Les Contes drolatiques/II/Les bons Proupos des religieuses de Poissy



LES BONS PROUPOS
DES RELIGIEUSES DE POISSY



L’abbaye de Poissy ha esté célébrée par les vieulx autheurs comme ung lieu de liesse, où les desportemens des nonnains prindrent commencement et d’où tant de bonnes histoires procédèrent pour apprester à rire aux laïcques aux despens de nostre saincte religion. Aussy la dessus dicte abbaye est-elle devenue matière à proverbes que aulcuns sçavans ne comprennent plus de nos iours, quoique ils les vannent et concassent de leur mieulx pour les digérer.

Si vous demandiez à ung d’eulx ce que sont les olives de Poissy, gravement il respondroyt que ce est une périphrase en l’endroict des truffes, et que la manière de les accommoder, dont on parloyt en se gaussant iadis de ces vertueuses filles, debvoyt comporter une saulce espéciale. Voilà comme ces plumigères rencontrent vray une foys sur cent. Pour en revenir à ces bonnes recluses, il estoyt dict, en riant s’entend, que elles aymoyent mieulx treuver une pute qu’une femme de bien en leurs chemises. Aulcuns aultres raillards leur reprouchoyent d’imiter la vie des sainctes à leur méthode, et disoyent-ils que de la Marie Ægyptiacque elles n’existimoyent que sa fasson de payer les bateliers. D’où la raillerie : Honorer les saincts à la mode de Poissy. Il y ha encores le crucifix de Poissy, lequel tenoyt chauld à l’estomach. Puis, les matines de Poissy, lesquelles finoyent par des enfans de chœur. Enfin, d’une brave galloise bien entendue aux friandises de l’amour il estoyt dict : Ce est une religieuse de Poissy. Ceste certaine chouse que vous sçavez et que l’homme ne peut que prester, ce estoyt la clef de l’abbaye de Poissy. Pour ce qui est du portail de la dicte abbaye, ung chascun le congnoyt de bon matin. Cettuy portail, porte, huys, ouvrouere, baye, car tousiours reste entrebayé, est plus facile à ouvrir qu’à fermer, et couste moult en réparations. Bref, il ne s’inventoyt pas, dans cettuy temps, une gentillesse en amour, qu’elle ne vinst du bon couvent de Poissy. Comptez qu’il y a beaucoup de menteries et d’emphases hyperbolicques dans ces proverbes, mocqueries, bourdes et coq-à-l’asne. Les nonnes dudict Poissy estoyent de bonnes demoiselles qui trichoyent bien, ores cy, ores là, Dieu au prouffict du diable, comme tant d’aultres, pour ce que nostre naturel est fragile, et que, encores qu’elles feussent religieuses, elles avoyent leurs imperfections. En elle force estoyt qu’il se rencontrast ung endroict où l’estoffe manquoyt, et de là le maulvais. Mais le vray de cela est que ces maulvaisetez feurent le faict d’une abbesse, laquelle eut quatorze enfans, tous vivans, veu qu’ils avoyent esté parfaits à loysir. Ores les amours phantasques et les droleries d’icelle, qui estoyt une fille de sang royal, mirent à la mode le couvent de Poissy. Et lors il n’y eut histoire plaisante advenue ez abbayes de France qui ne fust yssue de desmangeaisons de ces paouvres filles, lesquelles auroyent bien voulu y estre seulement pour la dixme. Puis, l’abbaye feut réformée, comme ung chascun sçayt, et l’on osta à ces sainctes nonnains le peu d’heur et de liberté dont elles iouissoyent. En ung vieulx cartulaire de l’abbaye de Turpenay, près Chinon, qui, par ces darreniers maulvais temps, avoyt trouvé azyle en la bibliothecque d’Azay, où bien le receut le