Maison Alfred Mame et fils (p. 149-166).


XII
LE FAUVE ET L’HOMME

Au sifflement des balles, Salbris avait énergiquement agi sur le gouvernail de profondeur et pris du large. La « frégate » ne semblait pas avoir souffert, bien que l’aviateur eût perçu le bruit d’un choc sur une pièce métallique. Lorsqu’il se fut assuré que son compagnon était comme lui sans blessure, il examina plus attentivement son appareil. Quelques trous sans importance dans la toile de ses ailes étaient le seul dommage qu’il constatât. D’où provenait alors le son métallique entendu ? Il se pencha au dehors, puis se détourna vers l’arrière. Alors il aperçut comme une pluie dans son sillage… Le réservoir à essence avait été atteint, et le précieux liquide s’écoulait par la déchirure de la balle.

Il eut un cri de désespoir :

« Notre pétrole fuit… Nous n’arriverons pas !… »

Déjà le Parigot avait arraché sa ceinture et d’un tampon s’efforçait d’aveugler le trou du métal. Effroyablement penché au dehors, les pieds arc-boutés au banc pour se maintenir, il y parvint enfin à peu près. Cependant la plaie suintait toujours, et la perte subie depuis l’accident ne laissait plus de combustible que pour quelques kilomètres.

« Allons toujours le plus loin possible, dit amèrement Salbris. Franchissons au moins les crêtes, et après nous chercherons un point accessible d’atterrissage. »

Roland se dirigea sur une coupure entre deux cimes, de façon à ménager le plus possible les gouttes d’essence qui pouvaient lui rester, au lieu de s’élever pour passer au-dessus des crêtes, manœuvre qui eût exigé une consommation plus considérable. Il atteignit le col, quand les détonations irrégulières de son moteur lui annoncèrent la panne imminente. La « frégate » baissa, s’abattit, toucha le sol… Grâce à l’adresse du pilote, cet abordage parmi un terrain inégal et semé de roches ne fut pas trop rude. Seule l’une des roues se faussa dans le choc… Mais qu’importait ! Sans combustible, le rôle de la pauvre « frégate » était terminé.

Anéanti, Salbris demeurait sur son siège. Déjà le Parigot avait sauté à terre.

« Allons ! monsieur Roland, dit-il, rien n’est perdu quand on est encore deux hommes debout et armés, qui ont du cœur au ventre. Vous verrez, on s’en tirera… On s’en tire toujours ! »

La crânerie du troupier réconforta un peu Salbris. Il eut l’amour-propre de ne pas se montrer moins brave dans l’adversité que son compagnon et le remercia d’un bon sourire.

« Y a du bon ! s’écria Gilles, vous voilà redevenu vous-même. Pour l’instant, il faut se grouiller. D’abord on va démonter l’oiseau, lui dénicher une bonne cachette, puis on s’ingéniera soit pour aller de l’avant ou mieux encore pour retrouver les camarades. »

Déjà il était à l’œuvre. Salbris s’étonnait de son adresse. Troussequin expliqua :

« Je n’ai pas les yeux dans ma poche. J’ai vu opérer les Chinois, et j’en ai fait mon profit. Maintenant je vais me mettre en quête d’un bon coin, où personne n’aura l’idée d’aller voir quand nous y aurons mis l’oiseau. »

Il revint bientôt. Parmi les éboulis rocheux, il avait découvert une caverne, à l’entrée étroite et facile à boucher par quelques blocs. Pièce à pièce, ils transportèrent la pauvre « frégate ». Puis ils roulèrent des roches contre l’issue et la murèrent ainsi aux deux tiers de sa hauteur.

Mais le travail avait exigé de longues heures et une dépense considérable de forces. Le jour baissait. Les deux compagnons résolurent de passer la nuit dans la grotte ; ils se hissèrent par-dessus le rempart qu’ils venaient d’édifier et se laissèrent couler dans cet insoupçonnable abri.

Si le sommeil ne tarda pas à clore les paupières du Parigot, recru des émotions et des fatigues aussi bien de la journée que de la veille, l’insomnie tint longtemps Salbris assis, l’âme en deuil, près de sa chère « frégate » aux ailes repliées, au cœur éteint, puisqu’il était impossible de lui infuser cette essence, véritable sang de sa vie, à défaut duquel ne pouvaient battre ses artères.

