VI. — Shakespeare, tome huit.

Deux pavillons, d’époque ancienne comme le reste de l’hôtel, flanquaient, à droite et à gauche, le mur assez bas qui s’élevait entre la cour d’honneur et la place du Palais-Bourbon. Ces pavillons étaient reliés au corps de logis principal, situé dans le fond de la cour, par une série de bâtiments dont on avait fait les communs. D’un côté les remises, écurie, sellerie, garage, et au bout le pavillon des concierges. De l’autre côté les lingeries, cuisines, offices, et au bout le pavillon réservé à Mlle Levasseur.

Celui-ci n’avait qu’un rez-de-chaussée, composé d’un vestibule obscur et d’une grande pièce, dont la partie la plus importante servait de salon, et dont l’autre, disposée en chambre, n’était en réalité qu’une sorte d’alcôve. Un rideau cachait le lit et la toilette. Deux fenêtres donnaient sur la place du Palais-Bourbon.

C’était la première fois que don Luis pénétrait dans l’appartement de Mlle Levasseur. Si absorbé qu’il fût, il en subit l’agrément. Les meubles étaient simples, de vieux fauteuils et des chaises d’acajou, un secrétaire Empire sans ornement, un guéridon à gros pied massif, des rayons de livres. Mais la couleur claire des rideaux de toile égayait la pièce. Aux murs pendaient des reproductions de tableaux célèbres, des dessins de monuments et de paysages ensoleillés, villes italiennes, temples de Sicile…

La jeune fille se tenait debout. Elle avait repris, avec son sang-froid, sa figure énigmatique, si déconcertante par l’immobilité des traits et par cette expression volontairement morne sous laquelle Perenna croyait deviner une émotion contenue, une vie intense, des sentiments tumultueux, que l’énergie la plus attentive avait du mal à discipliner. Le regard n’était ni craintif, ni provocant. On eût dit vraiment qu’elle n’avait rien à redouter.

Don Luis garda le silence assez longtemps. Chose étrange, et dont il se rendait compte avec irritation, il éprouvait un certain embarras en face de cette femme contre laquelle, au fond de lui-même, il portait les accusations les plus graves. Et n’osant pas les formuler, n’osant pas dire nettement ce qu’il pensait, il commença :

Il prit un bol où il versa de l’eau du filtre.

— Vous savez ce qui s’est passé ce matin dans cette maison ?

— Ce matin ?

— Oui, alors que je finissais de téléphoner ?

— Je l’ai su depuis, par les domestiques, par le maître d’hôtel…

— Pas avant ?

— Comment l’aurais-je su plus tôt ?

Elle mentait. Il était impossible qu’elle ne mentît pas. Pourtant de quelle voix calme elle avait répondu ! Il reprit :

— Voici, en quelques mots, ce qui s’est passé. Je sortais de la cabine lorsque le rideau de fer dissimulé dans la partie supérieure de la muraille s’est abattu devant moi. Ayant acquis la certitude qu’il n’y avait rien à tenter contre un pareil obstacle, je résolus tout simplement, puisque j’avais le téléphone à ma disposition, de demander l’assistance d’un de mes amis. Je téléphonai donc au commandant d’Astrignac. Il accourut, et, avec l’aide du maître d’hôtel, me délivra. C’est bien ce qu’on vous a raconté ?

— Oui, monsieur. Je m’étais retirée dans ma chambre, ce qui explique que je n’ai rien su de l’incident, ni de la visite du commandant d’Astrignac.

— Soit. Cependant, il résulte de ce que j’ai appris depuis que le maître d’hôtel, et que tout le monde ici d’ailleurs, et vous-même par conséquent, connaissiez l’existence de ce rideau de fer.

— Certes.

— Et par qui ?

— Par le comte Malonesco. Je tiens de lui que, durant la Révolution, son arrière-grand-mère maternelle resta cachée treize mois dans ce réduit. À cette époque le rideau était recouvert d’une boiserie semblable à celle de la pièce.

— Il est regrettable qu’on ne m’ait pas averti, car enfin il s’en est fallu de bien peu que je ne sois écrasé.

Cette éventualité ne parut pas émouvoir la jeune fille. Elle prononça :

— Il sera bon de vérifier le mécanisme et de voir pour quelle raison il s’est déclenché. Tout cela est vieux et fonctionne mal.

— Le mécanisme fonctionne parfaitement bien. Je m’en suis assuré. On ne peut donc accuser le hasard.

— Qui alors, si ce n’est le hasard ?

— Quelque ennemi que j’ignore.

— On l’aurait vu.

— Une seule personne aurait pu le voir, vous, vous qui passiez précisément dans mon bureau tandis que je téléphonais, et dont j’avais surpris l’exclamation de frayeur à propos de Mme Fauville.

— Oui, la nouvelle de son suicide m’avait donné un coup. Je plains cette femme infiniment, qu’elle soit coupable ou non.