chastelain d’auiourd’huy, i’ay rencontré ung fragment soubz la rubrique de : les Heures de Poissy, lequel ha évidemment esté composé par ung ioyeulz abbé de Turpenay, pour le divertissement de ses voisines d’Ussé, Azay, Mongauger, Sacchez, et aultres lieux de ce pays. Ie le donne soubz l’authorité du froc, mais en l’accommodant à ma guyse, veu que i’ay esté contrainct de le transvaser de latin en françoys. Ie commence. Doncques, à Poissy, les religieuses avoyent coustume, quand Mademoiselle, fille du Roy, leur abbesse, estoyt couchiée… Ce feut elle qui nomma faire la petite oie s’en tenir en amour aux préliminaires, prolégomènes, avant-proupos, préfaces, protocolles, advertissemens, notices, prodromes, sommaires, prospectus, argumens, notes, prologues, épigraphes, titres, faulx titres, titres courans, scholies, remarques marginales, frontispices, observations, dorures sur tranche, iolis signets, fermails, reiglets, roses, vignettes, culs-de-lampe, gravures, sans aulcunement ouvrir le livre ioyeulx, pour lire, relire, estudier, appréhender et comprendre le contenu. Et si rassembla-t-elle en corps de doctrine toutes les menues gaudisseries extra-iudiciaires de ce beau languaige qui procède bien des lèvres, mais ne faict aulcun bruit, et le practicqua si saigement qu’elle mourut vierge de formes et point guastée. Ceste gaye science feut depuis grantement approfundie par les dames de la Court, lesquelles prenoyent des amans pour la petite oie, d’aultres pour l’honneur, et, parfoys aussy, aulcuns qui avoyent sur elles droict de haulte et basse iustice, estoyent maistres de tout, estat que beaucoup préfèrent. Ie reprends. Quand doncques ceste vertueuse princesse estoyt nue entre ses draps sans avoir honte de rien, lesdictes filles, celles qui avoyent le menton sans rides et le cueur gay, sortoyent à petits bruits de leurs cellules et venoyent se musser en celle d’une de leurs sœurs, laquelle estoyt fort affectionnée de toutes. Là, elles faisoyent de bonnes causettes entremeslées de confictures, dragées, beuveries, noises de ieunes filles, houspillant les vieilles, les contrefaisant en cingeries, s’en mocquant avecques innocence, disant des contes à plourer de rire, et iouant à mille ieux. Tantost elles mesuroyent leurs pieds, cherchant les plus mignons ; comparoyent les blanches rondeurs de leurs bras ; vérifioyent quel nez avoyt l’infirmité de rougir après souper ; comptoyent leurs grains de rousseur ; se disoyent où estoyent situez leurs signes ; estimoyent qui avoyt le tainct plus net, les plus iolies couleurs, la taille plus belle. Faictes estat que, parmy ces tailles appartenant à Dieu, s’en rencontroyent de fines, de rondes, de plates, de creuses, de bombées, de souples, de gresles, de toutes sortes. Puis elles se disputoyent à qui falloyt moins d’estoffe pour la ceincture, et celle qui comportoyt le moins d’empans estoyt contente sans sçavoir pourquoy. Tantost se racontoyent leurs resves et ce qu’elles y avoyent aperceu. Souvent une ou deux, aulcunes foys toutes avoyent songié tenir bien fort les clefs de l’abbaye. Puis se consultoyent pour leurs petits maulx. L’une s’estoyt eschardé le doigt ; l’aultre avoyt ung panariz ; ceste-cy s’estoyt levée avecques ung filet de sang dedans le blanc de l’œil ; ceste-là s’estoyt desmanchié l’index à dire son rosaire. Toutes avoyent ung petit remue-mesnaige.

