Les Contes populaires en Italie/Avant-propos

Les Contes populaires en Italie
G. Charpentier, éditeur (p. 1-4).
AVANT-PROPOS

La Fontaine disait autrefois : « Si Peau-d’Ane m’était conté, j’en aurais un plaisir extrême. » M. Max Müller dit aujourd’hui : « Les nouvelles ont pris une des premières places dans les études qui font connaître le passé du genre humain. » Ces deux phrases montrent bien la différence entre les poètes du bon siècle et les érudits du nôtre ; les premiers allaient chercher leur plaisir dans les contes de fées, les seconds y vont chercher des documents.

Voltaire lui-même, qui avait tant de bon sens, regrettait les démons et les farfadets et s’écriait avec un soupir : « Oh ! le bon temps que celui de ces fables ! » Luther n’aurait pas donné pour un trésor les histoires merveilleuses qu’on lui avait racontées dans son enfance, et tous ces hommes, plus jeunes que nous et par conséquent plus sages, ne cherchaient dans les contes d’enfants que des contes d’enfants. En Italie, Straparole les recueillait dans ses Nuits facétieuses et le Napolitain Basile, dans son Pentamerone, plus connu en Allemagne qu’à Naples même, avait tâché de noter non-seulement les narrations populaires, mais encore le dialecte de son pays. Avant d’être conquis par les Allemands, Basile fut pillé par Gozzi, Lippi, Wieland, peut-être même par notre Perrault, mais ce dernier point n’est pas établi encore. Un évêque de Biseeglie, monseigneur Pompeo Sarnelli, ne dédaigna pas d’écrire en napolitain une Posillicheide dans laquelle il rapporta cinq nouvelles racontées après un souper sur la colline de Pausilippe, par quatre petites paysannes et leur mère, avec beaucoup de vivacité et de naturel.

Jusqu’alors et longtemps après, on ne recueillait ces historiettes que pour s’amuser ; mais vinrent les frères Grimm qui prirent ces études au sérieux et commencèrent dans leurs Mærchen et dans leurs Sagen une véritable enquête sur la langue, l’esprit, la psychologie populaires ; ils firent école, et dans tous les pays du monde on voulut rechercher à leur exemple, écrire à leur manière, sous la dictée des gens du peuple, les traditions des rues et des champs.


Ce furent les Allemands qui les premiers exploitèrent l’Italie ; la Sicile fut explorée avec beaucoup de fruit par une femme de mérite, Mme Laure de Gonzenbach. Les Italiens qui sous l’ancien régime ignoraient et dédaignaient leurs richesses, ne se sont guère mis à l’œuvre que ces dernières années, mais ils l’ont fait avec leur ardeur habituelle ; M. Vittorio Imbriani à Milan et à Florence, M. de Gubernatis à Santo-Stefano, M. Bernoni à Venise, MmeCoronedi Berti à Bologne, et surtout M. Giuseppe Pitre en Sicile ont exhumé des trésors que les frères Grimm leur auraient enviés.

L’auteur du présent volume a passé en Italie la plus grande moitié de sa vie déjà longue ; il connaît plus ou moins les dialectes, les patois de la péninsule ; il peut compléter ou commenter par des recherches et des observations personnelles les volumineux recueils où il va puiser à pleines mains[1]. Il lui est donc permis d’offrir aux lecteurs français un livre d’instruction et de récréation nouveau pour eux et destiné à tout le monde : aux enfants toujours affamés d’histoires, aux mères qui ne savent plus où en chercher, aux curieux qui aiment les vieilles légendes, aux studieux qui pourront y trouver des renseignements sur les mœurs, les idées, les superstitions, le langage, la diction du peuple, — et pour tout dire en un mot, aux naïfs comme La Fontaine et aux savants comme M. Max Muller. —

  1. Particulièrement la Novellaja fiorentina de M. Vittorio Imbriani (Livourne, Vigo, 1877) - et les sept volumes, de la Biblioteca delle tradizioni popolari siciliane, per cura di Giuseppe Pitrè (Palerme, Pedone-Lauriel, 1870-1875).