Les Contemporains/Quatrième série/Emile Zola

Société française d’imprimerie et de librairie (Quatrième sériep. 263-289).

M. ÉMILE ZOLA

« L’OEUVRE ».


J’ai essayé de définir[1] il y a un an, l’impression que faisaient sur moi, pris dans leur ensemble, les romans de M. Émile Zola. Or, bien que nous soyons, nous et le monde, dans un flux perpétuel, et qu’il y ait d’ailleurs quelque plaisir à changer (d’abord on jouit ainsi des choses en un plus grand nombre de façons, et puis cette faculté de recevoir du même objet des impressions diverses peut aussi bien passer pour souplesse que pour légèreté d’esprit), toutefois, et je le dis à ma honte, je n’ai pas assez changé dans cet espace d’une année pour avoir rien d’essentiel à ajouter à ce que j’ai dit déjà. Mais du moins le nouveau livre du poète des Rougon-Macquart m’a donné la joie d’assister au développement prévu de ce génie robuste et triste, de retrouver sa vision particulière, ses habitudes d’esprit et de plume, ses manies et ses procédés, d’autant plus faciles à saisir cette fois que le sujet où ils s’appliquent appelait peut-être une autre manière et se présentait plutôt comme un sujet d’étude psychologique (je risque le mot, quoiqu’il soit de ceux que M. Zola ne peut entendre sans colère).

Et le livre présente encore un autre intérêt, et des plus rares. M. Zola s’y est peint en personne. À côté de Claude Lantier, l’artiste impuissant tué par son œuvre, il nous montre Sandoz, l’artiste triomphant qui vit d’elle parce qu’il a su la faire vivre. Le vertueux romancier naturaliste qu’on entrevoyait dans Pot-Bouille, le monsieur du second, le seul locataire propre de la maison de la rue Choiseul, traverse l’Oeuvre à la façon d’un bon Dieu, faisant le bien et prononçant des discours. Nous savons donc sous quels traits M. Zola se voit comme homme et, ce qui nous touche davantage, comme romancier ; nous savons ce qu’il est ou ce qu’il croit être. L’auteur lui-même, dans ce précieux roman, nous enseigne comment il conçoit le roman ; et nous avons à la fois sous les yeux ce qu’il a fait et ce qu’il a voulu faire.


I.

Voici le plus complet des discours où Sandoz expose ses théories :

« Hein ? étudier l’homme tel qu’il est, non plus leur pantin métaphysique, mais l’homme physiologique, déterminé par le milieu, agissant sous le jeu de tous ses organes… N’est-ce pas une farce que cette étude continue et exclusive de la fonction du cerveau, sous prétexte que le cerveau est l’organe noble ?… La pensée, la pensée, eh ! tonnerre de Dieu ! la pensée est le produit du corps entier. Faites donc penser un cerveau tout seul, voyez donc ce que devient la noblesse du cerveau quand le ventre est malade !… Non ! c’est imbécile ; la philosophie n’y est plus, la science n’y est plus ; nous sommes des positivistes, des évolutionnistes, et nous garderions le mannequin littéraire des temps classiques, et nous continuerions à dévider les cheveux emmêlés de la raison pure ! Qui dit psychologue dit traître à la vérité. D’ailleurs, physiologie, psychologie, cela ne signifie rien : l’une a pénétré l’autre, toutes deux ne sont qu’une aujourd’hui, le mécanisme de l’homme aboutissant à la somme totale de ses fonctions… Ah ! la formule est là ; notre révolution moderne n’a pas d’autre base ; c’est la mort fatale de l’antique société, c’est la naissance d’une société nouvelle, et c’est nécessairement la poussée d’un nouvel art, dans ce nouveau terrain… Oui, on verra la littérature qui va germer pour le prochain siècle de science et de démocratie ! »