— Ha vous avez menty à nostre mère : vos ongles sont marquez de blanc, disoyt l’une à sa voisine.

— Vous estes restée longtemps à confesse ce matin, ma sœur, disoyt une aultre ; vous aviez doncques bien des péchez mignons à déclairer ?

Puis, comme il n’y ha rien qui mieulx qu’une chatte ressemble à ung chat, elles se prenoyent en amitié, se querelloyent, se boudoyent, disputoyent, s’accordoyent, se reconcilioyent, se ialouzoyent, se pinçoyent pour rire, rioyent pour se pincer, faisoyent des tours aux novices.

Puis souvent disoyent : — Si ung gendarme tomboyt icy par ung temps de pluye, où donc le bouterions-nous ?

— Chez la sœur Ovide, sa cellule est la plus grant ; il pourroyt y entrer avecques son penache.

— Qu’est-ce à dire ? s’escria la sœur Ovide ; nos cellules sont-elles pas toutes pareilles ?

Sur ce, mes filles de rire comme des figues meures. Ung soir, elles approuvisionnèrent leur petit concile d’une iolie novice qui avoyt dix-sept ans, paroissoyt innocente comme enfant qui naist, auroyt eu le bon Dieu sans confession, laquelle avoyt l’eaue en la bouche de ces secrettes causeries, petites beuvettes et iousteries par lesquelles les ieunes nonnes adoulcissoyent la sacro-saincte captivité de leurs corps, et plouroyt-elle de n’y estre point admise.

— Hé bien, lui dit la sœur Ovide, avez-vous bien dormy, ma petite bichette ?

— Oh ! non, feit-elle, i’ay esté mordue par des puces.

— Ha ! vous avez des puces dans vostre cellule ? Mais il faut vous en délivrer sur-le-champ. Sçavez-vous comment la règle de nostre Ordre enioint de les chasser pour que iamais une sœur n’en revoye la queue d’une, pendant tout le temps de sa vie conventuelle ?

— Non, respondit la novice.

— Ores bien, ie vais vous l’enseigner. Voyez-vous des puces ? Apercevez-vous vestiges de puces ? Sentez-vous odeur de puces ? Y ha-t-il aulcune apparence de puces en ma cellule ? Cherchez.

— Ie n’en treuve point, dit la petite novice, qui estoyt madamoiselle de Fiennes, et ne sens aultre odeur que la nostre !

— Faictes ce que ie vais vous dire, et ne serez plus mordue. Si tost que vous serez picquée, ma fille, besoing est de vous despouiller, de lever vostre chemise et ne point pécher en resguardant vostre corps partout. Vous ne debvez vous occuper que de la mauldicte puce en la cherchant avecques bonne foy, sans faire aulcune attention aux aultres chouses, ne pensant qu’à la puce et à la prendre, ce qui est desià une œuvre difficile, veu que vous pouvez vous tromper à de petites taches noires naturelles, venues en vostre peau par héritaige. En avez-vous, ma mignonne ?

— Oui, feit-elle. I’ai deux lentilles violettes, une à l’espaule et l’aultre dans le dos, ung peu bas ; mais elle est cachée dans la raye…

— Comment l’avez-vous veue ? demanda la sœur Perpétue.

— Ie n’en sçavoys rien : c’est monsieur de Montrezor qui l’ha descouverte.

— Ha ! ha ! dirent les sœurs, et n’ha-t-il veu que cela ?

— Il ha veu tout, feit-elle. I’estoys bien petite. Luy avoyt quelque chouse de plus que neuf ans, et nous nous amusions à iouer…

Lors, les religieuses cuydant s’estre trop pressées de rire, la sœur Ovide reprint : — La dessus dicte puce ha doncques beau saulter de vos iambes à vos yeulx, vouloir se musser dans les creux, dans les forests, dans les fossez, aller à val, à mont, s’entester à vous eschapper, la règle de la maison ordonne de la poursuivre couraigieusement en disant des ave. D’ordinaire, au troisiesme ave, la beste est prinse…

— La puce ? demanda la novice.

— Tousiours la puce ! respartit sœur Ovide ; mais, pour éviter les dangiers de ceste chasse, besoing est, en quelque lieu que vous mettiez le doigt sur la beste, de ne prendre qu’elle… Alors, sans avoir aulcun esguard à ses cris, à ses plainctes, à ses gémissemens, à ses efforts, à ses tortillemens, si, par adventure, elle se révolte, ce qui est ung cas assez fréquent, vous la pressez soubz vostre poulce, ou tout aultre doigt de la main occupée à la tenir, puis, de l’aultre main, vous cherchez une guimpe pour bender les yeulx de ceste puce et l’empescher de saulter, veu que la beste, n’y voyant plus clair, ne sçayt où aller. Cependant, comme elle pourroyt encores vous mordre et seroyt en cas de devenir enraigée de cholère, vous luy entr’ouvrez légierement le bec et y mettez délicatement ung brin du buys benoist qui est au petit benoistier pendu à vostre chevet. Alors la puce est contraincte de rester saige. Mais songez que la discipline de nostre Ordre ne nous octroye la propriété d’aulcune chouse sur terre, et que ceste beste ne sçauroyt vous appartenir. Ores, il vous faut penser que ce est une créature de Dieu, et tascher de la luy rendre plus agréable. Doncques, avant toute chouse, besoing est de vérifier trois cas graves, à sçavoir : si la puce est masle, si elle est femelle, si elle est vierge. Prenez que elle soit vierge, ce qui est trez rare, veu que ces bestes n’ont point de mœurs, sont toutes des galloises trez lascives, et se donnent au premier venu : vous saisissez ses pattes de derrière en les tirant de dessoubz son petit caparasson, vous les liez avecques ung de vos cheveulx, et la portez à la supérieure, qui décide de son sort après avoir consulté le Chapitre. Si ce est une masle…

