Les Contes drolatiques/II/Le Ieusne de Françoys premier


LE IEUSNE DE FRANÇOYS PREMIER



Ung chascun sçayt par quelle adventure le Roy Françoys premier du nom feut prins comme ung oyseau niais et mené dedans la ville de Madrid en Hespaigne. Là, l’empereur Charles cinquiesme le serra trez estroictement, ainsi que chouse d’ung hault prix, en ung sien chasteau, ce dont nostre deffunct maistre, d’éterne mémoire, conceut beaucoup d’ennuy veu qu’aymant le grant aër, ses aises et tout, il ne s’entendoyt pas plus à demourer en caige qu’une chatte à renger des dentelles. Aussy tomba-t-il en des tristifications si estranges que, ses lettres leues en plein conseil, madame d’Angoulesme, sa mère ; madame Catherine, la Daulphine ; le cardinal Duprat, monsieur de Montmorency et ceulx qui avoyent en charge l’Estat de France, cognoissant tous la haulte paillardise du Roy, feurent d’advis, après meure délibération, de luy députer la royne Margueritte, de laquelle il recevroyt seurement allégeance en ses soulcys, la bonne dame estant bien aymée de luy, ioyeulse et docte en toute sapience. Mais, elle, alléguant qu’il s’en alloyt de son ame, pour ce qu’elle ne sçauroyt sans grant dangier estre seule avecques le Roy en sa geole, il feut despesché devers la Court de Rome ung secrétaire habile, le sieur de Fizes, avecques mandat d’impétrer du Pontife ung brief d’espéciales indulgences, contenant valables absolutions des légiers péchez que, veu la consanguinité, pourroyt faire ladicte Royne en veue de guarrir la mélancholie du Roy.

En ce temps, le Batave Hadrien VII chaussoyt encores la tiare, lequel, bon compagnon au demourant, ne mit point en oubly, maulgré les liens scholasticques qui l’unissoyent à l’Empereur, que il s’agissoyt du fils aisné de l’Ecclise catholicque, et eut la guallantise d’envoyer en Hespaigne ung exprès légat muny de pleins pouvoirs à ceste fin d’adviser à saulver, sans trop nuyre à Dieu, l’ame de la Royne et le corps du Roy. Ceste affaire de griefve urgence mit martel en teste aux seigneurs de la Court et desmangeaison entre les pieds des dames, lesquelles, par grant dévouement envers la couronne, se feussent presque toutes offertes d’aller à Madrid, n’estoyt la noire deffiance de Charles-Quint, qui ne laissoyt point au Roy licence de veoir aulcuns de ses subiects ni mesmes les gens de sa famille. Aussy feut-il besoing de négocier le départ de la Royne de Navarre. Doncques, il n’estoyt bruit que de ce ieusne desplourable et du deffault d’exercice amoureux si contraire à ung prince qui en estoyt si grant coustumier. Brief, de plaincte en querimonie, les femmes finèrent par plus penser à la braguette du Roy qu’à luy-mesme. La Royne feut première à dire que elle soubhaitoyt avoir des aësles. A ce respondit monseigneur Odet de Chastillon que elle n’avoyt point besoing de ce pour estre ung ange. Une, ce feut madame l’Amirale, s’en prenoyt à Dieu de ne pouvoir envoyer en courrier ce qui deffailloyt tant au paouvre sire, veu que chascune d’elles le presteroyt à son tour.

— Dieu ha bien faict de les clouer, s’escria gentement la Daulphine, car nos marys nous lairroyent, en leurs absences, bien traistreusement despourveues.

Tant feut dict, tant feut pensé, que la Royne des Marguerites feut, à sa departie, enchargiée par ces bonnes chrestiennes de bien baiser le captif pour toutes les dames du royaulme ; et, s’il leur eust esté loysible de faire provision de liesse comme de moutarde, la Royne en eust esté encombrée à en vendre aux deux Castilles.