— Et comme vous vous trouviez à côté de la baie, la main à portée du mécanisme, la présence d’un malfaiteur n’eût pu vous échapper.

Elle ne baissa pas le regard. Un peu de rougeur effleura son visage. Elle dit :

— En effet, je l’aurais tout au moins rencontré, puisque je suis sortie, d’après ce que je vois, quelques secondes avant l’accident.

— Sûrement, dit-il. Mais ce qu’il y a de curieux… d’invraisemblable, c’est que vous n’ayez pas entendu le fracas du rideau qui s’abattait, et pas davantage mes appels, le vacarme que j’ai fait.

— J’avais déjà sans doute refermé la porte de ce bureau. Je n’ai rien entendu.

— Alors je dois supposer que quelqu’un se trouvait caché dans mon bureau à ce moment, et que ce personnage a des relations de complicité avec les bandits qui ont commis le double crime du boulevard Suchet, puisque le préfet de police vient de découvrir, sous les coussins de mon divan, le tronçon d’une canne qui appartient à l’un de ces bandits.

Elle eut un air très étonné. Vraiment cette nouvelle histoire semblait lui être tout à fait inconnue. Il s’approcha d’elle et, les yeux dans les yeux, il articula :

— Avouez du moins que cela est étrange.

— Qu’est-ce qui est étrange ?

— Cette série d’événements, tous dirigés contre moi. Hier, ce brouillon de lettre que j’ai trouvé dans la cour — le brouillon de l’article paru dans l’Écho de France ! Ce matin, d’abord l’écroulement du rideau de fer à l’instant même où je passe, et ensuite la découverte de cette canne… et puis… et puis… tout à l’heure, cette carafe d’eau empoisonnée…

Elle hocha la tête et murmura :

— Oui… oui… il y a un ensemble de faits…

— Un ensemble de faits, acheva-t-il avec force, dont la signification est telle que, sans le moindre doute, je dois considérer comme certaine l’intervention directe du plus implacable et du plus audacieux des ennemis. Sa présence est avérée. Son action est constante. Son but est évident. Par le moyen de l’article anonyme, par le moyen de ce tronçon de canne, il a voulu me compromettre et me faire arrêter. Par la chute du rideau, il a voulu me tuer, ou tout au moins me retenir captif durant quelques heures. Maintenant, c’est le poison, le poison qui tue lâchement, sournoisement, et qu’on jette dans mon verre, et qu’on jettera demain dans mes aliments… Et puis ce sera le poignard, et puis la balle de revolver, ou la corde qui étrangle… n’importe quoi… pourvu que je disparaisse, car c’est cela qu’on veut : me supprimer. Je suis l’adversaire, je suis le monsieur dont on a peur, celui qui, un jour ou l’autre, découvrira le pot aux roses et empochera les millions que l’on rêve de voler. Je suis l’intrus. Devant l’héritage Mornington, montant la garde, il y a moi. C’est à mon tour d’y passer. Quatre victimes sont mortes déjà. Je serai la cinquième. Gaston Sauverand l’a décidé, Gaston Sauverand ou tel autre qui dirige l’affaire. Et le complice est là, dans cet hôtel, au cœur de la place, à mes côtés. Il me guette. Il marche sur la trace de mes pas. Il vit dans mon ombre. Il cherche, pour me frapper, la minute opportune et l’endroit favorable. Eh bien, j’en ai assez. Je veux savoir, je le veux, et je le saurai. Qui est-il ?

La jeune fille avait un peu reculé et s’appuyait au guéridon.

Il avança d’un pas encore et, sans la quitter des yeux, tout en cherchant sur le visage inaltérable un indice de trouble, un frisson d’inquiétude, il répéta, plus violemment :

— Qui est-il, ce complice ? Qui donc ici a juré ma mort ?

— Je ne sais pas… dit-elle, je ne sais pas… Peut-être n’y a-t-il pas de complot, comme vous le croyez… mais des événements fortuits…

Il eut envie de lui dire, avec son habitude de tutoyer ceux qu’il considérait comme des adversaires :

« Tu mens, la belle, tu mens. Le complice, c’est toi. Toi seule, qui as surpris ma conversation téléphonique avec Mazeroux, toi seule as pu aller au secours de Gaston Sauverand, l’attendre en auto au coin du boulevard, et, d’accord avec lui, rapporter ici le tronçon de canne. C’est toi, la belle, qui veut me tuer pour des raisons que j’ignore. La main qui me frappe dans les ténèbres, c’est la tienne. »

Mais il lui était impossible de la traiter ainsi, et cela l’exaspérait tellement de ne pas oser crier sa certitude par des mots d’indignation et de colère, qu’il lui avait pris les doigts entre les siens, et qu’il les étreignait durement, et que son regard et toute son attitude accusaient la jeune fille avec plus de force encore que ne l’eussent fait les paroles les plus âpres.

