annexion de la Savoie à la France. »

Le coup était rude pour lord Palmerston et pour lord John Russell. Ils ne nous pardonnèrent ni l’annexion de la Savoie, qui était pourtant un mince succès, ni le rôle de dupes qu’ils avaient joué dans la circonstance, quoiqu’ils en fussent surtout redevables à leur imprévoyance. Ils reçurent, à la vérité, une belle compensation. L’empereur signa le traité de commerce qu’il leur avait promis depuis leur rentrée aux affaires. Si grand que fût cependant pour l’Angleterre le bénéfice de ce traité, il ne fit pas oublier aux deux ministres leur déconvenue personnelle. Le prince Albert, moins dépité parce qu’il avait eu moins d’illusions, n’en était pas pour cela mieux disposé à renouer des liens intimes avec l’empereur des Français. « L’Angleterre, disait un jour lord Salisbury, a toujours besoin de causer avec quelqu’un sur le continent. Pendant plusieurs années, elle a causé amicalement avec la France ; maintenant, c’est avec la Prusse. Le prince Albert a deviné, avec une prescience singulière, l’avenir de cette puissance. Elle peut, elle doit devenir une barrière tout à la fois contre l’empire des Napoléons et contre l’empire des tzars ; mais pour cela il faut qu’elle se place à la tête de l’Allemagne et qu’elle se réconcilie avec l’Autriche. Il a entrevu cette politique dès le début de la question italienne ; aujourd’hui elle lui apparaît dans toute sa netteté et il n’hésite pas à la recommander. Au mois de septembre 1859, il écrit au duc de Saxe-Cobourg, son frère : « Il faut faire comprendre à l’Autriche qu’une Allemagne unie sous la direction de la Prusse est la seule défense qu’elle puisse trouver contre ses deux adversaires, la France et la Russie. » Voilà le conseil qu’il adresse à l’Autriche. Voici maintenant celui qu’il donne à la Prusse, dans une lettre adressée à sa fille et destinée certainement à être communiquée au prince régent : « Je suis pour l’hégémonie de la Prusse. Pour moi, l’Allemagne vient en première ligne ; la Prusse, en tant que Prusse, n’est qu’au second plan. La Prusse doit se placer résolument à la tête de l’Allemagne… Elle doit se conduire avec magnanimité, se considérer comme chargée des intérêts de la nation allemande… La Sardaigne lui a donné l’exemple. Ce petit état a pris pour cri de ralliement le mot : Italie. C’est pour l’Italie, et non pour lui-même, qu’il s’est lancé dans trois guerres périlleuses. C’est pour l’unité de l’Italie et pour sa grandeur que les autres petits états votent en ce moment leur incorporation au Piémont. »

Arrêtons-nous sur ces lignes significatives. Elles indiquent toute la portée de l’évolution accomplie en moins de trois ans par la politique anglaise. Quelle distance entre le point de départ et le point d’arrivée ! Quel chemin parcouru depuis Osborne jusqu’à Villafranca ! L’entente cordiale avec la France a fait place à l’intimité avec la Prusse. Cette puissance, qu’on laissait à l’écart et qu’on tenait presque en suspicion au lendemain de la guerre d’Orient, maintenant on lui prodigue les marques de sympathie. On fait plus : on lui donne des conseils, on lui souffle des idées, on la presse de prendre en Allemagne une initiative analogue à celle du Piémont en Italie. C’est sur cette situation si nouvelle et si grave que se termine le quatrième volume de M. Martin. Tout annonce le grand rôle que la Prusse va prendre en Europe. Tout concourt à le préparer : l’exemple de l’Italie, les imprudences et l’isolement de la France, les avis et les encouragemens de l’Angleterre. M. de Bismarck peut venir, son heure est proche.

Nous le demandons, maintenant, à ceux qui ont bien voulu prendre la peine de parcourir les pages qui précèdent, est-il possible, est-il permis, quand on étudie les faits, de prêter à la royauté anglaise ce rôle effacé et presque ridicule que ne manquent jamais de lui attribuer les détracteurs plus ou moins intéressés du régime constitutionnel ? Nous avons vu la reine Victoria tenir tête à des ministres qui n’étaient pourtant pas les premiers venus, et battre plus d’une fois, sur le terrain de la politique étrangère, lord Palmerston et lord John Russell. Nous l’avons vue suivre jour par jour les négociations relatives aux affaires d’Orient d’abord et ensuite à la question italienne ; nous l’avons vue, après ses deux visites à Cherbourg, provoquer, diriger, presser les arméniens de la Grande-Bretagne sur terre et sur mer. Nous l’aurions vue, si nous avions étudié l’histoire intérieure de l’empire britannique, surveiller avec la même sollicitude les diverses branches de l’administration. Il n’est donc pas vrai que la couronne, dans une monarchie constitutionnelle, soit dépouillée de sa légitime autorité. Ce qui est vrai, ce qui n’est pas niable, c’est que cette autorité a besoin d’être éclairée par l’expérience et appuyée sur la raison. Il faut prendre la peine de discuter avec ses ministres et de les convaincre ; il ne suffit pas de leur notifier avec hauteur un caprice royal ou une fantaisie impériale. À ce point de vue, la perspicacité politique du prince Albert et sa connaissance profonde des questions européennes en faisaient un collaborateur précieux pour la reine Victoria. Mazarin n’a pas eu plus d’influence sur Anne d’Autriche et ne lui a pas rendu plus de services. A Dieu ne plaise toutefois que nous mettions au même niveau ou les deux hommes ou les deux situations ! L’influence que le cardinal dut conquérir à force de souplesse et de manège, le prince Albert la posséda du droit d’une affection mutuelle, consacrée par le mariage, ennoblie par la pratique du devoir, récompensée par les joies de la famille. Auprès d’une reine irréprochable, il n’y avait place que pour un Mazarin légitime.


EDOUARD HERVE.

  1. Voir à ce sujet, dans la Revue du 15 décembre 1877, la très curieuse étude de M. Saint-René Taillandier : Lord Palmerston et la Question du prince Albert.
  2. M. Auguste Laugel, qui a publié dans la Revue une belle étude sur lord Palmerston, a fort bien fait ressortir, dans sa seconde partie (15 août 1870), l’attitude personnelle du chef du cabinet anglais dans la question italienne ; mais, en l’absence des documens publiés depuis par M. Martin, il ne pouvait mettre en regard le rôle entièrement opposé de la reine et du prince consort.