Si vous voulez mon sincère avis, je trouve que ces propos sentent à plein la secte et l’école. Il y a du pédantisme dans ce débraillé, et de la naïveté dans ces affirmations méprisantes et superbes, il est difficile de rien imaginer de plus intolérant, de plus vague et de plus faux. Le bon Sandoz se grise de grands mots (positivistes, évolutionnistes), comme un illettré dans une réunion publique. Saisissez-vous clairement la relation entre l’avènement de la démocratie et celui du naturalisme, qui est une littérature d’aristocrates et de mandarins ? — « Qui dit psychologue dit traître à la vérité », voilà une opinion d’une singulière candeur. Il suffit de dire que la psychologie n’est pas toute la vérité. Mais la physiologie seule l’est encore moins. Il est tout à fait puéril de diviser les romanciers en psychologues, tous idiots ou charlatans, et en physiologistes, seuls peintres du vrai. Au fond, il y a de bons et de mauvais romanciers ; et, parmi les bons, il y en a qui expriment surtout le monde extérieur et les sensations, et d’autres qui analysent de préférence les sentiments et les pensées ; et ceux-ci ne sortent pas plus de la réalité que ceux-là. Me pardonnera-t-on de répéter des choses aussi banales ? Mais c’est que pour ce brave Sandoz, la psychologie est je ne sais quoi d’absurde, de suranné, de ridicule, de gothique, de tout à fait en dehors du monde réel. Or la psychologie est tout uniment, pour les philosophes, l’étude expérimentale des facultés de l’esprit, et, pour le romancier, la description des sentiments que doit éprouver une créature humaine, étant donnés son caractère, son tempérament s’il y a lieu, et une situation particulière. Est-ce donc quelque chose de si chinois et de si scolastique ? Il y a, pour le moins, autant de psychologie que de physiologie dans Balzac ; il y en a plus dans Stendhal : et je ne pense pas pourtant que ni l’un ni l’autre se soient amusés à « dévider les cheveux emmêlés de la raison pure ». Au fait, qu’est-ce que cela veut dire ? Adolphe est aussi vrai que Germinal, et même Indiana que Nana. Ce ne sont pas les mêmes personnages ni le même point de vue, voilà tout. Il est très juste de dire que « physiologie, psychologie, cela ne signifie rien », qu’on ne saurait les séparer absolument, et que celle-ci est le prolongement de celle-là (le caractère dépendant du tempérament et quelquefois du milieu, et tout sentiment ayant son point de départ dans une sensation). Seulement il y a des êtres primitifs chez qui ce prolongement n’est presque rien, et d’autres plus raffinés chez qui ce prolongement est presque toute la vie. Dans ce dernier cas, je ne vois pas pourquoi il serait interdit de sous-entendre une partie des origines physiologiques de l’état d’âme et d’esprit qu’on veut analyser, et de faire de cette analyse son objet principal. M. Paul Bourget, en écrivant Un crime d’amour, est resté en pleine réalité. Et on est tenté parfois de trouver cette étude du réel invisible aussi attachante que celle du visible réel. Sandoz rapetisse étrangement le domaine de l’art, et, ce qu’il y a de curieux, c’est que cet enragé croit l’agrandir ! Ah ! que le monde est donc plus vaste, plus profond, plus varié et plus amusant qu’il ne le voit ! Et que les états de certaines âmes sont plus intéressants en eux-mêmes que les événements extérieurs qui les « conditionnent » ! J’ai peur que le bon Sandoz n’ait jamais vu que la surface grossière de la vie et son écorce. Je suis charmé que le naturalisme soit venu : il a fait une besogne utile et peut-être nécessaire ; mais quelle horreur et quel ennui, Dieu juste ! s’il n’y avait plus au monde que des romanciers naturalistes ! Déjà même le naturalisme paraît « dater », est presque aussi vieux que le romantisme : tout va si vite aujourd’hui ! Et parmi les naturalistes il n’y a guère que M. Zola qui m’attire encore ; mais ce qui est vivant en lui, ce n’est pas son naturalisme, c’est lui-même.


II.

Ce que je vois de plus clair dans la déclaration de principes un peu trouble de Zola-Sandoz, c’est qu’il aspire à mettre dans ses romans plus de vérité qu’on n’avait fait avant lui. Or, à chaque livre nouveau du puissant romancier, je doute davantage qu’il y ait réussi. N’est-ce pas M. Zola lui-même qui, bien inspiré ce jour-là, a dit que l’art était « la réalité vue à travers un tempérament » ? Eh bien, son œuvre est assurément de celles où la réalité se trouve le plus profondément transformée par le tempérament de l’artiste. Son observation est souvent vision ; son réalisme, poésie sensuelle et sombre. Notez que ce sont là des constatations et non point des reproches. Si M. Zola ne fait pas toujours ce qu’il croit faire, je m’en réjouis, car ce qu’il fait est magnifique et surprenant. Voyez comment, dans son dernier roman, un drame tout moral et tout intime se tourne peu à peu en un poème symbolique, grandiose et tout matériel.

L’histoire, la voici en deux mots. Le peintre Claude Lantier, génie novateur et incomplet, rencontre sur son chemin une fille charmante, Christine, qui l’adore et lui est passionnément dévouée. Il l’aime un temps, puis est repris par la peinture, se détache de sa compagne, la fait horriblement souffrir sans le savoir, et, après des années d’efforts douloureux et d’essais avortés, convaincu enfin et désespéré de son impuissance, se pend devant son grand tableau inachevé. — Le milieu où se déroule le drame, c’est le monde des artistes (peintres, sculpteurs, hommes de lettres). — L’époque, c’est la fin du second empire.