Se dominant, il desserra son étreinte. La jeune fille se dégagea d’un geste rapide, où il y avait de la révolte et de la haine. Don Luis prononça :

— Soit. J’interrogerai les domestiques. Au besoin, je renverrai ceux qui me sembleront suspects.

— Mais non, mais non, fit-elle vivement. Il ne faut pas… Je les connais tous.

Allait-elle les défendre ? Était-ce des scrupules de conscience qui l’agitaient, au moment où, par sa duplicité et son obstination, elle sacrifiait des serviteurs dont elle savait la conduite irréprochable ?

Don Luis eut l’impression que dans le regard qu’elle lui adressa il y avait comme un appel à la pitié. Mais pitié pour qui ? pour les autres ? ou pour elle ?

Ils gardèrent un long silence. Don Luis, debout à quelques pas d’elle, songeait à la photographie, et il retrouvait avec étonnement dans la femme actuelle toute la beauté de l’image, toute cette beauté qu’il n’avait pas remarquée jusqu’ici, mais qui le frappait maintenant comme une révélation. Les cheveux d’or brillaient d’un éclat qu’il ignorait. La bouche avait une expression moins heureuse peut-être, un peu amère, mais qui conservait malgré tout la forme même du sourire. La courbe du menton, la grâce de la nuque, que découvrait l’échancrure du col de lingerie, la ligne des épaules, le geste des bras et des mains posées sur les genoux, tout cela était charmant, d’une grande douceur, et en quelque sorte d’une grande honnêteté. Était-il possible que cette femme fût une meurtrière, une empoisonneuse ?

Il lui dit :

— Je ne me souviens plus du prénom que vous m’avez donné comme étant le vôtre. Mais ce n’était pas le véritable.

— Mais si, mais si, dit-elle.

— Vous vous appelez Florence…

Elle sursauta.

— Quoi ? Qui est-ce qui vous a dit ? Florence ?… Comment savez-vous ?

— Voici votre photographie, et voici votre nom, presque effacé.

— Ah ! fit-elle, stupéfaite, et regardant l’image, est-ce croyable ?… D’où vient-elle ? Dites, où l’avez-vous eue ?…

Et soudain :

— C’est le préfet de police qui vous l’a remise, n’est-ce pas ? Oui… c’est lui… j’en suis sûre… Je suis sûre que cette photographie sert de signalement et qu’on me cherche… moi aussi… Et c’est toujours vous… toujours vous…

— Soyez sans crainte, dit Perenna, il suffit de quelques retouches sur cette épreuve pour que votre visage soit méconnaissable… Je les ferai… Soyez sans crainte…

Elle ne l’écoutait plus. Elle observait la photographie avec une attention concentrée, et elle murmurait :

— J’avais vingt ans… J’habitais l’Italie… Mon Dieu, comme j’étais heureuse le jour où j’ai posé !… et si heureuse quand j’ai vu mon portrait ! Je me trouvais belle alors… Et puis il a disparu… On me l’a volé, comme on m’avait déjà volé d’autres choses, dans le temps…

Et plus bas encore, prononçant son nom comme si elle se fût adressée à une autre femme, à une amie malheureuse.

— Florence, répéta-t-elle, Florence…

Des larmes coulèrent sur ses joues.

— Elle n’est pas de celles qui tuent, pensa don Luis… il est inadmissible qu’elle soit complice… Et pourtant…

Il s’éloigna d’elle et marcha dans la pièce, allant de la fenêtre à la porte. Les dessins de paysages italiens accrochés au mur attirèrent son attention. Puis il examina, sur les rayons, les titres des livres. C’étaient des ouvrages de littérature française et étrangère, des romans, des pièces de théâtre, des essais de morale, des volumes de poésie qui témoignaient d’une culture réelle et variée. Il vit Racine à côté de Dante, Stendhal auprès d’Edgar Poe, Montaigne entre Gœthe et Virgile. Et soudain, avec cette extraordinaire faculté qui lui permettait d’apercevoir dans un ensemble d’objets les détails même qu’il n’observait pas, il remarqua que l’un des tomes d’une édition anglaise de Shakespeare ne présentait peut-être pas exactement la même apparence que les autres. Le dos, relié en chagrin rouge, avait quelque chose de spécial, de plus rigide, sans ces cassures et ces plis qui attestent l’usure d’un livre.

C’était le tome huit. Il le prit vivement, de manière qu’on n’entendît point.

Il ne s’était pas trompé. Le volume était faux, simple cartonnage, avec un vide à l’intérieur qui formait une boîte et offrait ainsi une véritable cachette, et dans ce livre il avisa du papier à lettre blanc, des enveloppes assorties et des feuilles de papier ordinaire quadrillées, toutes de mêmes grandeur et comme détachées d’un bloc-notes.

Et tout de suite l’aspect de ces feuilles le frappa. Il lui rappelait l’aspect de la feuille sur laquelle on avait écrit le brouillon de l’article destiné à l’Écho de France. Le quadrillage était identique, et les dimensions semblaient pareilles.