— A quoy peut-on veoir qu’une puce est pucelle ? demanda la curieuse novice.

— D’abord, reprint la sœur Ovide, elle est triste et mélancholicque, ne rit pas comme les aultres, ne mord pas si dru, ha la gueule moins ouverte et rougit quand on la touche vous sçavez où…

— En ce cas, repartit la novice, i’ay esté mordue par des masles…

Sur ce, les sœurs s’esclaffèrent de rire tant et tant, que l’une d’elles feit ung pet en la-dieze, si druement attaqué, qu’elle en laissa cheoir de l’eau, et la sœur Ovide la leur monstra sur le planchier, disant :

— Voyez, il n’y ha point de vent sans pluye.

La novice en rit elle-mesme et cuyda que ces estouffades venoyent de l’apostrophe eschappée à la sœur.

— Doncques, reprint la sœur Ovide, si c’est une puce masle, vous prenez vos ciseaulx, ou la dague de vostre amant, si par hazard il vous l’ha baillée en souvenir de luy avant vostre entrée au convent. Brief, munie d’ung instrument trenchant, vous fendez avecques précaution le flanc de la puce. Attendez-vous à l’entendre iapper, tousser, cracher, vous demander pardon ; à la veoir se tordre, suer, faire des yeulx tendres, et tout ce qu’elle aura idée de faire pour se soustraire à ceste opération ; mais ne vous en estonnez point. Raffermissez vostre couraige en songiant que vous agissez ainsy pour mettre une créature pervertie dedans la voye du salut. Alors vous prenez dextrement la fressure, le foye, les poumons, le cueur, le gezier, les parties nobles, puis vous trempez le tout à plusieurs reprinses dedans l’eau benoiste en les y lavant, les y purifiant, non sans implorer l’Esprit sainct de sanctifier l’intérieur de ceste beste. Enfin, vous remettez promptement toutes ces chouses intestines dans le corps de la puce impatiente de les recouvrer. Estant, par ce moyen, baptizée, l’ame de ceste créature devient catholicque. Aussitost vous allez quérir une aiguille et du fil, et recousez le ventre de la puce avecques les plus grans mesnagemens, avecques des esguards, des attentions, pour ce que vous en debvez à vostre sœur en Jésus-Christ. Vous priez mesmes pour elle, soing auquel vous la verrez sensible par les génuflexions et resguards attentifs que la dame vous adressera. Brief, elle ne criera plus, n’aura plus envie de vous mordre, et il s’en rencontre souvent qui meurent de plaisir d’estre ainsy converties à nostre saincte religion. Vous vous comportez de mesmes à l’esguard de toutes celles que vous prenez ; ce que voyant, les aultres s’en vont, après s’estre estomirées de la convertie, tant elles sont perverses et ont grant paour de devenir ainsy chrestiennes

— Et elles ont bien tort asseurément, dit la novice. Est-il ung plus grant bonheur que d’estre en religion ?

— Certes, reprint la sœur Ursule, ici nous sommes à l’abry des dangiers du monde, et de l’amour, où il s’en rencontre tant…

— Est-ce qu’il y en ha d’aultres que celluy de faire intempestivement ung enfant ? demanda une ieune sœur.

— Depuis le nouveau règne, respondit sœur Ursule en hochant la teste, l’amour ha hérité de la lèpre, du feu Sainct-Anthoine, du mal des Ardens, de la plicque rouge, et en ha pilé toutes les fiebvres, angoisses, drogues, souffrances, dans son ioly mortier, pour en faire yssir ung effroyable mal dont le diable ha donné la recepte heureusement pour les convens, pour ce qu’il y entre ung numbre infiny de dames espouvantées, lesquelles se font vertueuses par paour de cet amour.