La date même de l’action nous fait déjà soupçonner que les théories de Sandoz ne seront pas aussi rigoureusement appliquées ici que se l’imagine M. Zola. C’est bien loin, le second empire. Et M. Zola s’est enlevé le droit d’en sortir. Il n’y a pas d’exemple qu’un écrivain se soit chargé de plus de chaînes et enfermé dans une prison plus étroite que ce superbe romancier. Balzac, du moins, ne s’est jamais interdit les sujets immédiatement contemporains et n’a découvert qu’après coup et sur le tard le plan de la Comédie humaine. Mais M. Zola est captif d’une doctrine, captif d’une époque, captif d’une famille, captif d’un plan. Il semble que la meilleure condition pour écrire des romans vrais, ce soit de vivre en pleine réalité actuelle et de laisser les sujets vous venir d’eux-mêmes : M. Zola vit depuis des années loin de Paris, en ermite, dans une solitude farouche. Il ne voit plus rien, n’entend plus rien. Le monde a changé en seize ans : lui ne bouge ; il ne lève plus de dessus son papier à copie sa face congestionnée. Il ne songe même plus à regarder par-dessus la haie que font autour de lui les Rougon-Macquart. Il a sa tâche, qu’il accomplira. Il faut qu’il mène jusqu’au bout « l’histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second empire ». Il faut qu’il épuise toutes les classes, toutes les conditions, toutes les professions. Après les artistes, il « fera » les paysans ; après les paysans, les soldats, et ainsi de suite. Pour documents il n’a (car il s’agit toujours, ne l’oubliez pas, du second empire) que les souvenirs et les impressions de sa jeunesse, des impressions nécessairement incomplètes et effacées ou déformées par le temps. Et ce reclus, cet homme de cabinet qui s’impose des « matières » à mettre en romans, c’est lui qui vient nous parler d’observation directe, scientifique, de vérité intégrale, implacable, et autres rengaines ! Je sais bien que, grâce à Dieu, sa puissante imagination vivifie ses vieilles notes et ses souvenirs défraîchis et qu’il invente terriblement ! Alors, qu’il avoue donc enfin que ses romans, s’ils sont aussi « vrais » que tant d’autres, ne le sont guère plus, et que le naturalisme est une bonne plaisanterie ; car ou il n’est rien, ou il est à peu près aussi vieux que le monde. Mais M. Zola ne l’avouera jamais ; il mourra sans l’avouer.

Pour en revenir à l’Oeuvre, si les artistes qu’on nous y montre ont peut-être les allures et le langage de ceux du second empire, ils ressemblent assez peu à ceux d’aujourd’hui. Ce sont des animaux disparus, des types reconstitués. Ils sont, dans leur genre, aussi éloignés de nous que les artistes chevelus et romantiques de 1830. Ils ont tous l’air de fous. Ils ont des gestes et des attitudes de maçons et de terrassiers allumés. Ils ne peuvent dire une phrase sans y mettre un « nom de D… ». Ils vocifèrent, ils « gueulent » tout le temps. Ils ont une fausse simplicité, une fausse grossièreté, un faux débraillé, une outrance bête, qui nous sont aujourd’hui insupportables. Ils parlent peinture ou littérature avec les mêmes cris, les mêmes tapes sur l’épaule, les mêmes yeux hors de la tête, et presque le même style que les ouvriers zingueurs discutant de leur métier dans la noce à Coupeau, ou qu’un garçon de l’abattoir expliquant les finesses de son art devant le comptoir d’un marchand de vin. «…Bongrand l’arrêtait par un bouton de son paletot en lui répétant que cette sacrée peinture était un métier du tonnerre de Dieu. » — « Ça y est, mon vieux, crève-les tous !… Mais tu vas te faire assommer. » — « Nom de Dieu… ! si je ne fiche pas un chef-d’œuvre avec toi, il faut que je sois un cochon. » — « Tiens ! le père Ingres, tu sais s’il me tourne sur le cœur, celui-là, avec sa peinture glaireuse ? Eh bien, c’est tout de même un sacré bonhomme, et je le trouve très crâne, et je lui tire mon chapeau, car il se fichait de tout, il avait un dessin du tonnerre de Dieu, qu’il a fait avaler de force aux idiots qui croient aujourd’hui le comprendre. Après ça, entends-tu ? ils ne sont que deux, Delacroix et Courbet. Le reste, c’est de la fripouille. » Je ramasse ces perles sans les choisir. Le ton de la conversation est, dans l’Oeuvre, sensiblement le même que dans l’Assommoir. Et tous ces sauvages qui parlent de conquérir, d’avaler Paris ont, avec leurs façons de rouliers, des trésors inouïs de candeur. D’où sortent-ils ? Où M. Zola les a-t-il rencontrés ? Je le préviens que ce n’est plus cela du tout, les peintres d’à présent. Son roman est d’un homme qui n’a pas mis les pieds dans un atelier depuis quinze ans. C’était ainsi autrefois ? À la bonne heure. M. Zola ressuscite les hommes des anciens temps. Il fait presque des « romans historiques » — tout comme Walter Scott, ô honte !