D’ailleurs, ayant soulevé ces feuilles les unes après les autres, il vit, sur l’avant-dernière, une série de lignes formées par des mots et des chiffres qu’on avait tracés au crayon, comme des notes jetées en hâte. Il lut :

Hôtel du boulevard Suchet.

Première lettre. Nuit du 15 au 16 avril.
Deuxième. Nuit du 25.
Troisième et quatrième. Nuits du 5 mai et du 15 mai.
Cinquième et explosion. Nuit du 25 mai.

D’ailleurs, ayant soulevé ces feuilles…

Et tout en constatant, d’abord que la date de la première nuit était précisément celle de la nuit qui venait, et ensuite que toutes ces dates se succédaient à dix jours d’intervalle, il remarquait l’analogie de l’écriture avec l’écriture du brouillon. Ce brouillon, il l’avait en poche, dans un calepin. Il pouvait ainsi vérifier la similitude des deux écritures et celle des deux feuilles quadrillées.

Il prit son calepin et l’ouvrit.

Le brouillon n’y était plus.

— Cré nom de Dieu ! grinça-t-il entre ses dents. Elle est raide, celle-là.

Et en même temps il se souvenait très nettement que, pendant qu’il téléphonait le matin à Mazeroux, son calepin se trouvait dans la poche de son pardessus et son pardessus sur une chaise située près de la cabine. Or, à cet instant, Mlle Levasseur, sans aucune raison, rôdait dans le cabinet de travail. Qu’y faisait-elle ?

— Ah ! la cabotine, se dit Perenna furieux, elle était en train de me rouler. Ses larmes, ses airs de candeur, ses souvenirs attendris, autant de balivernes ! Elle est de la même race et de la même bande que la Marie-Anne Fauville, que le Sauverand, comme eux menteuse et comédienne jusqu’en ses moindres gestes et dans les moindres inflexions de sa voix innocente.

Il fut sur le point de la confondre. La preuve était irréfutable cette fois. Par d’une enquête où l’on aurait pu remonter jusqu’à elle, elle n’avait pas voulu laisser entre les mains de l’adversaire le brouillon de l’article. Comment douter dès lors que ce fût elle la complice dont se servaient les gens qui opéraient dans l’affaire Mornington et qui cherchaient à se débarrasser de lui ? N’avait-on même pas le droit de supposer qu’elle dirigeait la bande sinistre, et que, dominant les autres par son audace et son intelligence, elle les conduisait vers le but obscur où ils tendaient ?

Car enfin elle était libre, entièrement libre de ses actes et de ses mouvements. Par les fenêtres qui donnaient sur la place du Palais-Bourbon, elle avait toute facilité pour sortir de l’hôtel à la faveur de l’ombre et y rentrer sans que personne contrôlât ses absences. Il était donc parfaitement possible que la nuit du double crime elle se fût trouvée parmi les assassins d’Hippolyte Fauville et de son fils. Il était donc parfaitement possible qu’elle y eût participé, et même que le poison eût été injecté aux deux victimes par sa main, par cette petite main qu’il voyait appuyée contre les cheveux d’or, si blanche et si mince.

Un frisson l’envahit. Il avait remis doucement le papier dans le livre, et le livre à sa place, et il s’était approché de la jeune fille. Et voilà tout à coup qu’il se surprenait à étudier le bas de son visage, la forme de sa mâchoire ! Oui, c’était cela qu’il s’ingéniait à deviner, sous la courbe des joues et sous le voile des lèvres. Malgré lui, avec un mélange d’angoisse et de curiosité torturante, il regardait, il regardait, prêt à desserrer violemment ces lèvres closes et à chercher la réponse au problème effrayant qui se posait à lui. Ces dents, ces dents qu’il ne voyait pas, n’était-ce point celles qui avaient laissé dans le fruit l’empreinte accusatrice ? Les dents du tigre, les dents de la bête fauve, étaient-ce celles-là, ou celles de l’autre femme ?

Hypothèse absurde, puisque l’empreinte avait été reconnue comme provenant de Marie-Anne Fauville. Mais l’absurdité d’une hypothèse, est-ce une raison suffisante pour écarter cette hypothèse ?

Étonné lui-même des sentiments qui le bouleversaient, craignant de se trahir, il préféra couper court à l’entretien, et, passant près de la jeune fille, il lui dit, d’un ton impérieux, agressif :

— Je désire que tous les domestiques de l’hôtel soient congédiés. Vous réglerez leurs gages, vous leur donnerez les indemnités qu’ils voudront, et ils partiront aujourd’hui, irrévocablement. Un autre personnel se présentera ce soir. Vous le recevrez.