Le malheureux aviateur se rongeait les poings à la constatation de son impuissance subite, alors qu’il était si près du but, ce but qui serait atteint à cette heure sans la fatale blessure de son réservoir… Et maintenant, quelle chance sérieuse lui restait-il de pénétrer dans Cao-Bang, dont l’isolaient d’abord les Japonais et les pirates, puis la surveillance même de ses défenseurs, qui ne laisseraient pas approcher de son enceinte les suspects ? Et Troussequin et lui en seraient forcément à leurs yeux, de même que tous ceux qui pouvaient venir de l’extérieur, puisque les assiégés ignoraient toute tentative faite pour les secourir, et qu’ils pouvaient encore moins soupçonner celle qui leur arrivait.

Et Jeanne ! sa Jeanne si proche qu’il ne reverrait pas !… Car c’eût été folie d’espérer sortir vivant du guêpier dans lequel le laissait le malencontreux projectile qui, tel un grain de sable dans un puissant engrenage, avait suffi à annihiler, au moment suprême, les longs efforts et les obstacles vaincus en vain pour venir expirer au pied du but… Jeanne ! en danger aussi, et dans quel danger ! Si elle tombait aux mains des pirates ? La barbarie raffinée des supplices chinois affolait pour elle son infortuné fiancé.

Enfin l’excès de ses tourments le terrassa, le plongea dans un sommeil d’anéantissement…

Une main lui secoua l’épaule, l’éveilla… La voix étouffée du Parigot souffla à son oreille :

« Écoutez ! »

« Notre pétrole fuit, nous n’arriverons pas ! »

Très nettement un bruit se percevait, à l’extérieur, de l’autre côté du rempart de roches amassées à l’orée de leur refuge. Il semblait que l’on tentât d’en ébranler les blocs ou de gravir leur éboulis oscillant. À mieux écouter, ils se convainquirent d’une ascension, lente, lourde, prudente à assurer ses pas, à se défier d’un piège. Quelqu’un venait,… ils en étaient sûrs…

Tapis l’un contre l’autre, les deux Français se tassaient dans un retrait de la caverne, le coupe-coupe dans la main droite, la gauche crispée sur la crosse du revolver. Mais ils étaient convenus de ne se servir de cette dernière arme qu’en cas extrême, afin de ne pas dénoncer leur présence par les détonations.

Des pierres roulèrent dans l’intérieur. L’ennemi avait donc franchi le sommet du barrage et maintenant descendait vers eux. Ils demeurèrent, le souffle suspendu…

Soudain deux lueurs phosphorèrent dans les ténèbres, qui semblaient devenir moins denses.

« Le tigre ! » souffla Salbris.

Entre l’arcature de la grotte et le sommet de l’amas rocheux filtraient les premières pâleurs de l’aube. Le félin se détacha en silhouette sombre et puissante. Il avait fait halte, reniflant l’odeur humaine, comme défiant et indécis. Sans doute sa chasse nocturne lui avait fourni large provende, et la faim ne le poussait plus à la recherche de la proie. La barrière haussée devant l’entrée de son gîte coutumier l’avait mis en défiance ; aussi, avant de pénétrer plus avant dans la caverne, en scrutait-il les profondeurs afin d’en découvrir les pièges que lui dénonçait son flair.

Il se décida enfin et d’un élan toucha le sol de la grotte ; puis il se rassembla pour bondir de nouveau sur les audacieux qui avaient usurpé son repaire et que son regard venait de découvrir.

Deux éclairs d’acier jaillirent, et le fauve roula sur le sable, emportant les lames meurtrières tordues entre ses côtes et que ses griffes tentaient d’arracher. Un rugissement de fureur et de douleur ébranla les sonorités de la caverne ; mais les terribles blessures, toutes mortelles qu’elles fussent, n’avaient pas instantanément tari les sources de la vie. Le tigre se releva, terrible, pour un suprême assaut.

Alors une double détonation éclata… Cette fois, le monstre oscilla, s’abattit, raidi dans une convulsion d’agonie. Les deux balles l’avaient frappé, l’une dans l’œil gauche, l’autre au fond même de sa gueule ouverte, et avait brisé les vertèbres près de leur soudure cervicale.