Ainsi l’observation directe et récente des milieux fait évidemment défaut dans l’Oeuvre. Vous pensez bien que vous n’y trouverez pas davantage l’observation des mouvements de l’âme, l’odieuse psychologie. Pourtant la souffrance d’un artiste inégal à son rêve, la souffrance d’une femme intelligente et tendre qui sent que son compagnon lui devient étranger, que quelque chose le lui prend, ce divorce lent de deux êtres qui s’aimaient et qui n’ont rien, du reste, à se reprocher l’un à l’autre…, ce sont là des douleurs d’une espèce rare et délicate, des nuances de sentiments dont la notation eût été des plus intéressantes. Songez un peu à ce que fût devenu un sujet pareil entre les mains de M. Paul Bourget, et vous verrez ce que je veux dire. Tout au moins l’auteur eût-il pu marquer avec plus de finesse les progrès du détachement de Claude et du martyre de Christine. Cette lutte de l’artiste et de la femme, Edmond et Jules de Goncourt nous l’ont racontée, avec un dénouement inverse : chez eux, c’est la femme qui tue son compagnon ; mais voyez, dans Manette et dans Charles Demailly, combien les étapes sont nombreuses et comment est graduée l’histoire du supplice de Charles et de l’abrutissement de Coriolis. Rien de tel dans l’Oeuvre. Claude aime Christine, puis est ressaisi tout entier par son art : c’est aussi simple que cela. Trois ou quatre signes sensibles de ce détachement : le jour de leur mariage (il y a des années qu’ils sont ensemble), il ne songe pas à la traiter en mariée ; il se laisse entraîner chez Irma Bécot ; il fait poser Christine pour son grand tableau et oublie de l’embrasser après la pose. Voilà toutes les étapes. Le drame est aussi simple que s’il se passait dans un ménage d’ouvriers et si la cause du mal était le jeu ou la boisson. Christine et Claude sont bien des « bonshommes physiologiques » et ne sont que cela. Ici encore je n’ose pas dire que c’est dommage, et je ne fais que constater.

Car voici éclater le génie particulier de M. Émile Zola, le don de la vision concrète et démesurée, le don de l’outrance expressive et l’abominable tristesse en face des choses. Tout se matérialise et s’exagère. Claude Lantier n’est pas seulement un artiste incomplet : c’est un malade, et qui a tout l’air d’un imbécile. Son impuissance est surtout physique. « Il s’énervait, ne voyait plus, n’exécutait plus, en arrivait à une véritable paralysie de la volonté. Étaient-ce donc ses yeux, étaient-ce ses mains qui cessaient de lui appartenir, dans le progrès des lésions anciennes qui l’avait inquiété déjà ? » Au reste, presque tous les artistes et les littérateurs ont, dans ce livre, des attitudes tordues ou écrasées d’athlètes, de cariatides, de damnés de Michel-Ange. L’effort de la production devient une espèce de lutte à main plate, le combat de Jacob avec l’Ange dans une foire de banlieue. C’est un « caleçon » que l’Idéal propose à ces hercules et qu’ils ramassent en faisant des effets de muscles. — Claude Lantier n’est pas seulement un artiste contesté et poursuivi par la malchance : c’est un martyr. Manet, Monet et Pissarro sont des heureux et des vainqueurs à côté de lui. Il n’a pas même un jour de consolation, d’espoir, de demi-réussite. M. Zola l’écrase sous une impuissance absolue et sous un malheur absolu. — Et Claude Lantier n’est pas seulement un artiste amoureux de son art : c’est un possédé de la peinture, un fou, un démoniaque en qui la passion unique a étouffé tout sentiment humain. Il torture sa femme. Ce peintre qui, le pinceau à la main, est hanté de l’image de la chair, renonce à celle de Christine, ce qui est assez peu croyable. Il est mauvais mari. Il est mauvais père. Il a des brutalités atroces. « Ah ! ma chère, dit-il à Christine, tu n’es plus comme là-bas, quai de Bourbon. Ah ! mais, plus du tout !… C’est drôle, tu as eu la poitrine mûre de bonne heure… Non, décidément, je ne puis rien faire avec ça… Ah ! vois-tu, quand on veut poser, il ne faut pas avoir d’enfants. » — Son enfant mort, il n’a rien de plus pressé que de faire le portrait du pauvre petit hydrocéphale, ce qui est bien, et de le présenter au Salon, ce qui est mieux. Claude Lantier est à ce point le Raté, l’Impuissant, le Possédé, le Pas-de-Chance, qu’il en devient monstrueux et que nous sommes enchantés de voir se pendre enfin cet Arpin-Prométhée de la peinture impressionniste. — De même, pour que Christine soit bien complètement la victime de cette victime, pour quelle ne puisse avoir aucun refuge dans sa souffrance, elle sera mauvaise mère, elle ne sera qu’amante, et sa douleur essentielle sera d’être frustrée des embrassements de Claude.