Là-dessus, toutes se serrèrent les unes contre les aultres, effrayées des paroles, mais voulant en sçavoir davantaige.

— Et il suffit d’aymer pour souffrir ? dit une sœur.

— Oh ! oui, mon doulx Iésus, s’escria la sœur Ovide.

— Vous aymeriez une paouvre petite foys ung ioly gentilhomme, reprint la sœur Ursule, que vous auriez la chance de veoir vos dents s’en aller une à une, vos cheveulx tomber ung à ung, vos ioues bleuir, vos cils se desplanter avecques des douleurs sans pareilles, et l’adieu de vos plus gentilles chouses vous couste bien chier. Il y a de paouvres femmes auxquelles vient une escrevisse au bout du nez, d’aultres ont une beste à mille pattes qui fourmille tousiours et ronge ce que nous avons de plus tendre. Enfin, le pape a esté obligé d’excommunier ceste nature d’amour.

— Ah ! que ie suis heureuse de n’avoir rien eu de tout cela ! s’escria bien gracieusement la novice.

En entendant ceste remembrance d’amour, les sœurs se doubtèrent que la susdicte s’estoyt ung peu desgourdie à la chaleur de quelque crucifix de Poissy, et avoyt truphé la sœur Ovide en se gaudant d’elle. Toutes se resiouirent d’avoir en elle une bonne robbe, bien gaye ; comme de faict elle estoyt, et luy demandèrent à quelle adventure elles debvoyent sa compaignie.

— Hélas ! dit-elle, ie me suis laissé mordre par une grosse puce qui avoyt ia esté baptizée.

A ce mot, la sœur au la-dieze ne put retenir ung second sospir.

— Ah ! dit la sœur Ovide, vous estes tenue de nous monstrer le troisiesme. Si vous parliez ce languaige au chœur, l’abbesse vous mettroyt au régime de la sœur Pétronille. Ainsy boutez une sourdine à vostre musicque.

— Est-il vray, vous qui avez cogneu la sœur Pétronille en son vivant, que Dieu lui avoyt impétré le don de n’aller que deux foys l’an à la chambre des comptes ? demanda la sœur Ursule.