Elle ne répliqua point. Il s’en alla, emportant de cette entrevue l’impression de malaise qui marquait ses rapports avec Florence. Entre elle et lui l’atmosphère demeurait toujours lourde et opprimante. Les mots ne semblaient jamais être ceux que chacun d’eux pensait en secret, et les actes ne correspondaient pas aux paroles prononcées. Est-ce que la situation n’entraînait pas comme seul dénouement logique le renvoi immédiat de Florence ? Pourtant don Luis n’y songea même point.

Aussitôt revenu dans son cabinet de travail, il demanda Mazeroux au téléphone, et, tout bas, de façon à n’être pas entendu de l’autre pièce :

— C’est toi, Mazeroux ?

— Oui.

— Le préfet t’a mis à ma disposition ?

— Oui.

— Eh bien, tu lui diras que j’ai flanqué tous mes domestiques à la porte et que je t’ai chargé d’établir autour d’eux une surveillance active. C’est par là qu’on doit chercher le complice de Sauverand. Autre chose : demande au préfet l’autorisation, pour toi et pour moi, de passer la nuit dans la maison de l’ingénieur Fauville.

— Allons donc ! dans la maison du boulevard Suchet ?

— Oui, j’ai toutes raisons de croire qu’un événement s’y produira.

— Quel événement ?

— Je ne sais pas. Mais quelque chose y doit avoir lieu. Et j’insiste vivement. C’est convenu ?

— Convenu. Sauf avis contraire, rendez-vous ce soir, à neuf heures, au boulevard Suchet.

Ce jour-là, Perenna ne vit plus Mlle Levasseur. Il quitta son hôtel au cours de l’après-midi et se rendit dans un bureau de placement, où il choisit des domestiques, chauffeur, cocher, valet de chambre, cuisinière, etc. Puis il alla chez un photographe, qui tira sur la photographie de Mlle Levasseur une épreuve nouvelle, que don Luis fit retoucher et qu’il maquilla lui-même, pour que le préfet de police ne pût voir la substitution.

Il dîna au restaurant.

À neuf heures, il rejoignit Mazeroux.

Depuis le double assassinat, l’hôtel Fauville était sous la garde du concierge. Les scellés avaient été mis à toutes les chambres et à toutes les serrures, sauf à la porte intérieure de l’atelier, dont la police conservait les clefs pour les besoins de l’enquête. La vaste pièce offrait le même aspect. Cependant, tous les papiers avaient été enlevés ou rangés, et il ne restait rien, ni livres, ni brochures, sur la table de travail. Un peu de poussière, déjà visible à la clarté électrique, en recouvrait le cuir noir et l’encadrement d’acajou.

— Eh bien, mon vieil Alexandre, s’écria don Luis quand ils se furent installés, qu’est-ce que tu en dis ? C’est impressionnant de se retrouver ici, hein ? Mais, cette fois, n’est-ce pas, plus de portes barricadées. Plus de verrous. Si tant est qu’il doive se passer quelque chose, en cette nuit du 15 au 16 avril, n’y mettons pas d’obstacles. La liberté pleine et entière pour ces messieurs. À vous, la pose.

Bien qu’il plaisantât, don Luis n’en était pas moins singulièrement impressionné, comme il disait, par le souvenir épouvantable des deux crimes qu’il n’avait pu empêcher et par la vision obsédante des deux cadavres. Et il se rappelait aussi, avec une émotion réelle, le duel implacable qu’il avait soutenu contre Mme Fauville, le désespoir de cette femme et son arrestation.

— Parle-moi d’elle, dit-il à Mazeroux. Alors, elle a voulu se tuer ?

— Oui, dit Mazeroux, et pour de bon, et par un genre de suicide qui devait cependant lui faire horreur : elle s’est pendue avec des lambeaux de toile arrachés à ses draps et à son linge et tressés les uns autour des autres. Il a fallu la ranimer par des tractions et des mouvements respiratoires. Actuellement, m’a-t-on dit, elle est hors de péril, mais on ne la quitte pas, car elle a juré de recommencer.

— Elle n’a point fait d’aveu ?

— Non.

— Et l’opinion du parquet, de la préfecture ?

— Comment voulez-vous que l’opinion change à son égard, patron ? L’instruction a confirmé point par point toutes les charges relevées contre elle, et notamment on a établi, sans contestation possible, qu’elle seule a pu toucher à la pomme, et qu’elle n’a pu y toucher qu’entre onze heures du soir et sept heures du matin. Or, la pomme porte les marques irrécusables de ses dents. Admettez-vous qu’il y ait au monde deux mâchoires qui puissent laisser identiquement la même empreinte ?

— Non… non, affirma don Luis, qui songeait à Florence Levasseur… Non, l’argumentation ne souffre pas la moindre controverse. Il y a là un fait clair comme le jour, et cette empreinte constitue, pour ainsi dire, un flagrant délit. Mais alors, qu’est-ce que vient faire au milieu de tout cela ?…

— Qui, patron ?