Voyez-vous maintenant pourquoi M. Zola a fait de son héros un peintre ? C’est sans doute que la peinture l’a toujours intéressé et que les théories, les vues, les pressentiments des peintres du « plein air » valaient la peine d’être exprimés dans un roman. Mais c’est surtout que le métier de son héros permettait à M. Zola de rendre sensible aux yeux le drame qu’il voulait conter. La cause du commun supplice de Claude et de Christine pouvait ainsi revêtir une forme concrète. La cruelle maîtresse du mari et l’ennemie mortelle de l’épouse, c’est une femme, c’est cette femme nue que Claude s’obstine à dresser au milieu de sa toile, en plein paysage parisien. Double duel à mort entre le peintre et cette image qui résiste, qui ne veut pas se laisser peindre comme il la voit, et qui pourtant l’attire et le retient invinciblement, et, d’autre part, entre cette femme peinte et la femme de chair. C’est vraiment une tragédie à trois personnages, celui qui s’étale sur la toile vivant d’une vie aussi réelle que les deux autres. À un moment, Claude enfonce un couteau dans la gorge de l’image peinte, comme on ferait à une femme méchante. C’est avec sa seule nudité que Christine lutte contre l’ennemie nue. Elle combat cette femelle en femelle. Vous vous rappelez la dernière scène de ce drame charnel. Claude, cette nuit-là, a passé une heure à regarder l’eau du haut du pont des Saints-Pères ; il est enfin rentré ; mais, à peine couché, il s’est échappé du lit. Christine le trouve dans l’atelier, au haut de son échelle, une bougie au poing s’acharnant comme un aliéné sur son grand tableau. Et, sous sa main fiévreuse, le ventre de la femme devient un astre, éclatant de jaune et de rouge purs, splendide et hors de la vie… Elle semble faite de métaux, de gemmes et de marbres… comme l’idole d’une religion inconnue. « Oh ! viens ! viens ! » dit Christine. Et lui : « Non, je veux peindre, j’appartiens à l’art, au dieu farouche : qu’il fasse de moi ce qu’il voudra ! — Mais je suis vivante, moi ! et elles sont mortes, les femmes que tu aimes. » Et Christine s’enlace à lui, s’écrase contre lui, l’emporte comme une proie… Elle le force à blasphémer. « Dis que la peinture est imbécile. — La peinture est imbécile. » Mais bientôt, quand Christine est endormie, une voix appelle Claude. C’est elle, la femme mystérieuse et terrible, la sirène au ventre de joyaux. Elle l’appelle trois fois ; « Oui, oui, j’y vais. » Et Christine, à l’aube le trouve pendu devant l’idole, devant l’ennemie, comme un amant désespéré qui s’est tué aux pieds de sa maîtresse.

Les dernières pages sont lugubres : l’enterrement de Claude, un jour de pluie, dans le misérable cimetière neuf, pelé, lépreux, avec des terrains vagues et, au-dessus, la ligne du chemin de fer. Tandis qu’on enterre Claude, on brûle, dans un coin, un tas de vieilles bières pourries. Et la lamentation de Sandoz s’élève ; car l’artiste triomphant est aussi triste que l’artiste vaincu ; il doute de son œuvre, il doute de tout, et le livre finit par un chant de désespoir. Ce roman de l’artiste est aussi funèbre que le roman de la courtisane, de l’ouvrier ou du mineur.

C’est donc toujours la même chose, et je ne m’en plains pas. Vous trouverez là des figures de second plan pétries d’un pouce puissant : Chêne, Mahoudeau, Jory, Bongrand. Vous trouverez les deux personnages qui sont dans presque tous les romans de M. Zola : une créature en qui éclate et s’épanouit la bestialité humaine, une « mouquette » : Mathilde, l’herboriste ; et une créature qui représente la souffrance imméritée : le petit Jacques. Vous trouverez même des pages apaisées et presque gracieuses : Christine recueillie, par une nuit d’orage, dans l’atelier de Claude, ou l’idylle parisienne et bourgeoise du ménage de Sandoz. Vous trouverez aussi deux ou trois scènes qui ne sont peut-être que mélancoliques : celle où Dubuche, l’homme qui a fait un riche mariage, passe sa journée, dans le morne château où il est méprisé des valets, à envelopper de couvertures et à suspendre à un petit trapèze ses deux petits enfants rachitiques, et le dîner où le brave Sandoz a le sentiment amer de la dispersion et de la mort des amitiés de jeunesse…

Mais plutôt vous trouverez, presque à chaque page, une tristesse affreuse, une violence de vision hyperbolique qui accable et fait mal. Nul n’a jamais vu plus tragiquement tout l’extérieur du drame humain. Il y a du Michel-Ange dans M. Zola. Ses figures font penser à la fresque du Jugement dernier. J’attends avec impatience son prochain cauchemar. S’il ne sort de Médan, il finira par des livres d’un naturalisme apocalyptique, qui pourront, d’ailleurs, être fort beaux.

LE RÊVE.

Ce que je vais vous raconter est tiré des Rougon-Macquart, histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second empire.

« Il y avait une fois une petite fille qui était très belle et très bonne et qui à cause de cela s’appelait Angélique.

Angélique n’avait pas de parents. Une nuit qu’il tombait de la neige, elle avait été recueillie par un monsieur et une dame qui s’appelaient Hubert et Hubertine.

Hubert et Hubertine étaient chasubliers, c’est-à-dire qu’ils faisaient des chasubles pour les messieurs prêtres, et aussi des chapes, des étoles et des bannières.