— Oui, feit la sœur Ovide. Et il luy arriva ung soir de rester accropie iusques à matines, disant : « Ie suis là, à la voulenté de Dieu ! » Mais au premier verset, elle feut délivrée, pour qu’elle ne manquast point l’office. Néantmoins la feue abbesse ne vouloyt pas que cela vinst d’une espéciale faveur octroyée d’en hault, et disoyt que la veue de Dieu n’alloyt point si bas. Vécy le faict : deffuncte nostre sœur, dont nostre Ordre poursuict à ceste heure la canonisation en la court du Pape, et l’auroyt obtenue, s’il pouvoyt payer les loyaulx cousts du Bref, Pétronille doncques eut l’ambition d’avoir son nom escript au calendrier ce qui ne nuisoyt point à l’Ordre. Ores, elle se mit à vivre en prières, restoyt en ecstase devant l’autel de la Vierge qui est du costé des prez, et prétendoyt entendre apertement les anges voler en paradiz, si bien que elle en ha pu noter la musicque. Ung chascun sçait qu’elle y ha prins le gentil chant de Adoremus, dont aulcun homme n’auroyt pu treuver ung seul sospir. Elle demouroyt des iours entiers l’œil fixe comme une estoille, ieusnant et ne mettant pas plus de nourriture en son corps qu’il n’en peut tenir dedans mon œil. Elle avoyt fait vœu de ne iamais gouster de viande, ni cuicte, ni vifve, et ne mangeioyt que ung frusteau de pain par iour ; mais aux festes à doubles bastons, elle ioignoyt à son ordinaire un peu de poisson au sel, sans aulcun soupçon de saulce. A ceste diette, elle devint maigre elle-mesme, iaune comme saffran, seiche comme ung os de cimetière, veu que elle estoyt de complexion ardente, et ung qui auroyt eu l’heur de la congner en auroyt tiré du feu comme d’ung caillou. Cependant, si peu qu’elle mangeast, elle n’avoyt point pu se soustraire à une infirmité de laquelle nous sommes plus ou moins subiectes pour nostre malheur ou pour nostre bonheur, puisque, si ce n’estoyt pas, nous pourrions estre bien embarrassées. Ores, ceste chouse est l’obligation d’expulser villainement, et après le repas, comme tous les animaulx, ung bran plus ou moins gracieux selon les personnes. Ainsi, sœur Petronille différoyt des aultres en ce qu’elle fiantoyt sec et dur qu’auriez dict des crottes de biche en amour, lesquelles sont bien les coctions les mieulx cimentées que aulcuns geziers produisent, si, par adventure, vous en avez rencontre sous vos pieds en ung sentier de forest. Aussi, pour leur dureté, sont nommées des nouées en langaige de haulte venerie. Cecy de sœur Petronille n’estoyt doncques point surnaturel, veu que les ieusnes entretenoyent son tempérament en cuisson permanente. Suyvant les vieilles sœurs, sa nature estoyt si bruslante, que en la mettant dans de l’eaue elle y faisoyt frist comme ung charbon. Il y ha eu des sœurs qui l’ont accusée de cuire secrettement des œufs, la nuict, entre ses deux orteils, afin de supporter ses austeritez. Mais c’estoyent des maulvaisetez inventées pour ternir ceste grant saincteté dont les aultres moustiers concevoyent ialousie. Nostre sœur estoyt pilottée en la voye du salut et perfection divin par l’abbé de Sainct-Germain-des-Prez de Paris, sainct homme, lequel finoyt tousiours ses advis par ung darrenier, qui disoyt d’offrir à Dieu toutes nos peines et de nous soubmettre à ses voulentez, veu que rien n’arrivoyt sans son exprès commandement. Cette doctrine, saige en apparence, ha donné matière à grosses controverses et a esté finablement condamnée sur l’advis du cardinal de Chastillon, lequel ha prétendu qu’alors il n’y auroyt plus de péchez, ce qui pourroyt amoindrir les revenus de l’Ecclise. Mais sœur Petronille vivoyt imbue de ceste sentence sans en cognoistre le dangier. Après le quaresme et les ieusnes du grant iubilé, pour la première foys depuis huict mois, elle eust besoing d’aller en la chambre dorée, et, de faict, y alla. Puis là, relevant honnestement ses cottes, elle se mit en debvoir et posture de faire ce que nous paouvres pécheresses faisons ung peu plus souvent. Ainsi la sœur Petronille n’eut d’aultre valiscence que d’expectorer un commencement de la chouse, qui la tint en haleine, sans que le reste voulust yssir du réservoir. Encores qu’elle tortillast son bagonisier, jouast des sourcils et pressast tous les ressorts de la machine, son hoste preferoyt demourer dans ce benoist corps, mettant seulement la teste hors la fenestre naturelle, comme grenouille prenant l’aër, et ne se sentoyt nulle vocation de tomber en la vallée de misère, parmy les aultres, alléguant qu’il n’y seroyt point en odeur de saincteté. Et il avoyt du sens pour ung simple crottin qu’il estoyt. La bonne saincte, ayant usé de toutes les voyes coërcitives iusqu’à enfler oultre mesure ses muscles buccinateurs et bender les nerfs de sa face maigre de manière à les faire saillir, recogneut que nulle souffrance au monde n’estoyt si griefve, et sa douleur atteignant l’apogée des affres sphinctérielles : « O mon Dieu ! dit-elle en poulsant de rechief, ie vous l’offre ! » Sur ceste oraison, la matière pierreuse se cassa net au razibus de l’orifice et choppa comme ung caillou contre les murs du privé, faisant croc, croc, croooc, paf ! Vous comprenez, mes sœurs, qu’elle n’eut aulcun besoing de mouschecul, et remit le reste à l’octave.

— Adoncques elle voyoyt les anges ? dit une sœur.

— Ont-ils ung derrière ? demanda une aultre.

— Mais non, feit Ursule. Ne sçavez-vous point que en ung iour d’assemblée, Dieu leur ayant ordonné de se seoir, ils luy respondirent qu’ils n’avoyent point de quoy.

Là-dessus, elles allèrent se couchier, les unes seules, les aultres presque seules. C’estoyent de bonnes filles qui ne faisoyent de tort qu’à elles.