— Rien… une idée qui me tracasse… Et puis, vois-tu, il existe là-dedans tant de choses anormales, des coïncidences et des contradictions si bizarres, que je n’ose pas m’attacher à une certitude que la réalité de demain peut détruire.

Ils causèrent assez longtemps, à voix basse, étudiant la question sous toutes ses faces. Vers minuit, ils éteignirent le plafonnier électrique, et il fut convenu que chacun dormirait à son tour.

Et les heures s’écoulèrent, pareilles aux heures de leur première veillée. Mêmes bruits de voitures tardives et d’automobiles. Mêmes sifflements de chemins de fer. Même silence. La nuit passa. Il n’y eut aucune alerte, aucun incident.

Au petit jour, la vie du dehors recommença et don Luis, à ses heures de garde, n’avait entendu, dans la pièce, que le ronflement monotone de son compagnon.

« Me serais-je trompé ? se disait-il. L’indication recueillie dans le volume de Shakespeare avait-elle un autre sens ? Ou bien faisait-elle allusion à des événements de l’année précédente, ayant eu lieu aux dates inscrites ? »

Malgré tout, une inquiétude confuse l’envahissait à mesure que l’aube filtrait par les volets à demi clos. Quinze jours auparavant, rien non plus ne s’était produit qui pût l’avertir, et pourtant, au réveil, les deux victimes gisaient auprès de lui.

À sept heures, il appela :

— Alexandre ?

— Hein ! quoi, patron ?

— Tu n’es pas mort ?

— Qu’est-ce que vous dites ? Si je suis mort ? Mais non, patron.

— Tu es bien sûr ?

— Eh bien ! vous en avez de bonnes, patron. Pourquoi pas vous ?

— Oh ! mon tour ne tardera pas. Avec des bandits de ce calibre-là !…

Ils patientèrent encore une heure. Puis, Perenna ouvrit une fenêtre et poussa les volets.

— Dis donc, Alexandre. Tu n’es peut-être pas mort. Mais en revanche…

— En revanche ?

— Tu es vert.

Mazeroux eut un rire forcé.

— Ma foi, patron, je vous avoue que quand j’étais de faction, pendant que vous dormiez, je n’en menais pas large.

— Tu avais peur ?

— Jusqu’à la pointe des cheveux.

Il s’interrompit tellement la figure de don Luis exprimait d’étonnement.

— Qu’est-ce qu’il y a, patron ?

— Regarde… sur la table… cette lettre…

Il regarda.

Sur la table de travail, il y avait, en effet, une lettre, ou plutôt une carte-lettre dont la bande de fermeture avait été déchirée selon le pointillé, et dont on voyait l’extérieur avec l’adresse, le timbre et les cachets de la poste.

— C’est toi qui as mis cela ici, Alexandre ?

— Vous riez, patron. Vous savez bien que ce ne peut être que vous.

— Ce ne peut être que moi… et cependant, ce n’est pas moi…

— Mais alors ?…

Don Luis prit la carte-lettre et, l’ayant examinée, il constata que l’adresse et que les cachets de la poste avaient été grattés de telle façon qu’on ne pouvait distinguer ni le nom du destinataire, ni le lieu qu’il habitait, mais que le lieu de l’expédition était très net, ainsi que les dates :

« Paris, 4 janvier 1919. »

— La lettre est donc vieille de trois mois et demi, fit don Luis.

Il la retourna du côté de l’intérieur. Elle contenait une douzaine de lignes, et, tout de suite, il s’écria :

— La signature d’Hippolyte Fauville !

— Et son écriture, nota Mazeroux, je la reconnais maintenant. Pas d’erreur. Qu’est-ce que ça signifie ? Une lettre écrite par Hippolyte Fauville, trois mois avant sa mort…

Perenna lut à haute voix :

« Mon cher ami,

« Je ne puis, hélas ! que confirmer ce que je t’écrivais l’autre jour la trame se resserre. Je ne sais encore quel est leur plan et moins encore comment ils l’exécuteront, mais tout m’apprend que le dénouement approche. Je vois cela dans ses yeux à elle. Comme elle me regarde étrangement parfois ! Ah ! quelle infamie ! Qui donc aurait jamais supposé qu’elle serait capable… Je suis bien malheureux, mon pauvre ami. »

— Et c’est signé Hippolyte Fauville, continua Mazeroux… Et je vous affirme que c’est bien écrit par lui…, écrit le 4 janvier de cette année, à un ami dont nous ignorons le nom, mais que nous saurons bien dénicher, je vous le jure. Et cet ami nous donnera toutes les preuves nécessaires.

Mazeroux s’exaltait :

— Des preuves ! Mais il n’en est plus besoin ! Elles sont là. M. Fauville les donne lui-même. « Le dénouement approche. Je vois cela dans ses yeux à elle. » Elle, c’est sa femme, c’est Marie-Anne Fauville, et le témoignage du mari confirme tout ce que nous savions contre elle. Qu’en dites-vous ?