Hubert et Hubertine n’avaient pas d’enfants, et ils ne pouvaient pas s’en consoler, et c’est pour cela qu’ils avaient adopté la petite Angélique.

Hubert et Hubertine habitaient une maison très vieille, tout contre la cathédrale.

Angélique voyait donc la cathédrale de sa fenêtre et cela l’amusait beaucoup. Et elle aimait surtout un vitrail qui représentait saint Georges.

« Il y avait aussi près de la maison un grand champ, qui s’appelait le Clos-Marie, traversé par une petite rivière, qui s’appelait la Chevrotte.

« Et Angélique aimait beaucoup à se promener au bord de la Chevrotte.

« Angélique lisait souvent la Vie des saints, et les miracles la ravissaient, mais ne l’étonnaient point.

« Elle était persuadée qu’elle épouserait un jour un prince.

« Un jour, en faisant sécher du linge au bord de la Chevrotte, elle rencontra un peintre-verrier qui était beau, beau, beau.

« Elle comprit qu’il l’aimait, et elle se mit à l’aimer, car il ressemblait au saint Georges du vitrail.

« Or, ça n’était pas un peintre-verrier, mais le fils de monseigneur l’évêque.

« Parce que monseigneur, avant d’être évêque, avait été marié et avait eu un fils.

« Or, ce beau jeune homme s’appelait Félicien XIV, et il était prince, et il était riche, riche, riche. Il avait peut-être bien cinquante millions.

« Et, comme Angélique l’aimait, elle trouvait tout naturel de l’épouser, quoiqu’elle ne fût qu’une petite fille très pauvre et sans parents.

« Et Félicien aussi aurait bien voulu être le mari d’Angélique ; mais monseigneur l’évêque lui dit qu’il ne le lui permettrait jamais.

« Un jour Angélique alla à la cathédrale, et elle se cacha dans un petit coin pour attendre monseigneur, et quand elle le vit, elle se jeta à ses pieds et pleura beaucoup, et elle le supplia de permettre ce mariage.

« Mais monseigneur, qui était très sévère et qui avait un grand nez, répondit : « Jamais ! »

« Et Angélique fut très malheureuse.

« Alors Hubert et Hubertine lui dirent que Félicien ne l’aimait plus, et qu’il allait épouser une belle demoiselle des environs.

« Et ils dirent à Félicien qu’Angélique l’avait oublié, et ils le prièrent de ne plus venir la voir.

« Et Angélique fut malade, très malade.

« Si malade qu’on crut qu’elle allait mourir, et que monseigneur eut pitié d’elle et vint lui-même lui donner l’extrême-onction.

« Et monseigneur promit que, si elle guérissait, il lui donnerait son fils.

« Angélique guérit, et elle épousa le prince Félicien XIV.

« Mais le jour même de ses noces, comme elle sortait de la messe, elle mourut, sans s’en apercevoir, en embrassant son mari. »

Ceci est un conte bleu, tout ce qu’il y a de plus bleu. Et certes M. Zola, ayant conté tant de contes noirs, avait bien le droit d’écrire un conte bleu. Seulement il fallait l’écrire comme un conte bleu.

Oserai-je dire que ce n’est pas précisément ce qu’a fait M. Émile Zola ? Au reste, le pouvait-il faire ? Et méritait-il de le pouvoir ? Eût-il été d’un bon exemple que Dieu permît à l’auteur de Pot-Bouille et de Nana de raconter innocemment une histoire innocente ? Des journaux avaient pris soin de nous avertir que cette fois M. Zola serait chaste. Mais ne l’est pas qui veut. Lisez le Rêve, et vous verrez que ce conte ingénu sue l’impureté (parfaitement !) et que cette histoire irréelle est écrite dans le même style opaque et puissamment matériel et avec, les mêmes procédés de composition et de développement que la Terre ou l’Assommoir. L’effet est ahurissant.

D’abord, par un scrupule admirable, l’auteur a tenu à bien marquer que ce conte bleu est un épisode de l’histoire des Rougon-Macquart. Il s’est cru obligé de rattacher sa petite vierge à cette horrible famille par quelque lien de parenté. Or, devinez, je vous prie, quelle mère il est allé lui choisir ? L’immonde Sidonie de la Curée, l’entremetteuse du mariage de Renée et d’Aristide Saccard. Le doux Hubert va à Paris, à la recherche des parents d’Angélique. Il découvre Sidonie dans un petit entresol du faubourg Poissonnière, « où, sous prétexte de vendre des dentelles, elle vendait de tout ». Il entrevoit « une femme maigre, blafarde, sans âge et sans sexe, vêtue d’une robe noire élimée, tachée de toutes sortes de trafics louches ». Je sais que ce n’est rien, que cela ne tient que trois pages, et qu’on peut les retrancher du livre sans qu’il y paraisse ; mais, enfin, évoquer cette Macette dans un conte bleu et qu’on déclare avoir voulu faire tout bleu, n’est-ce pas une singulière aberration d’esprit ? Ou, si c’est que M. Zola ne veut pas avoir dressé pour rien l’arbre généalogique de ses Rougon-Macquart, n’est-ce pas un enfantillage un peu saugrenu ?