Ce pendant que madame Marguerite passoyt les monts, maulgré les neiges, à grand renfort de mules, courant à ces consolations comme au feu, le Roy se trouvoyt arrivé à la plus ardue pesanteur de reins où il devoyt estre en sa vie. Dans ceste extresme réverbération de nature, il s’ouvrit à l’Empereur Charles-Quint, à ceste fin d’estre pourveu d’ung miséricordieux spécifique, luy obiectant que ce seroyt honte esternelle à ung Roy d’en laisser mourir ung aultre, faulte de guallanterie. Le Castillan se monstra bon homme. Ores, pensant que il pourroyt se récupérer de ses Hespaignoles sur la ransson de son hoste, il arraisonna brouillificquement les gens commis à la guarde de son prisonnier, leur baillant licence occulte de luy complaire en cela. Doncques, ung certain don Hiios de Lara y Lopez Bara di Ponto, paouvre capitaine, desnué d’escuz maulgré sa généalogie, et qui songioyt depuis ung temps à quérir fortune en la Court de France, cuyda qu’en procurant au dict seigneur ung doux cataplasme de chair vifve il s’ouvriroyt une porte honnestement féconde, et de faict, ceux qui cognoissoient et la Court et le bon Roy sçavent s’il se trompoyt.

Quand le dessus dict capitaine vint à son tour de roole en la chambre du Roy de France, il luy demanda respectueusement si son bon plaisir estoyt de luy permettre une interrogation dont il estoyt curieux autant que d’indulgences papales. A quoy le prince, quittant sa mine hypocondriacque et se mouvant en la chaire où il estoyt sis, feit signe de consentement. Le capitaine luy dit de ne point s’offenser de la licence de son languaige ; puis, luy advouant qu’il avoyt renom d’estre, luy Roy, ung des plus grans paillards de France, il vouloyt sçavoir de luy-mesme si les dames de sa Court estoyent bien expertes en amour. Le paouvre Roy, se ramentevant ses bons coups, lascha ung sospir tiré de creux et dit nulles femmes d’aulcuns pays, y compris celles de la lune, ne cognoistre mieulx que les dames de France les secrets de cette alquémie, et que, au soubvenir des savoureuses, gracieuses et vigoureuses mignardises d’une seule, il se sentoyt homme, si elle luy estoyt lors offerte, à la ferrer avecques raige, sur ung aiz pourry, à cent pieds au-dessus d’ung précipice…

En ce disant, ce bon Roy, ribauld si iamais il en feut, gectoyt la vie et la flamme par les yeulx, si druement, que le capitaine, quoique brave, en sentit des tresmoussemens intimes dedans sa fressure, tant flamba la trez sacrée maiesté de l’amour royal. Mais, retreuvant son couraige, il print la deffense des dames hespaignoles, se iactant que, en Castille seulement, faisoyt-on bien l’amour, pour ce qu’il y avoyt plus de religion qu’en aulcun lieu de la chrestienté, et que, tant plus les femmes y avoyent paour de se damner en s’adonnant à ung amant, tant mieux elles y alloyent, saichant que elles debvoyent prendre plaisir en la chouse pour toute l’éternité. Puis il adiouxta que, si le Seigneur Roy vouloyt gaiger une des meilleures et plus prouffictables seigneuries terriennes de son royaulme de France, il luy donneroyt une nuictée d’amour à l’hespaignole, en laquelle une Royne fortuite luy tireroyt l’ame par sa braguette, s’il n’y prenoyt guarde.

— Tost ! tost ! feit le Roy se levant de sa chaire. Ie te bailleray, de par Dieu, la terre de la Ville-aux-Dames, en ma province de Touraine, avecques les plus amples priviléges de chasse et de haulte et basse iustice.

Lors le capitaine, qui cognoissoyt la Dona du cardinal archevesque de Tolède, la requit de rouer de tendresse le Roy de France, et luy desmonstrer le hault avantaige des imaginations castillanes sur le simple mouvement des Françoyses. A quoy consentit la marqueza d’Amaesguy pour l’honneur de l’Hespaigne, et aussy pour le plaisir de sçavoir de quelle paste Dieu faisoyt les roys, veu que elle l’ignoroyt, n’en estant encores qu’aux princes de l’Ecclise. Doncques, elle vint, fougueuse comme un lion qui ha brisé sa caige, et feit craquer les os, la moëlle du Roy et tout si druement, qu’ung aultre en seroyt mort. Mais le dessus dict seigneur estoyt si bien guarny, si bien affamé, si bien mordant, que il ne se sentit point mordre, et de ce duel horrificque la marqueza sortit quinaulde, cuydant avoir eu le diable à confesser.