— Tu as raison, répondit Perenna distraitement, tu as raison, cette lettre est définitive. Seulement, qui diable a pu l’apporter ? Il faut donc que quelqu’un soit entré cette nuit dans cette pièce, pendant que nous y étions ? Est-ce possible ? Car enfin nous aurions entendu… Voilà ce qui me stupéfie.

— Il est de fait que…

— N’est-ce pas ? Il y a quinze jours, le coup était déjà bizarre. Mais enfin nous avions pris notre poste dans l’antichambre et on opérait ici. Tandis qu’aujourd’hui nous y étions, ici, tous les deux, près de cette table même. Et sur cette table où, hier soir, il n’y avait pas le moindre morceau de papier, ce matin nous trouvons cette lettre.

Une étude minutieuse des lieux ne leur fit découvrir aucune indication qui les mît sur la voie. Ils visitèrent l’hôtel de fond en comble et purent s’assurer que personne ne s’y cachait. D’ailleurs, en admettant que quelqu’un s’y cachât, comment aurait-on pu pénétrer dans la pièce sans attirer leur attention ? Le problème était insoluble.

— Ne cherchons pas davantage, dit Perenna, ça ne sert de rien. Dans les histoires de ce genre, un jour ou l’autre la lumière pénètre par une fissure invisible et tout s’éclaire peu à peu. Porte cette lettre au préfet de police, raconte-lui notre veillée et dis-lui que nous demandons l’autorisation de revenir dans la nuit du 25 au 26 avril prochain. Cette nuit-là, encore, il doit y avoir du nouveau, et j’ai diablement envie de savoir si une seconde lettre nous sera remise par l’opération du Saint-Esprit.

Ils refermèrent les portes et sortirent de l’hôtel.

Comme ils s’en allaient à droite, vers la Muette pour y prendre une auto, et qu’ils parvenaient au bout du boulevard Suchet, le hasard fit que don Luis tourna la tête du côté de la chaussée.

Un homme les dépassait, à bicyclette.

Don Luis eut juste le temps de voir son visage glabre, ses yeux étincelants, fixés sur lui.

— Gare à toi ! cria-t-il en poussant Mazeroux avec une telle brusquerie que le brigadier perdit l’équilibre.

L’homme avait tendu son poing, armé d’un revolver. Un coup de feu jaillit. La balle siffla aux oreilles de don Luis, qui s’était baissé rapidement.

— Courons dessus, proféra-t-il. Tu n’es pas blessé, Mazeroux ?

— Non, patron.

Ils s’élancèrent tous deux en appelant au secours. Mais, à cette heure matinale, les passants étaient rares sur les larges avenues de ce quartier. L’homme, qui filait vivement, augmenta son avance, tourna au loin par la rue Octave-Feuillet et disparut.

— Gredin, va, je te repincerai, grinça don Luis en renonçant à une vaine poursuite.

— Mais vous ne savez même pas qui c’est, patron.

— Si, c’est lui.

— Qui donc ?

— L’homme à la canne d’ébène. Il a coupé sa barbe. Il s’est rasé. N’importe, je l’ai reconnu. C’était bien l’homme qui nous canardait hier matin, du haut de l’escalier de sa maison. Ah ! le misérable, comment a-t-il pu savoir que j’avais passé la nuit dans l’hôtel Fauville ? On m’a donc suivi, espionné ? Mais qui donc ? Et pour quelle raison ? Et par quel moyen ?

Mazeroux réfléchit et prononça :

— Rappelez-vous, patron, vous m’avez téléphoné dans l’après-midi pour me donner rendez-vous. Qui sait ? vous aviez beau me parler tout bas, quelqu’un de chez vous a peut-être entendu.

Don Luis ne répondit point. Il pensait à Florence.

Ce matin-là, ce ne fut point Mlle Levasseur qui apporta le courrier à don Luis, et il ne la fit pas venir non plus. Il l’aperçut plusieurs fois qui donnait des ordres aux nouveaux domestiques. Elle dut ensuite se retirer dans sa chambre, car il ne la vit plus.

L’après-midi, il commanda son automobile et se rendit à l’hôtel du boulevard Suchet pour y continuer, avec Mazeroux, et sur l’ordre du préfet, des investigations qui d’ailleurs n’aboutirent à aucun résultat.

Il était six heures quand il rentra. Le brigadier et lui dînèrent ensemble. Le soir, désireux d’examiner à son tour le domicile de l’homme à la canne d’ébène, il repartit en automobile, toujours accompagné de Mazeroux, et donna comme adresse le boulevard Richard-Wallace.

La voiture traversa la Seine, qu’elle suivit sur la rive droite.

— Allez plus vite, dit-il par le porte-voix à son nouveau chauffeur, j’ai l’habitude de marcher bon train.

— Vous culbuterez un jour ou l’autre, patron, dit Mazeroux.