Ie ne les quitteray point sans raconter une adventure qui eut lieu dans leur maison, quand la réforme y passa l’esponge et les feit toutes sainctes, comme ha esté dessus dict. En cettuy temps, doncques, il y avoyt au siège de Paris ung véritable sainct qui ne sonnoyt point ses œuvres avecques des crecelles, et n’avoyt de soulcy que des paouvres et souffreteux, lesquels il logioyt dans son cueur de bon vieulx évesque, se mettoyt en oubly pour les gens endoloris, estoyt en queste de toutes les misères affin de les panser en paroles, en secours, en soings, en argent, selon l’occurrence, advenant en la male heure des riches comme en celle des paouvres, raccoustrant leurs ames, leur ramentevant Dieu, s’employant des quatre fers à veigler sur son troupeau, le chier bergier ! Doncques ce bon homme alloyt nonchalant de ses soutanes, manteaulx, braguettes, pourveu que les membres nuds de son Ecclise feussent couverts. Et il estoyt charitable à se boutter en gaige pour saulver mesmes ung mescréant de la poine. Ses serviteurs estoyent contraincts de songier à luy. Souvent il les rabbrouoyt quand iceulx luy changeoyent, sans en estre requis, ses vestemens rongez pour des neufs, et il souloyt les faire rapetasser iusques in extremis. Ores, ce bon vieulx archevesque sceut que le feu sieur de Poissy laissoyt une fille sans sou ne maille, après en avoir mangié et aussy beu, voir ioué la légitime. Laquelle damoiselle demeuroyt en ung bouge, sans feu en hyver, sans cerizes au printemps, laborant à menus ouvraiges, ne voulant point se mésallier ni vendre sa vertu. En attendant qu’il rencontrast ung ieune espoux dont il la pust fournir, le prélat conceut de luy en envoyer le moule dans la personne de ses vieilles braguettes à raccommoder, ouvraige que la paouvre damoiselle feut moult heureuse d’avoir dans son desnuement de tout. Doncques, ung iour que l’archevesque déliberoyt à part luy se rendre au couvent de Poissy, pour veigler auxdictes filles réformées, il bailloyt à ung sien serviteur le plus vieulx de ses hault-de-chausses, qui imploroyt ung racoustraige. « Portez cecy, Saintot, aux demoiselles de Poissy… », dit-il. Nottez que il cuidoyt dire à mademoiselle de Poissy. Et, comme il songioyt aux affaires du cloistre, il n’enseigna point à son varlet le logis de ladicte damoiselle, dont il avoit discrettement celé la situation désespérée.

Saintot prind le hault-de-chausses à braguette et s’achemine vers Poissy, gay comme ung hoche-queue, s’arrestant avecques les amys qu’il rencontre en chemin, festant le piot chez les cabaretiers en faisant veoir bien des chouses à la braguette de l’archevesque, laquelle put s’instruire en ce voyaige. Brief, il arrive au moustier de Poissy, et dict à l’abbesse que son maistre l’ha envoyé devers elle pour luy remettre cecy. Puis, le varlet s’en va, laissant à la révérende mère le vestement habitué à modeler en relief les proportions archiépiscopales de la continente nature du bon homme, selon la mode du temps, oultre l’imaige de ces chouses dont le Père éternel ha privé ses anges, et qui ne péchoiyent point par ampleur chez le prélat. Madame l’abbesse ayant advisé les sœurs d’un prétieux messaige du bon archevesque, elles vindrent en haste, curieuses et affairées comme fourmys en la respublicque desquelles tombe une bogue de chastaigne. Lors, au despacqueter de la braguette, qui s’entrebailla trez-horrificquement, elles s’esclamèrent, se voilant les yeulx d’une main, en appréhension de veoir yssir le diable, l’abbesse ayant dict : « Mussez-vous, mes filles : cecy est la demeure du péché mortel. »

La mère des novices coulant ung resguard entre ses doigts, raffermit le couraige du sainct clappier en iurant par ung ave que aulcune beste vivante n’estoyt logiée en ceste braguette. Lors, toutes rougirent à leur aise en considérant cet Habitavit, songiant que peut-estre la voulenté du prélat estoyt que elles y descouvrissent quelque saige admonition ou parabole évangélicque. Ores, encores que ceste veue feist certains ravaiges au cueur de ces trez-vertueuses filles, elles ne tinrent aulcun compte des tresmoussemens de leurs fressures et gectant ung peu d’eaue benoite au fund de cet abysme, une y touchant, l’aultre y passant le doigt en ung trou, toutes s’enhardirent à le veoir. Mesmes, ha-t-on prétendu, l’abbesse treuva, la prime estouffade dissipée, une voix non esmeue pour dire : — Qu’y ha-t-il au fund de cela ? En quelle intention nostre père nous envoye-t-il ce qui consomme la ruyne des femmes ?