Par suite, ce conte bleu est, au fond, une histoire physiologique ! L’auteur ne veut pas nous laisser oublier que, si Angélique est sage, c’est parce qu’elle brode des chasubles et qu’elle vit à l’ombre d’une vieille cathédrale, mais que, dans d’autres conditions, elle eût pu aussi bien être Nana. C’est dans le cloaque Rougon que ce lis plonge ses racines et le mysticisme d’Angélique n’est qu’une forme accidentelle de la névrose Macquart. Il était sans doute très important de nous le rappeler !… Par les nuits chaudes, Angélique, ne sachant ce qu’elle a, saute pieds nus sur le carreau de sa chambre. Ce qui la tourmente, ce sont « les désirs insconcients… (page 93), la fièvre anxieuse de sa puberté ». Elle « devine Félicien ignorant de tout, comme elle, avec la passion gourmande de mordre à la vie ». Elle « ôte ses bas, devant Félicien, d’une main vive » (page 124). Et elle s’enfuit, « dans sa peur de l’amant. » (Partout ailleurs M. Zola eût dit : « la peur du mâle » ; c’est tout ce qu’il y a de changé ici.) Et encore (page 164) : « Elle se donnait, dans un don de toute sa personne. (« Se donner dans un don », goûtez-vous beaucoup ce pléonasme ?) C’était une flamme héréditaire rallumée en elle. Ses mains tâtonnantes étreignaient le vide, sa tête trop lourde pliait sur sa nuque délicate. S’il avait tendu les bras, elle y serait tombée, ignorant tout, cédant à la poussée de ses veines, n’ayant que le besoin de se fondre en lui ». Ou bien (243) : « Un flot de sang montait, l’étourdissait… elle se retrouvait avec son orgueil et sa passion, toute à l’inconnu violent de son origine ». Ou bien (page 261) : « Elle triomphait, dans une flambée de tous les feux héréditaires que l’on croyait morts. » Eh oui, c’est un ange, mais un ange de beaucoup de tempérament ! Quel drôle de conte bleu !

Ce n’est pas tout. Hubert et Hubertine, vous vous le rappelez, se lamentent de n’avoir pas d’enfant, et, toutes les vingt ou trente pages, l’auteur nous fait entendre délicatement que ça n’est vraiment pas leur faute… « C’était le mois où ils avaient perdu leur enfant ; et chaque année, à cette date, ramenait chez eux les mêmes désirs… lui tremblant à ses pieds… elle se donnant toute… Et ce redoublement d’amour sortait du silence de leur chambre, se dégageait de leur personne » (page 143). Ou bien (page 167) : « Et Hubertine était très belle encore, vêtue d’un simple peignoir, avec ses cheveux noués à la hâte ; et elle semblait très lasse, heureuse et désespérée… » Étrange idée d’avoir entr’ouvert cette alcôve de quadragénaires au fond de cette idylle enfantine !

Et, pendant ce temps-là, monseigneur l’évêque de Beaumont, qui a quelque soixante ans, tourmenté dans sa chair par le souvenir de la femme qu’il a adorée, passe les nuits à se tordre sur son prie-Dieu avec « un râle affreux… dont la violence, étouffée par les tentures, effraye l’évêché. » Et, quand Angélique se jette à genoux devant lui, il est très frappé de la grâce de sa nuque, et de son odeur. «… Ah ! cette odeur de jeunesse qui s’exhalait de sa nuque ployée devant lui ! Là, il retrouvait les petits cheveux blonds si follement baisés autrefois. Celle dont le souvenir le torturait après vingt ans de pénitence avait cette jeunesse odorante… (page 227). » Et plus loin (page 278) : « Sans qu’il se l’avouât, elle l’avait touché dans la cathédrale, la petite brodeuse… avec sa nuque fraîche, sentant bon la jeunesse »… Ah ! ce n’est pas pour rien que cet évêque a un grand nez, — pieusement mentionné chaque fois que l’aristocratique prélat apparaît dans cette histoire.

Vous ne vous méprenez point sur ma pensée, n’est-ce pas ? Tous les passages que j’ai cités sont fort convenables, et il faut reconnaître que M. Zola s’est appliqué à écrire chastement. Il n’en est pas moins vrai que, malgré ses efforts, la préoccupation de la chair est peut-être, à qui sait lire, aussi sensible dans le Rêve que dans ses autres romans. La caque sent toujours le hareng. À moins que ce ne soit moi qui, hanté par le souvenir de cette immense priapée des Rougon-Macquart, respire, dans le Rêve, des parfums qui n’y sont pas… Mais ils y sont, j’en ai peur, Sentez vous-même.