— Pas de danger, répondit don Luis. Les accidents d’auto sont réservés aux imbéciles.

Ils arrivaient à la place de l’Alma. La voiture, à ce moment, tourna vers la gauche.

— Droit devant vous, cria don Luis… montez par le Trocadéro.

L’accident s’est produit

L’automobile se redressa. Mais, tout de suite, elle fit trois ou quatre embardées, à toute allure, escalada un trottoir, se heurta contre un arbre et fut renversée.

En quelques secondes, une douzaine de passants accoururent. On cassa une des glaces et l’on ouvrit la portière. Don Luis surgit le premier.

— Rien, dit-il, je n’ai rien. Et toi, Alexandre ?

On tira le brigadier. Il avait quelques contusions, des douleurs, mais aucune blessure qui parût sérieuse. Seulement, le chauffeur avait été précipité de son siège et gisait inerte sur le trottoir, la tête ensanglantée. On le transporta dans une pharmacie. Il mourut dix minutes plus tard.

Lorsque Mazeroux, qui avait accompagné la malheureuse victime et qui, lui-même assez étourdi, avait dû avaler un cordial, retourna vers l’automobile, il trouva deux agents de police qui constataient l’accident et recueillaient des témoignages, mais le patron n’était pas là.

Perenna, en effet, venait de sauter dans un taxi et se faisait ramener chez lui aussi vite que possible. Sur la place, il descendit de voiture, passa sous le porche en courant, traversa la cour et suivit le couloir qui conduisait au logement de Mlle Levasseur.

Au haut des marches, il frappa, puis entra sans attendre la réponse.

La porte de la pièce qui servait de salon fut ouverte. Florence apparut.

Il la repoussa dans le salon et lui dit d’un ton d’indignation et de courroux :

— C’est fait. L’accident s’est produit Pourtant aucun des anciens domestiques n’a pu le préparer, puisqu’ils n’étaient plus là et que je suis sorti cet après-midi dans l’automobile. Donc, c’est à la fin de la journée, entre six heures et neuf heures du soir, qu’on a dû s’introduire dans la remise et qu’on a limé aux trois quarts la barre de direction.

— Je ne comprends pas… je ne comprends pas… dit-elle, l’air effaré.

— Vous comprenez parfaitement que le complice des bandits ne peut pas être un des nouveaux domestiques, et vous comprenez parfaitement que le coup ne pouvait pas manquer de réussir, et qu’il a réussi, au-delà de toute espérance. Il y a une victime, et qui paye à ma place.

— Mais parlez donc, monsieur ! Vous m’effrayez !… Quel accident ?… Qu’y a-t-il eu ?

— L’automobile s’est renversée. Le chauffeur est mort.

— Ah ! dit-elle, quelle horreur ! Et vous croyez que j’aurais pu, moi… Ah ! cette mort, quelle horreur ! le pauvre homme…

Sa voix s’affaiblit. Elle était en face de Perenna, tout contre lui. Pâle, défaillante, elle ferma les yeux et chancela.

Il la reçut dans ses bras au moment où elle tombait. Elle voulut se dégager, mais elle n’avait pas de force, et il l’étendit sur un fauteuil, tandis qu’elle gémissait à diverses reprises :

— Le pauvre homme… le pauvre homme…

Un de ses bras derrière la tête de la jeune fille, il essuyait avec un mouchoir le front couvert de sueur et les joues pâlies où des larmes roulaient. Elle avait dû perdre tout à fait conscience, car elle s’abandonnait aux soins de Perenna sans marquer la moindre révolte. Et lui, ne bougeant plus, se mit à regarder anxieusement la bouche qui s’offrait à ses yeux, la bouche aux lèvres si rouges d’ordinaire, et maintenant décolorées, comme privées de sang.

Doucement, posant sur chacune d’elles l’un de ses doigts, d’un effort continu il les écarta ainsi que l’on écarte les pétales d’une rose, et la double rangée des dents lui apparut.

Elles étaient charmantes, admirables de forme et de blancheur, peut-être un peu moins grandes que celles de Mme Fauville, peut-être aussi disposées en un cercle plus élargi. Mais qu’en savait-il ? Et qui pouvait assurer que leur morsure ne laissait pas la même empreinte ? Supposition invraisemblable, miracle inadmissible, il le savait. Et néanmoins combien les circonstances accusaient la jeune fille et la désignaient comme la plus audacieuse des criminelles, comme la plus cruelle, la plus implacable et la plus terrible !

Sa respiration devenait régulière. Un souffle égal s’exhalait de sa bouche, dont il sentit la caresse fraîche, enivrante comme le parfum d’une fleur. Malgré lui, il se pencha davantage, si près, si près qu’un vertige le prit et qu’il lui fallut faire un grand effort pour reposer sur le dossier du fauteuil la tête de la jeune fille et pour détacher son regard du beau visage aux lèvres entrouvertes. Il se releva et partit.