« Y a du bon ! s’exclama Troussequin en esquissant un pas de gigue autour du cadavre de l’animal.

— Oui ! répliqua Salbris, à moins que les coups de revolver, qui nous ont délivrés de cet ennemi, ne nous en attirent un autre plus redoutable.

— Bah ! répliqua Troussequin, pourquoi ne s’en tirerait-on pas encore ?… Nous n’avons toujours pas à nous plaindre jusqu’ici. »

Il s’était penché sur le fauve pour dégager les coupe-coupe ; puis il coupa une griffe des formidables pattes désormais impuissantes.

« Tenez !… cela fera une breloque pour Mlle Jeanne ! »

Salbris ne put s’empêcher de sourire de cette insouciance, qui dénotait tant de sang-froid et de bravoure. Il prit la griffe et répondit :

« Dieu t’entende ! Si je puis lui donner ce souvenir, elle saura qu’il vient de toi et que tu n’as jamais désespéré aux heures les plus noires. »

Comme il parlait, un nouveau bruit d’escalade lui parvint du dehors.

« La femelle de notre gibier, sans doute, » murmura Gilles.

Un geste impérieux de Salbris lui ordonna le silence. Non, ce n’était plus la marche pesante et sûre du félin, mais un piétinement qui désagrégeait des fragments de la paroi de pierre et se hissait péniblement vers son faîte. Anxieux, les deux Français épiaient.

Enfin, dans la baie supérieure, maintenant éclairée par la lumière du grand jour, une tête se montra. Déjà le Parigot levait son arme.

Roland l’arrêta d’une main fébrile. Dans la face qui scrutait les profondeurs sombres de la caverne, il avait reconnu celle d’Hermann Hofer…

À la suite du panache terrible dans lequel s’était fracassé son automobile, lors de l’éclatement des pneus déchirés par la scie passe-partout enfouie dans la fondrière et de l’incendie qui en avait dévoré les débris, l’Allemand, par une chance infernale, s’était relevé sauf du matelas de boue dans lequel il avait été projeté. En hâte, il avait regagné Siun-Tchéou-Fou, ruminant des projets de vengeance, car la découverte des causes de son accident avait attisé sa haine. Grâce à un rescrit de hauts dignitaires célestes qui, secrètement, favorisaient l’espion dans ses agissements gallophobes, il obtint les facilités de continuer sa route par les moyens les plus rapides jusqu’à Nan-Ning-Fou. Là, le chemin de fer, bien qu’ayant suspendu son exploitation depuis que le pays troublé ne permettait plus d’assurer la sécurité des transports, dut, sur la réquisition du mandarin, mettre une locomotive à la disposition de l’Allemand, qui gagna ainsi Long-Tchéou. Au delà, la voie était occupée par les Japonais.

Tandis que, dans cette ville, il recherchait les traces de ceux qu’il poursuivait, il apprit la chasse donnée vainement à un pseudo-Annamite qui avait été enlevé, sous les yeux des Chinois, par un monstre volant, tel un dragon vomissant du feu. Il reconnut sans peine, dans cette image, l’aéroplane du Français maudit et embaucha une bande pour se jeter de nouveau sur la piste retrouvée.

Il gagna d’abord la place où les chasseurs avaient vu leur proie disparaître dans les airs, et ne douta pas que l’expédition ne se fût dirigée vers la frontière par le ravin qui se détache du col, d’où elle pouvait redescendre presque directement sur Cao-Bang. Parvenu à ce point, aucun indice ne fut relevé du récent passage d’une troupe. Il rétrograda donc et trouva l’emplacement du bivouac, malgré les précautions prises par Hervé. Ses hommes eurent vite découvert la piste de la retraite, aux empreintes des mulets. L’Allemand les lança alors à la poursuite. Tout à coup, le bruit du moteur lui parvint il ordonna une salve sur l’oiseau monstrueux qui émergeait du plateau, et ce fut sa balle funeste qui creva le réservoir de la « frégate ». Sa jumelle lui permit de constater la blessure à la pluie que semait l’aéroplane dans son sillage. Sans attendre les siens, il se précipita dans la direction de la catastrophe prochaine qui lui livrerait ses ennemis, brisés par la chute sur ce sol tourmenté.