Le capitaine, confiant en sa guaisne, s’en vint saluer son seigneur, pensant à luy faire hommaige de ce fief. Lors le Roy lui dit en manière de raillerie que les Hespaignoles estoyent d’assez bonne température, qu’elles y alloyent druement, mais que elles mettoyent trop de phrenesie là où besoing estoyt de gentillesse, et qu’il cuydoyt à chasque gaudisserie que ce feust ung esternuement ou ung cas de viol, brief, que les accointances françoyses y ramenoyent le beuveur plus altéré, ne se lassant iamais, et que avecques les dames de sa court l’amour estoyt une doulceur sans pareille, et non labeur de maistre mitron en son pestrin.

Le paouvre capitaine feut estrangement picqué de ce languaige. Maulgré la belle foy de gentilhomme dont le Roy faisoyt estat, il crut que le sire vouloyt le gabeler comme ung escholier robbant une transon d’amour en ung clappier de Paris. Néantmoins, ne saichant, au demourant, si la marqueza n’avoyt point par trop hespaignolé le Roy, il demanda revanche au captif, luy baillant sa parole que il auroyt, pour le seur, une vraye fée, et luy gaigneroyt son fief. Le Roy estoyt trop courtois et guallant chevalier pour ne point octroyer ceste requeste, et adiouxta mesmes une gentille parole royale, en tesmoignant le dezir de perdre la gageure. Doncques, après vespres, le guarde passa toute chaulde, en la chambre du Roy, la dame la plus blanchement reluysante, la plus mignonnement folastre, à longs cheveulx, à mains velouxtées, enflant sa robbe au moindre geste, veu que elle estoyt gracieusement rebondie, ayant une bouche rieuse et des yeulx humides par advance, femme à rendre l’enfer saige, et dont la prime parole eut telle puissance chordiale, que la brayette du Roy en cracqueta. Lendemain, alors que la belle feut évadée après le désieuner du Roy, le bon capitaine vint bien heureux et triumphant en la chambre.

A sa venue, le prisonnier de s’escrier :

— Baron de la Ville-aux-Dames, Dieu vous procure ioyes pareilles ! I’ayme ma geole ! par nostre Dame, ie ne veulx point iuger entre l’amour de nos pays, mais paye la gageure.

— Ie le sçavoys bien ! dit le capitaine.

— Et comment ? feit le Roy.

— Sire, c’est ma femme.

Voilà l’origine des Larray de la Ville-aux-Dames en nostre pays, veu que, par corruption de nom, celui de Lara y Lopez fina par se dire Larray. Ce feut une bonne famille, bien affectionnée au service des Roys de France, et qui ha moult frayé. Bientost la Royne de Navarre vint à temps pour le Roy, qui, se desgoustant de la manière hespaignole, vouloyt se gaudir à la françoise ; mais le surplus n’est point le subject de ce conte. Ie me réserve de dire ailleurs comme s’y print le légat pour espongier les péchez de la chouse, et le gentil mot de nostre Royne des Marguerites, laquelle mérite une niche de saincte en ces Dixains, elle qui, première, feit de si beaux contes. Les moralités de cettuy sont de facile entendement.

En prime enseignement, les roys ne doibvent point se laisser prendre en guerre plus que leur archétype au ieu du sieur Palamedes. Mais, de ce, il conste que ce est une bien calamiteuse et horrificque playe tombée sur le populaire que la captivité de son Roy. Si c’eust esté une royne, ou mesmes une princesse, quel pire destin ! Mais aussy ie cuyde que, voire chez les cannibales, la chouse n’advindroyt point. Y ha-t-il iamais raison d’emprisonner la fleur d’ung royaulme ? Ie pense trop bonnes diableries de Astaroth, Lucifer et aultres, pour imaginer que, eulx régnant, ils voulussent musser la ioie de tous, la lumière bien faisante à quoy se chauffent les paouvres souffreteux. Et besoing estoyt que le pire des diables, id est une vieille meschante femme héréticque se rencontrast en ung throsne, pour detenir la iolie Marie d’Escosse à la honte de tous les chevaliers de la chrestienté, lesquels debvroyent estre advenus, tous sans assignation, aux pieds de Fotheringay, n’en laissant aulcune pierre.