Ce conte bleu physiologique est par surcroît un conte bleu naturaliste. Il fallait des « documents », il y en a, — par grands tas. Outre un sommaire presque complet de la Légende dorée, que M. Zola a lue tout exprès, il a versé, pêle-mêle, tout au travers du récit des irréelles amours de Félicien et d’Angélique, un Manuel du chasublier. Il y a des énumérations d’outils qui témoignent à la fois d’une érudition et d’un scrupule (pages 54 et 55) !… Et que dites-vous de ce petit morceau : « Hubert avait posé les deux ensubles sur la chanlatte et sur le tréteau, bien en face, de façon à placer de droit fil la soie cramoisie de la chape, qu’Hubertine venait de coudre aux coutisses. Et il introduisait les lattes dans les mortaises des ensubles, etc., etc. » Mais il y a peut-être mieux encore. Lorsque Hubert veut adopter Angélique qui est une enfant trouvée, il va consulter le juge de paix. « M. Grandsire lui suggéra l’expédient de la tutelle officieuse : tout individu, âgé de plus de cinquante ans, peut s’attacher un mineur de moins de quinze ans, etc.. Il fut convenu qu’ils conféreraient ensuite l’adoption à leur pupille par voie testamentaire, etc… M. Grandsire se mit en rapport avec le directeur de l’assistance publique, etc.. Il y eut enquête, etc… » Dans un conte bleu ! Dans une histoire à peu près aussi réelle que celle de Peau-d’Âne ou de Cendrillon ! N’est-ce pas à hurler ?

Enfin ce conte, qui, tout en étant bleu, reste physiologique et documentaire, est aussi romantique et épique. Il est romantique par le style, par l’enflure générale. Joignez ceci qu’Angélique vit de la vie de l’antique cathédrale, un peu comme Quasimodo dans Notre-Dame de Paris. Cette pénétration de l’âme de la jeune fille par la paix, la beauté, la majesté de ces vieilles pierres qui bornent son horizon est d’ailleurs fort bien exprimée. Il y a, là-dessus, toute une série de « morceaux » d’une poésie ou, mieux, d’une rhétorique abondante et robuste. Et le récit est épique, si l’on peut dire (comme tout ce qui sort de la plume de M. Zola) par la lenteur puissante, par l’énormité et la simplicité de la plupart des personnages, — enfin par le retour régulier de sortes de refrains, de leit motiv : descriptions de la cathédrale et du Clos-Marie à toutes les heures du jour et dans les principales circonstances de la vie d’Angélique ; énumérations des vierges du portail de Sainte-Agnès, et discours qu’elles tiennent à la jeune fille, selon les cas ; énumérations des ancêtres de Félicien de Hautecoeur et de ses aïeules, les mortes heureuses ; énumérations d’outils de chasublier ; douleur secrète d’Hubert et d’Hubertine ; longueur du cou d’Angélique ; nez de monseigneur, etc.

À signaler l’emploi de plus en plus fréquent des deux adverbes justement et même commençant les phrases, et l’abus de certaines constructions que je définirais si cela en valait la peine. Une expression nouvelle qui revient une centaine de fois : à son entour, pour autour d’elle ou de lui. Je m’explique mal la tendresse de M. Zola pour cet inutile provincialisme.

Vous pensez bien que je ne reproche point à M. Zola ses procédés de composition et d’écriture. Ce sont les mêmes qui contribuent à la beauté de ses meilleurs ouvrages. Mais d’abord ils s’étalent davantage d’un roman à l’autre ; et, plus visibles, deviennent plus fatigants. Et surtout ils convenaient aussi mal que possible à un sujet comme celui du Rêve. Toute la grâce de la naïve historiette disparaît. On n’a jamais vu fantaisie massive à ce point. C’est un conte bleu bâti en gros moellons. Il est vrai qu’il redevient intéressant par l’énormité de cette disconvenance du fond et de la forme. Sans cela, il serait mortellement ennuyeux.

La conclusion, c’est que j’aime mieux tout, même la Terre. Au moins la Terre, c’était franc et c’était harmonieux… Il faut que M. Zola en prenne son parti : il ne peut pas être à la fois Zola et autre chose que Zola… Il lui restera toujours d’avoir écrit la Conquête de Plassans, l’Assommoir et Germinal, d’avoir puissamment exprimé les instincts, les misères, les ordures et la vie extérieure de la basse humanité. Qu’il nous abandonne les petits contes, les doux enfantillages, les petites bergères, les petites saintes, les princes charmants, les jolis riens du rêve… Qu’il n’y touche pas avec ses gros doigts. Une petite fille de dix ans eût beaucoup mieux raconté que lui (qui a pourtant du génie) l’histoire d’Angélique. Nous excluons M. Zola du Clos-Marie — et du mois de Marie. Ce monsieur qui a écrit de si vilaines choses, ma chère ! fait peur aux vierges innocentes du portail de Sainte-Agnès… Qu’il laisse les vierges tranquilles ! Nous le renvoyons aux Trouilles, dans l’intérêt de son talent et peut-être, je suis affreusement sincère, pour notre plaisir.


  1. Cf. Les Contemporains, I.