Ainsi il avait relevé la place de l’atterrissage. Surpris de ne pas trouver les épaves de l’appareil, il se mit en quête. La nuit le surprit, seul, dans ces parages. Il chercha refuge dans la fourche d’un manguier énorme. Au matin, le tigre passa sous lui et se dirigea vers son habituel refuge. C’est alors que les coups de revolver, tirés quelques instants plus tard sur le fauve, lui révélèrent la retraite des aviateurs.

Bien qu’il fût seul, il se résolut à ne pas laisser échapper sa proie. Il supposait d’ailleurs ses ennemis mal en point à la suite de leur chute et incapables d’une résistance sérieuse. Peut-être même le tigre lui aurait-il épargné une partie de la besogne.

Il s’avança donc, mais prudemment, de façon à être en garde aussi bien contre la bête que contre les hommes, et, avant de franchir le sommet du talus, tenta d’habituer ses yeux aux ténèbres de la caverne.

« Ne bouge pas, avait soufflé Salbris au Parigot ; il me le faut vivant ! »

Les regards de l’Allemand fouillaient les profondeurs de la grotte. Il ne distinguait rien. Il jeta quelques pierres pour s’assurer si le tigre n’était pas aux aguets, prêt à bondir sur la nouvelle proie offerte. Rien ne bougea. Il en conclut l’animal mortellement blessé, mais après avoir mis ses adversaires dans l’impuissance de l’achever, et alors se décida à descendre. Mais la paroi presque verticale l’obligea à lui faire face pour engager à tâtons les pieds dans les interstices, tandis que ses mains s’accrochaient aux aspérités. Deux ou trois fois il s’interrompit pour regarder sous lui et écouter. Il ne vit rien. Cependant Salbris et Troussequin rampaient vers le bas du talus, n’avançant que lorsque Hermann ne pouvait distinguer le faible bruit de leur marche de celui que lui-même éveillait dans sa descente. Quand il s’arrêtait, les Français se collaient à la muraille, anxieux d’être découverts. Ils arrivèrent enfin contre les roches.

Comme l’Allemand touchait le sol, deux bras de fer l’étreignirent. Avant que sa bouche pût proférer un cri, un épais bâillon lui enveloppait la tête. En même temps la pointe acérée d’une arme se posait sur sa poitrine et le froid d’un canon de revolver sur sa tempe.

Dans un désarroi, il s’abandonna. En un clin d’œil il gisait à terre, ligoté, réduit à la plus complète impuissance. Des mains le fouillèrent, expertes, sondant les doublures. Avec rage, Hofer sentit passer aux mains de ses vainqueurs ses papiers secrets et le fameux rescrit signé du plus haut dignitaire de l’empire, connu pour ses sentiments xénophobes, et grâce auquel toutes difficultés s’aplanissaient devant lui.

Salbris se pencha sur son prisonnier.

« Je vais écarter votre bâillon pour que vous me puissiez répondre ; mais au moindre appel vous êtes mort. »

Il desserra l’étoffe et interrogea :

« Où sont vos hommes ? »

L’Allemand garda le silence.

Sur un signe de Roland, Troussequin appuya sur le coupe-coupe, dont la lame entama la chair… Le captif alors avoua :

« Je ne sais au juste. J’ai pris les devants quand, hier, j’ai vu baisser votre appareil.

— Mais vous leur avez fixé un rendez-vous ?

— Oui.

— Où cela ?

— À Thuy-Can, à deux ou trois milles d’ici. »

Tout en questionnant son prisonnier, Roland parcourait les papiers saisis.

« Vous êtes le lieutenant Albrecht von Sonberg, de l’armée prussienne, en mission sous le nom d’Hermann Hofer. Prenez-vous l’engagement, sur l’honneur, dans le cas où je vous laisserais la vie sauve, de vous retirer avec votre bande, et de vous abstenir de tout acte, de tout propos, de toutes manœuvres à mon égard et à celui des armes françaises ? »

L’Allemand ne répondit pas.

« Nous tenons votre vie entre nos mains, menaça Salbris.

— Un soldat ne craint pas la mort, riposta fièrement von Sonberg ; et si je meurs, vous n’échapperez pas non plus au sort qui vous attend.