— Vécy quinze ans, ma mère, que ie ne avoys eu licence de veoir la bougette au démon.

— Taisez-vous, ma fille, vous m’empeschez de songier raisonnablement à ce qu’il est prudent de faire.

Lors, tant feut tournée et retournée, flairée, soubzpoisée, mirée et admirée, tirée et destirée, mise sens dessus dessoubz, ladicte braguette archiépiscopale ; tant en feut délibéré, parlé, tant y feut pensé, tant y feut resvé la nuict, le iour, que le lendemain une petite sœur dit après avoir chanté les matines, en lesquelles le couvent obmit un verset et deux respons : — Mes sœurs, i’ay treuvé la parabole de l’archevesque. Il nous ha baillé, par mortification, son hault-de-chausses à raccommoder, en sainct enseignement de fuir l’oisiveté, mère abbesse de tous les vices.

Là-dessus, ce feut à qui mettroyt la main aux chausses de l’archevesque ; mais l’abbesse usa de sa haulte authorité pour se réserver les méditations de ce rhabillage. Et si s’employa-t-elle avecques la soubz-prieure, pendant plus de dix iours, à parfiler ladicte braguette, y passer des soyes, faire de doubles ourlets bien cousus en toute humilité. Puis, le Chapitre assemblé, feut conclud que le couvent tesmoigneroyt, par un gentil souvenir, son heur audict archevesque de ce que il songioyt à ses filles en Dieu. Doncques, toutes, iusques à la plus novice, eut à faire ung labeur en ces chausses de hault entendement, à ceste fin d’honorer la vertu du bon homme.

Pendant ce, le prélat avoyt tant de pois à ramer, que il mit ses chausses en oubly. Vécy comme. Il feit cognoissance d’ung seigneur de la Court, lequel ayant perdu sa femme, vicieuse en diable et brehaigne, dit au bon prebstre que il avoyt la grant ambition d’en vouloir une saige, conficte en Dieu, avecques laquelle il eust la chance de n’estre point brancheyé, d’avoir de beaulx et bons enfans, et deziroyt la tenir de sa main, ayant fiance en luy. Ores, le sainct homme luy feit si grant estat de mademoiselle de Poissy, que ceste belle devint tost madame de Genoilhac. Les nopces se célébrèrent en l’archevesché de Paris, où il y eut ung festin de qualitez et une table bordée de dames de hault lignaige, beau monde de la Court, où l’espousée parut la plus belle, veu que il estoyt seur que elle feust pucelle, l’archevesque se portant guarant de sa fleur.

Lorsque les fruicts, compotes et pastisseries, feurent, avecques force ornemens, sur la nappe, Saintot dit à l’archevesque : — Monseigneur, vos bien-aymées filles de Poissy vous envoyent ung beau plat pour le milieu.

— Plantez-le ! feit le bon homme en admirant le hault édifice de veloux, de satin, brodé de cannetilles et babans en manière de vase anticque, dont le couvercle exhaloyt odeurs superfines.

Aussytost l’espousée, le descouvrant treuva sucreries, dragées, massepains et mille confictures délicieuses dont se resgallèrent les dames. Puis une d’elles, quelque dévote curieuse, apercevant une aureillette en soye et l’attirant à elle fait veoir à l’aër l’habitacle de la boussole humaine, à la grant confusion du prélat, veu que mille rires esclatèrent comme une escopetterie sur tous les bancs.

— Bien en ha-t-on faict le plat du milieu, feit le marié. Ces damoiselles sont de saige entendement. Là sont les sucreries du mariaige.

Y-a-t-il meilleures moralitez que ce que ha dict monsieur de Genoilhac ? Aussy point n’en fault aultre.




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