— Peut-être ! répliqua Roland. Il n’est pas certain que les bandits à votre solde découvrent notre retraite, et, las de vous attendre, ils se retireront. Quant à nous, une fois hors d’ici, nous possédons le sauf-conduit chinois qui vous servait de sauvegarde. Vous disparu, il peut nous protéger à notre tour. »

Les traits de l’espion se crispèrent de dépit. Son adversaire disait vrai. Sa bande, recrutée à Long-Tchéou, au moyen de réguliers chinois mis à sa disposition par le mandarin, n’oserait agir contre un homme porteur d’un écrit qui le rendait inviolable.

« Qu’importe ! se défendit-il encore, je n’aurai pas failli à mon devoir.

— Quel devoir, se récria Salbris, vous contraint à empêcher l’entrée à Cao-Bang d’un homme qui n’y veut être que pour protéger sa fiancée ? »

Une émotion transparut sur les traits du prisonnier.

« Vous dites ? questionna-t-il à son tour anxieusement.

— Que la fille du colonel Sauzède, enfermée avec son père dans la ville assiégée, est ma fiancée et que je veux la rejoindre pour la défendre et l’empêcher de tomber vivante aux mains des pirates…

— Moi aussi j’ai une fiancée qui m’attend et ne me reverra pas, murmura Albrecht von Sonberg.

— Hé bien ! s’exclama Salbris dans une inspiration subite, il ne sera pas dit que, moi, j’aurai privé une jeune fille de celui qu’elle aime, dussé-je être victime de mon acte. Allez, monsieur ! vous êtes libre, sans conditions. »

Déjà il avait coupé les liens qui garrottaient l’espion. Celui-ci se leva, puis salua militairement.

« Je vous suivais pour m’emparer de votre aéroplane, vous empêcher de procurer aux assiégés français ce merveilleux élément de reconnaissance et de communication avec l’extérieur et pour en doter définitivement notre armée, déclara-t-il ; mais je ne puis supporter l’idée que l’Allemagne soit, en ma personne, vaincue en générosité par la France. Vous aussi, monsieur, vous êtes libre et n’avez plus rien à craindre de moi ni de ma troupe. Ayant deux heures les abords de ce lieu seront évacués et votre route dégagée.

— Allez ! dit Salbris, je crois en votre parole. »

L’Allemand salua de nouveau militairement, fit un demi-tour de parade, escalada les roches et disparut.

Troussequin se grattait la tête.

« Vous avez foi en ce coco ? dit-il enfin.

— Oui, dit Roland. Et d’ailleurs c’est notre seule chance de salut que j’ai jouée. Lui mort, nous restions toujours dans la souricière. Mais je crois en la parole de cet homme, car il n’a pas été lâche devant la mort.

— M’est avis quand même de nous chercher un autre abri, insista le Parigot.

— Si tu veux, condescendit en souriant Salbris, mais sans trop nous écarter. Peut-être pourrons-nous rallier quelqu’un des nôtres en surveillant le col, chemin naturel pour passer de la vallée du Kou-Youn dans celle du Bang-Giang. »

Après un dernier regard à sa « frégate » abandonnée, Roland se hissa, à la suite du soldat, hors de la caverne, et tous deux se mirent à la recherche d’un observatoire qui leur permît de voir sans s’exposer eux-mêmes aux vues.

Le manguier qui avait servi au faux Hermann Hofer les reçut à son tour dans sa ramure touffue.

Les fruits de l’arbre leur procurèrent un repas que réclamait leur estomac à jeun, puis ils se postèrent chacun dans une fourche des branches, l’œil aux aguets.

Soudain un pas furtif froissa les herbes, une tête s’entrevit dans l’écartement de la brousse… Le Prussien se serait-il parjuré ? Mais un cri joyeux jaillit alors de la bouche de Roland, en même temps qu’il se laissait glisser à terre.

« O-Taï-Binh !

— Oh ! s’exclama le Chinois, je vous retrouve…, et juste là où nous a donné rendez-vous le capitaine. »

Et d’autres bientôt, un à un, surgirent. Hervé enfin parut. La petite troupe, quelques heures disséminée à l’aventure, était de nouveau réunie.


« Le tigre ! » souffla Salbris.